Complotisme & extrême-droite

Derrière le complotisme, l’extrême-droite

A l’origine des complots ou comment l’extrême droite favorise les discours complotistes

Au cours de l’histoire, l’extrême droite a souvent utilisé les thèses complotistes dans sa mécanique d’explication et d’argumentation au sein de son corpus idéologique. L’Abbé Barruel et les causes de la Révolution Française (les philosophes des Lumières, les francs-maçons, les Illuminatis), le Protocole des Sages de Sion, l’affaire Dreyfus (est-ce l’origine du complotisme en France ?), Jean-Marie Le Pen et la « bande des 4 » (PS, PCF, RPR, UDF accusés de monopoliser les débats politiques en France) ou « l’établissement » (comprendre tous les partis politiques affiliés au pouvoir, tous les mêmes)…

Elle se dote d’une mission qui vise à combattre des stratégies fomentées par les ennemis d’une nation, supposée organique (l’Etat présenté tel un corps devant lutter contre des espèces invasives), et à dénoncer ceux qui tirent profit d’un nombre conséquent de complots exploités ou dirigés par :

  • Des étranger.es – migrant.es, « Eurabia », « grand remplacement », « invasion par le ventre des femmes »

  • Des officines et/ou des sociétés secrètes, Deep state (« l’Etat profond »)

  • Des Groupes ou des conférences du type Bilderberg, le Club « Le Siècle », …

  • Des élites mondialistes : les Rockfeller, Bill Gates, Georges Soros, les Rothschild, …

  • Le « Big Pharma », aux vaccins, aux grands laboratoires pharmaceu-tiques, …

Certaines personnes ont toujours été fascinées par les récits qui racontent l’influence de sphères, plus ou moins secrètes, qui par leurs décisions pourraient changer le cours de l’histoire, les grands équilibres économiques et politiques, les rapports entre les groupes sociaux et les peuples.

Au fil des temps, le complotisme est donc devenu une arme idéologique utilisée par l’Extrême Droite, telle une sorte de passerelle ou d’ouvre-boîte pour argumenter et expliquer. Il s’agit de « démasquer » les intentions stratégiques de ces sphères néfastes et de comprendre leur implication lors d’un évènement, d’une crise, d’une catastrophe, … Il est également nécessaire de se souvenir que le conspirationnisme/complotisme a souvent été teinté d’un antisémitisme plus ou moins assumé, y compris de nos jours.

L’Extrême Droite trouve donc « naturellement » sa place parmi celles et ceux qui intègrent des thèses complotistes, au service de leurs argumentations idéologiques. Cependant, toute personne sensible aux thèses complotistes n’est pas systématiquement membre ou sympathisante de l’Extrême Droite. Cette dernière cultive le complotisme et le conspirationnisme, au même titre que tout ce qui lui paraît opportun.

Comment les discours complotistes favorisent les extrêmes-droites

Les conspirationnistes utilisent une rhétorique identique à celle des groupes d’extrêmes droites. De ce fait, toute personne, attirée par les discours complotistes, est susceptible d’être plus aisément conquise par les discours d’une extrême droite qui :

  • prend appui sur les émotions, notamment la crainte, la colère et la peur, permettant ainsi une plus grande adhésion aux éléments de discours. (cf. le basculement d’Anakin Skywalker vers le côté obscur de la force).

  • interprète les faits, sans un travail d’investigation nécessaire aux vérifications,

  • entremêle du vrai et du faux pour donner l’illusion de comprendre.

  • propose de s’identifier à un groupe en promettant, à chaque membre, d’accéder à LA vérité.

Par ailleurs, les conspirationnistes pensent être détenteurs de « LA vérité » et, de ce fait, être les victimes de diverses persécutions. Cette posture est souvent adoptée par des groupes d’extrêmes droites où certains partis, tel le RN, se présentent comme des « partis antisystème », méprisés et rejetés par les autres partis politiques intégrés au « Système ». Le discours conspirationniste laisse les personnes qui y croient totalement démunies, que pouvons-nous faire si tout est déjà décidé ? Cela peut laisser croire que les extrêmes droites sont la seule solution pour combattre « les élites » dont il est question.

