Parler en tant que juif

De la séduction de parler en tant que juif – et pourquoi je ne le ferai pas

Parmi les nombreuses indignités que les Juifs/Juives ont été contraint·es d’endurer au cours des cinq derniers mois, l’une des plus douloureuses est l’intégration très publique de l’identité, de l’histoire et de la souffrance juives dans la cause d’une Palestine libre. Il y a les manifestant·es du cessez-le-feu qui portent des chemises « pas en notre nom » et le cortège de TikTokers qui se présentent « en tant que juif » pour l’usage des lignes de temps des médias sociaux du monde non juif. Un message populaire sur les médias sociaux proclame : « Je ne consens pas à ce que mes traumatismes juifs soient utilisés pour perpétuer le nettoyage ethnique et le colonialisme de peuplement contre la Palestine ». Le plus humiliant, ce sont les images de Juifs/Juives diffusées sur les réseaux sociaux par Jewish Voices for Peace, tenant des pancartes sur lesquelles on peut lire : « Mes grands-parent·es n’ont pas survécu à l’Holocauste pour qu’Israël commette un génocide à Gaza ». Le groupe de justice sociale If Not Now s’exprime au nom des « valeurs juives » dans le cadre de l’organisation en faveur de la Palestine. Lors de la cérémonie des Oscars de cette année, le réalisateur Joanthan Glazer a invoqué sa propre judéité et la mémoire de l’Holocauste pour condamner son instrumentalisation cynique par le gouvernement de droite israélien. Le dramaturge Tony Kushner a mis les choses au point : « L’histoire de l’Holocauste, l’histoire de la souffrance juive ne doit pas servir d’excuse à la guerre d’Israël à Gaza, a déclaré M. Kushner. « C’est un détournement de ce que signifie être juif, de ce que signifie l’Holocauste, et il [Glazer] rejette cela. Qui n’est pas d’accord avec cela ?

Mais à quoi fait-on appel exactement lorsque ces personnes invoquent leur judéité ? Ou par If Not Now lorsqu’elles et ils invoquent leurs « valeurs juives » ? Il est difficile de croire qu’elles et ils se réfèrent à des valeurs religieuses, qui offrent un mélange confus de préceptes admirables et de théologie ancienne et réactionnaire. Ou bien s’agit-il de la somme totale des leçons tirées de nos souffrances et traumatismes collectifs, comme des groupes tels que Jewish Voices for Peace et Tony Kushner semblent le suggérer lorsqu’ils invoquent la signification de l’Holocauste ? Et d’ailleurs, qu’est-ce que des gens comme Tony Kushner pensent que l’Holocauste signifie ?

S’il s’agit des leçons auxquelles nous faisons référence lorsque nous parlons en tant que juifs et juives, alors là aussi, il ne nous reste pas grand-chose à quoi nous raccrocher ; en effet, cette histoire est invoquée quotidiennement par les juifs et les juives – notamment par les survivant·es de l’Holocauste elleux-mêmes – pour prouver que personne ne nous défendra dans les heures les plus sombres, que nous serons abandonné·es aux escadrons de la mort et aux chambres à gaz, que nos bateaux de réfugié·es désespéré·es seront refoulé·es ; que la tolérance est l’apanage des imbéciles et que la solidarité est un pari que seul·es les Juifs et Juives mort·es font ; qu’attendre des Juifs et des Juives qu’elles et ils adoptent le même pari que celui qui a abouti à leur anéantissement presque total est une insulte à leur intelligence, à leur histoire et à leur humanité ; qu’insister pour reprendre ce pari est la définition de la folie ; et que rien n’importe que le pouvoir. Telles sont les leçons de l’Holocauste pour nombre de ses victimes à travers le monde, et en particulier en Israël, la nation qui s’est élevée sur les cendres de la Shoah et qui est la véritable gardienne de sa mémoire. Pour être clair, il ne s’agit pas de pauvres gens pitoyablement malavisés ; ce sont les conclusions raisonnables tirées de l’expérience de personnes vivantes. C’est une pensée dérangeante pour un homme de gauche comme moi, mais c’est une pensée avec laquelle je sais que je dois compter plutôt que de me raconter un conte pour enfants sur toutes les bonnes leçons de la destruction de mon peuple.

