Complainte des chemins qui n’ont pas été pris (et autres textes)

  • Maya Rosen : Palestine, Cisjordanie : La co-résistance à la croisée des chemins
  • B’Tselem : Janvier 2024 : Israël poursuit sa politique meurtrière de tirs à balles ouvertes en Cisjordanie, tuant 62 Palestinien·nes, dont 14 mineurs.
  • Haggai Matar : Israël : Six mois après le 7 octobre, complainte des chemins qui n’ont pas été pris
  • Dossier. A propos de l’UNRWA, brève mise en perspective
    Déclaration du Commissaire général de l’UNRWA au Conseil de sécurité, Philippe Lazzarini, le 17 avril 2024
  • La police israélienne a arrêté la professeure Nadera Shalhoub-Kevorkian pour incitation à la haine
  • UPJB : Solidarité avec Mohamed Khatib. Solidarité avec Samidoun
  • ALT Jenine : Des lettres pour Mustafa
  • Lior Sternfeld : L’Iran agit plus rationnellement qu’Israël – pour l’instant
  • Aucune arme israélienne à Eurosatory 2024 !
  • Liens avec d’autres textes

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Palestine, Cisjordanie : La co-résistance à la croisée des chemins

Alors que la violence anti-palestinienne en Cisjordanie atteint de nouveaux sommets, un mouvement assailli de toutes parts se réunit pour faire le point.

AVANT LE 7 OCTOBRE, ceux d’entre nous qui font partie de la communauté de résistance civile palestino-israélienne en Cisjordanie occupée se croisaient souvent : parfois lors de manifestations ou d’actions de désobéissance civile, parfois lors de grands rassemblements associatifs, parfois simplement pour passer un après-midi ensemble. Mais au cours des six derniers mois, nombre de ces rencontres ont cessé en raison de la violence croissante de l’État et des colons, limitant nos relations à des visites moins fréquentes et à de petits déplacements pour assurer la protection de personnes. Ce fut donc un choc pour moi de me retrouver, un soir de printemps, dans la cour d’école du village de Tuwani, dans la région de Masafer Yatta, au sud de la Cisjordanie, entouré de ce qui semblait représenter l’ensemble de la communauté de celles et ceux qui luttent ensemble contre le dépeuplement forcé de la région, soit quelques centaines de personnes. Durant des années, les personnes réunies dans cette cour ont ensemble bloqué des routes, subi gaz lacrymogènes et coups, affronté matraques et grenades assourdissantes, accompagné des bergers, dormi sous des tentes à l’approche de démolitions programmées, déblayé les décombres des maisons détruites, remis en état des routes, des écoles et des jardins, et attendu devant les postes de police pour déposer des plaintes ou récupérer des camarades arrêtés. Nous avons récolté des olives, mangé les repas de rupture du jeûne par de chaudes nuits d’été, partagé plus de tasses de thé sucré que je ne pourrais jamais en compter, assisté à des enterrements et à des mariages, passé de longues journées assis sous les arbres en été et blottis autour de fours en hiver, et participé à tellement de réunions pour planifier des actions de protestation et des campagnes. En chemin, nous avons contribué à attirer l’attention de la communauté internationale sur le déplacement continu des Palestiniens à Masafer Yatta et nous avons créé une communauté exceptionnelle de co-résistance dirigée par des Palestiniens.

Mais nos efforts n’ont pas été suffisants pour ralentir le mouvement incessant de déplacement des Palestiniens, un constat qui se situe au cœur de de la projection du documentaire qui nous a rassemblés ce soir-là.

Nous étions réunis pour regarder No Other Land, un film réalisé par quatre de nos co-résistants : Basel Adra et Hamdan Ballal, résidents de Masafer Yatta, et les Israéliens Yuval Abraham et Rachel Szor. Le film, qui relate la lutte de la communauté locale contre l’expulsion forcée, ainsi que l’amitié grandissante entre Adra et Abraham, est souvent nostalgique et banal, s’attardant sur les pentes des collines de Masafer Yatta, les jeunes sœurs d’Adra s’endormant pendant que lui et Abraham discutent, ou encore son jeune neveu jouant avec les moutons dans le village. Mais, à l’image de ce qu’est la vie des Palestiniens en Cisjordanie, les moments ordinaires du film sont toujours accompagnés de moments pénibles : des femmes qui supplient les soldats d’arrêter alors que les bulldozers rasent leurs maisons, des manifestations réprimées avec une extrême violence, les exécutions d’amis proches. Tout au long du film, on voit le mouvement de résistance civile tenter d’arrêter, ou au moins de rendre compte, de ces événements, mais il est souvent bloqué par la brutalité même des agressions. Le documentaire s’ouvre sur la constatation de cette situation impossible, comme nous l’explique Adra : « J’ai commencé à filmer quand la fin a commencé pour nous ». J’ai frémi en entendant cette phrase, effondrée à l’idée que la vie des Palestiniens à Masafer Yatta, et la communauté que nous avons bâtie autour de sa protection, pourrait être en train de « se terminer ». En effet, moins d’un mois après la projection, le gouvernement israélien a entamé certaines des plus grandes acquisitions de terres palestiniennes de son histoire, tandis que des colons brûlent des maisons en plein jour et qu’un ministre d’extrême droite forme une escouade de police spéciale pour cibler les militants de la solidarité. No Other Land étudie cette marche vers la « fin », brossant un tableau à la fois détaillé et complexe, reflétant nos interrogations les plus profondes sur notre mouvement commun et nous aidant à réfléchir à ce qui pourrait nous arriver à l’avenir.

DEPUIS SA SORTIE EN FEVRIERNo Other Land n’a été présenté que dans les circuits des festivals de cinéma européens, où il a suscité la controverse en remportant le prix du meilleur documentaire à la Berlinale, en Allemagne.

La projection spéciale dans le village natal d’Adra, Tuwani, a été la première occasion de partager le film avec les populations locales et l’ensemble de la communauté solidaire qu’il présente. La soirée a été ponctuée par des cris d’excitation d’enfants lorsque des personnes et des lieux qu’ils reconnaissaient apparaissaient à l’écran ; leurs réactions soulignaient la sensation de bizarrerie partagée à la vue de notre propre histoire récente, qui a pourtant semble lointaine depuis le 7 octobre.

C’est une période délicate pour une œuvre qui traite de la co-résistance de Palestiniens et d’Israéliens. Le choix de résister ensemble peut être perçu comme en opposition frontale au principes de l’anti-normalisation, selon lesquels les relations avec Israël et les Israéliens ne doivent pas être conduites « normalement », comme s’il n’y avait pas d’occupation ou d’inégalité. Les tenants du principe d’anti-normalisation soutiennent, par exemple, que les programmes de « coexistence » normalisent l’occupation, en réunissant Israéliens et Palestiniens sous le faux prétexte qu’ils seraient sur un pied d’égalité. Notre action s’est inscrite dans cette logique en proposant un cadre de « corésistance » qui, contrairement à la « coexistence », repose sur un engagement commun dans la lutte pour la libération de la Palestine et sur la reconnaissance des disparités en matière de puissance d’agir. Mais en dépit de notre tentative de mettre en œuvre ce nouveau paradigme, ces inégalités de pouvoir entre les Israéliens et les Palestiniens ont continué à marquer notre action et la manière dont elle est comprise.

No Other Land – qui est lui-même le fruit d’une collaboration entre Palestiniens et Israéliens – aborde ces questions avec une précision utile, en les inscrivant dans le cadre de la lutte particulière qu’il dépeint. En procédant ainsi, le film éclaire le fait tout simple que les discours sur la normalisation sont différents selon le point de vue où l’on se trouve. À Masafer Yatta, la gravité de la menace de dépeuplement et l’absence d’alternatives viables signifient que les débats sur la normalisation se concrétisent souvent dans le cadre d’une action commune plutôt que de se demander s’il faut ou non s’engager dans ce travail. À un moment donné, par exemple, Ballal se tourne vers Abraham et lui dit : « Ton frère pourrait détruire notre maison », faisant référence à la probabilité qu’Abraham, même s’il est un « bon gars », ait presque certainement de la famille qui a servi ou sert dans l’armée israélienne, et s’interrogeant sur ce que cette proximité et cette complicité signifient pour la possibilité de travailler ensemble. Ils commencent alors à débattre tous les deux de la portée politique de cette affirmation, tout en transportant un four à tabun jusqu’au centre du village pour contribuer à la préparation du dîner. En mettant en scène cette discussion – qui se déroule dans le cadre de la préparation d’un repas en commun dans un espace auquel les deux participants sont attachés, mais qu’un seul d’entre eux peut quitter à tout moment- No Other Landsouligne que la véritable co-résistance repose sur le travail quotidien, parfois difficile, mais souvent mutuellement enrichissant, de construction de relations, où la confiance naît du fait de se faire arrêter ensemble et, une fois libérés, de rester la nuit à veiller pour faire en sorte que les raids nocturnes de représailles ne soient pas supportés par des personnes isolées.

Les auteurs du documentaire sont sensibles au fait que les relations de confiance et d’attention, même lorsqu’elles sont établies, sont toujours marquées par des rapports de pouvoir inégalitaires. Par exemple, lors de plusieurs scènes, Adra demande à Abraham pourquoi il quitte Masafer Yatta pour la soirée, ou lui demande de ne pas partir. Cette invitation est plurielle, à la fois politique et personnelle. Elle émane de la culture palestinienne de l’hospitalité, du fait que la présence des Israéliens offre une certaine sécurité pendant la nuit et du fait qu’en tant que Palestinienne de Cisjordanie, Adra ne peut pas rendre visite à Abraham, ce qui signifie que c’est la seule décision d’Abraham quant au moment auquel il viendra à Tuwani qui déterminera le temps que les deux amis passeront ensemble. En regardant ces échanges, j’ai été prise par une vive émotion ; vivant à Jérusalem, ce sont des scènes que j’ai vécues si souvent que la question « Pourquoi pars-tu ? » apparaît parfois dans mes rêves comme un spectre obsédant, en particulier les jours où j’ai envisagé discrètement de quitter ce pays. J’essaie de venir à Masafer Yatta aussi souvent que possible, mais il n’y a pas de fréquence de visite suffisante pour éviter la question, qui elle-même montre les limites d’une collectivité où certaines personnes ont le choix de partir et d’autres non.

Le fait de pouvoir partir signifie également que les activistes extérieurs ont souvent un rapport au mouvement pour la sauvegarde de Masafer Yatta différent de celui des résidents qui luttent, génération après génération, pour conserver leur terre. Si la lutte pour empêcher l’exode est un objectif commun, pour le premier groupe, elle peut sembler limitée, voire très difficile à mener ; pour le second, elle apparaît souvent comme continuelle et sans fin. « J’ai l’impression que vous êtes enthousiastes. Vous voulez tout résoudre rapidement et rentrer chez vous en dix jours. Tu veux que tout aille si vite », accuse Adra à un moment du film. « Qu’y a-t-il de mal à cela ? répond Abraham. « Rien », répond Adra, « mais tu n’y arriveras pas. Il te faut de la patience ». À un autre moment, Adra reproche à Abraham de trop espérer des messages sur les réseaux à propos de cette campagne, quand ce dernier se plaint qu’un message particulier n’a pas recueilli suffisamment de vues.

