Le bel instant était passé

4Archives et fictions, Marseille 1920. Marseille comme terre promise, comme terre d’exil. Yvonne Schmitt a vraiment existé. Il en est de même d’Yves Couliou, de Simone Marchand, d’Alfred Soggiu, d’André Robert, d’Albert Polge, de Jeanne Lion, de Cyprien Sodonou, de Gabriel Simplon, de Jean Pisano. Sylvain Pattieu leur redonne vie et couleurs, anime ces « fantômes » enfouis dans « un carton d’archives », leur donne la parole. Il chante cette ville, cette « beauté inédite pour elle, par un ciel bleu à inspirer les peintres », cette ville ou tout paraît possible. Il nous rend les sensations, les odeurs, les violences, les rythmes des dancings, des rues, des prostitutions, des usines, du bagne, des viols ou des bordels ; les espoirs, les amours, les quotidiens d’ouvrier-e-s, de l’anarcho-syndicalisme, ceux des prostituées, appelées ou non demi-mondaines et des proxénètes, des macs, noirs, corses…

L’auteur compose un hier mélancolique dans une première partie « le meurtre » où chacun-e dit sa vie réelle et imaginaire. Les récits s’emboîtent, ritournelles du bonheur et du malheur, faibles se heurtant aux forts, points de vue compatibles ou non, contradictoires ou complémentaires, les quêtes du bonheur.

J’ai particulièrement apprécié la seconde partie « l’enquête », dominée, il me semble, par le « vous » lancinant de Simone Marchand, « Vous vous appelez Simone Marchand et vous êtes vivante. Vous vous êtes accrochée, avec vos doigts, avec vos cris, comme vous vous êtes toujours accrochée à la vie, pourtant elle ne vous a pas fait de cadeaux, si ce n’est ce beau visage, ces gestes gracieux », un « vous » contrastant avec les je des un-e-s et des autres. Comme une accusation parcourant le temps pour nous rejoindre aujourd’hui.

Un meurtre, une enquête et les « prisons 1921-1925 ». Tout se dénoue, partiellement, sans changer l’ordre injuste du monde.

Un livre surprenant, comme ce bonheur, cette pauvre rengaine qui nous attire et nous tourmente, comme ces voix mi-réelles mi-fictions qui peuplent ces jours et ces nuits, comme ces archives policières et ces photographies, comme ce monde disparu et pourtant toujours existant, comme cette ville. « Une cavalcade effrénée sur le trottoir, sauter les marches trois par trois, dans les escaliers de la descente, éviter les costales, arbres, poteaux, passants. Se ruer vers la mer, sentir fort l’air chargé de sel. Tracer son chemin, sans faire attention à rien, ni aux convenances, ni au malheur qui guette. Faire comme si tout était simple ».

Lire aussi, son précédent roman : Les impatientes, Un moment où tout reste possible et où tout est improbable

Sylvain Pattieu : le bonheur pauvre rengaine

La brune au rouergue, 2013, 295 pages, 21,50 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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