Retraçant la vie de V. S., Zsuzsa Rakovszky choisit un style romanesque résonant avec l’environnement du dix-neuvième siècle.
Mémoires, long récit du passé, confrontation avec la justice et l’expertise, un homme affirme son identité, ses choix « Je veux signifier à travers ma tenue qui je suis et pour qui j’entends qu’on me prenne ! »
Dire le passé et pudiquement se retenir sur le présent de tendresse, d’amour « Mais je ne souhaite pas livrer à la merci du regard froid de l’analyse scientifique le sentiment encore vivant qui me lie à une fem… à Mlle Engelhardt, au même titre que je ne voudrais pas m’allonger vivant sur une table d’autopsie ! ».
Dire l’espérance, contre la stigmatisation et la classification de celles et ceux qui inventèrent deux « sexes » pour restreindre la liberté « J’ai toujours eu la conviction qu’elle serait celle qui permettrait à mes rêves de passer de leur château de brume au monde réel, au monde peuplé d’êtres humains réels qui vivent en harmonie avec la société et l’ordre de la nature, et qu’à ses cotés, grâce à elle, je deviendrais aussi un tel être ».
Contre la parole médicale et ses classifications, le cri « Me débarrasser ? Demanda-t-elle, incrédule. Vous vous prenez pour Dieu le père ? »
Un homme, un être humain refuse l’identité et le genre assignés, malgré les réactionnaires d’hier ou d’aujourd’hui qui veulent le considérer comme une femme…
Un roman sur le soi, construit ou choisi, sur le refus d’une « normalité » socialement et humainement destructrice, un livre dans le souffle du printemps des peuples de 1848, « mon père et mon précepteur sont restés jusqu’au bout des adeptes inébranlables des idées de 48 ».
Et derrière ce langage d’un siècle passé, l’affirmation moderne du « genre » contre la fantasmatique et oppressive invention d’une bi-catégorisation femme /homme…
« Les reflets d’or d’une vitre à flanc d’éminence
Me font des signes engageants dans le brouillard,
Comme si la vie – le bonheur, la souffrance –
m’attendait encore et qu’il n’était pas trop tard. »
Zsuzsa Rakovszky : VS
Traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba
Actes sud, Arles 2013, 409 pages, 23 euros
Didier Epsztajn