Tunisie : La répression n’épargne aucune opposition

Hier soir, Madame Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), a été arrêtée devant le bureau d’ordre de la présidence de la République à Carthage alors qu’elle tentait de déposer un recours visant à contester plusieurs décrets présidentiels. Selon ses avocats, A. Moussi est désormais sous le coup de trois graves chefs d’accusation : incitation à l’émeute sur le territoire tunisien, traitement de données personnelles sans autorisation de leur propriétaire et entrave au bon déroulement du travail. Face à ce nouvel abus d’autorité, le Comité pour le Respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie tient à rappeler que :

Cette arrestation de Abir Moussi participe d’une répression généralisée qui vise à étouffer toute voix dissidente en jetant en prison toute personne exprimant son opposition, en l’inculpant de divers chefs d’inculpation plus graves les uns que les autres, tout en différant son passage devant la justice et en prolongeant d’autant sa détention, ce qui vaut depuis huit mois pour une dizaine de prisonniers politiques toujours détenus sans jugement.

– Le CRLDHT a pour conviction profonde que chaque citoyenne et chaque citoyen a le droit d’exercer une activité politique pacifique, et à ce titre, ne fait aucune distinction entre les partis, les organisations et toute personne qui exerce ce droit, quelles que soient par ailleurs les divergences qui peuvent exister sur le plan des méthodes et des stratégies politiques.

– Le CRLDHT défend un principe universel en matière de droits humains en vertu duquel les conflits politiques doivent être résolus de manière démocratique, sans tension, ni arrestation arbitraire, ni répression.

Fort de cette conviction et du respect de ce principe, le CRLDHT demande par conséquent la libération de Abir Moussi et de tous les prisonniers politiques et d’opinion en Tunisie. Nous appelons également à mettre fin aux poursuites engagées contre eux et à cesser de porter atteinte aux libertés fondamentales, à commencer par la liberté d’opinion et d’expression.

Nous exhortons toutes les Tunisiennes et tous les Tunisiens, qu’ils soient membres de partis, organisations ou simple citoyen(ne) à ne pas tomber dans le piège de la division et à ne pas se laisser berner par la rhétorique de la haine et de la vindicte, autant de comportements alimentés par le pouvoir actuel pour se perpétuer. Se débarrasser de cette manière de toute critique et de toute opposition ne vise qu’à asseoir un pouvoir de plus en plus autoritaire et à escamoter les graves problèmes économiques et sociaux que connaît le pays.

4 octobre 2023
Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie
membre du Réseau Euro-méditerranéen des Droits de l’Homme
21ter rue Voltaire – FR-75011 PARIS-
mail : crldht@proton.me

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Communiqué des prisonniers politiques, à l’attention de l’opinion publique

Tunis, le 2 octobre 2023

Nous sommes les prisonniers politiques en détention depuis huit mois dans l’affaire connue sous le nom de « l’affaire du complot » que les autorités ont fabriquée de toutes pièces pour dissimuler l’échec flagrant du chef de l’Etat dans la gestion des affaires publiques. Ce dernier se montre incapable de faire face aux défis économiques et sociaux après avoir été confronté au boycott des élections législatives et à un taux d’abstention record des Tunisiens à l’issue des deux tours de ce scrutin.

Après huit mois de détention arbitraire, en l’absence d’une autorité judiciaire indépendante comme l’illustrent le démantèlement du Conseil Supérieur de la Magistrature et la révocation de dizaines de juges, l’intimidation de ceux en charge de notre dossier continue au moyen de menaces à peine voilées selon lesquelles « ceux qui les acquittent sont leurs complices ». Tout ceci s’accompagne du lancement d’une campagne de diabolisation des fonctionnaires lancée au motif de « purger » l’administration.

Nous avons constaté que le juge d’instruction du Bureau 36 n’a entrepris aucun travail d’enquête sérieux pour étayer les accusations fabriquées contre nous en dépit de la prolongation de notre détention. Il a néanmoins émis des mandats de détention et ce, sans audition ni arguments juridiques et automatiquement rejeté nos demandes de libération sans explication, ni justification.

