Contribuer au réveil de chacun-e dans les domaines cinématographique, social ou culturel

4La classe ouvrière c’est pas du cinéma! Alors, qu’est-ce donc ? La classe ouvrière, ce n’est pas seulement hier, même si conscience de classe suppose conscience d’une histoire. C’est l’histoire de Gabin dans sa locomotive et celle de Lantier dans son puits de mine. Celle de la Commune de Peter Watkins et celle de l’après-Mai 68 de Hervé Le Roux. C’est, aussi, celles du mineur mexicain de Silver City, du docker des quais de Marseille, des ouvrières et des ouvriers de Cellatex. C’est celle de la femme de ménage sans papiers de Los Angeles, celles de Norma Rae et de la caissière d’un supermarché de Gironde. C’est celle du commercial de France Télécom qui se suicide et celle d’Ariane Ascaride dans son HLM. C’est encore celles du traminot de Mexico et de la femme qui a pris la colère. C’est celles de l’ouvrière de Yema et des grévistes de Lip, celles du technicien de chez Dassault et du fondeur de Fumel, du gemmeur de Gascogne et des brûleurs de Tanger… Le cinéma semble depuis peu se préoccuper davantage du « monde de l’entreprise » et satisfaire un désir croissant d’au moins une partie du public.

Alors qu’en est-il ? La réponse, les réponses ne sont-elles pas à chercher dans une profonde mutation de la classe ouvrière d’une part, dans une volonté politique délibérée de nier son existence d’autre part ? Voici de quoi s’interroger, débattre, se mettre en mouvement avec des films, sans se faire de cinéma. C’est ce qu’ont entrepris, en 2004, l’association Espaces Marx Aquitaine et le cinéma Utopia Bordeaux, en inventant les Rencontres cinématographiques « La classe ouvrière, c’est pas du cinéma ». Il était apparu nécessaire aux organisateurs de ces Rencontres de réfléchir sur la place que les « ouvriers », les « travailleurs », ceux de « la base » occupent aujourd’hui, et depuis plus d’un siècle, dans la production cinématographique. Il fallait tenter de répondre à quelques questions. Quelle représentation le cinéma donne-t-il du monde du travail ? Quelle place accorde-t-il au vécu des travailleurs et à leurs luttes ?

Cent quarante films plus tard, davantage d’invités (réalisateurs, critiques, universitaires, militants) pour des débats, renouant avec le meilleur de la tradition des ciné-clubs, avec quelque douze mille spectateurs, les protagonistes de ce « festival qui dit ne pas en être un » ont mis en livre leur plaisir de cinéma, dans la poursuite d’un travail d’éducation populaire (Espaces Marx) et d’une programmation exigeante de chaque jour (Utopia). Un « bilan d’étape » à l’occasion des dixièmes Rencontres, en février 2013.

4Sans partager une vision, qui me semble réductrice, de ce que serait « la classe ouvrière », je ne peux que constater, comme les auteur-e-s, la faible visibilité des salarié-e-s au cinéma, la faible visibilité de toutes et tous les dominé-e-s et de leurs luttes. Sans oublier que bien des films, qui rompent avec ce silence, sont souvent inaccessibles.

Regretter cela, ne signifie pas pour moi, rechercher un hypothétique « courant social du cinéma français » ou amalgamer des succès cinématographiques populaires avec des imaginaires « progressistes ». Les débats sur ces sujets mériteraient d’être développés.

Pour en finir avec les « critiques », je ne partage pas ce que Michel Cadé écrit sur le film de Xavier Beauvois « Selon Mathieu », ni sur l’éventuelle complicité amoureuse versus l’appartenance de classe, ni sur le partage des habitus des couches moyennes (jamais définies).

Quoiqu’il en soit, si la présence de travailleuses ou de travailleurs dans un film ne fait pas toujours sens, elle fait néanmoins « signe ». Et loin des réductions politico-idéologiques, certains films « militants » peuvent être intéressants, non à cause des seules idées développées mais « parce qu’ils sont des œuvres, avec une construction et des images qui leur sont propres, des sons, des voix qui nous touchent, un montage et une atmosphère particuliers ».

J’ai notamment apprécié les articles d’Amal Bou Hachem « Regards de cinéastes sur l’étranger », d’Alain Brossat « Faire peuple de tout bois », de Laurence H. Mullaly « Femmes et cinéastes au Chili » ou l’entretien avec Christian Rouaud « Une façon de dire  »je » ».

Non limité au cinéma, le livre nous parle aussi de « la fermeture des camps d’étrangers », des « mères et pères au travail » dans les livres pour enfants…

Pour réfléchir sur notre mode, ses images ou leur absence…

Espace Marx (Aquitaine-Bordeaux-Gironde) – Utopia-Bordeaux : La classe ouvrière c’est pas du cinéma

Editions Syllepse, Editions Syllepse – La classe ouvrière c’est pas du cinéma, Paris 2013, 128 pages, 10 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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