Introduction au livre : Résistance antinazie, ouvrière et internationaliste

Avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse

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Pendant dix-huit mois, de juillet 1943 à décembre 1944, un groupe de jeunes ouvriers et ouvrières de la région nantaise publia un journal ouvrier clandestin local, Front ouvrier. Huit décennies plus tard, l’existence de ce journal ronéotypé sur quatre à six pages et diffusé sur une dizaine de grandes entreprises de Nantes et de Basse-Loire, est très largement méconue. « Organe clandestin des ouvriers de la région nantaise », Front ouvrier fut pourtant un des très rares journaux clandestins locaux qui réussit pendant près de deux ans à échapper à la répression conjointe de la Gestapo, de la police française et du patronat local.

À ce jour, quinze des 19 ou 20 numéros publiés ont été retrouvés. Tous constituent une source d’information importante tant sur l’orientation et l’activité des jeunes militants de la 4e Internationale qui animaient cette publication que sur la réalité des résistances et luttes ouvrières locales sous l’occupation nazie.

C’est l’histoire de leur engagement révolutionnaire et de leurs activités résistantes que nous voulons mettre en lumière en nous appuyant d’abord sur leurs écrits, notamment les bulletins clandestins, les archives de police conservées aux Archives départementales de Loire-Atlantique, ainsi que sur des entretiens et témoignages. Pour que ne soit plus occultée l’existence locale d’une résistance ouvrière, antinazie et internationaliste, active, portée par quelques dizaines de jeunes pour qui le socialisme et le communisme exigeaient d’en finir avec l’exploitation capitaliste et les oppressions, et n’avaient rien à voir avec la caricature criminelle que fut le stalinisme.

Au-delà de l’hommage rendu à l’activité résistante de ces jeunes militants et militantes, la recension et l’analyse de ces publications nous informent sur la vie quotidienne des ouvriers nantais et de leurs familles. En effet, les bulletins Front ouvrier s’attachent à retracer avec précision les problèmes concrets que pose la situation, notamment en termes de ravitaillement. Ils décrivent aussi la vie quotidienne à l’usine, rendue plus difficile par le silence quasi-total imposé aux organisations syndicales. Plusieurs numéros de Front ouvrier dénoncent la situation dramatique qui résulte des bombardements alliés de l’automne 1943, particulièrement destructeurs sur le centre de Nantes. Cette même année est aussi le moment du Service du travail obligatoire (STO), qui oblige des ouvriers à partir travailler en Allemagne. Les échos de Front ouvrier, confirmés par l’étude des archives de police, évoquent les résistances diverses à cette déportation. Par contre, il serait vain de chercher, dans cette publication, une quelconque trace de l’autre déportation, celle que subirent les Juifs de France. Cette occultation, qui nous choque, fut en ces temps troublés le lot de toute la Résistance. L’historien Olivier Wierviorka l’évoque ainsi :

La déportation en vint progressivement à désigner la transplantation des travailleurs requis. À partir de 1943, le sort des Juifs disparut progressivement des médias, communistes inclus, et l’intérêt se polarisa sur le Service du travail obligatoire1.

Autre élément tiré de ces publications : la ligne politique d’une extrême gauche écartelée entre son antinazisme et la volonté de ne pas soutenir pour autant l’autre camp dans cette guerre. Alors que paraissent les numéros de Front ouvrier évoqués dans cet ouvrage, l’orientation des trotskistes français repose sur le renvoi dos-à-dos des belligérants, régulièrement rappelé dans les bulletins et qui paraît aujourd’hui bien obsolète. Mais, au-delà des proclamations éditoriales indiquant qu’il ne faut faire aucune confiance à de Gaulle, Churchill, Roosevelt, on perçoit dans les divers articles que l’ennemi essentiel c’est le nazisme. D’ailleurs, un des épisodes, la fourniture de renseignements d’ordre militaire aux Britanniques, reflète bien les désirs des militants, par-delà la ligne politique. Cet épisode est le fait de militants nantais se trouvant à Brest.

Un autre aspect de notre ouvrage concerne l’action des trotskistes à Brest en direction des soldats allemands basés dans le port breton. Une action qui vise à préparer la révolution européenne, et en premier lieu allemande, à laquelle aspirent les jeunes révolutionnaires. Purement internationaliste, à l’heure où le Parti communiste s’embourbe dans la ligne « À chacun son Boche », elle mènera plusieurs militants à la mort. Une mort qui attendait aussi les soldats allemands ayant rompu avec le nazisme pour devenir des soldats de l’internationalisme. À ce jour, ils sont malheureusement demeurés anonymes.

Un anonymat politique, c’est ce qui fut longtemps mis en pratique par les staliniens et leurs héritiers à l’égard de Marc Bourhis et Pierre Guéguin2, assassinés avec leurs camarades communistes à Chateaubriant en 1941. Leur redonner une identité politique est aussi un des objectifs, politiques et moraux, de ce livre.

Robert Hirsch, François Preneau, Henri Le Dem : Résistance antinazie, ouvrière et internationaliste
De Nantes à Brest, les trotskistes dans la guerre (1939-1945)
https://www.syllepse.net/resistance-antinazie-ouvriere-et-internationaliste-_r_89_i_1052.html

1. Olivier Wieviorka, Histoire de la résistance (1940-1945), Paris, Perrin, 2018, p. 309.
2. Le nom de Pierre Guéguin est souvent orthographié par erreur Pierre Gueguen. Nous avons choisi dans ce texte de corriger systématiquement cette erreur. Notice « Pierre Guéguin », Maitron, https://fusilles-40-44.maitron.fr/spip.php?article75186.

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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