Pour survivre, les travailleurs et les travailleuses d’Ukraine ont besoin de l’aide internationale 

Alfons Bech s’est rendu à Kyiv à l’occasion du deuxième anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie dans le cadre d’une délégation syndicale internationale reçue par la FPU et la KVPU. Le syndicat espagnol UGT était le seul représenté physiquement à Kyiv, les autres ayant participé à la rencontre en visio. Il revient sur des témoignages entendus à cette occasion.

Je suis à Kyiv depuis quatre jours. Je faisais partie d’une délégation de solidarité internationale organisée par les syndicats FPU et KVPU. Le 22 février, il y a deux jours, nous avons tenu une conférence, en partie en visio et en partie en présentiel, au siège de la FPU. Bien qu’elle ait été organisée à la dernière minute, elle a été soutenue par la CES, la CIS et de nombreux syndicats nationaux y ont participé. La liste est longue et je ne l’ai pas sous la main mais, pour mémoire, 191 personnes ont participé.

La seule délégation internationale physiquement présente dans le hall de la Maison des syndicats de la place Maïdan était celle de l’UGT de Catalogne. Elle était soutenue par l’UGT de l’État espagnol. Le secrétaire général de l’UGT, Pepe Álvarez, est également vice-président de la CES.

Les interventions des différents délégués internationaux ont manifesté leur soutien à l’Ukraine et à ses syndicats. D’Europe, d’Amérique du Nord, d’Austra- lie, ils ont transmis des messages de solidarité en souhaitant que les travailleurs et les travailleuses puissent bientôt vivre dans de meilleures conditions. Á la fin de la rencontre, le président de la FPU a fait un discours et demandé à ses délégués de rester encore. Il a alors montré une valise contenant un drone et a déclaré que son syndicat faisait don de cet appareil qui aiderait à sauver la vie de ses propres collègues syndicalistes et d’autres travailleurs qui sont sur la ligne de front pour défendre l’Ukraine. C’était un acte intime et solennel; des photos et des vidéos ont été prises des personnes présentes ainsi que du drone.

Les cheminots poursuivent leur mission de service public
Aujourd’hui, samedi [24 février], deux ans après l’invasion et la guerre totale, je suis allé voir les cheminots. Le camarade Oleksandr Skyba dirige le syndicat des chemins de fer de la KVPU. Nous nous étions rencontrés pour la première fois à Lviv en mai 2022. Et il m’avait promis de me présenter à d’autres camarades cheminots lors de mon prochain passage à Kyiv. Il y avait aussi le dirigeant du syndicat indépendant des cheminots Oleg Chkoliar. Et la camarade Natalia Zemlianska, du syndicat des producteurs et entrepreneurs FPU, qui organise les travailleurs des services ferroviaires et des entreprises auxiliaires, majoritairement des femmes très précaires. Ils voulaient tous savoir ce que faisaient les cheminots en Catalogne et en Espagne, comment ils et elles voyaient la situation en Ukraine. Pour les Ukrainiens et les Ukrainiennes, la vie a beaucoup changé avec la guerre. Tout d’abord, ils et elles doivent poursuivre leur mission de service public, qui est essentiel, tant pour le transport des personnes que pour l’armée. Les avions ne fonctionnent pas en Ukraine. En plus, il leur faut aussi défendre leurs membres dans un contexte où la guerre est parfois utilisée par l’entreprise et par l’État pour se décharger de leurs responsabilités à l’égard de leurs travailleurs ainsi que des familles fuyant les zones détruites. Un exemple de cette situation critique de négligence : le manque d’équipement dans de nombreuses parties du front. Les soldats doivent se procurer eux-mêmes des articles de base tels que des gilets pare-balles, des gants, des chauffe-mains ou de bons manteaux. Et ils m’expliquent à quel point certains appareils électroniques sont nécessaires à la survie dans la guerre actuelle. Comme ils et elles ne peuvent ni protester ni faire grève en raison de la loi martiale, les moyens de se plaindre au gouvernement, surtout en première ligne, leur font défaut.

Ils me parlent du cas d’un collègue cheminot qui est mort il y a quelques jours parce que sur le front, où il se trouvait, ils n’avaient pas un simple appareil pour se connecter à internet et ils n’ont pas su que des missiles étaient tirés sur leur position; plusieurs jeunes soldats sont ainsi morts. Ces syndicalistes me demandent de les aider, d’expliquer aux syndicats pourquoi ils et elles ont besoin de ce genre de matériel. Sans être dans une position d’offensive, ils et elles sont là pour sauver la vie de celles et ceux qui résistent à un ennemi bien supérieur en matériel et en nombre. Sans cette aide des syndicats, me dit-on, nous sommes condamnés.

Le premier des droits : défendre leur vie
La conférence des syndicats et des syndicalistes a donné un bon coup de fouet au moral de tous les participants et syndicats ukrainiens. Cependant, Natalia me disait aujourd’hui qu’il ne suffit pas de faire une bonne déclaration de temps en temps. Il faut plus que de bonnes paroles. La situation militaire pèse sur tout et les premiers à comprendre qu’il faut résister et chasser l’ennemi impérialiste russe sont les travailleurs. Natalia veut que nous, syndicats occidentaux, interpelions notre gouvernement pour qu’il fournisse les armes dont ils ont besoin et qu’ils n’ont pas. Nous devons faire quelque chose, car des travailleurs meurent chaque jour et le premier droit des travailleurs est de pouvoir défendre leur propre vie et celle de leur famille. Sans ce droit, les autres droits pourront-ils être défendus ? me demande-t-elle.

La coordinatrice internationale de l’UGT catalane, Cati Llibre, a peut-être mis le doigt sur un point sensible lorsqu’elle a déclaré dans son discours, le dernier prononcé avant la clôture de cet événement :

Nous travaillons pour la paix, nous rejetons et condamnons fermement l’invasion russe de l’Ukraine. Nous sommes convaincus que le droit d’un peuple à se défendre contre une agression extérieure est un droit naturel inaliénable et que nous devons tous ici travailler pour aider nos frères et sœurs syndicalistes qui en souffrent. Nous devons mettre sur la table les moyens pour les aider et travailler ensemble pour lever les barrières qui limitent cette aide et qui nous lient les mains. Même s’il faut pour cela revoir des positions syndicales au niveau international qui ont pu sembler justes en temps de paix mais que les événements de ces dernières années nous obligent à revoir.

Si les agresseurs ne respectent pas les traités internationaux et que, dans le même temps, nous fixons des limites au type d’aide que nous pouvons apporter, nous ouvrons grande la voie à l’impérialisme, à la barbarie et au fascisme pour qu’ils se répandent dans le monde entier.

En tant que syndicalistes, fidèles à notre tradition de lutte pour les droits humains, les libertés et la démocratie, nous sommes obligés de faire nôtre la lutte des travailleurs et des travailleuses ukrainiennes pour leur liberté.

Alfons Bech
Syndicaliste catalan des CCOO, membre du RESU et coordinateur de sa campagne syndicale. Article paru dans Sin permiso, 25 février 2024, traduction Mariana Sanchez.
Texte publié dans Les Cahiers de l’antidote : Soutien à l’Ukraine résistante (Volume 28)
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/23/nous-ecrivons-depuis-lespagne/
https://www.syllepse.net/syllepse_images/soutien-a—lukraine-re–sistante–n-deg-28_compressed.pdf

La Conférence syndicale internationale de solidarité avec l’Ukraine et ses syndicats du 22 février 2024 : un bilan
https://www.pressegauche.org/La-Conference-syndicale-internationale-de-solidarite-avec-l-Ukraine-et-ses

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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