Le problème qui se pose lorsque l’on fait de son identité juive l’équivalent de son activisme politique et, à son tour, de son activisme politique l’équivalent des leçons tirées de son traumatisme, c’est que l’on n’a pas beaucoup d’arguments à faire valoir lorsque d’autres juifs et juives tirent d’autres leçons de leur traumatisme. Et qui peut contester un traumatisme, après tout ? Si notre politique repose sur les « leçons de l’Holocauste », comment pouvons-nous nous opposer à Benjamin Netanyahou lorsqu’il commence une guerre en disant « plus jamais ça, c’est maintenant » ? C’est le sentiment sincère de nombreuses Israéliennes et de nombreux Israéliens à l’heure actuelle, et pas seulement de celles et ceux qui se situent à l’extrême droite. Ainsi, au lieu de trouver un moyen d’aller de l’avant, nous nous retrouvons piégé·es dans un cul-de-sac de traumatismes sans fin avec nos frères et sœurs juives d’extrême droite.

La vérité est qu’il n’y a pas de bonnes leçons à tirer de l’Holocauste. En fait, lorsque l’on regarde l’abîme qu’est la Shoah, il s’agit d’un épouvantable événement historique mondial dont on peut tirer des leçons progressistes – une litanie de trahisons et d’échecs de la solidarité. Il n’y a pas de téléologie dans notre souffrance, pas de but ultime. Les Juifs et les Juives n’ont pas été assassiné·es pour donner une leçon de tolérance ; elles et ils ont été assassiné·es parce qu’elles et ils étaient Juifs. Attacher une quelconque leçon à leur souffrance – qu’elle soit le fait des progressistes juifs et juives de la diaspora ou du gouvernement de droite d’Israël – dégrade leur mémoire. Nous ne sommes pas ici pour faire la morale de l’histoire de qui que ce soit. Et si nous tenons à tirer des leçons de l’Holocauste, la leçon est tout autant, sinon plus, « personne ne nous sauvera, donc personne d’autre n’a d’importance » que « personne n’est en sécurité tant que nous ne sommes pas tous en sécurité ». Pour être plus grossier, la leçon est tout autant « aucune vie ne compte, sauf la nôtre » que « toutes les vies comptent ». Le fait que la gauche juive américaine se soit ralliée à cette dernière position, si ce n’est aux mots de manière littérale, est l’une des ironies cruelles de cette guerre ; c’est, de manière perverse, devenu le sentiment que des segments de la gauche exigent maintenant des Juifs et des Juives de la diaspora, et que certain·es Juifs/Juives ne semblent que trop désireux d’obliger.

Pour les militant·es de gauche de la diaspora comme Kushner et Jewish Voices for Peace, la mémoire de l’Holocauste doit rester une abstraction. S’il était permis de la comprendre autrement, alors les mêmes personnes qui savourent si profondément l’ironie de voir les victimes de l’Holocauste commettre des crimes de guerre – de toutes les personnes, devraient-iels comprendre – devraient faire face à la pensée troublante que si ce n’était par le hasard de leur naissance, elleux aussi – toujours désireuses et désireux de donner un sens à la Shoah – invoqueraient ses leçons pour mener la guerre contre les habitant·es de Gaza. Ce faisant, des groupes comme Jewish Voices for Peace et Tony Kushner privent à nouveau les victimes de l’Holocauste de leur humanité : d’abord en tant que victimes, puis en tant que parabole.

