Un long bâton d’ivoire contre les artefacts de la pensée

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Ce n’est qu’après avoir fini le livre que j’ai lu l’Avant-lire de de Jean-Pierre Bastid. Je procède toujours ainsi, préférant m’égarer dans ma lecture, sans indications de parcours. Pour celles et ceux qui sont moins téméraires ou plus imprudent·es, cet avant-lire, comme par ailleurs la belle couverture du livre, laisse entrevoir certaines musiques. D’autant que l’auteur dit son ancien amour pour les « courts récits libérés des contraintes de la vraisemblance, qui entraînent dans des contrées fabuleuses où le temps n’existe pas ». Le temps et le(s) monde(s), « Roman fantastique, La Traqueuse nous invite dans un monde de fantômes qui ont réellement existé : Martin Heidegger et Hannah Arendt ». Je n’ai aucune sympathie pour le premier, l’oeuvre de la seconde m’est plus connue, en particulier sa figure de la et du paria.

Fantômes, héroïne imaginaire et créatures de l’ombre, pour un présent dont le plan fantasmagorique peut paraître plus in-offensif que les batailles juridiques de succession et de contrôle d’une entreprise.

Entrez donc, sans a priori dans ces mondes réels et imaginés, pour y rencontrer Alétheia la Traqueuse, l’Envoyée, les Ombres, les Loups-Garous, les Tourmenteurs, le Tréfonds, l’Intermonde, la non-morte, et les vivant·es, une chatte Sophos « maitre patte-pelu », l’Index, Hannah, Martin, Coumba et quelques autres, la porosité entre le réel et l’imaginaire. Acceptez ces chimères données à voir, ces illusions et leurs halo, les images des plus contemporains rapports de domination, les plus communes négociations commerciales, les cartes mentales « la carte était le territoire », la forêt des enfants perdus, la tristesse et la mélancolie, la révolte de celles qui n’ont jamais « su se contenter de ce qui existait ».

Savourez ce voyage entre inouï et formes connues, ces espaces d’amour entre femmes, cette torpeur s’apparentant à celle du sommeil, cette froideur du monde de la raison. Vous participerez au décryptage de la forêt des ténèbres, à des conversations entre personnages ou êtres vivants. Vous serez confronté·e à des artefacts « souvenir transcendé », aux cordes vibrantes de la théorie physique, aux constructions financières, au bal des hypocrites… au décès de la « femme d’éternité ».

Sans « long bâton d’ivoire », sans « nœuds au cerveau », vous tournerez les pages selon votre propre respiration de lecture, rêvant et espérant, créant avec ou contre l’autrice, des espaces de pensées qui font d’un livre plus qu’un simple objet.

Comme l’a souligné Jean-Pierre Bastid, « S.-M. Charlemagne comprime les espaces et désarticule le temps, elle nous invite à la traversée des apparences, elle exprime l’ineffable et raconte le non-racontable ». Mais ceci n’est-il pas justement le nécessaire pour qu’une œuvre de fiction soit plus qu’un simple alignement de phrases. Ne sommes-nous pas toutes et tous un peu des traqueurs et des traqueuses entre rêve et espérance ?

Sandrine-Malika Charlemagne : La Traqueuse
Préface de Jean-Pierre Bastid
Illustration de couverture d’Igor Baranko

Editions Velvet 2024, 208 pages, 16,90 euros
https://editionsvelvet.com/a/sandrine-malika-charlemagne/la-traqueuse

Didier Epsztajn

De l’autrice
La voix du Moloch
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2020/12/05/la-sensation-quun-visage-nest-que-le-reflet-dun-autre/
Sauvez la beauté. 29 poèmes
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2018/04/14/et-je-veux-encore-decider-de-ma-vie/
Mon pays étranger
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2015/11/13/noublie-pas-que-tu-fus-etranger-accueille-lerrant/
Marche de la dignité. Samedi 31 octobre 2015. Barbès-Bastille
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2015/10/30/marche-de-la-dignite-samedi-31-octobre-2015-barbes-bastille/bona

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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