Si certaines de ces différences d’orientation persistent après plusieurs années de lutte commune, d’autres sont comblées par l’expérience. Pour ma part, après avoir essayé de faire connaître l’histoire de la destruction de Masafer Yatta pendant des années – en éditant des dizaines d’articles rédigés par des résidents palestiniens, en participant à d’innombrables réunions sur la mise en place de stratégies de gestion des réseaux sociaux, en participant à des podcasts et à des webinaires avec des partenaires de la région – je comprends maintenant très bien la remarque d’Adra au sujet de la patience. Le travail de collecte d’informations est certainement urgent : Sans cela, le monde entier ne serait pas au courant de la violence quotidienne à Masafer Yatta, et la possibilité d’exercer des pressions politiques aujourd’hui et d’obtenir des compensations à l’avenir serait diminuée, voire totalement perdue. Cependant, la diffusion de l’information est souvent une bataille perdue d’avance lorsqu’il s’agit d’empêcher les Palestiniens de subir des préjudices dans l’immédiat. Chaque jour apporte son lot d’horreurs : maisons démolies, routes détruites, voitures confisquées, militants détenus, bergers menacés, animaux tués, conduites d’eau coupées. Mais il s’agit toujours des mêmes formes de violence, ce qui signifie qu’aucun incident isolé n’est suffisamment important pour attirer l’attention ou devenir un « sujet d’actualité », même si l’effet cumulatif est écrasant – une lente superposition d’horreur sur horreur.

Un exemple frappant des limites de notre travail est l’histoire de Haroun Abou Aram, un jeune homme de Masafer Yatta qui a été paralysé après qu’un soldat israélien lui a tiré dans le cou en 2021, alors qu’il était âgé de 24 ans.

Malgré sa grave blessure, Abu Aram a continué à vivre dans une grotte parce qu’Israël n’a pas accordé de permis de construire pour de nouvelles maisons dans son village, en plus d’avoir refusé le raccordement à l’eau courante et à l’électricité. Nous avons essayé de lutter contre la brutalité à laquelle Abou Aram a été confronté. Je me souviens d’une manifestation à Masafer Yatta, l’été qui a suivi l’agression, au cours de laquelle nous nous sommes heurtés à des soldats israéliens sur le flanc d’une colline, et alors qu’ils nous tiraient des gaz lacrymogènes, je pouvais voir Abou Aram assis dans son fauteuil roulant à l’extérieur de la grotte, en train de nous observer. Des amis l’ont pressé de retourner à l’intérieur, mais il n’a pas voulu, parce qu’il tenait, par son refus, à continuer à faire partie de la résistance. Mais la manifestation, bien qu’elle nous ait rassemblés et ait donné vie à notre petit mouvement, n’a rien changé aux conditions matérielles dans lesquelles se trouve Abou Aram. Pas plus que les innombrables visites et interviews de journalistes. Il a finalement succombé à ses blessures en 2023, et bien que l’agression au fusil, et plus tard sa mort, aient été mentionnées dans quelques articles isolés, il est difficile de trouver un quelconque réconfort dans ce que les visites des journalistes ont pu faire pour lui ou pour le combat qu’il menait pour retrouver sa maison. En regardant son histoire dans le film, y compris les interviews de sa mère qui se lamente sur les journalistes qui sont venus et repartis, j’ai été envahie par la colère face à un système aussi cruel, par la déception face à la déficience structurelle de notre travail et par le chagrin de s En descendant le chemin du village pour rejoindre notre voiture après la projection du film, je me suis souvenue qu’il s’agissait du même chemin que nous avions emprunté pour quitter Tuwani afin de protester contre les expulsions forcées dans cette zone que les Israéliens désignaient sous le nom de « zone de tir 918 ».

À l’époque, nous étions déjà en difficulté et personne – y compris nous-mêmes – ne pensait que nous allions gagner. Mais aujourd’hui, je suis nostalgique de ces manifestations d’il n’y a pas si longtemps : de cette période du documentaire, où nous étions occupés, concentrés et remplis du sentiment revigorant que nous étions en train de construire quelque chose. C’est un sentiment qu’il est difficile d’imaginer aujourd’hui, pris sous l’effet de l’écrasante dévastation du monde de l’après-7 octobre : où les villageois se déplacent aussi peu que possible d’un village à l’autre par crainte des violences, où les raids nocturnes, les arrestations et les tortures sont quotidiens, et où nous n’avons même pas évoqué la possibilité d’organiser des manifestations à Masafer Yatta parce que le risque pour la vie des gens serait tout simplement trop élevé. Dans ce monde-là, le chemin que je suis en train de suivre n’est plus celui des manifestations, mais celui où Zakariyah Adra, la cousine de Basel, a été tuée d’une balle dans l’abdomen, à bout portant, par un colon peu après le7 octobre. Le moment de la fusillade se trouve à la fin du film, dans un épilogue postérieur au 7 octobre ; malgré les preuves vidéo évidentes de cette agression, le colon qui a tiré sur Zakariyah n’a fait l’objet d’aucune inculpation.

Cela ne veut pas dire que la lutte commune est finie. Il y a des militants – Palestiniens, Israéliens, internationaux – qui font encore un travail essentiel à Masafer Yatta, qui risquent encore leur vie dans un environnement de plus en plus violent pour aider les communautés qui y vivent, qui dorment encore la nuit dans les villages face aux menaces, qui essaient encore d’accompagner les bergers et les écoliers confrontés au harcèlement, qui placent leur corps entre eux et les soldats et les colons. Le travail que notre mouvement a continué à faire en ce moment témoigne de la force de ces relations de co-résistance qui ont été construites à Masafer Yatta au cours des décennies. Et tant que la volonté des Palestiniens de rester sur leurs terres est partagée par au moins les quelques centaines de personnes qui remplissent une cour d’école à Tuwani, la question de la « fin » de la co-résistance n’est pas une question à laquelle je dois répondre ou que je n’ai même pas le pouvoir de trancher. Nos amis restent à Masafer Yatta, et nous continuerons à venir.

Mais alors que nous nous séparions ce soir-là à Tuwani, j’ai réfléchi à la provocation d’Adra au début du film – le fait qu’il ait qualifié cette période de fin – et je me suis demandé si une nouvelle ère ne s’ouvrait pas devant nous. Même avant le 7 octobre, nous étions un groupe débraillé de quelques douzaines d’activistes qui protestaient alors que les colons nous encerclaient, armes au poing. Maintenant que les colons portent des uniformes militaires et détiennent des armes que le gouvernement leur a distribuées à volonté, la différence entre la petite taille de nos manifestations et la grande ampleur de la répression nous semble encore plus insoutenable. À ce moment-là, le message d’Adra nous invitant à la être patients prend tout son sens. Dans tout scénario dans lequel nous ne perdons pas définitivement, notre chemin sera très long, caractérisé par des moments de progrès et de recul. Peut-être que l’ancien statu quo éreintant reviendra, et que nous reviendrons à l’époque de la programmation coordonnée de nos campagnes, des manifestations hebdomadaires dans la zone de tir ; ou peut-être que ce nouveau degré d’horreur deviendra la norme ; ou peut-être que, d’une manière ou d’une autre, nous tracerons un chemin qui nous permettra de sortir de la catastrophe actuelle. Pour l’instant, le sentiment de travailler ensemble à quelque chose me manque tout simplement et je crains le vide de la dissolution et de l’inaction.

Maya RosenJewish Currents
Source : Jewish Currents. April 16, 2024 :
https://jewishcurrents.org/co-resistance-at-a-crossroads-masafer-yatta-west-bank-resistance
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article70520

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Janvier 2024 : Israël poursuit sa politique meurtrière de tirs
à balles ouvertes en Cisjordanie,
tuant 62 Palestinien·nes, dont 14 mineurs.

Depuis le début de la guerre de Gaza, le 7 octobre 2023, Israël a mené une politique meurtrière de tirs à découvert en Cisjordanie. Du début de la guerre à janvier 2024, les forces israéliennes ont tué 358 Palestinien·nes en Cisjordanie, dont plus de la moitié – 187 personnes – ne mettaient personne en danger. Au cours des trois dernières semaines d’octobre*, les forces israéliennes ont tué 118 Palestinien·nes, dont 81 ne mettaient personne en danger ; en novembre, 116 Palestinien·nes,·dont 48 ne mettaient personne en danger ; et en décembre, 62 Palestinien·nes, dont 36 ne mettaient personne en danger.

En janvier 2024, les forces israéliennes ont tué 62 Palestinien·nes en Cisjordanie, dont 22 ne mettaient personne en danger. Parmi elles et eux :

Six ont été abattus alors qu’ils jetaient des pierres pendant les affrontements et 14 qui se trouvaient à proximité des affrontements sans y prendre part. Quatre de ces derniers – dont trois mineurs – ont été tués par un bombardement aérien alors qu’ils se trouvaient à proximité de Palestiniens armés. Deux mineurs, dont une fillette de quatre ans, ont été tué·es alors qu’elles et ils se trouvaient dans des voitures lors de deux incidents distincts.

Neuf autres Palestiniens tués étaient armés ou membres de l’aile militaire d’organisations palestiniennes, mais ne mettaient personne en danger au moment de l’incident.

Six Palestiniens, dont certains étaient armés et d’autres membres de l’aile militaire, ont été tués alors qu’ils se trouvaient dans des voitures lors de deux incidents distincts – cinq par des bombardements aériens et un par des tirs d’armes à feu.

Trois agents armés ont été exécutés dans un hôpital de Jénine où l’un d’entre eux était patient.

En ce qui concerne trois autres Palestiniens tués dans deux incidents distincts, les circonstances de leur mort ne sont pas connues de B’Tselem :

Deux Palestiniens ont été abattus alors qu’ils se trouvaient dans une voiture après une course-poursuite. L’armée a affirmé ce jour-là que les deux Palestiniens avaient franchi un poste de contrôle et tiré sur des soldats. Selon les informations de B’Tselem, ils allaient à la chasse et portaient des fusils de chasse.

Un Palestinien a été abattu après que, selon l’armée, il ne se soit pas arrêté à un poste de contrôle.

En outre, dix Palestiniens ont été tués alors qu’ils se rendaient à la chasse :

Dix Palestiniens ont été tués alors qu’ils participaient à des échanges de tirs avec les forces israéliennes ou qu’ils lançaient des engins explosifs contre elles.

Un agent de l’aile militaire du Jihad islamique et deux autres Palestiniens, dont B’Tselem ne sait pas s’ils étaient armés, ont été tués par balles alors qu’ils fuyaient les forces qui encerclaient une maison dans laquelle ils se trouvaient avec d’autres agents, dont certains étaient armés, au cours d’une opération visant à arrêter l’agent tué.

Sept autres Palestiniens, dont quatre frères, ont été tués lors d’un bombardement aérien, alors que certains d’entre eux lançaient des explosifs sur les forces militaires.

Quatre Palestiniens ont été tués alors qu’ils attaquaient ou étaient soupçonnés d’attaquer les forces israéliennes ou des civil·es en faisant exploser des voitures ou en les poignardant. Un autre Palestinien a été tué alors qu’il tentait de tirer sur des soldats à un poste de contrôle. Trois autres Palestiniens, dont deux mineurs, ont été tués après avoir pénétré dans une colonie israélienne et, selon l’armée, avoir tiré sur un soldat, qui a été légèrement blessé.

Les conclusions de B’Tselem concernant plusieurs incidents au cours desquels des Palestinien·nes ont été tué·es en janvier 2024 :

Le meurtre de Usayed Rimawi, 17 ans, à Beit Rima, district de Ramallah, 4 janvier 2024 (Vidéo)

Le meurtre de Ruqayah Jahalin, 4 ans, au poste de contrôle de Bidu, district d’al-Quds, le 7 janvier 2024.

Le meurtre de Khaled Zbeidi à Zeita, district de Tulkarm, 12 janvier 2024

Tawfiq ‘Ajaq, 17 ans, tué à al-Mazra’ah a-Sharqiyah, district de Ramallah, le 19 janvier 2024, et Muhammad Khaddur, 17 ans, tué à Bidu, district d’al-Quds.

Le meurtre de Muhammad Kharmah, à Kafr ‘Ein, district de Ramallah, le 22 janvier 2024.

Abd a-Rahman Hamed, 17 ans, à Silwad, district de Ramallah, le 29 janvier 2024

Exécution de Basel Ghazawi, Muhammad Ghazawi et Muhammad Jalamneh à l’hôpital de Jénine, le 30 janvier 2024.

* Dans le cadre de l’enquête en cours de B’Tselem, des chiffres actualisés sur les décès de Palestinien·nes en Cisjordanie en octobre 2023 sont maintenant disponibles ici.

https://www.btselem.org/firearms/20240418_in_january_2024_israel_continued_its_lethal_open_fire_policy_in_the_west_bank_killing_62_palestinians_14_of_them_minors
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Israël : Six mois après le 7 octobre,
complainte des chemins qui n’ont pas été pris

J’écris aux Israéliens qui pensent qu’il n’y a pas de place dans leur cœur pour Gaza, pour qu’ils comprennent comment nous en sommes arrivés à cette terrible guerre – et comment nous devons en sortir.

Un peu plus de six mois se sont écoulés depuis le 7 octobre, et la vie ici à Tel Aviv est étrangement revenue presque à la normale. Mais la peur n’a pas disparu.

Depuis janvier, je ne me surprends plus à arrêter la voiture en entendant le sifflement d’une sirène roquette, à en sortir mon fils de 4 ans, Carmel, et à m’allonger sur lui pour le protéger. Je n’ai plus à calculer quel est le meilleur angle pour le protéger d’éventuels éclats d’obus projetés dans notre direction, dans l’espoir qu’ils ne tueront que moi et pas lui. Je n’ai pas à prétendre que nous faisons une partie de « coin sûr », en imaginant que ses super-héros préférés de la télévision nous protègent, en essayant (généralement avec succès) de le faire rire, en me demandant comment il se souviendrait de moi si je mourais. Ces situations quasi-quotidiennes ne sont plus d’actualité dans notre vie, ici, au centre d’Israël.

Et pourtant, après cette horrible matinée du 7 octobre, il est difficile de retrouver un sentiment de sécurité. Tant de choses que nous pensions savoir sur ce pays se sont révélées fausses. Ce qui semblait être un État parfaitement fonctionnel n’était en fait qu’un hologramme.

Les récits des survivant.es du festival de musique Nova et des familles des kibboutzim du sud – laissées sans défense pendant des heures, implorant de l’aide, et dont des centaines ont finalement été massacrées dans leurs maisons ou dans des abris – ont pesé lourdement sur moi. L’abandon par le gouvernement des derniers otages, qui meurent en captivité à Gaza, trahis deux fois par leur État, me révolte ; tout le monde en Israël s’est imaginé ou a imaginé ses proches dans cette situation. De plus, une guerre régionale semble être à nos portes ; c’est ce que nous avons ressenti dans la nuit du 13 avril, lorsque nous avons appris qu’un déluge de drones et de missiles iraniens se dirigeait vers nous.

La peur qui me poursuit est très différente de celle avec laquelle j’ai grandi au temps des attentats suicides des années 1990 et 2000. Aujourd’hui, je ne crains pas seulement pour ma sécurité ou celle de ma famille ; je redoute aussi la destruction de la société dans laquelle je vis. Non pas le régime d’apartheid, il doit être démantelé, mais la société israélienne elle-même : le peuple, la culture, la langue et le tissu humain qui constituent la vie telle que je la connais. Je crains qu’à l’avenir, il n’y ait plus personne pour nous pleurer.

Je sais que cette peur n’est pas tout à fait rationnelle ; des choses terribles peuvent encore se produire, mais je ne crois pas vraiment que tous ceux qui m’entourent seront anéantis. Pourtant, la peur est présente dans mon cœur et elle pénètre mes rêves. Il est impossible d’y échapper, car elle est partout autour de moi. Je la vois dans les journaux télévisés israéliens, qui font croire que les six derniers mois ont été un 7 octobre sans fin. Je le vois dans un bâtiment situé non loin de chez moi, qui abrite actuellement la communauté déplacée du kibboutz Re’im, qui a subi l’attaque ce jour-là. Je le vois sur les visages d’ami.es dont les membres de la famille figurent parmi les personnes assassinées ou enlevées.

Mais ce n’est qu’une petite partie de la peur qui m’étreint. En effet, je suis également horrifiée par ce que notre pays fait à Gaza, une horreur qui me paralyse véritablement. Je ressens une horreur d’une toute autre nature, car je comprends mieux à quel point des choses terribles sont possibles dans le monde, y compris le 7 octobre. Je vois comment la terreur, la peur, la douleur et le traumatisme peuvent permettre à une nation de sceller son cœur et son esprit, tandis que des membres de cette nation commettent des crimes inimaginables contre un « ennemi » collectif, même lorsque les victimes sont des innocents : des bébés et des enfants, des hommes et des femmes, des personnes âgées et des malades. C’est un miroir noir dont le reflet est insupportable.

J’ai été pratiquement incapable d’écrire face à l’ampleur des horreurs dont mon pays est responsable à Gaza. Je ne peux pas remplir la baignoire de mes enfants sans penser à la soif des enfants palestiniens qui vivent et meurent à quelques kilomètres d’ici. Lorsque je monte dans ma voiture, je pense à Hind Rajab, la fillette palestinienne de 6 ans que l’on a laissée mourir seule pendant des jours dans une voiture, entourée des corps sans vie des membres de sa famille qui ont été tués par des tirs de chars israéliens. Et je pense à mon ami de Gaza, qui m’a raconté comment il embrasse sa famille tous les soirs, sans savoir si elle sera encore en vie le lendemain matin.

« Je n’ai pas de place dans mon cœur pour les enfants de Gaza – je souffre trop pour nous », est une phrase que j’ai entendue maintes et maintes fois dans la bouche d’Israélien.nes sous des formes diverses. Je comprends ce qui se dit là, mais cela n’en est pas moins tragique ou inquiétant pour notre avenir. Car si c’est ainsi que nous sentons les choses après l’unique journée meurtrière d’octobre, comment pourrions-nous même imaginer ce que ressentent les Palestinien.nes après des décennies de constantes expulsions, de régime militaire, de siège, d’oppression, d’emprisonnement et d’assassinats par les Israéliens ? Ou encore après six mois de cette guerre infernale ?

Aujourd’hui, j’écris donc aux Israélien.nes, et aussi aux personnes qui s’intéressent aux Israélien.nes, qui sont convaincus qu’il n’y a pas de place dans leur cœur pour les Palestiniens de Gaza – à celles et ceux qui ont peur ou qui sont en colère, à celles et ceux qui pensent que la vengeance est la solution, à celles et ceux qui sont encore prêts à écouter.

Catastrophe et échec
Je fais partie d’un petit courant juif et palestinien de gauche en Israël qui s’est opposé à cette guerre dès le premier jour pour une myriade de raisons. Non pas que nous soyons indifférents aux massacres perpétrés par le Hamas et d’autres militants palestiniens le 7 octobre, mais parce que nous pensons qu’il y a d’autres options que nous pouvons et devons choisir pour y répondre. Six mois plus tard, il est tout à fait clair que, pour les Palestinien.nes, cette guerre a été une catastrophe d’une ampleur égale, voire supérieure, à la Nakba de 1948. Pour les Israéliens, elle a été un échec total, même selon leurs propres critères.

La guerre déclenchée par Israël a tué plus de 33 000 Palestinien.nes, et au moins 8 000 autres sont portés disparus et présumés morts sous les décombres. Cela représente près de deux pour cent de la population de la bande de Gaza qui ont été massacrés, la plupart d’entre elles et eux étant des civils, dont plus d’un tiers sont des enfants. Nous savons également que les Israélien.nes blessent volontairement des civils – comme nous l’ont raconté les habitants de Gaza eux-mêmes et comme l’a montré notre collègue Yuval Abraham dans ses enquêtes pour +972 et Local Call.

Des sources militaires elles-mêmes nous ont affirmé qu’au cours des premières semaines de la guerre, l’armée israélienne bombardait systématiquement des bâtiments civils afin de « créer un choc » au sein de la population, et nous ont décrit en détail la politique de tolérance de l’armée à l’égard des « dommages collatéraux », alors qu’elle frappait des milliers de cibles humaines générées par l’Intelligence artificielle dans leurs maisons familiales. Une enquête du Haaretz a également fait état de la politique de l’armée consistant à tuer toute personne trouvée dans les zones où ses forces opèrent, sans vérifier qui elle est ni pourquoi elle est là ; cette pratique est devenue évidente aux yeux de tous les Israéliens lorsque l’armée a tué « par erreur » trois otages israéliens qui agitaient un drapeau blanc après avoir échappé à leurs geôliers. Dans le même temps, des dizaines de milliers de Palestinien.nes ont été blessé.es par les tirs israéliens, mais ils ne peuvent pas recevoir les soins médicaux dont ils ont besoin, pas plus que les malades, les femmes enceintes et les enfants nés prématurément, car l’armée a détruit la plus grande partie du système de santé de Gaza.

En outre, les agences des Nations unies, les organisations humanitaires et les groupes de défense des droits de l’Homme ont établi qu’Israël avait créé un état d’insécurité alimentaire catastrophique, imposant la famine à tous les habitant.es de la bande de Gaza assiégée, en particulier dans le nord. L’armée a systématiquement empêché l’entrée de quantités suffisantes de nourriture, tué du personnel chargés de la distribuer, tiré sur des civils qui tentaient d’y accéderbombardé des convois de nourriture et démantelé des institutions qui maintenaient l’infrastructure civile dans la bande de Gaza. On sait que des dizaines d’enfants sont morts de malnutrition et de déshydratation au cours des dernières semaines, et l’on s’attend à ce que les décès dus à la faim et à la maladie se multiplient.

Face à cette situation, la Cour internationale de justice de La Haye a ordonné à Israël d’autoriser d’urgence l’entrée de masses d’aide dans la bande de Gaza. Contrairement à ce que prétendent les responsables israéliens et leurs porte-parole, Israël est toujours responsable de la vie, du bien-être, de l’alimentation et de la santé de la population de Gaza, à la fois en tant que puissance occupante depuis 57 ans et parce qu’il a détruit le gouvernement palestinien local. Et nous n’avons même pas mentionné le nettoyage ethnique, le pillage systématique, la torture et les mauvais traitements, ni la rhétorique génocidaire des soldat.es, des commentateur.es et du personnel politique israéliens.

Le gouvernement israélien a toujours affirmé que son objectif était d’éliminer le Hamas et de ramener les otages. Mais six mois après le début de la guerre, le Hamas est loin d’être vaincu (si tant est qu’une telle chose soit possible), il bénéficie toujours d’un niveau de soutien important de la part des Palestiniens et il détient toujours la plupart des otages restants. Il semblerait que de nombreux otages soient déjà morts – y compris sous les tirs israéliens – et que d’autres risquent de mourir parce que ceux qui sont au pouvoir ne sont pas vraiment intéressés par un accord d’échange.

En attendant, des dizaines de milliers d’Israélien.nes sont toujours déplacé.es des régions du nord et du sud, sans que l’on sache exactement quand elles et ils pourront rentrer chez eux. Les survivant.es des massacres du 7 octobre ne bénéficient pas des attentions et des services dont ils ont besoin. Les perspectives d’accords de normalisation avec l’Arabie saoudite et d’autres pays du Moyen-Orient se sont effondrées, du moins pour l’instant. Dans le monde entier, la perception d’Israël par l’opinion publique n’a jamais été aussi mauvaise – à juste titre – et même ses alliés les plus proches commencent à désapprouver publiquement la politique israélienne. La CIJ a estimé qu’il y avait des raisons plausibles d’affirmer qu’Israël était en train de commettre un génocide. Le week-end dernier, nous avons assisté au premier tir de missiles en provenance directe de l’Iran.

Notre réponse à la résistance
Que nous propose donc le gouvernement israélien face à tout cela ? Toujours la même chose.

Netanyahou proclame joyeusement qu’Israël est « à un petit pas de la victoire ». Mais même les Israélien.nes qui sont totalement indifférents aux massacres et aux souffrances que subissent les Palestinien.nes et qui ne se soucient que de la sécurité des Israélien.nes ne peuvent pas saluer cette guerre comme une victoire, de quelque nature qu’elle soit. Comme l’a récemment fait remarquer l’écrivain juif américain Peter Beinart, plus de violence dirigée contre les Palestinien.nes n’a jamais apporté plus de sécurité aux Israélien.nes – sinon, nous serions en sécurité depuis longtemps, compte tenu des décennies d’oppression que nous avons infligées. Même si le Hamas était vaincu d’une manière ou d’une autre, les questions fondamentales qui motivent la résistance palestinienne ne disparaîtront pas ; au contraire, elles se sont multipliées au cours des six derniers mois.

La plupart des juifs israéliens considèrent le 7 octobre comme le seul point de départ pertinent pour l’ensemble des événements actuels. Mais, comme les Palestinien.nes vous le diront, l’histoire n’a pas commencé à la fin de l’année 2023. Israël a violemment dicté le sort des Palestinien.nes depuis la Nakba et, depuis 1967, il est l’autorité suprême sur l’ensemble du territoire situé entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Il a maintenu un régime d’apartheid à travers un ensemble complexe de divisions territoriales, de statuts juridiques et d’autres formes de contrôle sur le peuple palestinien, qu’il s’agisse des citoyens de seconde zone à l’intérieur d’Israël, des personnes soumises à l’occupation, au droit militaire et au siège, ou des réfugiés exilés de force dans les pays arabes voisins et à qui l’on refuse le droit au retour.

Toute situation dans laquelle un groupe national en contrôle un autre, lui refuse ses droits fondamentaux, s’approprie ses ressources et lui interdit tout moyen démocratique ou légal de lutter pour l’égalité et la justice, suscitera toujours une résistance. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut changer avec des pots-de-vin, la « paix économique », la « gestion des conflits » ou une puissance de feu écrasante. Cette compréhension élémentaire de l’histoire et des sociétés humaines ne justifie en rien le massacre et l’enlèvement de civils – juifs, palestiniens ou travailleurs migrants – le 7 octobre, mais elle nous aide à comprendre comment nous en sommes arrivés là.

Depuis la fin de la deuxième Intifada en 2004, par exemple, la résistance palestinienne au pouvoir israélien s’est principalement effectuée sans recours aux armes, parfois même aux dépens des Palestiniens eux-mêmes. Dans le cadre des accords d’Oslo, l’Autorité palestinienne (AP) dirigée par le Fatah – que les Palestinien.nes considèrent depuis longtemps comme corrompue et brutale – a coopéré avec Israélien.nes pour réprimer à la fois les groupes militants et les activistes politiques qui menaçaient le pouvoir israélien ou celui de l’AP. L’AP a soutenu que cette attitude ferait d’elle un partenaire légitime pour les négociations aux yeux d’Israël et des États-Unis, et qu’elle conduirait à long terme à la création d’un État palestinien.

Après avoir craché sur ce cadre, y compris pendant une décennie au cours de laquelle Israël sous Netanyahou (et sous le soi-disant « gouvernement du changement » de Naftali Bennett et Yair Lapid) a refusé toute négociation, cette stratégie a perdu une grande partie de sa crédibilité auprès de l’opinion publique palestinienne. Pendant ce temps, les gouvernements de Netanyahou ont favorisé la division entre le Fatah et le Hamas, ainsi qu’entre la Cisjordanie et Gaza, en sapant les pourparlers de réconciliation palestiniens, en continuant à laisser affluer de l’argent vers le gouvernement du Hamas et en contribuant aux efforts du président Mahmoud Abbas pour faire obstacle aux élections dans les territoires occupés – précisément dans le but d’éliminer toute possibilité de négociations de paix.

Dans le même temps, l’AP et la société civile palestinienne ont tenté de recourir à la diplomatie et aux appels à des forums internationaux pour faire avancer leur cause, en réclamant la pleine reconnaissance d’un État et/ou l’obligation faite à Israël de rendre des comptes au sujet de l’occupation. Ces tentatives n’ont donné que peu de résultats, d’autant plus que le veto américain au Conseil de sécurité de l’ONU a fourni à Israël un bouclier diplomatique. Israël a également interdit sans fondement les principales ONG palestiniennes qui faisaient des démarches auprès de la Cour pénale internationale, qualifiant leur action en faveur des droits de l’homme de « terrorisme diplomatique ».

D’autres actions palestiniennes non violentes sont venues de la base, notamment l’appel au boycott, au désinvestissement et aux sanctions (BDS) à l’encontre d’Israël. Cet appel a lui aussi été qualifié de « terrorisme économique et culturel » par les Israéliens, qui l’ont même dénoncé comme « antisémite ». Aux États-Unis, des dizaines d’États ont adopté ce point de vue israélien et promulgué des lois et des mesures criminalisant le BDS, et de nombreux pays européens comme l’Allemagne leur ont emboîté le pas.

Les manifestations populaires contre l’expansion des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ont également connu des hauts et des bas, étant souvent brutalement réprimées par les forces israéliennes. Il en a été de même pour la Grande Marche du retour à Gaza en 2018, au cours de laquelle Israël a tiré sur des milliers de Palestiniens non armés qui se dirigeaient vers la clôture qui enserre la bande, tuant plus de 200 d’entre eux, et a également bloqué les « flottilles de la liberté » qui cherchaient à briser le blocus naval. Pendant tout ce temps, les Palestiniens ont poursuivi la pratique du « soumoud » : le refus inébranlable de quitter sa maison face aux tentatives de nettoyage ethnique.

Ce n’est pas le voisinage, c’est nous
Au cours de ces deux décennies de résistance en grande partie non armée, le discours public en Israël s’est considérablement transformé – pour le pire. Alors que la première et la deuxième Intifada ont donné lieu à des débats sérieux sur l’occupation au niveau national, ces discussions ont aujourd’hui presque entièrement disparu.

Cette disparition du débat au sein de la société israélienne peut être attribuée en partie à l’opération « Plomb durci » de 2008 et 2009 et au rapport Goldstone qui s’en était suivi et qui accusait tant l’armée israélienne que les militant.es palestinien.nes de crimes de guerre. Ce rapport a déclenché des campagnes de la part de Netanyahou et de ses alliés pour salir la gauche israélienne et les groupes de défense des droits de l’Homme en les qualifiant de traîtres et de taupes financées par l’étranger, et pour déployer une vague de lois antidémocratiques, notamment des lois interdisant la commémoration de la Nakba et criminalisant les boycotts.

Dans le même temps, les gouvernements de Netanyahou – avec la collaboration active des grands médias israéliens – ont réussi à vendre le récit selon lequel les Palestinien.nes avaient été vaincus, que le conflit était « géré » par des moyens militaires et économiques, et que les Israéliens pouvaient se concentrer sur la normalisation régionale sans avoir à tenir compte des assujettis à l’occupation.

Ce point de vue a rapidement fait l’objet d’un consensus national. Lors des dernières élections, en novembre 2022, les électrices et électeurs ont élu une Knesset qui, dans les bons jours, comptait une dizaine de parlementaires sur 120 réellement désireux de mettre fin à l’occupation. Les 110 restants considéraient au mieux la question palestinienne comme sans importance ou sans urgence, et au pire cherchaient activement à intensifier la dépossession et l’oppression des Palestinien.nes. Les tentatives de la gauche en perte de vitesse pour remettre les Palestinien.nes à l’ordre du jour se sont toujours heurtées à un mur : « Pas maintenant », disaient les Israélien.nes, parce que nous nous occupons de questions sociales, que nous luttons contre Bibi ou que nous défendons la démocratie (pour les juifs).

Israël n’est pas le seul à avoir pris ce virage. Les régimes arabes – qui, en 2002, avaient proposé l’« initiative de paix arabe » visant à normaliser les liens avec Israël en échange d’une solution avec les Palestiniens – ont de plus en plus tourné le dos aux Palestinien.nes et recherché des accords de normalisation séparés avec Israël, qui ont culminé avec les accords d’Abraham il y a quatre ans. Même pour l’Arabie saoudite, principal promoteur de l’initiative de 2002, on s’attendait à ce qu’elle accepte une normalisation complète.

Les responsables politiques et les commentateurs israéliens aiment à dire que « les Arabes ne comprennent que la violence » et que la force est le langage politique propre au « voisinage » moyen-oriental. Mais l’histoire indique que ce n’est pas le voisinage qui a recours à la force, c’est nous.

La guerre du Kippour de 1973, par exemple, a mis un frein à l’orgueil d’Israël après la guerre des six jours et a conduit à un accord de paix avec l’Égypte sous l’égide des États-Unis. La révolte de masse de la première Intifada a poussé Israël à reconnaître l’OLP et à signer les accords d’Oslo, ainsi qu’un traité de paix avec la Jordanie. La violence armée de la seconde Intifada a conduit au « désengagement » d’Israël et au démantèlement des colonies à Gaza. La guerre menée par le Hezbollah a poussé Israël à quitter le Sud-Liban. À maintes reprises, la violence et les désordres ont imposé ces questions politiques sur le devant de notre agenda ; les voies non violentes, en revanche, ont été largement récompensées par la répression et la marginalisation. C’est un message terrible qu’Israël a envoyé au « voisinage », mais c’est le message que nous avons sélectionné depuis des décennies.

Cela ne veut pas dire que les réponses politiques d’Israël à la violence profitent nécessairement aux Palestinien.nes, comme nous le voyons aujourd’hui après le 7 octobre. La violence engendre toujours la peur, les traumatismes et la déshumanisation de l’autre, en imputant à la collectivité les actes de quelques-uns. Elle incite la société israélienne à l’indifférence ou à la justification des atrocités que nous commettons. Et pour l’instant, elle pousse une grande partie de notre société encore plus à droite. En regardant dans le miroir noir, nous pouvons voir exactement comment le même processus – bien qu’à une échelle très différente – s’est produit dans la société palestinienne après des décennies de massacres, de déplacements, de dépossessions et d’emprisonnements, alors que les meurtriers et les pillards vivent en liberté.

Rien ici ne prétend justifier ce qui ne peut l’être moralement, mais c’est le contexte que les Palestinien.nes ne connaissent que trop bien et auquel les Israélien.nes sont aveugles depuis longtemps.

Des dirigeants désireux d’instaurer la justice
Le 7 octobre, il était tout à fait légitime pour Israël d’utiliser la force sur son territoire pour repousser l’attaque menée par le Hamas, protéger les citoyen.nes israélien.nes et libérer les communautés du sud séquestrées par le Hamas. Mais c’est là qu’Israël devait s’arrêter. Assurer la sécurité des Israélien.nes est une chose ; déclencher un assaut infernal en est une autre.

Dès à présent, Israël devrait agir de toute urgence pour parvenir à un accord avec le Hamas en vue d’un cessez-le-feu immédiat et de la libération de tous les otages restants, en échange de la libération du nombre de prisonniers palestiniens qu’il faudra. Cela doit impliquer un retrait israélien complet de toute la bande de Gaza, permettant aux Gazaouis de retourner dans ce qu’il reste de leurs maisons.

Parallèlement, Israël doit garantir l’entrée sans restriction à Gaza de toute l’aide humanitaire possible, et ce le plus rapidement possible, afin de sauver des vies et de permettre la vaste reconstruction qui sera nécessaire. Il doit coopérer avec tout gouvernement susceptible de l’aider dans ce processus – non pas simplement pour payer la facture du désastre créé par Israël, mais pour contribuer à la reconstruction sur la base d’une nouvelle approche politique en vue d’un avenir meilleur pour les Israélien.nes et les Palestinien.nes.

Il est très probable que dans ce cadre, il sera également possible de réduire les tensions armées avec le Hezbollah au nord, et l’Iran à une plus grande distance, afin que toutes les personnes déplacées des deux côtés de la frontière puissent retourner dans leurs foyers. Les familles auront ainsi le temps de se rétablir, de restaurer leurs communautés et de soigner les personnes émotionnellement et physiquement meurtries par cette guerre.

Israël devra alors poursuivre sur cette lancée. Contrairement à ce que la droite nous répète depuis des années, les Israélien.nes ont un intérêt vital à l’existence d’une direction palestinienne jouissant d’une large légitimité populaire et capable de négocier avec une direction israélienne. Cela signifie qu’Israël doit libérer les dirigeants politiques emprisonnés et soutenir à la fois la réconciliation entre le Fatah et le Hamas et la tenue d’élections démocratiques pour l’OLP et l’AP.

Le discours public en Israël et chez quelques alliés occidentaux rejette totalement l’idée de permettre au Hamas de continuer à exister. Mais le Hamas ne s’en ira nulle part. Il conserve le soutien d’environ la moitié de la population palestinienne des territoires occupés. Son pouvoir découle de la réalité matérielle qu’Israël a créée pour les Palestiniens, de l’échec de la non-violence et du dialogue pour faire avancer leur cause nationale, et de griefs internes tels que la corruption de l’Autorité palestinienne. Comme me l’a dit un ami palestinien qui déteste et craint le Hamas en raison de son idéologie religieuse et des exactions du 7 octobre, ce n’est pas par la force militaire que l’on peut vaincre le groupe, mais par la politique. Il en va de même pour la droite israélienne.

Ce qu’il faut donc, ce ne sont pas seulement des dirigeant.es israélien.nes qui répondent aux conséquences catastrophiques de ce que notre peuple a connu le 7 octobre et depuis lors. Nous avons besoin de dirigeant.es qui assument également la responsabilité des décennies de catastrophes que nous avons infligées aux Palestinien.nes. Il faut qu’ils reconnaissent le lien réel et justifié des deux peuples avec cette terre, ainsi que les droits égaux des deux peuples à la liberté, à l’égalité, à la sécurité et à l’autodétermination, et qu’ils fassent grandir le désir humain et universel de voir nos enfants jouir d’un avenir meilleur que celui que leur offre notre réalité actuelle.

Ces dirigeant.es doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre fin à l’injustice historique dont sont victimes tous les Palestinien.nes, notamment par la négociation, afin de mettre en place une solution politique fondée sur ces principes – que ce soit dans le cadre de deux États, d’un seul État ou d’une confédération – et en répondant aux justes demandes formulées par l’OLP, les résolutions de l’ONU, l’initiative de paix arabe et la campagne BDS. Une vision d’avenir doit intégrer un dispositif permettant de traiter les crimes commis par des individus des deux nations à l’encontre de l’autre, et d’établir un nouvel ordre régional qui permettra la libre circulation et l’épanouissement des deux peuples.

Ces solutions doivent s’appuyer sur un dialogue politique approfondi au sein de chaque nation et entre les deux peuples, en mettant l’accent sur l’écoute de celles et ceux qui ont souffert le plus de la violence et de l’oppression. La responsabilité d’entamer ce processus incombe à Israël, en tant qu’autorité suprême du territoire et donc détenteur des clés pour mettre fin à ce système injuste. Rien de tout cela n’exonère le Hamas de la responsabilité de ses méfaits et de ses crimes de guerre, mais il est essentiel de reconnaître que les Israéliens ont une responsabilité très différente à assumer et que c’est à nous – après des décennies d’oppression – de prouver notre volonté d’instaurer la justice.

Tout cela est-il susceptible de se réaliser un jour ? À l’heure actuelle, pour beaucoup, cela semble certainement impossible. Les Israélien.nes et les Palestinien.nes sont aujourd’hui bien moins capables de se supporter mutuellement, et la déshumanisation réciproque a atteint de nouveaux extrêmes. Mais il y a aussi beaucoup de gens qui veulent un avenir différent, qui suivraient des dirigeant.es courageux et qui veulent montrer qu’un changement d’attitude peut permettre de trouver un partenaire de l’autre côté.

L’alternative est bien plus terrible : une poursuite sanglante et illimitée de la violence pendant des générations, jusqu’à ce que nous nous réveillions enfin et que nous fassions exactement ce que nous aurions de toute évidence dû faire depuis le début. Israël doit s’engager sur cette voie, non seulement en raison de sa responsabilité en tant que maître du territoire, mais aussi pour prouver aux Palestinien.nes qu’ils peuvent enfin trouver en nous un partenaire pour la paix et que la voie d’une solution concertée est ouverte – peut-être pour la première fois.

Une chose est sûre cependant : rien de tout cela ne peut être réalisé avec le gouvernement israélien actuellement au pouvoir. Par conséquent, notre première tâche en tant qu’Israélien.nes est de chasser cette coalition dès que possible et de choisir une nouvelle équipe dirigeante qui proposera la voie de la réconciliation. Compte tenu de l’état actuel de la société israélienne et de notre paysage politique, il est peu probable que nous empruntions ce chemin de notre plein gré. C’est pourquoi la nécessité d’une pression internationale sous la forme de boycotts, de désinvestissements et de sanctions est de plus en plus évidente. Action au niveau global, élections et négociations – c’est ainsi que nous renforcerons les courants qui, dans nos deux sociétés, croient en la justice, l’égalité et la sécurité pour tous.

Haggai Matar
Haggai Matar est un journaliste israélien plusieurs fois récompensé et un militant politique, et il est le directeur exécutif de +972 Magazine.
Source : Magazine +972. 18 avril 2024 :
https://www.972mag.com/lament-israelis-gaza-october-7/
Une version de cet article a d’abord été publiée en hébreu sur Local Call. Ici.
Traduit pour ESSF par Pierre Vandevoorde avec l’aide de DeepLpro.
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article70527

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Notre équipe a été dévastée par les événements horribles de cette dernière guerre – les atrocités commises par le Hamas en Israël et les attaques israéliennes massives de représailles sur Gaza. Nous sommes de tout cœur avec les personnes et les communautés confrontées à la violence.

Nous vivons une période extraordinairement dangereuse en Israël-Palestine. L’effusion de sang déclenchée par ces événements a atteint des niveaux extrêmes de brutalité et menace d’engloutir toute la région. L’assaut meurtrier du Hamas dans le sud d’Israël a dévasté et choqué le pays au plus profond de lui-même. Les bombardements de représailles d’Israël sur Gaza sèment la destruction dans la bande déjà assiégée et tuent un nombre croissant de civils. En Cisjordanie, des colons enhardis, soutenus par l’armée, saisissent l’occasion pour intensifier leurs attaques contre les Palestiniens.
Cette escalade s’inscrit dans un contexte très clair, que +972 a passé les 13 dernières années à couvrir : Le racisme et le militarisme croissants de la société israélienne, l’occupation enracinée et le siège de plus en plus normalisé de Gaza.
Nous sommes bien placés pour couvrir ce moment périlleux – mais nous avons besoin de votre aide pour le faire. Cette terrible période mettra à l’épreuve l’humanité de tous ceux qui œuvrent pour un avenir meilleur sur cette terre. Les Palestiniens et les Israéliens s’organisent déjà et élaborent des stratégies pour mener le combat de leur vie.

Pouvons-nous compter sur votre aide
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+972 Magazine est la principale voix médiatique de ce mouvement, une plateforme dont on a désespérément besoin où les journalistes et les activistes palestiniens et israéliens peuvent rendre compte et analyser ce qui se passe, guidés par l’humanisme, l’égalité et la justice. Rejoignez-nous.
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Dossier. A propos de l’UNRWA, brève mise en perspective

Par la rédaction d’Alencontre
A la sortie de la Seconde Guerre mondiale a été créée, en 1946, l’Organisation internationale pour les réfugiés (OIR). Elle était chargée « de prendre soin et d’assurer le rapatriement ou la réinstallation des Européens qui avaient été rendus sans abri par la Deuxième Guerre mondiale », ce qui impliquait, entre autres, parmi le flot des réfugié·e·s, un secteur de la population juive qui avait pu échapper à l’Holocauste. L’OIR a été dissoute en 1952 après avoir réinstallé environ 1 million de personnes et elle fut remplacée par l’actuel Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR).

La création de l’UNRWA, le 27 décembre 1949 – dans la foulée de la résolution 302 (IV) de l’Assemblée générale de l’ONU du 8 décembre –, fait suite à la Nakba, soit à l’expulsion des Palestiniens. C’est donc une structure « spécifique » par rapport à l’OIR ou au HCR. Elle est en charge d’assurer « une assistance humanitaire aux réfugiés de Palestine ». Ces réfugiés sont définis ainsi : « toute personne – et ses descendants directs – qui vivait en Palestine lorsqu’elle était sous mandat entre juin 1946 et mai 1948 et qui a perdu son foyer et ses moyens de subsistance à la suite du conflit israélo-arabe de 1948 ». L’UNRWA, selon les termes adoptés lors de sa constitution, « s’occupe expressément des réfugiés de Palestine et continue de leur fournir des services en attendant qu’une solution soit trouvée à leur situation politique unique ». Elle le fait dans les divers camps et régions où ces réfugiés se trouvent.

Or, le 11 décembre 1948, la Résolution 194 de l’Assemblée générale de l’ONU, « ayant examiné de nouveau la situation en Palestine » (article 11) : « Décide qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les Gouvernements ou autorités responsables ».

L’UNRWA lie donc le statut de réfugié à la résolution politique de leur situation. Cela ouvre la possibilité de faire référence au droit défini par la Résolution 194 de décembre 1948, dit du « droit au retour ». Il y a là un des facteurs déterminants de l’offensive contre l’UNRWA développée par le gouvernement israélien. Ces attaques se sont accentuées dès 2004 suite à la seconde Intifada qui voit l’UNRWA mettre en place un « plan d’urgence », ce qui va aussi impliquer le maintien d’une unité du statut des réfugiés palestiniens, de Gaza à la Cisjordanie, en passant par le Liban et les autres «pays hôtes» de camps.