Si je suis tout à fait honnête avec moi-même, le fait que je sois – comme beaucoup d’autres jeunes Juifs américains progressistes – si séduit par l’idée de mettre mon identité et mon traumatisme au service de « leçons » progressistes est plus révélateur d’une série de conditions contingentes et matérielles dont je suis le produit que de quoi que ce soit de fondamentalement vrai ou réel à propos de l’Holocauste et des leçons qui l’accompagnent. Je me sens si bien – si intuitif, si courageux – de parler « en tant que Juif » ici, dans mon milieu diversifié, progressiste, professionnel et managérial en Amérique, où la revendication d’une identité de victime est la monnaie du jour (et à quoi fait-on appel exactement en parlant « en tant que Juif », si ce n’est à son statut d’ur-victime de l’histoire). Les Juifs et les Juives américaines, exclues depuis si longtemps de la course aux identités, peuvent enfin miser sur la gauche de la justice sociale – en condamnant les Juifs et les Juives mêmes qui sont exclu·es du pouvoir et des privilèges américains. Comme il est commode pour nous, Juifs et Juives de la diaspora, que le point de vue éthique s’aligne parfaitement sur le point de vue intéressé, qui s’aligne parfaitement sur le point de vue extérieurement vertueux. Mais au fond de moi, je sais que par la chance du tirage au sort, les choix de mes ancêtres, le coup de dés, j’ai fini en Amérique plutôt qu’en Israël, et que si les dés étaient tombés légèrement différemment, je serais peut-être moi aussi un Israélien traumatisé invoquant la Shoah pour justifier la famine de masse des habitant·es de la bande de Gaza. Cette pensée ne m’oblige pas à changer de politique, comme cela pourrait être le cas pour certain·es des juifs et juives de droite les plus culpabilisé·es et les plus farouchement pro-israélien·nes, mais elle me remplit d’un profond sentiment d’humilité quant aux différentes expériences juives et au type de politique très différent qu’elles peuvent entraîner. Je ne suis pas contre la punition collective en tant qu’arme de guerre à cause de ma judéité ; je suis contre parce que c’est mal. Insister sur le contraire, comme les militant·es de gauche de la diaspora semblent si désireuses et si désireux de le faire, c’est se moquer de ma judéité, dans tous les sens du terme. Ainsi, dans la mesure où je plaide pour une Palestine libre, c’est en dépit de ma judéité, et non à cause d’elle. En tant que juif, j’apporte ma solidarité à la cause palestinienne en dépit de l’évidence, et non à cause d’elle.

Le fait que certains Juifs et certaines Juives elleux-mêmes puissent être aussi peu réfléchi·es sur notre histoire, qu’iels cherchent eux aussi les réponses les plus faciles et les moins chères pour donner un sens à l’absurdité de notre souffrance ne devrait pas nous surprendre, puisqu’après tout, ce sont aussi des personnes et qu’iels peuvent être aussi irréfléchies et irréfléchies à leur propre sujet que n’importe quel non-Juif/Juive peut l’être au sujet de nous. Leur judaïté ne leur confère ni plus ni moins de légitimité pour se prononcer sur cette question ; au contraire, leur manque de réflexion, et le fait qu’iels le fassent publiquement, ne fait qu’exacerber la douleur et l’humiliation sans fond que nous subissons déjà.

Alors non, je continuerai à soutenir la libération palestinienne, mais pas « en tant que juif », et pas en dégradant mon histoire. C’est un faux choix. Des organisations comme Jewish Voices for Peace sont incapables de nous voir autrement que comme des victimes ou des oppresseurs, mais moi je le peux ; elles confondent leur bonne fortune avec la vertu, mais moi je ne le ferai pas. Je refuse l’appel des sirènes de l’enrôlement de ma souffrance juive dans cette cause. C’est un piège. Attachez-moi donc au mât de ce navire juif. « Pas en mon nom », comme elles et ils aiment tant le dire ces jours-ci.

Josh Yunis
https://joshyunis.substack.com/p/on-speaking-as-a-jew
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)bona

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

2 réflexions sur « Parler en tant que juif »

    1. pénibles ceux et celles qui défendent l’invisibilisation des femmes dans la langue française
      fruit d’une politique sexiste menée par l’Académie française sur les mots et la grammaire

      Racine écrivait les hommes et les femmes sont belles,
      reprenons à notre compte l’accord de proximité
      et les différentes manières de démaculiniser la langue française (qui est une langue genrée).

      l’homme avec ou sans H ne saurait représenter les hommes et les femmes
      le masculin ne l’emporte pas sur le féminin
      le masculin ne saurait être le neutre
      l’égalité passe aussi par les pratiques langagières

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