Avant-propos d’Agustín Guillamón à son livre : Barcelone mai 1937

Avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse

9791039901535

Ce livre donne une nouvelle vision, inédite, des événements de mai 1937, très originale et totalement différente de celle que propose, jusqu’à ce jour, l’historiographie académique. Il se base, et c’est ce qui le caractérise avant tout, sur un travail rigoureux de recherche dans les archives et sur les entretiens avec plusieurs des protagonistes de ces journées.

Ce n’est pas un « livre de livres », ces habituels bouquins indigestes faits d’extraits et de données repris dans d’autres ouvrages et que nous proposent les maisons d’édition commerciales. Il s’agit ici du récit complet des faits qui se sont produits au cours des journées du 3 au 7 mai 1937, faits racontés du point de vue des insurgés qui en furent les protagonistes.

Nombreuses sont les nouveautés, totalement inconnues avant la publication de ce livre, et qui à partir de maintenant seront reproduites et irrémédiablement mal comprises dans le petit monde plagiaire du copier-coller universitaire.

Les décrets de la Generalitat, le gouvernement autonome de Catalogne, du 4 mars 1937 créèrent un Corps unique de sécurité (formé par la Garde d’assaut et la Garde civile) et annoncèrent la dissolution (dans un avenir proche) des Patrouilles de surveillance. Ces décrets entraînèrent la réorganisation des comités de défense qui hibernaient jusqu’alors, la démission des consellers cénétistes, les ministres de la Generalitat membres de la CNT, et une grave crise de gouvernement.

L’assemblée de la fédération locale de Barcelone des Groupes anarchistes du 12 avril 1937, radicalisée par la présence des Jeunesses libertaires et des délégués des comités de défense qui y furent invités, exigeait le retrait de tous les cénétistes des postes municipaux ou gouvernementaux, et créait un comité insurrectionnel. Dans cette radicalisation, Julián Merino, Pablo Ruiz et Juan Santana Calero jouèrent un rôle important.

Le 15 avril, après une longue et laborieuse négociation, Lluís Companys et Manuel Escorza del Val se mirent d’accord sur une résolution de la crise et la formation d’un nouveau gouvernement (avec l’entrée comme conseller du cénétiste Aurelio Fernández).

L’assassinat d’Antonio Martín à Bellver de Cerda–nya, le 27 avril 1937, entraîna la rupture de l’accord si laborieusement obtenu. Manuel Escorza mit les comités de défense en alerte, en révélant l’information sur un prochain coup de force du bloc contre-révolutionnaire. Escorza provoqua l’étincelle, mais il s’opposa à un soulèvement qu’il considérait comme prématuré et sans préparation suffisante, sans objectifs ni coordinations adéquates.

La provocation du 3 mai, lorsque le stalinien Eusebio Rodríguez Salas prit d’assaut la Telefónica, le bâtiment du central téléphonique de Barcelone, mobilisa les comités de défense qui, en deux heures, déclarèrent la grève révolutionnaire, prirent en main tous les quartiers ouvriers et dressèrent des barricades dans le centre de la ville et à des endroits stratégiques. Les comités supérieurs cénétistes (représentés alors par Dionis Eroles et Josep Asens) essayèrent de contrôler les comités de défense, mais, sans y parvenir. Ils furent débordés.

Le 4 mai, dans la matinée, Julián Merino, secrétaire de la fédération locale barcelonaise de la FAI, convoqua une réunion du comité régional de Catalogne, en parvenant à former un comité révolutionnaire secret de la CNT (formé par Julián Merino, Lucio Ruano et le sergent Manzana) et deux commissions pour coordonner et étendre la lutte dans les rues, une place de España et une autre au centre-Paralelo. À cette réunion, fut également nommée une délégation cénétiste dirigée par Santillán, pour négocier une solution au palais de la Generalitat. Luciano Rano dirigea les canons de Montjuïc sur la place San Jaime.

La CNT jouait un double jeu : l’insurrection et la négociation. Companys, le président de la Generalitat, et Comorera, le secrétaire du PSUC, ne jouaient que le jeu de la provocation dans le but très clair d’arriver à annihiler les insurgés, affaiblir la CNT afin de l’annuler et de former un gouvernement fort.

Le 4 mai, dans l’après-midi, les travailleurs barcelonais armés et prêts au combat ne furent pas vaincus par le PSUC, par l’ERC ou par les forces de l’ordre du gouvernement de la Generalitat. Ces travailleurs finirent par céder aux messages pacificateurs de la radio. La tentative révolutionnaire de coordonner et de donner un objectif précis à l’insurrection échoua. Alors que l’ensemble de Barcelone était couvert de barricades, les ouvriers armés furent vaincus et humiliés par les discours radiophoniques des comités supérieurs de la CNT, et plus particulièrement par le discours des « embrassades » de Joan García Oliver (celui-ci appelait les ouvriers des barricades à embrasser les gardes d’assaut comme des frères).