L’offensive contre l’UNRWA qui se développe actuellement – et qui est relayée par de nombreux lobbys dans les pays finançant cette structure – rappelle la situation qui s’est développée lors de l’opération « Plomb durci » de décembre 2008 au 18 janvier 2009. Le ministre alors de la Défense, Ehoud Barak, ne déclarait-il pas : « Nous sommes conscients des problèmes humanitaires. Nous faisons et continuerons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour répondre à tous les besoins humanitaires des habitants de Gaza. » (Anthony H.Cordesman, The Gaza War: A strategic analysis, 2009 Center for Strategic and International Studies (Washington, D.C.) Il en alla de même lors de l’opération « Bordure protectrice » qui se déroula du 8 juillet au 26 août 2014. La volonté de marginalisation et dissolution de l’UNRWA était évidente, comme cela s’affirme, mais avec beaucoup plus de force, aujourd’hui [voir sur ce site l’article d’Amira Hass le 5 avril 2024].

Aussi bien en 2008-2009 qu’en 2014 les bâtiments de l’UNRWA étaient attaqués, les collaborateurs de l’UNRWA étaient tués ou blessés, alors que les responsables de l’UNRWA dénonçaient « la terreur et la catastrophe pour la population civile » (The Guardian, 5 janvier 2009). Tout cela a été confirmé par le rapport Goldstone d’avril 2009 (United Nations Fact Finding Mission on the Gaza Conflict).

Les mêmes accusations qu’aujourd’hui étaient alors faites selon lesquelles le Hamas utilisait les hôpitaux, les ambulances ou les écoles de l’UNRWA dont 22 furent détruites et 118 endommagées en 2014. Aujourd’hui, les atteintes contre les infrastructures de l’UNRWA, contre ses membres et employé·e·s, contre ses activités humanitaires sont à l’échelle des destructions et des pratiques génocidaires décidées par le Cabinet de guerre israélien et mises en œuvre par l’armée dans la bande de Gaza. Ce que souligne l’intervention de Philippe Lazzarini devant le Conseil de sécurité, le 17 avril 2024, traduite et reproduite ci-dessous.

Quant aux accusations lancées par le gouvernement israélien d’une complicité et participation de secteurs de l’UNRWA aux activités du Hamas – entre autres le 7 octobre, 12 employés sur 13 000 étant mentionnés –, The Guardian du 20 mars écrivait qu’« au fil des semaines, la fiabilité des accusations d’Israël a été remise en question. « L’Unrwa dit qu’elle n’a pratiquement reçu aucune preuve et qu’elle a vu des aveux qui semblent avoir été obtenus sous la contrainte lors de leur détention en Israël », a écrit Jason Burke [correspondant du Guardian à Jérusalem ayant eu accès à de la documentation de l’ONU]. Or Israël a refusé de coopérer avec l’ONU et n’a fourni aucune de ses preuves malgré une mission d’enquête, a rapporté le Daily Telegraph le 15 mars. »

La réaction immédiate (fin janvier) suite aux accusations du gouvernement israélien de divers Etats de couper leur financement à l’UNRWA sonne étrangement après trois mois où les « évidences » et « preuves » semblent s’être évaporées. D’ailleurs, le Canada, l’Australie, la Suède et l’UE ont rétabli le financement. Le groupe d’examen indépendant chargé de déterminer la neutralité de l’agence, sous la présidence de Catherine Colonna, ancienne ministre des Affaires étrangères de France, est censé rendre son rapport final le 20 avril.

*–*

Déclaration du Commissaire général de l’UNRWA au Conseil de sécurité, Philippe Lazzarini, le 17 avril 2024

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,

Nous traversons une période de changements dramatiques au Moyen-Orient.

Au cœur de cette région, l’Office des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA-Agence) est une force stabilisatrice.

A Gaza, l’Agence constitue l’épine dorsale de l’opération humanitaire, coordonnant et fournissant une assistance vitale.

Au-delà de la bande de Gaza, l’Agence s’est fait le champion du développement humain pour les réfugié·e·s de Palestine pendant des décennies dans toute la région.

Aujourd’hui, une campagne insidieuse visant à mettre fin aux opérations de l’UNRWA est en cours, avec de graves implications pour la paix et la sécurité internationales.

C’est dans ce contexte qu’il est demandé au Conseil d’examiner les défis existentiels auxquels l’Agence est confrontée.

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Six mois de bombardements incessants et de siège impitoyable ont transformé Gaza au point de la rendre méconnaissable.

Les maisons, les écoles et les hôpitaux ont été réduits à des décombres sous lesquels gisent d’innombrables corps.

Les enfants subissent de plein fouet les conséquences de cette guerre. Plus de 17 000 d’entre eux sont séparés de leur famille et doivent affronter seuls l’horreur de Gaza. Les enfants sont tués, blessés et affamés, privés de toute sécurité physique ou psychologique.

Dans toute la bande de Gaza, une famine provoquée par l’homme resserre son étau. Dans le nord, les nourrissons et les jeunes enfants ont commencé à mourir de malnutrition et de déshydratation.

De l’autre côté de la frontière, la nourriture et l’eau potable attendent.

Mais l’UNRWA se voit refuser l’autorisation d’acheminer cette aide et de sauver des vies.

Cet outrage se produit malgré les injonctions consécutives de la Cour internationale de justice d’augmenter le flux d’aide vers Gaza – ce qui peut être fait s’il y a une volonté politique suffisante.

Vous avez le pouvoir de faire la différence.

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Le mandat de l’UNRWA est soutenu par une écrasante majorité d’Etats membres.

Pourtant, l’Agence est soumise à d’énormes pressions. Elle fait face à une campagne visant à l’expulser du territoire palestinien occupé. A Gaza, le gouvernement israélien cherche à mettre fin aux activités de l’UNRWA.

Les demandes de l’Agence visant à acheminer de l’aide vers le nord ont été rejetées à plusieurs reprises.

Notre personnel est exclu des réunions de coordination entre Israël et les acteurs humanitaires. Pire encore, les locaux et le personnel de l’UNRWA sont pris pour cible depuis le début de la guerre.

178 membres du personnel de l’UNRWA ont été tués.

Plus de 160 locaux de l’UNWRA, principalement utilisés comme abris, ont été endommagés ou détruits, tuant plus de 400 personnes.

Les locaux libérés par l’Agence ont été utilisés à des fins militaires par les forces israéliennes, le Hamas et d’autres groupes armés palestiniens.

Notre siège a été occupé militairement et des allégations ont émergé concernant l’existence de tunnels sous nos locaux.

Le personnel de l’UNRWA détenu par les forces de sécurité israéliennes a fait des récits poignants de mauvais traitements et de torture en détention.

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Nous demandons qu’une enquête indépendante soit menée et que des comptes soient rendus pour le mépris flagrant du statut de protection des travailleurs et travailleuses, des opérations et des installations humanitaires en vertu du droit international.

Agir autrement créerait un dangereux précédent et compromettrait le travail humanitaire dans le monde entier.

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La situation en Cisjordanie occupée est également très préoccupante.

Les attaques quotidiennes des colons israéliens, les incursions militaires et la destruction des maisons et des infrastructures civiles font partie d’un système bien huilé de ségrégation et d’oppression.

L’espace opérationnel de l’UNRWA se rétrécit, avec des mesures arbitraires imposées par Israël pour restreindre la présence et les mouvements du personnel.

Il devient de plus en plus difficile de maintenir nos écoles et nos centres de santé ouverts et accessibles. Des mesures législatives et administratives visant à expulser l’UNRWA de son siège à Jérusalem-Est et à interdire ses activités sur le territoire israélien sont en cours.

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Au milieu de ces défis, de graves allégations contre des membres du personnel de l’UNRWA à Gaza sont apparues en janvier.

Horrifié par ces allégations, j’ai immédiatement mis fin à l’engagement des personnes concernées.

Le secrétaire général a ordonné une enquête par l’intermédiaire du Bureau des services de contrôle interne.

Parallèlement, un groupe d’examen indépendant évalue la manière dont l’UNRWA respecte la neutralité – un principe fondamental qui guide notre travail.

Malgré ces actions rapides et décisives, une part importante du financement des donateurs reste suspendue. Cela a de graves implications opérationnelles et compromet la viabilité financière de l’Agence.

Soyez assurés que nous restons fermement engagés à mettre en œuvre les recommandations de l’enquête et à renforcer les garanties existantes contre les violations de la neutralité.

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Comme je l’ai indiqué à l’Assemblée générale en mars, les appels à la fermeture de l’UNRWA n’ont rien à voir avec le respect des principes humanitaires.

Ces appels visent à mettre fin au statut de réfugié de millions de Palestiniens. Ils cherchent à modifier les paramètres politiques de longue date pour la paix dans le territoire palestinien occupé, fixés par les résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil.

Les accusations selon lesquelles l’UNRWA perpétue délibérément le statut de réfugié sont fausses et malhonnêtes. L’Agence existe parce qu’une solution politique n’existe pas. Elle existe à la place d’un Etat capable de fournir des services publics essentiels.

La communauté internationale a longtemps tenté de contenir, plutôt que de résoudre, le conflit israélo-palestinien.

Chaque fois qu’une escalade se produit, la solution des deux Etats n’est pas respectée, ce qui coûte des vies et de l’espoir.

L’UNRWA a été créé il y a 7  ans en tant qu’agence temporaire. Une mesure provisoire, dans l’attente d’une réponse politique à la question de la Palestine.

Si la communauté internationale s’engage réellement en faveur d’une solution politique, l’UNRWA peut retrouver sa nature temporaire en soutenant une transition limitée dans le temps, en fournissant une éducation, des soins de santé primaires et un soutien social.

L’Agence peut le faire jusqu’à ce qu’une administration palestinienne prenne en charge ces services, en absorbant le personnel palestinien de l’UNRWA en tant que fonctionnaires.

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Le démantèlement de l’UNRWA aura des répercussions durables.

A court terme, il aggravera la crise humanitaire à Gaza et accélérera l’apparition de la famine. A plus long terme, il compromettra la transition entre le cessez-le-feu et le « jour d’après » en privant une population traumatisée de services essentiels.

Il rendra presque impossible la tâche formidable qui consiste à faire reprendre le chemin de l’école un demi-million de filles et de garçons en grande détresse.

L’échec de l’éducation condamnera toute une génération au désespoir, ce qui alimentera la colère, le ressentiment et des cycles de violence sans fin.

Une solution politique ne peut aboutir dans un tel scénario.

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Permettez-moi de conclure par trois appels:

Premièrement, je demande aux membres du Conseil d’agir conformément à la résolution 302 de l’Assemblée générale [1] et de préserver le rôle essentiel de l’UNRWA, tant aujourd’hui que dans le cadre d’une transition.

L’UNRWA est depuis longtemps le gardien des droits des réfugié·e·s palestiniens. L’Agence ne pourra renoncer à son rôle central de fourniture de services essentiels et de protection des droits de l’homme que lorsqu’une solution politique aura été trouvée.

D’ici là, le soutien politique des Etats membres doit s’accompagner d’un financement.

Deuxièmement, je vous demande instamment de vous engager en faveur d’un véritable processus politique aboutissant à une solution susceptible d’apporter la paix aux Palestiniens et aux Israéliens.

Ce processus doit respecter les droits des réfugiés palestiniens et leur aspiration à une solution politique juste et durable à leur situation.

Troisièmement, nous devons reconnaître qu’un processus politique ne garantira pas à lui seul une paix durable.

Les blessures profondes de cette région ne peuvent être guéries sans cultiver l’empathie et sans rejeter la déshumanisation qui y règne, que ce soit dans la rhétorique politique ou dans l’utilisation abusive des nouvelles technologies dans la guerre. Nous devons refuser de choisir entre sympathiser avec les Palestiniens ou avec les Israéliens ; ou faire preuve de compassion envers les Gazaouis ou les otages israéliens et leurs familles.

Au lieu de cela, nous devons reconnaître – et refléter dans nos paroles et nos actes – que Palestiniens et Israéliens partagent une longue et profonde expérience de chagrin et de perte. Qu’ils méritent également un avenir pacifique et sûr.

Je vous demande instamment de contribuer à la réalisation de cet avenir par une action multilatérale fondée sur des principes et un engagement sincère en faveur de la paix.

En vous remerciant, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération. »

[1] « La résolution 302 (IV) de l’Assemblée générale, en date du 8 décembre 1949, dispose que le Secrétaire général nomme le (la) Commissaire général(e) après avoir consulté les gouvernements représentés à la Commission consultative de l’UNRWA. »
Cette commission est composée de représentants de 24 pays. La présidence jusqu’en juin 2024 est assumée par les Etats-Unis, la vice-présidence est confiée à l’Egypte et à l’Union européenne. (Réd.)

http://alencontre.org/moyenorient/palestine/a-propos-de-lunrwa-breve-mise-en-perspective.html

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La police israélienne a arrêté la professeure
Nadera Shalhoub-Kevorkian pour incitation à la haine

Cinq universitaires basées en Europe, Revital Madar, Nacira Guénif, Tal Dor, Sadia Agsous-Bienstein et Karine Lamarche, alertent sur la persécution que subie la professeure Nadera Shalhoub-Kevorkian, une Palestinienne citoyenne de l’État d’Israël et citoyenne américaine. « Non seulement les allégations contre [elle] sont fausses et sans fondement, mais les mesures prises contre elle par l’Université hébraïque et maintenant par la police israélienne violent sa liberté d’expression ».

La police israélienne est arrivée hier (18 avril 2024) au domicile du professeure Nadera Shalhoub-Kevorkian à Jérusalem. Ils ont confisqué son ordinateur, d’autres documents et des livres du poète palestinien Mahmoud Darwish. Selon son avocat, Alaa Mahajna, elle a été arrêtée pour incitation au terrorisme, à la violence et au racisme, et a fait l’objet d’une enquête. Elle a été détenue pour la nuit. Une audience est en cours au tribunal de première instance de Jérusalem pour examiner la demande de la police de prolonger sa détention pour 7 jours.

La persécution du professeur Nadera Shalhoub-Kevorkian, une Palestinienne citoyenne de l’État d’Israël et citoyenne américaine, remonte au 2  octobre, 2023, lorsque les professeurs Asher Cohen et Tamir Scheafer, président et recteur de l’HUJI, lui ont envoyé une lettre en lui demandant de démissionner. La raison de cette injonction était la signature par la professeure Shalhoub Kevorkian d’une pétition intitulée « Les chercheurs et les étudiants sur l’enfance appellent à un cessez-le-feu immédiat à Gaza ». Selon la lettre envoyée par les Profs. Cohen et Scheafer, deux points les ont amenés à demander que la professeure Shalhoub-Kevorkian démissionne   la caractérisation de la campagne militaire israélienne à Gaza comme un génocide et l’affirmation qu’Israël occupe la Palestine depuis 1948 et non depuis 1967.

L’arrestation actuelle est liée à l’interview du professeure Shalhoub-Kevorkian sur le podcast Makdisi Street. Suite à cette interview, l’association de droite « Btsalmo » a alerté l’Université hébraïque, affirmant que la professeure Shalhoub-Kevorkian avait nié les violences sexuelles commises par le Hamas, ainsi que d’autres atrocités commises le 7 octobre. Ils ont demandé à l’université de la renvoyer. L’université hébraïque a décidé de la suspendre de ses obligations d’enseignement.

Une vidéo éditée de l’interview, publiée dans les réseaux sociaux et les médias israéliens, a donné l’impression que la professeure Shalhoub-Kevorkian niait les actes du Hamas et ne les condamnait pas. Bien qu’elle ait indiqué à plusieurs reprises au cours de l’entretien qu’elle condamnait de tels actes et qu’en tant que féministe, elle croyait toutes les victimes, les médias israéliens ont lancé une campagne de diffamation. Comprenant que la professeure Shalhoub-Kevorkian ne niait pas les actes commis par le Hamas, l’université hébraïque est revenue sur sa décision de la suspendre. Cependant, la campagne menée contre elle par des organisations de droite et des membres du gouvernement israélien et de la Knesset se poursuit. Le 22 mars 2024, à son retour en Israël, la professeure Shalhoub-Kevorkian a été retardée et interrogée à l’aéroport, avant d’être relâchée. Depuis lors, la police israélienne a déclaré qu’elle examinait l’ouverture d’une enquête à son encontre.

L’arrestation, l’enquête et la détention actuelles sont la concrétisation de ces menaces qui visent à faire taire toute voix critique qui ne s’aligne pas sur le discours officiel d’Israël. Elles s’inscrivent dans le cadre d’une attaque générale en Israël contre le monde universitaire israélien et la liberté d’expression depuis le 7 octobre, visant en particulier les étudiants et les membres du corps enseignant palestiniens. « Adalah » et « Academia for Equality » ont documenté les persécutions contre les étudiants et les professeurs dans des rapports publiés le 23 octobre 2023 et le 13 novembre 2023.

Non seulement les allégations contre la professeure Shalhoub-Kevorkian sont fausses et sans fondement, mais les mesures prises contre elle par l’Université hébraïque et maintenant par la police israélienne violent sa liberté d’expression. Elles ont mis sa vie en danger et ont porté atteinte à son bien-être et à celui de sa famille. Elles indiquent également aux autres universitaires et aux citoyens israéliens en général qu’ils feraient mieux de se taire s’ils ne veulent pas voir leur position menacée et leur liberté confisquée.

19 avril 2024
Signataires :
Revital Madar, Robert Schuman Centre for Advance Studies, European University Institute
Nacira Guénif, Professor, University Paris 8 LEGS
Tal Dor, Associate Researcher, LEGS Université Paris and CENS Nantre Université
Sadia Agsous-Bienstein, spécialiste Culture Palestinienne et Israelienne & Relations Juives Arabes, Université Libre de Bruxelles
Karine Lamarche, Research Fellow, CNRS, Nantes

https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/190424/la-police-israelienne-arrete-la-professeure-nadera-shalhoub-kevorkian-pour-incitation

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Des lettres pour Mustafa

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Écrivons à Mustafa !

Chère amie, cher ami, 
Déjà 116 jours d’emprisonnement pour Mustafa.

Nous relayons ci-dessous l’appel du Freedom Theatre :
Mustafa Sheta est le directeur du Freedom Theatre.
L’armée israélienne l’a capturé sous la menace des armes le 13 décembre 2023. 
Il est toujours emprisonne sans inculpation ni jugement. 
Tout contact avec Mustafa a été bloqué, à l’exception de son avocat, autorisé à le rencontrer brièvement fin décembre.

Cependant nous invitons les ami·e·s en Palestine et dans le monde entier à lui écrire une lettre.
Envoyez-la au Freedom Theatre et nous la rendrons publique, en faisant largement connaître la détention prolongée de Mustafa  et l’exigence mondiale de sa libération.
Écrivez votre lettre, dans la langue de votre choix, à
trp@thefreedomtheatre.com 
avec l’en-tête LETTER

Soyons nombreuses et nombreux à y répondre.
Bien amicalement à toutes et tous.
Plus d’infos sur Mustafa Sheta

ATL Jénine
MVAC 18, 15 passage Ramey, Boîte 84, 75018, Paris

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Solidarité avec Mohamed Khatib. Solidarité avec Samidoun

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Communiqué de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique
Solidarité avec Mohamed Khatib. Solidarité avec Samidoun.

C’est avec sidération que l’Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB) a pris connaissance de la montée en force de la répression subie par une partie de la communauté palestinienne en Belgique, engagée aux côtés de la résistance palestinienne, ainsi que par ses soutiens.

Le 5 avril, ZinTV, média d’information et association d’éducation permanente publiait un communiqué de presse alarmant, faisant état d’intimidations et de menaces subies à l’occasion de l’organisation d’un événement sur la résistance palestinienne. Cette semaine, c’est par le journal Le Soir que nous apprenons que Mohamed Khatib, porte-parole de Samidoun Europe, mouvement arabe internationaliste qui lutte pour la libération des prisonnier.es politiques palestinien.nes, est menacé de perdre son statut de réfugié et d’être expulsé de Belgique. Quels que soient les différends politiques que l’on peut avoir avec ce mouvement, cette menace est intolérable et vient secouer les fondements mêmes de notre démocratie.

Nous écrivons ces lignes en connaissance de cause. Au mois de mars de cette année, une délégation de l’UPJB a rencontré Samidoun Bruxelles dans nos locaux, pour discuter de deux incidents. D’une part, les violences subies par leurs membres lors de manifestations co-organisées par l’UPJB (drapeaux arrachés, coups et gifles portés par des membres du service d’ordre). D’autre part, l’intervention d’un des membres de notre association dans l’émission du 7 décembre 2023 « Café sans filtre » sur la chaîne LN24, où, mis sous pression par le journaliste, il avait affirmé que Samidoun « posait problème » et qu’on travaillait à « les minoriser ». Lors de cette rencontre, les échanges entre les deux délégations ont été francs et cordiaux. L’occasion de discuter de nos points de convergence et de divergence et aussi pour notre membre de clarifier ses intentions, de prendre des distances vis-à-vis de ses propos et présenter ses excuses (il s’en est, depuis, expliqué sur sa page Facebook). Bien qu’il y ait des différences politiques entre nos deux mouvements, nous nous battons pour la même cause : la défense des droits des Palestinien-nes. Et nous réfutons catégoriquement les accusations portées à l’encontre de M. Khatib. Cette campagne de diffamation ne le cible pas seulement lui, personnellement ; elle met en danger la liberté d’expression, la liberté de la presse et la liberté d’association de tout un chacun en Belgique.

La vague répressive qui s’abat sur le mouvement et ses soutiens ainsi que sur des médias d’information belges qui travaillent à créer, dans le respect de la diversité d’opinions, des espaces de réflexion, d’échange et de débat, est d’autant plus inquiétante qu’elle fait suite à des pressions exercées par l’ambassade d’Israël. Cette ambassade représente aujourd’hui un gouvernement d’extrême droite raciste et fasciste, qui, depuis plus de six mois, bombarde la population de Gaza dans une prison à ciel ouvert et n’a que faire du rapport de la Cour Pénale Internationale, qui, en janvier déjà, exprimait le risque d’un génocide.

Notre gouvernement n’a aucune leçon à recevoir de ce gouvernement, ni à se plier au chantage à l’antisémitisme, lorsqu’il s’agit d’expulser un réfugié palestinien qui risque la torture aux mains des autorités israéliennes, où il y a à peine une semaine, Walid Daqqa, détenu politique palestinien, est mort en prison.

Stop à la criminalisation de la résistance palestinienne.

Stop à la complicité des crimes de guerre.

Solidarité avec Mohamed Khatib et avec Samidoun.

https://upjb.be/solidarite-avec-mohamed-khatib/

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L’Iran agit plus rationnellement qu’Israël – pour l’instant

Si l’Iran avait voulu intensifier sérieusement son conflit avec Israël, sa réponse à l’attentat contre l’ambassade de Damas aurait été très différente.