Lors d’une consultation électorale, des électeur.trices, adhérant aux discours conspirationnistes, se trouvent parfois totalement démunies et sans moyen d’action, face aux évènements où tout leur semble déjà décidé par celles et ceux qui participent au « Système ». En adoptant la posture et les idées d’un parti « antisystème » et détenteur de « La vérité », celui-ci devient la seule alternative, la seule solution pour combattre « les élites » responsables de ces décisions (bien souvent qualifiées d’iniques et catas- trophiques).

Pourquoi aujourd’hui un tel succès pour les complotistes ?

L’évolution de nos sociétés dites « modernes » génère des conditions de plus en plus favorables à l’émergence et au développement de discours conspirationnistes, dont les plus significatives sont :

  • L’individualisme et l’hyper-connexion, fruits d’un modèle de société dont l’organisation sociale et économique diffuse l’image récurrente de l’utilisateur.trice/consommateur.trice, au profil individualisé, seul chez lui- elle, dans sa chambre face à l’écran de son micro-ordinateur. De ce fait, il devient récepteur.trice/transmetteur.trice, mais également producteur.trice d’informations. C’est donc à la fois une cause et une conséquence de la dépolitisation de nos sociétés.

  • La dépolitisation générée dans les années 90, suite à la perte de repères établis après la seconde guerre mondiale : chute du bloc de l’Est, « fin de l’Histoire » (Fukuyama), … Elle conduit au « ni droite / ni gauche » voire même au « et droite/et gauche » d’aujourd’hui.

  • La perte de crédibilité de la parole publique qui ne cesse de croître et coïncide avec la crise de confiance en la démocratie représentative. Cette situation contribue à favoriser la montée en puissance d’un système d’expert.es qui s’approprie la parole et diffuse une vérité modélisée, alors que les citoyen.nes ne sont pas en mesure d’informer ces mêmes expert.es sur leurs besoins et la nature de leurs attentes.

  • L’impression d’ordre dans le chaos qu’il donne, au sein d’un environnement où d’énormes volumes d’informations circulent en permanence et de plus en plus rapidement. La simplicité des explications que le complotisme donne à des phénomènes complexes, dans un monde où règne le capitalisme avec toutes ses conséquences néfastes, peut apparaître comme rassurante.

L’impossible approche des phénomènes complexes avec des thèses complotistes

De nos jours, les autorités politiques, économiques, intellectuelles et désormais scientifiques et médicales, sont assimilées à des « élites ». Leurs voix et leurs pensées sont susceptibles d’être remises en question, à tout moment, par des thèses complotistes. La question scientifique et épidémiologique, désormais fondamentale, n’échappe pas aux offensives qui n’hésitent pas à cibler des responsables qui, selon les propos de ces conspirationnistes, tirent profits des situations générées par les crises.

En outre, le conspirationnisme discrédite toute critique du capitalisme, car il lui suffit d’articuler quelques contradictions et de désigner les responsables des difficultés que nous rencontrons, tel des ennemis/bénéficiaires des « crimes » (il suffit souvent de demander à qui profiterait ces « crimes » pour en démasquer le coupable). Une construction intellectuelle qui évite ainsi de se soumettre à de possibles réfutations.

En conséquence, les thèses complotistes, véhiculées par les conspirationnistes, ne sont pas des outils d’analyse pertinents et opérationnels pour appréhender les situations de crise et définir les approches nécessaires à l’élaboration de visions prospectives. Leurs pseudo scientificités peut contribuer à rendre plus attractives des positions politiques diffusées par des organisations d’Extrême Droite. L’appropriation de leurs discours peut conduire certaines personnes à leur accorder plus de crédit jusqu’à rejoindre leurs rangs. Par ailleurs, il est arrivé que la diffusion d’informations complotistes conduisent à l’expression de réactions violentes, jusqu’à la réalisation d’actions armées*.