Le 5 mai, vers midi, Sesé, secrétaire de l’UGT, se fit tirer dessus depuis le syndicat des spectacles de la CNT lorsque la voiture dans laquelle il se trouvait refusa de s’arrêter à un contrôle de barricade. Celui-ci allait prendre son poste de conseller. En représailles, Companys ordonna à plusieurs reprises à l’aviation de bombarder les casernes et édifices aux mains de la CNT. Les Amis de Durruti lancèrent un tract qui essayait de donner des objectifs concrets à l’insurrection : remplacer la Generalitat par une junte révolutionnaire, exécuter les coupables de la provocation (Rodríguez Salas et Artemi Aguadé), socialiser l’économie, fraterniser avec les militants du POUM, etc. Les comités supérieurs désavouèrent immédiatement ce tract, qui avait eu la vertu de relancer la lutte sur les barricades.

Les 5 et 6 mai constituèrent l’apogée de la lutte dans la rue. Le bloc contre-révolutionnaire profita des tentatives de trêve ou d’abandon des barricades à la suite des consignes radiophoniques et dans la presse pour consolider ses positions ; les révolutionnaires reprenaient alors les combats et retournaient sur les barricades.

Le 7 mai, il était évident que le soulèvement avait échoué. Les travailleurs commencèrent à défaire les barricades. Les troupes envoyées de Valence défilèrent avenue Diagonal et occupèrent la ville. Les jours suivants, les comités supérieurs de la CNT essayèrent de cacher ce qui s’était passé, de retoucher les procès-verbaux en cours de rédaction et en définitive d’éviter au mieux la répression prévisible des staliniens et du gouvernement contre leur organisation et contre les protagonistes les plus en vue. Le POUM devenait le bouc émissaire nécessaire qui allait payer pour tout.

S’il fallait résumer mai 1937 en une phrase, il faudrait expliquer que les travailleurs armés sur les barricades et totalement décidés furent vaincus par les appels au cessez-le-feu lancés à la radio. La révolte à Barcelone fut vaincue par la radio.

Pour la première fois dans l’histoire, une insurrection a commencé et a perduré contre la volonté des leaders de l’organisation à laquelle appartenait l’immense majorité des insurgés. Mais même si une mutinerie peut être improvisée, une victoire ne peut l’être en aucun cas (Escorza) ; et d’autant moins lorsque toutes les organisations ouvrières antifascistes se montrent hostiles au prolétariat révolutionnaire, de l’UGT jusqu’aux comités supérieurs de la CNT.

Les comités supérieurs jouèrent un double jeu, en même temps qu’ils permettaient la formation d’un comité révolutionnaire de la CNT, ils formaient une délégation pour aller négocier au palais de la Generalitat. Ils laissèrent très vite tomber la carte de l’insurrection pour miser sur le cessez-le-feu qui leur assurait un avenir comme bureaucrates.

UGT et comités supérieurs de la CNT, ERC et gouvernement de la Generalitat, staliniens et nationalistes transformèrent la magnifique victoire militaire des révolutionnaires, à portée de main (selon Julián Merino de la FAI et Josep Rebull du POUM), en une désastreuse défaite politique qui ouvrit la voie à une répression féroce. Ils le firent tous ensemble, mais de façon différente, pour jouer efficacement leur rôle. Staliniens et républicains directement sur les barricades de la contre-révolution. Anarchosyndicalistes et poumistes dans l’ambiguïté d’« avoir l’air sans avoir l’air du tout », de « se dire révolutionnaires sans l’être » ; les premiers en recommandant la fin de la lutte et l’abandon des barricades; les deuxièmes en pratiquant l’« audacieux » suivisme derrière les premiers.

Deux petites organisations seulement, les Amis de Durruti et la Section bolchevique-léniniste d’Espagne (SBLE), essayèrent d’éviter la défaite et de donner au soulèvement des objectifs clairs et précis. Le prolétariat barcelonais, essentiellement anarchiste, lutta pour la révolution, même contre ses propres organisations et contre ses dirigeants, dans un combat qu’il perdit en juillet  1936, dès lors qu’il laissa l’appareil d’État sur pied et qu’il remplaça la lutte de classes par le collaborationnisme et par l’unité antifasciste.

Mais il y a des batailles perdues qu’il faut livrer pour les générations futures, sans autre objectif que de montrer qui est qui, de quel côté de la barricade se trouvent les uns et les autres, de déterminer les frontières de classe, le chemin à suivre et les erreurs à éviter. 

Barcelone, avril 2023

Agustín Guillamón : Barcelone mai 1937
https://www.syllepse.net/barcelone-mai-1937-_r_76_i_1047.html

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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