« Le « service à la personne » ne reste au singulier que parce qu’il s’agit d’une activité sociale liée à l’espace privé, familial, domestique ; et sa finalité collective ne fait aucun doute… »
Servir. Les emplois de service semblent aujourd’hui s’éloigner de l’ancienne « domesticité ». Hier, aux marges du travail reconnu en tant que tel, aujourd’hui, présentés comme un « gisement d’emploi ».
De « servir quelqu’un-e » à « servir à la personne ». Aujourd’hui, « l’imaginaire de la hiérarchie entre serviteurs et maîtres, servantes et maîtresses est recouvert par la figure du soin et du souci de la personne vulnérable ».
Transformations certes, mais « le réel du service reste bien le même », des tâches classifiées comme domestiques, doublées du lien maintenu et toujours inégal de personne à personne.
Geneviève Fraisse revient, entre autres, dans sa préface à cette réédition de « Femmes toutes mains » sur les combats féministes, sur la dénonciation de l’invisibilité du travail domestique, des emplois subalternes occupés par une majorité de femmes…
Service : tâche matérielle et fonction sociale, l’auteure le souligne « le service signifie à la fois la hiérarchie sociale, le lien ou le rapport entre les personnes, en même temps qu’un exercice intime de la tâche domestique, ménage, cuisine, soin aux enfants. Hiérarchie, dépendance, intimité, le mélange est difficile à appréhender. De ce point de vue, « l’emploi de service » classique et le « service à la personne » dans sa nouveauté sociale parlent bien, malgré le changement de perspective, de la même chose ».
Du « service » au « Care », nouveau paradigme du service.
Pour l’auteure, « le service est un poste d’observation sociale, le service pose une énigme à l’émancipation des femmes », parce que Geneviève Fraisse n’oublie ni la matérialité des corps, ni la prise en compte de cet espace particulier qu’est l’espace familial, ni l’intimité des besoins ou la saleté du ménage, parce qu’elle garde, au centre des réflexions, les contradictions qui pèsent sur les femmes, celles liées à « la double vie des femmes ». Le service est donc à la fois une question et un problème : « une question qui serait celle de l’utopie, utopie du lien entre les corps, entre les personnes, entre les corps des personnes ; et un problème, celui qui énoncé le difficile, la difficulté de l’égalité entre ces corps, entre les sexes, entre leurs places sociales ».
Sommaire :
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Service ou servitude
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Une maison à l’envers
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Une bonne foi féministe
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Les femmes à tout faire
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Apparaître au grand jour, travailler à l’ombre
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La double incompétence et la stratégie inefficace
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Travailler en famille, travailler en société
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La vie de famille sous la bourgeoisie
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Des jeunes filles seules
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Amies et ennemies
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Les vies parallèles
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Des luttes ignorées
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Le chemin de la guerre
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Le combat dans le crime
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Des travailleuses normales, des luttes normales
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La Multiplication des femmes
Suzanne Ascoët ou la lutte singulière d’une employée de maison, entretien publié en 1979 dans Les Révoltes logiques ;
Pour n’oublier ni l’histoire de la « domesticité », ni la distance/proximité du « tiers domestique d’un ménage bourgeois » et de la « ménagère », ni le droit de questionner des femmes « sur leur pouvoir d’employeuses » en n’omettant pas de s’adresser aux hommes, qui ne sauraient être considérés, comme étrangers, dans l’ignorance de cette situation dont ils sont largement bénéficiaires ; ni la gratuité du travail ménager couplé à « la valorisation démesurée des sentiments maternels et conjugaux » ; ni les différentes luttes des femmes contre ces situations. « Double journée de travail, double femme à tout faire, bien souvent la femme ne cesse d’être au service du monde ».
Quelques citations choisies très subjectivement :
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« si la femme du foyer accomplit elle-même le travail ménager, on dit qu’elle « ne fait rien » professionnellement parlant, son travail a la transparence que l’absence des autres membres de la famille lui suppose. Si cette même femme « se fait aider », comme ont dit, le travail domestique est, cette fois, rendu tangible et apparent parce qu’il devient salarié ; mais c’est la personne et non plus le travail qui devient invisible »
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« Une besogne interminable devient un travail compté en heures ou à la tâche »
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« l’appréhension du travail domestique comme un processus de production, analysable comme tel, est un acquis récent du mouvement féministe »
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« Parce qu’il s’agit de la crasse mais surtout parce que c’est une crasse privée, dont les femmes ont la charge d’en débarrasser les autres »
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« Le syndicat a brisé l’isolement par la rencontre de travailleuses solitaires. Mais il n’est pas qu’un oasis de liberté ; il permet d’intervenir, à plusieurs, dans une situation individuelle »
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« Ceux qui prônent la diversité des fonctions naturelles suivant le sexe sont très forts pour vouloir croire à une égalité réelle (dans la différence) lorsque, par ailleurs, ils s’offrent des bénéfices très matériels de ce partage des tâches ».
Comment penser les libérations, les émancipations, sans s’interroger sur les divisions sexuées et sexuelles du travail, sans questionner le cœur même de « la vie privé » et de ses espaces ?
Parmi les ouvrages de l’auteure, voir aussi :
La fabrique du féminisme. Textes et entretiens, Le passager clandestin 2012, La surdité commune à l’égard du féminisme est comme une « ritournelle » ; ainsi que différents textes :
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le « sans conclure » de l’auteure au Le féminisme à l’épreuve des mutations géopolitiques (Sous la direction de Françoise Picq et Martine Storti, Editions iXe, 2012) L’identité, définie une fois pour toutes, n’est qu’une fiction
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Voir et savoir la contradiction des égalités, Voir et savoir la contradiction des égalités
Geneviève Fraisse : Service ou servitude. Essai sur les femmes toutes mains
Publié en 1979 aux Editions du Seuil, réédition Le bord de l’eau, 2009, 275 pages, 22 euros
Didier Epsztajn
Une continuité dans « le service à la personne », il est toujours dévolu aux femmes,comme si nous avions reçu le gêne des tâches ménagères.