Le temps, un bien commun

Le temps, l’action publique et le citoyen

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Dominique Royoux et Patrick Vassallo proposent un livre très intéressant : Le temps, un bien commun. Ce livre aborde une question très importante, et rarement traitée, qui est ici abordée à partir de trois interrogations : la question du temps et de son organisation ; l’action locale et les collectivités locales ; la réflexion sur le bien commun. Un livre qui ouvre de nouvelles pistes, explore de nouvelles voies.

L’organisation du temps est ancienne. Après avoir connu une grande continuité depuis le Moyen âge ; elle est bouleversée aujourd’hui par une désynchronisation des temporalités quotidiennes. Les rapports contemporains au temps changent avec l’évolution entre les temps des femmes et ceux des hommes, la diversification des rapports au travail et l’extension de l’urbanisation. Il faut aussi tenir compte des temps sociaux des familles, à l’exemple des familles monoparentales, de l’éloignement de l’habitat et du travail, de la tension entre le court et le long terme, accentuée par la crise climatique. Le rapport au temps des individus, des institutions, des structures est en plein bouleversement. La crise sanitaire l’a souligné, avec le télétravail et la place du travail dans la vie des habitants, avec la diversité des situations vécues et des représentations.

Qui décide de l’organisation des temps, de la question temporelle ? C’est une question de pouvoir ; elle renvoie au temps de la démocratie et de la citoyenneté. Elle implique de mieux connaître les rapports au temps du plus grand nombre ; de prendre en compte les inégalités sociales et environnementales pour lutter contre le changement climatique ; de situer le bon niveau des rapports de pouvoir.

Une orientation spatio-temporelle des sociétés humaines se dégage. Elle s’appuie sur les mots du temps : immédiateté, urgence, court-termisme, mobilité, flexibilité, réactivité, mondialisation de la vitesse. Elle se traduit, dans la mondialisation, par la vie publique et par un commun au service de l’émancipation individuelle et collective. La dictature de l’immédiateté accentue le bilatéralisme au détriment du multilatéralisme et des mobilisations mondiales.

Le rapport au temps est une donnée fondamentale à réguler au sein de toute organisation sociale ; elle varie selon les sociétés et les périodes. Analyser les enjeux spatio-temporels, politique publique par politique publique, dépend de l’écosystème spatio-temporel global. Pour construire de nouveaux communs et faire société, il faut mieux s’approprier les questions temporelles. Il faut renouveler le défi démocratique d’un dialogue équilibré social et territorial. Pour parler du temps contemporain en pleine conscience, il faut pouvoir débattre des choix complexes dans les sociétés locales diversifiées. Il faut pouvoir débattre de la survie d’une civilisation de l’anthropocène.

Mondialisation
La pandémie mondiale du covid a révélé la fragilité du mode de production mondial, la transformation des rapports au travail, la remise en cause des métiers, l’accélération de l’immatérialité des rapports, des relations numériques, des difficultés à se rencontrer. Le climat s’est imposé comme un nouveau perturbateur temporel.

Une nouvelle géo-économie s’impose. Elle est marquée par la mondialisation et la dématérialisation de la production contemporaine. Elle est caractérisée par le multilatéralisme, la gouvernance mondiale, la dictature de l’immédiateté. La dématérialisation et la globalisation de la production accentue l’impasse de la prise en compte du temps et projette les médias dans le tourbillon du temps. De nouvelles formes économiques ont émergé. L’économie sociale et solidaire, collaborative, le renouveau des communautés autonomes, ont expérimenté une nouvelle façon de travailler, une gouvernance mieux partagée.

La mondialisation n’a pas réduit les inégalités, ni pour les revenus, ni pour les patrimoines. Les inégalités au niveau mondial ont accompagné l’uniformisation de la consommation et ont accentué les inégalités des revenus entre les régions du monde. La pandémie a rappelé que le progrès a une durée et une frénésie qui ne sont pas éternels. Les territoires ont été marqués par la mondialisation et doivent s’adapter aux nouveaux climats. La mondialisation a modifié le rapport au temps.

La vie publique et le droit au temps
La vie publique organise les rapports entre individus et collectifs, les temporalités individuelles et collectives. Elle s’appuie sur les actions publiques locales, sur les collectivités territoriales. Le tournant spatial des sociétés met en évidence une contradiction entre pratiquer ensemble l’espace, les spatialités, et faire exister les territoires, la territorialisation. La tension s’accentue entre la prise en compte des spatialités des hommes et des femmes et la territorialisation des politiques publiques locales. L’appropriation par le plus grand nombre de l’action publique locale passe par la compréhension partagée du système territorial.

La redéfinition des projets de territoire passe par la reconnaissance du droit au temps et du droit au service. Les politiques du temps symbolisent la démarche de « penser global pour agir local ». Il faut dialoguer, connaître, piloter, pour renouveler le pilotage politique. Les analyses de l’action publique locale nécessitent une hybridation des savoirs. La gestion du temps n’est plus une affaire privée ; le rapport au temps évolue et caractérise les politiques publiques. Dans la généralisation des sphères d’activité concernées par la gestion du temps, les débats temporels sont nombreux. Le rapport au temps permet d’affirmer l’autonomie de son individualité. Le rapport au temps structure la compréhension des sociétés. Il renouvelle le regard sur les inégalités sociales et spatiales comme le montre de nombreux exemples dans le livre.

Le droit au temps s’affirme avec les politiques du temps et les politiques temporelles. Les politiques temporelles deviennent, à partir des années 2000, un nouvel axe d’actions publiques avec un équilibre des fonctions dans une politique locale. Le rapprochement des politiques du temps et du climat, articule le court et le long terme.

Les synchronisations des activités humaines, l’organisation des compétences au sein des territoires, la gestion de la mobilité multiforme se traduisent dans les pratiques de transport collectif, les horaires de travail des entreprises et des administrations, la conception des aménagements différenciés suivant les usagers ; le temps d’accès et les conditions d’égalité, la gestion du temps, la polyvalence des bâtiments ; la mutualisation des équipements. Des chartes d’usage du temps permettent de relier l’espace et les temps, les espaces spatio-temporels, de gérer le temps pour faire vie commune. Elles accompagnent l’offre des services publics dans l’attractivité d’un territoire.

La démarche propose de nouveaux champs d’action temporelle dans des agglomérations. Le temps des choix se traduit dans le temps des aidants, par exemple avec la dimension temporelle des temps de garde. La médiation temporelle permet de mieux concilier. La nuit, un espace-temps permet de générer une médiation sociale spécifique. La maitrise du temps accompagne la gestion communale ; elle peut s’appuyer sur un diagnostic temporel du système « temps et territoire ». La proposition est d’implanter des politiques temporelles, à l’exemple de Grand Poitiers, longuement présentée dans le livre. Il s’agit de relier l’organisation des temps et celle des territoires.

Individu et communs
La mondialisation, concomitamment à une révolution informationnelle et aux NTIC (nouvelles technologies d’information et de communication), est marquée par la dématérialisation. Le travail nomade réorganise l’emploi du temps des salariés. Il s’agit de décrypter la nouvelle horloge des territoires. Peut-on reprendre la main sur son temps ? Investiguer le droit au temps ? Réinventer des vies publiques ? Quels rapports individus et communs entretiennent dans ce chantier ?

Communs, commun. Dans les conceptions économiques, le commun c’est la propriété. Dans les conceptions idéologiques, le public et le privé constituent les deux pôles de l’activité économique et sociale. A la fin du 20ème siècle, le tiers secteur rejoint la chose publique et sort de la marge. Le clivage n’est plus entre « plus d’Etat » et « plus de marché ». Qu’est-ce qu’un bien commun ? Ce sont des ressources gérées collectivement par une communauté ; avec des règles et une gouvernance pour la préserver. Les communs sont partout, des logiciels libres aux jardins partagés, des AMAP aux épiceries coopératives, de la cartographie à l’énergie renouvelable, dans l’encyclopédie libre wikipédia.

On peut définir les biens communs comme la recherche par une communauté des réponses à un problème par la recherche des solutions au bénéfice de l’ensemble de ses membres. Benjamin Coriat propose un renouveau des communs avec les communs de la connaissance. Ils combinent une visée universaliste avec l’accès local démocratique en réponse au mal être au travail et à la recherche de sens.

Le commun anticipe-t-il un nouveau mode de production ? Il traduit des forts besoins de ressourcements de temps collectif, des nouvelles formes. Il se concrétise par les communautés dans le monde 2.0 ; les groupes dans les quartiers qui suppléent les formes associatives. Le commun est le contraire du modèle de l’entreprise, renvoie à d’autres objectifs ; le sens, la durabilité, la gouvernance partagée, s’opposent aux profits rapides et à la rentabilité immédiate. A l’exemple de certains tiers-lieux.

Les débats au sein des collectivités locales butent sur la ré-articulation entre l’individuel et le collectif. Le commun est-il une gratuité ? En 1945, déjà, le Conseil National de la Résistance avait défini la gratuité comme un facteur d’émancipation.

De nouveaux communs sont en gestation. La pandémie a souligné l’importance des rapports entre temps et espace.

C’est le local qui a répondu aux blocages de la pandémie et qui a permis la redécouverte des métiers essentiels et la prise en charge associative des urgences. La pandémie a accentué la dé-crédibilisation des pays occidentaux, la remise en cause d’une action publique à courte vue, la perte de crédit de l’Etat, la perte de confiance dans l’ordre spontané des marchés.

Les rapports entre individus et communs connaissent une nouvelle donne. Il faut rappeler deux séquences majeures : les trente glorieuses et l’effondrement de l’expérience d’un communisme institué. L’individu a fait un retour en force ; les identitarismes ont repris le dessus. Le temps des colonies avait imposé l’individu, en complément de la domination. A rebours de l’adage de la vie collective qui soulignait « il faut un village pour élever un enfant ». La dictature de l’immédiateté fait des ravages. Il faut pouvoir disposer à nouveau l’individu dans le commun et tenter une définition des communs, temporalités et territoires nécessaires à cette émancipation. Les utopies concrètes nécessitent des temporalités articulées. Après 1968, les communautés de vie et de travail avaient tenté d’inventer de nouveaux communs.

Le temps redéfini la place de l’individu dans les communs. Le droit à la rescousse, la re-disposition de l’individu dans des collectifs informels crée de nouveaux communs

Le droit au temps est une nouvelle conquête. La culture, les usages, créent des ponts vers de nouveaux communs. Il faut considérer le temps comme un bien partagé, commun. L’urgence temporelle est moins d’aller vite que d’aller le plus loin possible, collectivement sur un chemin apaisé. Le temps devient commun car on doit affronter ensemble les dérèglements climatiques, les menaces sur la nature et la biodiversité. Il s’agit de modifier nos usages pour faire commun. Modifier nos usages y compris temporels, c’est aussi une façon de faire commun, de ne pas s’enfermer dans l’immédiateté. Le temps est prescripteur de lien. Le télétravail est un prescripteur de temps dans l’entreprise comme dans la vie personnelle. Les réseaux sociaux aussi. Peut-on faire société sans respecter les rythmes des personnes et des collectifs ?

Organiser le temps pour mieux organiser la vie sociale et les territoires devient l’autre face de l’aménagement de l’espace et de la justice sociale. Mettre en avant la connaissance des rapports au temps renouvelle les ressorts démocratiques dans le débat public. Temps et climat sont liés ; les accords temporels locaux lient la maitrise de l’espace et l’agencement des temporalités. Le droit au temps est un support salutaire de la ré-humanisation du monde.

Gustave Massiah, 5-01-2024

Dominique Royoux et Patrick Vassallo : Le temps, un bien commun. Le temps, l’action publique et le citoyen
Editions Le cavalier bleu — Paris, 2023

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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