Afrique du Sud : les violences de genre en chiffres

L’Afrique du Sud se caractérise par un niveau de violence hors du commun. Les chiffres en attestent et parmi eux, plus particulièrement ceux des viols et plus récemment des féminicides. La banalité quotidienne de ces violences de genre témoigne d’une société où les relations entre hommes et femmes se négocient dans le conflit.

 

Selon de multiples sources (Centre for the Study of Violence and Reconciliation (CSVR), Human Rights Watch Report, People Opposing Women Abuse, Sexual Violence Research Initiative, Unicef…), l’Afrique du Sud est connue pour ses hauts taux de violence. Le taux d’homicide y est cinq fois supérieur au taux mondial, atteignant 64,8 pour 100 000 habitants en 2000, ce qui explique que ce pays est le plus violent au monde.Cette situation serait directement héritée du régime d’apartheid, caractérisé par un niveau de violence inédit : emprisonnements, tortures, assassinats, viols… commis en tout impunité. Si bien que, comme le précise l’historien Gary Kynoch, la résistance qu’a engendrée ce système a induit une tolérance de la violence en tant que telle, reconnue comme seul point de repère social. Aussi, malgré la création et le travail de la Truth and Reconciliation Commission Bill (Commission pour la vérité et la réconciliation), cette violence continue de constituer le seul moyen de résoudre des conflits entre les personnes.

 

Le plus haut niveau de viols au monde

Au sein de cette violence, des taux très importants de violences de genre peuvent se distinguer, avec le plus haut niveau de viols dans le monde.Selon l’étude de 2009 du Medical Research Council (MRC), intitulée Understanding Men’s Health and the Use of Violence: Interface of Rape and HIV in South Africa,un jeune Sud-Africain sur quatre reconnaît avoir violé au moins une fois dans sa vie. La moitié des hommes sondés au cours de l’étude du MRC avaient moins de 25 ans et 70% moins de 30 ans. Selon le rapport, sur les 27,6% d’hommes ayant commis un viol, « 23,2% ont déclaré avoir violé deux ou trois femmes, 8,4% quatre à cinq femmes, 7,1% six à dix, et 7,7% plus de 10 femmes ou filles ».

Selon les organisations sud-africaines de défense des droits des femmes, une Africaine du Sud sur trois vit une relation violente, une femme est tuée par son partenaire tous les six jours et une femme est violée toutes les 26 secondes, soit 2,3 par minute, 138 par heure, 3 312 par jour, 99 360 par mois et donc 1 192 320 par an. Dans les statistiques nationales, en 2006, 55 000 viols étaient officiellement enregistrés par la police. Le National Institute for Crime Prevention and Reintegration Programme estime pour sa part que seul un viol sur vingt est rapporté, ce qui pourrait ramener le chiffre à un million par an. De plus, le National Working Group on Sexual Offences, un consortium de vingt-cinq organisations, estime que 42,7% des viols concernent des mineures. En effet, une légende est répandue laissant croire que les rapports sexuels avec des vierges guérissent du sida. Si bien que les hommes multiplient les rapports sexuels avec des jeunes femmes vierges, voire impubères. Une recherche menée par le Medical Research Council en 2001 auprès de 11 735 femmes interrogées en 1998 montre que 153 d’entre elles témoignent avoir été violées avant l’âge de 15 ans. Pour ces 1,3% d’adolescentes, 85% des viols ont été commis entre l’âge de 10 et 14 ans et 15% entre cinq et neuf. Aujourd’hui, le viol atteint les nourrissons féminins de cinq mois.

 

Le viol considéré comme un rite de passage

Selon une recherche menée en 2002 sur le viol des jeunes filles pour le journal The Lancet, 21% des violeurs sont des proches, 21 autres des étrangers ou des connaissances récentes et 10% des petits amis. Selon une enquête menée par le groupe de recherche Community Information Empowerment and Transparency auprès de 300 000 enfants et adolescents de 10 à 19 ans, dans 1 418 écoles et lycées du pays, violer « quelqu’un qu’on connaît » n’est pas considéré comme une violence sexuelle, pas plus que les « attouchements non consentis ». De plus, plus d’un quart des jeunes interrogés affirment que « les filles aiment être violées ». Le viol, les violences, procèdent d’une « adaptation à la survie dans une société violente ».

La plupart des viols sont perpétrés par des Noirs sur des Noires, et à une moindre échelle par des Noirs sur des Blanches (un sur dix), celles-ci ayant les moyens financiers d’assurer leur sécurité personnelle.

À titre de comparaison, d’autres pays africains connaissent bien le viol en tant que système, c’est-à-dire qui regroupe un ensemble de principes et de règles sociaux, traditionnels, religieux, juridiques, économiques, politiques, qui interagissent. C’est le cas notamment des pays qui ont vécu ou vivent des conflits armés, comme le Rwanda, la République démocratique du Congo (RDC), ou le Darfour – pour ne citer que quelques exemples africains –, où le viol sert d’arme génocidaire. Néanmoins, les taux relatifs au viol restent largement moins élevés qu’en Afrique du Sud : 1 100 par mois en RDC (Jeune Afrique 2008), 250 000 viols pendant toute la durée du conflit au Rwanda (Commission des droits humains des Nations Unies 1996), 500 viols estimés entre 2003 et 2005 au Darfour (Médecins sans frontières 2005).

 

Le féminicide, une forme banale de violence

Au nombre de viols s’ajoute l’alimentation de la propagation du VIH. Ce constat est particulièrement avéré parmi les femmes, et plus spécifiquement celles âgées de 18 à 24 ans qui connaissent trois fois plus de chances de contracter le virus que leurs homologues masculins. Ces dégâts collatéraux des agressions sexuelles envers les jeunes femmes forment à leur tour violences.

Ce tableau est ensuite complété par celui des féminicides. En effet, l’Afrique du Sud connaît le plus haut taux de féminicide intime au monde. Malgré l’absence de données nationales dans le domaine, une étude nationale a montré qu’une femme est tuée toutes les six heures par son partenaire sexuel. Cette étude vient compléter des données selon lesquelles entre 40 et 70 pour cent des femmes victimes de meurtres sont tuées par leur mari, compagnon, concubin. L’étude conclut que le taux des victimes noires (18,3/100 000) atteint six fois celui des femmes blanches. Les auteurs des crimes sont très majoritairement des hommes et des concubins en union libre (52,10%), devant les petits amis (27,90%) et les maris (18,50%).

Les femmes tuées par leurs partenaires sont plus jeunes que celles qui le sont par des étrangers. L’âge moyen est respectivement de 30,4 ans contre 41,2 ans ce qui tend à indiquer que les féminicides intimes ne représentent pas une extension des homicides « traditionnels ». Globalement, les victimes sont tuées par balle. L’étude a montré que 66,30% des auteurs des crimes possédaient légalement une arme à feu au moment du meurtre et que 58% d’entre eux étaient employés dans le secteur de la sécurité. Ce constat s’ajoute à celui selon lequel 64,90% des féminicides intimes auraient pu être évités si l’auteur n’avait pas légalement possédé une arme mortelle.

 

Les féminicides et leur fréquence représentent un nouveau stade dans l’escalade de la violence en Afrique du Sud. Ajoutés aux viols, ils rendent la vie quotidienne des femmes de ce pays, et en particulier les jeunes femmes noires pauvres, de plus en plus difficile, voire en danger.

 

Joelle Palmieri, décembre 2011

http://joellepalmieri.wordpress.com/2014/01/04/afrique-du-sud-les-violences-de-genre-en-chiffres/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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