Il est des témoignages qui suscitent l’intérêt par les capacités d’analyse de l’auteur. D’autres, par la saveur de la langue. « Petit journal de bord des frontières » n’appartient ni à l’un ni à l’autre. Et pourtant, sa lecture, pour qui connaît « l’albanophobie » ordinaire régnant en Grèce, en fait un livre-témoin. De courts chapitres alternent l’histoire personnelle du narrateur (depuis l’enfance dans l’Albanie stalinienne d’Enver Hoxha jusqu’au premier travail en Grèce) et ses commentaires sur le quotidien de sa vie d’immigré.
Rien donc que de très ordinaire (surtout pour qui a vu le beau film « Akadimia Platonos » diffusé en France sous le titre « 100% grec », de Filipos Tsitos ou qui a entendu le slogan donné pour titre à ce commentaire beuglé par des centaines de voix les soirs de matchs) sinon que ce racisme s’inscrit dans l’histoire des Balkans : la frontière gréco-albanaise imposé par les puissances à l’issue des guerres de 1912 séparant des communautés de façon artificielle : en Grèce une importante population albanophone et musulmane (les Tchams) qui furent massacrés ou expulsés vers l’Albanie en 1944/45, et dans le Sud de l’Albanie une population hellénophone et orthodoxe dont la droite grecque fit son miel, baptisant cette région « Epire du Nord » et en réclamant l’annexion jusqu’au milieu des années 70.
Ainsi le même discours pouvait à la fois revendiquer la « grécité » des albanais du Sud (au point que fut crée une « carte spéciale d’identité de co-ethnique » autorisant un droit de séjour et de travail légal pour les ressortissants albanais parlant grec et prouvant leur orthodoxie, et, en même temps, les présenter comme une population inintégrable, principale source d’insécurité, avec tous les poncifs du racisme « ordinaire ».
Gazmend Kapplani : Petit journal de bord des frontières
Editions Intervalles, 2012
Dominique Gerardin