* Souvenons-nous du « PizzaGate » : théorie conspirationniste, diffusée en 2016 par l’extrême droite et depuis démentie officiellement, pré- tendant qu’il existe un réseau de pédophilie autour de John Podesta, ancien directeur de campagne d’Hilary Clinton. En réaction, un homme de Caroline du Nord a voyagé jusqu’au Comet Ping Pong – pizzeria liée à ce soi-disant réseau – pour, selon ses dires, « enquêter » sur la conspiration et « sauver des enfants esclaves sexuels » qui devaient se trouver dans ce restaurant. Armé de son fusil d’assaut, il n’a pas hésité à tirer à l’intérieur de l’établissement. Le propriétaire du restaurant et les employés ont reçu des menaces de mort venant de conspirationnistes.

Pour nous, syndicalistes et antifascistes, il est essentiel de rappeler les valeurs humanistes portées par nos organisations et d’identifier des modes d’actions permettant de lutter contre ce phénomène !

Que faire ?

Lors d’un échange, quelles postures adopter face à l’expression d’arguments complotistes, de la part d’un.e collègue de travail, d’un.e ami.e, d’un.e camarade ou de toutes autres personnes lors d’un échange, d’une conversation ? (par exemple : à la machine à café, en périphérie d’une réunion syndicale, en réunion de famille, …)

Il peut être fait appel :

à l’empathie, en prenant le temps d’écouter l’autre et de lui dire qu’il a sans doute raison d’avoir peur de cette société mais, … « Tu as raison d’être en colère contre ce gouvernement, contre cette société, mais… »

La reconnaissance du fait qu’il est sain de douter et que la méfiance peut être légitime.

La contradiction, sans nier l’existence d’officines, cachées ou non, qui œuvrent au service de puissants, sans pour autant être liées ou organisées pour la mise en œuvre d’un complot mondial : quelles sont alors les différences identifiables ?

L’accompagnement et l’argumentation avec un questionnement en plusieurs étapes : « Pourquoi ? … D’accord sur ce point ou cette analyse, mais pourquoi ? Ok, mais dans quel(s) objectif(s) ? » et quelle est la logique de penser licornes plutôt que chevaux au bruit de battements de sabots ? (Cf. le rasoir d’Ockham).

La mise en commun des points d’accord, par exemple : la mauvaise gestion de la crise sanitaire par les gouvernements, le manque de transparence, les communications contradictoires, la responsabilité des entreprises faisant du profit grâce à la pandémie, etc. MAIS en pointant nos réponses qui ne sont d’ailleurs jamais diffusées par les réseaux complotistes   de l’argent et des moyens pour l’hôpital et pour un véritable service public de la recherche, des personnels qualifiés en nombre suffisant, …

La « re »politisation des débats nécessite des réflexions communes, difficiles et parfois longues, mais indispensable à conduire. Il est probable que les échanges, à propos d’une information pluraliste et d’une démocratisation de la société, s’imposent dans les débats afin d’enrichir les raisonnements en matière d’ana- lyse des situations et de recherche de réponses collectives.

Il est préférable d’éviter :

  • toute forme d’affrontement : « Tu racontes n’importe quoi ! ». Il est inutile braquer la personne qui est en face, cela peut même contribuer à renforcer ses croyances et son adhésion aux thèses conspirationnistes !

  • le dénigrement, en adoptant une posture du mépris (de classe ?)

Mais pour nous, syndicalistes, antifascistes, la réponse ne doit pas être seulement individuelle. Nous devons construire une riposte argumentée. Cette riposte doit s’élaborer de manière collective pour pouvoir ensuite être diffusée dans nos organisations syndicales et nos lieux de travail. C’est un des objectifs principaux de VISA : mettre en commun des ressources et assurer des formations syndicales qui permettent à terme de faire baisser l’influence des idées d’extrême droite dans le monde social. Notre antifascisme se veut populaire et tourné vers le monde du travail, monde vers lequel a toujours lorgné le fascisme.

http://www.visa-isa.org


En complément possible :

Cy Jung : Le complotisme contre la liberté

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2020/12/17/le-complotisme-contre-la-liberte/

Les théories complotistes sont une impasse et un danger mortel pour toutes celles et ceux qui luttent pour une société libre, fraternelle et égalitaire

https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/01/20/les-theories-complotistes-sont-une-impasse-et-un-danger-mortel-pour-toutes-celles-et-ceux-qui-luttent-pour-une-societe-libre-fraternelle-et-egalitaire/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

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