Par conséquent, nous :
* Refusons de participer à cette mascarade judiciaire visant à étouffer l’opposition et à intimider les dissidents.
* Annonçons notre boycott du juge d’instruction et de toutes les mesures qu’il entreprend.
* Appelons tous les démocrates et défenseurs des droits humains, en Tunisie et à l’étranger, à exprimer leur opposition au prolongement de notre détention arbitraire et à exiger la fin de l’assujettissement de l’appareil judiciaire à des fins politiques.

Les prisonniers politiques :
– Issam Chebbi
– Ridha Belhaj
– Ghazi Chaouachi
– Abdelhamid Jelassi
– Jouaher Ben Mbarek
– Khayam Turki

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Détenus politiques en Tunisie : l’arbitraire judiciaire 
vise à présent les avocats de la défense.

Les avocates Islam Hamza et Dalila Msadek sont convoquées devant le juge d’instruction.

Jaouhar Ben Mbarek en grève de la faim depuis trois jours est rejoint ce vendredi 29 septembre par Rached Ghannouchi .

Maître Dalila Msadek et Maître Islam Hamza vont être déférées devant le juge d’instruction pour « avoir divulgué publiquement » (sic !) une affaire en cours d’instruction et « avoir imputé à un fonctionnaire public des faits illégaux sans en établir la véracité ». Les deux avocates ont fait référence dans leurs déclarations publiques à la demande écrite du Comité de défense (avocats) au juge d’instruction du pôle antiterroriste chargé de l’affaire dite de complot contre la sûreté de l’État d’entendre plusieurs diplomates étrangers ayant été cités dans ladite affaire.

Le Comité de défense a publié un communiqué (en arabe), le 29 septembre 2023, où il donne la liste des diplomates concernés à savoir  :
1/ M. MARCUS CORNARO, Ambassadeur de l’Union Européenne en Tunisie.
2/ M. ARDIZONE GUIELLERMO, Ambassadeur d’Espagne en Tunisie.
3/ M. ANDRE PARANT, ancien Ambassadeur de France en Tunisie.
4/ Mme HEATHER KALMBACH, chargée des relations politiques à l’Ambassade des États-Unis en Tunisie.
5/ Mme NATASHA FRANCESHI , employée à l’Ambassade des États-Unis en Tunisie.
6/ M. LORENZO FANARA, ancien Ambassadeur d’Italie en Tunisie.
7/ M. FABRIZIO SAGGIO, l’actuel ambassadeur d’Italie en Tunisie.
8/ M. OLIVIER POIVRE D’ARVOR, ancien Ambassadeur de France en Tunisie.

Rappelant que le Ministère public avait publié en avril dernier un communiqué dans lequel il a innocenté tous les diplomates étrangers accrédités en Tunisie de tout comportement illégal pouvant conduire à les inculper, le Comité de Défense a été contraint d’entamer cette procédure face au refus qui lui est opposé à chacune de ses demandes de libération, refus confirmé par la Cour d’appel au prétendu motif de la gravité des accusations,  en particulier celle « d’établir des communications avec les agents d’un État étranger dans le but de nuire à la situation de la Tunisie sur le plan diplomatique et de commettre des actes criminels contre le chef de l’État ainsi que d’y participer ». 

Rappelant aussi que le porte-parole du Pôle judiciaire avait annoncé, le 17 juin 2023, la décision du juge d’instruction du bureau 36 chargé des affaires de complot contre la sûreté de l’État d’interdire toute information, débat ou traitement concernant lesdites affaires en prétextant de la garantie du bon déroulement de l’enquête, de la confidentialité de l’instruction et de la protection des personnes concernées.

