Homes indiens de Guyane : vers une Commission vérité ?

L’IFJD – Institut Louis Joinet, UNICEF France et l’Université de Guyane ont organisé, sous le haut patronage du Grand Conseil Coutumier, une série d’événements intitulée « Autochtones et écoles : réparer l’injustice ? », les 10 et 13 décembre 2022. Elle comportait notamment un séminaire organisé à l’Université de Guyane le 13 décembre. Organisé en ateliers, il visait à analyser l’impact passé et les conséquences actuelles des traumatismes générés au sein des populations autochtones par l’intégration de 2000 enfants dans des pensionnats catholiques dont les règles de vie, prenant l’exact contre-pied des conditions et des valeurs amérindiennes, visaient à déconstruire leurs racines identitaires. Lors de ces événements, il est apparu qu’une Commission vérité et réconciliation, s’appuyant sur les modèles retenus à l’étranger (Canada, États-Unis, Australie, Groenland, Finlande et Suède notamment), pourrait être une option pertinente pour la prise en charge du traumatisme ressenti par les anciens pensionnaires des Homes et leur entourage, ainsi que pour reconstruire le vivre-ensemble. Cette hypothèse initiale doit néanmoins être corroborée par un travail exploratoire plus approfondi permettant de la confirmer ou de l’infirmer.

Capture-decran-2024-02-01-a-13.49.44

Jeudi 1 Février de 18h00 à 20h00, a eu lieu la présentation du Rapport de l’IFJD – Institut Louis Joinet : Pour une Commission vérité sur les homes indiens de Guyane.

Le Rapport Pour une Commission Vérité sur les homes indiens de Guyane est issu du processus exploratoire mené par l’IFJD. Ses principales conclusions et recommandations ont été présentées le jeudi 1er février à l’Assemblée nationale.Le Rapport conclut principalement à la nécessité de mettre en place une Commission Vérité afin qu’une vérité complète et partagée soit établir concernant les violences culturelles, physiques et sexuelles commises à l’endroit des pensionnaires au sein des homes indiens de Guyane.Nous vous invitons à lire le Rapport et les recommandations en intégralité, ainsi qu’à soutenir cette initiative.

Lire le rapport préliminaire et les recommandations

premiere_enfants_guyane-web-a7a53

La récente publication par Hélène Ferrarini du livre Allons enfants de la Guyane, consacré au placement des enfants autochtones dans des pensionnats catholiques en Guyane française a, non seulement, révélé une pratique coloniale, mais pourrait bien avoir aussi des conséquences importantes en matière de Justice transitionnelle. Le grand intérêt de cet ouvrage est de donner la parole aux anciens pensionnaires et d’ouvrir la réflexion sur le traumatisme généré par ce mode d’éducation.

Ces pensionnats catholiques ont accueilli, durant des décennies, des jeunes amérindiens et bushinengués : 2 000 enfants y auraient séjourné. Le premier Home a été fondé en 1930 à Mana. Neuf Homes différenciés ont été créés en Guyane entre 1930 et 2012. Il en reste un aujourd’hui à Saint-Georges de l’Oyapock. A l’origine, il s’agissait pour les religieux de dispenser une bonne éducation catholique, des valeurs spirituelles. Pour les enfants et leur famille, c’est surtout le souvenir du choc et des traumatismes qui subsiste tant en raison de la globalité de la violence culturelle occasionnée par cette intégration, que d’un certain nombre de pratiques autoritaires.

La description des conditions de vie à l’intérieur de ces pensionnats est éclairante de leur rigueur et – surtout – du ressenti particulier des enfants qui y sont accueillis. Il y a d’abord la séparation très jeune avec le milieu familial, puis viennent des règles strictes qui encadrent la vie quotidienne de ces enfants, qui vont découvrir ainsi les ordres, la discipline et les punitions et donc la violence symbolique autant que physique. Ces pratiques – courantes dans le contexte scolaire de l’époque – sont accentuées par la rupture culturelle qui accompagne le Home. Prenant l’exact contrepied des conditions et des valeurs amérindiennes, cet ordre quasi militaire vise à déconstruire les racines identitaires des enfants.