L’attaque spectaculaire de l’Iran contre Israël le 13 avril n’était pas un coup de tonnerre. Elle se préparait depuis des années, en réponse aux attaques de plus en plus audacieuses d’Israël contre des cibles iraniennes dans toute la région, qu’il s’agisse de dépôts d’armes utilisés par les alliés régionaux de l’Iran ou de scientifiques nucléaires et de hauts responsables militaires de la République islamique. Après le 7 octobre, ces attaques se sont encore accélérées, culminant avec le bombardement par Israël, le 1er avril, de l’enceinte de l’ambassade iranienne à Damas, qui a tué plusieurs officiers supérieurs du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI).

Tandis que les dirigeants israéliens se félicitaient d’une nouvelle opération réussie, le monde entier les regardait avec perplexité, sachant que cette fois-ci, Israël avait franchi toutes les lignes rouges. En vertu d’innombrables accords internationaux, les ambassades ont un droit inviolable à la protection. Lorsque ce droit est violé, les conflits et les guerres s’intensifient rapidement.

Les 50 dernières années ne manquent pas d’exemples à cet égard. La prise de l’ambassade américaine à Téhéran et la crise des otages qui s’en est suivie en novembre 1979 ont conduit à la rupture des relations entre l’Iran et les États-Unis. La tentative d’assassinat de l’ambassadeur israélien Shlomo Argov à Londres en 1982 a été l’un des catalyseurs de la première guerre du Liban. L’attentat à la bombe contre l’ambassade d’Israël à Buenos Aires en 1992 a exposé le Hezbollah, ainsi que l’Iran, à des sanctions sévères.

Par conséquent, dès le moment où Israël a attaqué l’ambassade iranienne à Damas il y a deux semaines, la plupart des analystes s’attendaient à une réponse. Celle qui a suivi a été remarquablement modérée.

Selon toutes les estimations, l’Iran ne cherchait pas à provoquer une escalade régionale. Immédiatement après l’attaque israélienne du 1er avril, Téhéran a ouvert un canal de communication direct avec les États-Unis, déclarant aux Américains que s’ils contraignaient Israël à accepter un cessez-le-feu à Gaza, l’Iran s’abstiendrait de toute riposte. Lorsqu’il est apparu clairement qu’il n’en était pas question, la réponse militaire iranienne n’a pas tardé : tard dans la nuit de samedi à dimanche, l’Iran a déclaré le début de son attaque en lançant quelque 170 drones, qui mettraient plusieurs heures à atteindre Israël. Ainsi, l’Iran a alerté Israël et ses alliés suffisamment à l’avance, ce qui a permis d’intercepter la grande majorité des drones, ainsi que les missiles qui ont suivi.

Si l’Iran avait voulu prendre Israël par surprise, il aurait pu lancer les missiles balistiques qui ont été déployés dans la phase finale de l’attaque, dont le temps de vol est de 10 à 12 minutes, sans aucun avertissement. De plus, l’écrasante majorité de ces missiles visait des bases militaires israéliennes, c’est-à-dire que l’Iran s’est abstenu de viser des centres de population civile. L’attaque n’a fait qu’un seul blessé grave : une fillette de 7 ans originaire d’un village bédouin non reconnu, qui a été blessée par un fragment de missile intercepté par le Dôme de fer (les villages non reconnus, où vivent plus de 100 000 Bédouins arabes dans le désert du Néguev/Naqab, ne sont pas équipés d’abris, ce qui les expose totalement aux roquettes et aux éclats d’obus qui tombent sur eux). Immédiatement après, l’Iran a annoncé qu’en ce qui le concernait, la question était réglée, à moins qu’Israël n’insiste pour exercer de nouvelles représailles.

En janvier, j’ai écrit pour Local Call (le site partenaire hébreu de +972) sur le rôle modérateur de l’Iran dans la guerre, malgré sa rhétorique belliqueuse. Je reste persuadé que l’Iran s’est abstenu d’entrer en guerre, a freiné le Hezbollah et n’a pas fourni le parapluie logistique ou militaire que le Hamas attendait après son attaque du 7 octobre. Selon les estimations des services de renseignement israéliens, le Hezbollah est équipé de centaines de milliers de missiles qui peuvent atteindre Haïfa et les villes situées au sud ; si l’Iran avait intérêt à enflammer la région, il aurait coordonné l’attaque à partir du Liban également, au lieu d’avertir le monde de l’attaque des drones quelques heures avant leur arrivée.

Bien entendu, l’Iran doit répondre de nombreux crimes, notamment de sa politique meurtrière à l’égard du peuple iranien, du traitement des dissident·es·, des exécutions massives à la suite de la manifestation de Mahsa Amini, et d’autres encore. Sur le plan international également, le régime iranien a contribué à l’instabilité dans la région et au-delà : ses guerres par procuration avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis au Yémen, son soutien et sa coopération étroite avec le Hezbollah au Liban, son nouvel amour pour la Russie de Poutine et les progrès inquiétants de son projet nucléaire depuis l’effondrement du JCPOA.

La République islamique ne peut pas se permettre d’agir de la sorte, et la communauté internationale doit lui demander des comptes tout en s’efforçant d’atténuer les sources de tension régionale. Les récents accords iraniens avec l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis montrent comment ces conflits peuvent être désamorcés, et il est essentiel de poursuivre les efforts diplomatiques dans ce sens. Néanmoins, tant que l’assaut israélien contre Gaza se poursuivra, le risque d’une explosion de la région subsistera.

La bonne chose à faire pour Israël est de mettre fin à cette terrible guerre – à Gaza et avec l’Iran. Nous devons parvenir à un accord pour rendre les otages encore en vie, enterrer nos morts, permettre aux Gazaouis d’enterrer leurs morts et commencer à réfléchir à de nouvelles orientations afin d’assurer la sécurité de tous les habitants de la région. Cela exigerait du gouvernement israélien qu’il fasse quelque chose que presque aucun gouvernement israélien n’a fait depuis des décennies : placer notre sécurité au-dessus des colonies et du désir de vivre éternellement par l’épée. L’implication de la Jordanie dans l’interception des missiles iraniens donne un aperçu de ce que pourrait être cet avenir alternatif.

Cet article a été publié pour la première fois en hébreu sur Local Call. Lisez-le ici.

Lior Sternfeld, 16 avril 2024
Le professeur Lior Sternfeld enseigne l’histoire de l’Iran moderne au département d’histoire et au programme d’études juives de l’université de Penn State. Il est l’auteur de « Between Iran and Zion : Jewish Histories of Twentieth-Century Iran ».
https://www.972mag.com/iran-israel-rational-attack-embassy/
Traduit avec DeepL.com (version gratuite)

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Aucune arme israélienne à Eurosatory 2024 !

La nouvelle édition du Salon Eurosatory, un des plus grands salons d’armement au monde, se tiendra du 17 au 21 juin 2024, au parc des expositions de Paris Nord Villepinte. Alors que les entreprises israéliennes « utilisent, de longue date, les territoires palestiniens comme laboratoire à ciel ouvert pour développer de nouvelles technologies militaires et répressives », un ensemble d’organisations demande que soit annulée la venue de l’ensemble des exposants israéliens lors du salon Eurosatory 2024.

La nouvelle édition du Salon Eurosatory se tiendra du 17 au 21 juin 2024, au parc des expositions de Paris Nord Villepinte. Plus de 1800 exposants, 90 pays, 98 000 visiteurs et professionnels sont attendus, et 500 nouveaux produits et systèmes doivent y être dévoilés. Organisé par le GICAT (Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres) et par le Ministère de la Défense, il s’agit d’un des plus grands salons d’armement au monde. En plus d’être une vitrine commerciale de premier plan, Eurosatory offre également à des personnalités politiques et militaires des différents pays représentés l’opportunité de rencontres diplomatiques non-officielles et non médiatisées, lors desquelles des accords peuvent être noués en toute discrétion.

Au 30 mars, parmi les 1550 exposants annoncés, plus de 70 exposants israéliens sont déjà enregistrés. Parmi eux, on retrouve des géants de l’industrie de l’armement israélienne, tels que Elbit Systems, Rafael, ou Israel Aerospace Industries, des entreprises spécialisées dans les technologies de surveillance comme Controp Precision ou Maris Tech mais également le Ministère de la Défense israélien. 

Les entreprises israéliennes utilisent, de longue date, les territoires palestiniens comme laboratoire à ciel ouvert pour développer de nouvelles technologies militaires et répressives. L’industrie d’armement israélienne est florissante, tout comme son industrie de technologies de surveillance et de contrôle. Profitant de son état de guerre permanent, Israël est devenu l’un des principaux exportateurs mondiaux d’équipement militaire. D’année en année, le nombre d’exposants israéliens présents lors des foires internationales d’armement ne cesse d’augmenter.

Après chaque offensive, les ventes d’armes israéliennes s’envolent : les entreprises présentent à la clientèle internationale leurs dernières innovations, vantées comme étant « combat proven », c’est-à-dire testées sur le champ de bataille, lors de situations de combat bien réelles. L’offensive actuelle sur Gaza ne fait pas exception : parmi les entreprises présentes à Eurosatory cette année, on retrouve par exemple Smartshooter, qui a testé cet hiver sa dernière invention meurtrière : le drone sniper Smashdragon.

Outre le fait que les produits exposés par les entreprises israéliennes présentent le risque d’avoir été développés et utilisés dans le cadre d’opérations contraires au droit international, il est également possible que soient présents parmi les exposants eux-mêmes – représentants des firmes d’armement ou personnels militaires faisant partie de la délégation israélienne – des personnes qui ont participé activement à des crimes de guerre commis à Gaza.

La Cour Internationale de Justice des Nations Unies a estimé plausible le risque qu’un génocide soit commis par Israël à l’encontre du peuple palestinien. Dans ce contexte, il est inacceptable que la France offre une telle vitrine à Israël et à ses entreprises d’armement.

Si la présence d’industriels de l’armement internationaux qui vendent actuellement des armes à Israël est en elle-même condamnable, nous exigeons, a minima, du GICAT et du gouvernement français qu’ils prennent leurs responsabilités, et qu’ils annulent la venue de l’ensemble des exposants israéliens lors du salon Eurosatory 2024, comme a décidé de le faire le gouvernement chilien pour l’édition d’avril 2024 de la FIDAE, Foire de l’air et de l’espace de Santiago, et comme cela a été fait pour la Russie depuis l’édition 2022 d’Eurosatory.

Nous appelons toutes les associations, collectifs, syndicats et partis politiques à se joindre à cet appel et à se mobiliser avec nous contre cette présence inacceptable. Aucune arme israélienne à Eurosatory 2024 !

Contact du Collectif : mobilisationeurosatory2024[@]proton.me

Voir la liste des premiers signat sur le site Médiapart
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/200424/aucune-arme-israelienne-eurosatory-2024

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Après avoir soutenu pendant des mois un génocide à Gaza, l’Occident ose invoquer la « retenue »
https://www.chroniquepalestine.com/apres-avoir-soutenu-pendant-des-mois-un-genocide-a-gaza-occident-ose-invoquer-la-retenue/
Ben Gvir : L’exécution de détenus palestiniens est le meilleur moyen de lutter contre la « surpopulation carcérale »
https://www.france-palestine.org/Ben-Gvir-L-execution-de-detenus-palestiniens-est-le-meilleur-moyen-de-lutter
« Déluge d’Al-Aqsa » Jour 196 : les Israéliens ont détruit le système de santé de la bande de Gaza
https://www.chroniquepalestine.com/deluge-dal-aqsa-jour-196-les-israeliens-ont-detruit-le-systeme-de-sante-de-la-bande-de-gaza/

 

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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