Dimitris Psarras, Le livre noir d’Aube Dorée

9Dimitris Psarras, Le livre noir d’Aube Dorée, Syllepse, 2014 (gr-fr) (à paraître)

(Δημήτρης Ψαρράς, Η μαύρη βίβλος της Χρυσής Αυγής. Ντοκουμέντα από την ιστορία και τη δράση μιας ναζιστικής ομάδας, Πόλις, 2012)

 6[pour plus d’informations, veuillez consulter le site web de Syllepse]

Ici, un  extrait du premier chapître :

1. Une «Phalange» transformée en parti politique

(Prolégomènes à un cauchemar)

Il nous a fallu deux élections à quelques semaines d’intervalle pour digérer ce qui peu de temps auparavant relevait de l’impensable. La Grèce est devenue le premier pays d’Europe à accueillir dans son Parlement un parti politique ouvertement nazi ayant obtenu le score non négligeable de 7% des suffrages exprimés.

Le brouillard qui avait couvert le pays pendant trois ans, depuis l’éclatement de la crise économique et l’application par les gouvernements d’une politique antisociale inédite au nom du « Mémorandum », s’accouplait avec la nuée noire d’une organisation politique qui fait d’Adolf Hitler son idole et de la violence de la rue sa méthode d’ascension nationale.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment la Grèce, qui se vantait de sa tolérance et de son hospitalité traditionnelle, a-t-elle fini au dernier rang des sociétés européennes les plus xénophobes ? Comment cette extrême droite grecque, décriée et marginale il y a quelques années encore, parvient-elle à présent à dicter l’agenda politique en imposant ses choix radicaux au système partisan ? Comment avons-nous pu oublier la dictature ? Comment est-il possible que des citoyens de Distomo et de Kalavryta1 votent pour un parti nazi ? Comment est-il possible que nous tolérions la dérision de l’Holocauste dans un pays dont l’écrasante majorité des citoyens juifs a été exterminée dans les camps de concentration ?

Les questions sont nombreuses et la réponse difficile. Dans ce livre, je tenterai d’apporter une première analyse du phénomène Aube Dorée en m’appuyant sur les éléments d’une enquête journalistique. Nous allons voir que cette organisation a revêtu des formes multiples depuis sa première apparition publique. Pourtant, pendant trois décennies, son noyau dur est resté invariable et son chef de file est aujourd’hui le dirigeant le plus pérenne de l’histoire des formations politiques grecques.

Nikolaos Michaloliakos avait 19 ans lorsqu’il a été accusé pour la première fois d’avoir commis un acte illégal. Mais quand son sous-chef, à la tête d’une phalange de dix membres de l’organisation, a mené une tentative d’assassinat contre trois syndicalistes étudiants, Michaloliakos avait 41 ans. Et quand la Cour de cassation a confirmé la condamnation du principal auteur de cet acte, le chef d’Aube Dorée avait déjà atteint l’âge de 53 ans. Au cours de ces années et malgré quelques modifications ou plutôt quelques travestissements organisationnels, l’orientation de l’organisation est restée inflexible et basée sur les mêmes principes idéologiques et politiques.

Cette orientation est facilement repérable dans les documents et le matériel de l’organisation. Cependant, personne ne semble être disposé à affronter cette organisation telle qu’elle est réellement. Sous le choc que son score électoral a provoqué au système politique et médiatique, tout se passe comme si l’Aube Dorée nous a tous hypnotisés, nous amenant une fois de plus à nous cacher la tête dans le sable. Aussi bien dans le cas du LAOS de Karatzaferis2 après 2004 que dans celui d’Aube Dorée, nous sommes tous prêts à reconnaître ou au moins à discuter de la possibilité que l’organisation nazie n’ait pas complètement tort. Certains affirment qu’en dernière analyse, elle exprime d’une manière originale la réaction du peuple face aux mesures inhumaines imposées par le gouvernement et la Troïka. D’autres se déclarent stupéfaits des performances médiatiques de l’organisation quand, par exemple, elle organise des distributions des vivres ou des banques du sang « que pour les Grecs ».

Notre point de départ est tout à fait différent. Nous considérons que la transformation en parti politique bienséant d’un groupe nazi qui a fait l’objet de plusieurs décisions de justice irrévocables à la suite d’agressions visant l’«ennemi intérieur», relève d’un grand scandale politique. Si nous dressons ici un inventaire détaillé de l’idéologie et de l’action d’Aube Dorée, c’est pour décrypter ce qui se cache derrière les tee-shirts noirs et les gros bras des bataillons d’assaut de cette organisation.

Les éléments contenus dans ce livre s’appuient en grande partie sur les enquêtes et les reportages effectués par l’équipe des journalistes «IOS» et publiés pendant vingt ans par le journal «Eleftherotypia» (1990-2010). Sans la contribution de Tasos Kostopoulos, Dimitris Trimis, Aggelika Psarra et Anta Psarra, il aurait été impossible d’avoir aujourd’hui une vision complète du parcours de l’extrême droite national-socialiste grecque. Nous avons tous et toutes partagé la même angoisse à propos du développement tant souterrain que public du discours raciste et nazi, suivi d’ailleurs, à partir d’un certain moment, d’actes de violence, voire d’une violence extrême. Tasos a eu le regard propre à l’historien des mouvements d’extrême droite depuis l’entre-deux-guerre à nos jours ; Dimitris a souvent été chargé des reportages les plus difficiles sur les zones d’ombre de cette affaire ; Aggelika a su appréhender le fascisme là où nous, les autres, n’arrivions pas forcément à nous en apercevoir. Quant à Anta, qui n’a jamais cessé de révéler l’action multiforme des nazis, il m’est très difficile de décrire tout ce que ce livre et son auteur lui doivent.

Plusieurs fois au cours de ces dernières années nous avons eu le sentiment d’être seuls à explorer la thématique en question. Certains nous ont accusés d’«obsession antifasciste» et ils ont eu peut-être raison. Malheureusement, cette «obsession» semble aujourd’hui justifiée.

Panos Angelopoulos

http://pangelopoulos.wordpress.com/2013/10/09/dimitris-psarras-le-livre-noir-daube-doree/

1 N.d.T., La petite ville de Kalavryta et le village de Distomo ont été des lieux de crimes de guerre nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Les troupes d’occupation y ont perpétré des massacres de la population civile en représailles à des attaques partisanes. À Kalavryta, le 13 décembre 1943, toute la population mâle, âgée de 12 ans et plus, estimée à plus de 700 hommes, a été tuée par des mitrailleuses à la sortie de la ville et la ville a été entièrement incendiée. À Distomo, le 10 juin 1944, 218 hommes, femmes et enfants ont été tués par les troupes Waffen-SS pendant une opération sommaire de porte-à-porte.

2 N.d.T., L.A.O.S. (Laïkos Orthodoxos Synagermos : Alerte populaire orthodoxe) est un parti politique grec d’extrême droite souverainiste, fondé en 2000 par Georgios Karatzaferis, membre exclu du parti de droite Néa Dimocratia (N.D. : Nouvelle Démocratie). Aux élections législatives de 2004, le LA.O.S. a réalisé 2,20 % des suffrages sans obtenir de députés au Parlement. Aux élections législatives de 2007, il a recueilli 3,8 % des suffrages en emportant 10 sièges au Parlement. Lors des élections législatives de 2009, il a obtenu 5,63 % et 15 députés. Le 11 novembre 2011, le LA.O.S. a participé avec le PASOK et la ND à la coalition gouvernementale du gouvernement Papadimos. Aux élections législatives de 2012, il a perdu tous ses sièges au Parlement, n’obtenant que 2,9 % des suffrages exprimés.

Voir note de lecture : L’idée de la différence nationale raciale est un corollaire nécessaire à l’inégalité sociale

 

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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