L’arbitraire judiciaire est devenu la norme en Tunisie ; le droit y est devenu totalement soumis à la volonté d’un seul et la justice réduite à une justice aux ordres. Maltraités, considérés comme des terroristes, les prisonniers politiques et d’opinion n’ont pas le droit à un procès juste et équitable. Le droit de la défense est systématiquement bafoué et les avocats devenus la cible de harcèlement.

Le CRLDHT réaffirme son soutien aux avocats de la défense ainsi qu’à Me Hamza et Me Msadek et réclame la libération de tous les détenus politiques et d’opinion. Deux d’entre eux ont entamé une grève de la faim il y a trois jours : Jaouhar Ben Mbarek suivi de Rached Ghannouchi, président du parti Ennahdha. D’autres détenus politiques s’apprêtent à rejoindre cette protestation à laquelle toutes les forces démocratiques et éprises de justice doivent apporter soutien et solidarité. 

La réunion publique de soutien aux familles des prisonniers politiques en Tunisie organisée par le CRLDHT qui s’est tenue le 28 septembre 2023 à Paris a donné lieu à des témoignages poignants : les familles des prisonniers politiques ont raconté le calvaire que vivent les détenus et la souffrance qu’elle engendre pour leurs proches depuis maintenant plus de sept mois. Face à un tel déni de justice, le CRLDHT appelle à former un front de soutien aux détenus politiques rassemblant toutes les forces vives et sensibilités politiques afin de mettre fin à cette situation totalement inique.

Paris, le 30 septembre 2023 
Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT)

Invitation 5 octobre 2023 journée de colère

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Une réflexion sur « Tunisie : La répression n’épargne aucune opposition »

  1. Nous tenons le pouvoir judiciaire et politique tunisien pour responsable des conséquences de la grève de la faim des détenus politiques

    1er mai 2024

    Le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie  (CRLDHT) a appris que les détenus politiques accusés dans l’affaire dite « de complot contre la sûreté de l’Etat » ont entamé une grève de la faim depuis le lundi 29 avril 2024. Il s’agit de Issam Chabbi, Ridha Belhaj, Ghazi Chaouachi, Khayem Turki, Abdelhamid Jelassi. On a également appris que Jaouhar Ben Mbarek, accusé dans la même affaire, avait auparavant entamé une grève de la faim sauvage depuis la fin de la semaine et que son état de santé s’était considérablement détérioré nécessitant son transfert à l’hôpital.

    Les détenus politiques protestent contre le refus des autorités judiciaires tunisiennes de les libérer au terme de l’expiration de la durée maximale de détention préventive prévue par le Code de procédure pénale.

    Le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie :

    – considère que ces prisonniers politiques subissent une détention arbitraire de la part des autorités tunisiennes, détention en violation de toutes les lois nationales et internationales;

    – tient ces autorités judiciaires et politiques pour responsables des conséquences sur la santé de Jaouhar Mbarek ainsi que sur celles des autres prisonniers politiques ;

    – renouvelle son plein soutien aux prisonniers politiques dans cette affaire présumée de complot ainsi qu’à tous les prisonniers d’opinion et exige que les autorités les libèrent sans attendre ;

    – exprime son plein soutien à la grève régionale des avocats de Tunis, prévue le 2 mai 2024, et salue leur lutte pour la défense des droits et libertés ;

    – exprime sa solidarité totale avec l’ancien Bâtonnier du Conseil de l’Ordre des avocats de Tunisie, Maître Chawki Tabib et exige la levée de toutes les restrictions et sanctions auxquelles il est soumis depuis trois ans ;

    – appelle toutes les forces démocratiques, civiles et politiques en Tunisie, au Maghreb et dans le monde à faire pression sur le régime tunisien pour qu’il libère les prisonniers politiques et les prisonniers d’opinion et qu’il cesse de réprimer, de harceler, de violer la loi et d’étouffer les libertés.

    C.R.L.D.H. Tunisie
    Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie
    membre du Réseau Euro-méditerranéen des Droits de l’Homme
    21ter rue Voltaire – FR-75011 PARIS- 
    mail: crldht@proton.me

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