Au-delà de cette violence éducative, l’ouvrage replace ces pensionnats dans le système colonial français. Incarnation d’un mythe civilisationnel (on parlera longtemps de « primitifs ») associant très étroitement l’Eglise et l’Etat, ils s’inscrivent dans une relation globale de domination. Ces « Homes » d’abord créés à la seule initiative de l’Eglise furent, à partir de 1949, soutenus et financés par l’État en tant qu’instruments de sa politique administrative.

Ces procédés d’assimilation ne sont pas propres à la France et ont été observés dans de nombreux pays. Ils ont débouché, bien des années après, sur la mise en place de commissions vérité participant d’un processus de réparation pour les victimes mais aussi de réconciliation nationale. Leurs conclusions ont parfois fortement ébranlé les opinions publiques et les gouvernements. Si l’exemple canadien des pensionnats autochtones est le plus significatif, d’autres Etats (Groënland, Suède, Norvège, Finlande, Australie et USA notamment) ont également été confrontés à ces phénomènes.

La multiplication de ces Commissions démontre – par leur organisation et leur philosophie de fonctionnement – l’intérêt de ce mécanisme pour faire face à la complexité des atteintes aux droits des peuples autochtones et de leur signification sociale.

Dès lors, pourquoi ne pas imaginer qu’une telle commission puisse être mise en place au sein de la République française afin d’engager un processus vérité et réconciliation ? Trois arguments soutiennent cette position :
▸ 
La France a connu un précédent qui, a bien des égards, se rapproche de ces solutions étrangères. Ainsi, la Commission sur les enfants réunionnais « déplacés » en Creuse, créée en 2016, peut être considérée – bien qu’officiellement qualifiée de « commission temporaire d’information et de recherche historique » – comme, très proche de ce modèle par ses missions, ses méthodes de travail et ses résultats.

▸ C’est aussi par la nécessité d’approfondir le recueil des témoignages, que se justifie la création d’une telle commission. C’est notamment le cas à propos des violences sexuelles dont l’impact parfois stigmatisant culturellement et psychologiquement complexe rend plus délicat le recueil de la vérité. Même si le livre ne fait pas mention de ces violences, elles sont pourtant très souvent significatives dans ce type d’établissements (comme l’ont souligné les rapports de la Commission canadienne ou de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise en France.

▸ Le dernier argument tient à la nature même des traumatismes et à leur survivance dans la société guyanaise en 2022. Survivance directe puisqu’il existe encore aujourd’hui un Home en activité, mais aussi plus indirecte avec la question récurrente des familles accueillantes pour les élèves issus des communautés autochtones faisant leurs études en ville et que certains désignent comme des homes « individuels », tant la fracture peut être profonde entre l’enfant et sa famille d’accueil. La mission parlementaire organisée en 2015 pour tenter de comprendre le taux très anormalement élevé de suicides chez les jeunes autochtones a d’ailleurs pointé du doigt des pratiques qui, comme dans les Homes, combinaient violence, rupture personnelle et culturelle, ainsi que racisme.

La voie semble donc ouverte pour qu’à l’instar d’autres démocraties, la France puisse connaître des commissions vérité. Ce faisant, elle ouvrirait la porte à une nouvelle forme de politique mémorielle qui participerait d’une relecture – douloureuse, mais indispensable – de notre histoire nationale. C’est sans doute le prix à payer pour que justice soit enfin rendue et que s’amorce une possible et authentique réconciliation.

https://institut.ifjd.org/agir/cvr-guyane/

******
Pour une Commission Vérité sur les homes indiens de Guyane

Les homes indiens de Guyane, huit au total, étaient des pensionnats créés et dirigés par l’Église catholique et soutenus par l’État. Les enfants issus des communautés autochtones, dont le nombre est estimé à environ 2000, y furent placés pour être scolarisés. Leur plus forte activité s’étend de la fin des années 1940 au début des années 1980, le dernier home n’ayant fermé ses portes qu’en 2023. Aujourd’hui encore, la question de la scolarisation des enfants amérindiens n’a pas trouvé de réponses satisfaisantes.

Alexis Tiouka, ancien pensionnaire et juriste kali’na, et l’ouvrage d’Hélène Ferrarini, Allons enfants de la Guyane (Anacharsis, 2022) ont contribué à ramener, dans l’espace et le débat publics guyanais et hexagonal, le passé des homes indiens, ainsi qu’à libérer la parole des anciens pensionnaires, qui, pour la plupart, taisaient jusque-là leur vécu. Dans ce contexte, le Collectif pour la mémoire des homes indiens, qui réunit notamment d’anciens pensionnaires, a été fondé à Cayenne, en février 2023. L’un de ses objectifs est « la mise en place d’une Commission Vérité et Réconciliation pour aller vers une résilience individuelle et collective ». De son côté l’IFJD-Institut Louis Joinet a conduit une enquête exploratoire, concluant à la nécessité de mettre en place une Commission Vérité, dans un rapport préliminaire publié en février 2024.

Si les témoignages récoltés permettent de conclure à l’existence de certaines formes de violence au sein des homes, ils doivent être complétés, d’autant plus qu’ils révèlent un ressenti contrasté parmi les anciens pensionnaires. La nature et le nombre des violences doivent donc faire l’objet d’une investigation approfondie, y compris concernant d’éventuelles violences sexuelles. Les caractéristiques des homes indiens en font en effet des institutions à risques de violences commises contre les enfants, en tant que pensionnats autochtones, inscrits dans une histoire coloniale, d’une part, et internats scolaires catholiques, d’autre part. Or, les travaux menés dans de nombreux pays, notamment au Canada, en Irlande et en France, ont établi que ces lieux peuvent être propices à des violences massives.

L’établissement de la vérité est un droit des pensionnaires, de l’Église et de l’État, ainsi qu’un devoir pour la société française. Il est un préalable indispensable, le cas échéant, à des mesures de réparation adaptées, ainsi qu’à des réformes garantissant la non-répétition des violences. Il pourrait alors contribuer à restaurer les droits des communautés concernées, ainsi qu’à renouer un vivre-ensemble plus satisfaisant pour tous. Les Commissions Vérité ont d’ores et déjà fait leur preuve pour répondre à des problématiques voisines, dans des contextes variés, en raison de leurs caractéristiques.

Dès lors, nous soutenons la demande faite à l’État de mettre en place une Commission Vérité, afin qu’une vérité complète et partagée soit établie concernant les violences culturelles, physiques et sexuelles commises à l’encontre des pensionnaires au sein des homes indiens de Guyane de 1935 à 2023. Il est essentiel que les communautés concernées occupent pleinement la place qui leur revient légitimement, à tous les stades d’un tel processus.

Lancée par IFJD – INSTITUT LOUIS JOINET

https://www.change.org/p/pour-une-commission-vérité-sur-les-homes-indiens-de-guyane

*-*

Homes indiens en Guyane : la commission vérité reste un projet
Une demande de création d’une « Commission vérité sur les homes indiens en Guyane (1935-2023) » a été déposée, le 1er février 2024, à l’Assemblée nationale française, sous la forme d’un rapport, par l’Institut francophone pour la Justice et la Démocratie (IFJD). Mais huit ans après la commission sur le transfert forcé d’enfants réunionnais, les conditions politiques ne sont pas encore réunies sur le dossier guyanais.
https://www.justiceinfo.net/fr/128662-homes-indiens-guyane-commission-verite-reste-projet.html

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

En savoir plus sur Entre les lignes entre les mots

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture