Alors ce jour-là on peut le dire, oui, la beauté est dans la rue

cache_34008920« C’est ici le pays du cheveu, de l’ongle, du soin à petit prix. On tend ses mains et ses doigts, on abandonne sa tête, on confie son apparence à ces boutiques qui ne brillent pas par ça, l’apparence ».

50 boulevard de Strasbourg, Paris Xème arrondissement, métro Château d’Eau.

A coté, des Africaines, « terme vague pour désigner des femmes noires originaires de l’Ouest du continent », des hommes « désignés comme indiens », un auteur « le marseillais »…

Des mondes, le monde dans un coin de la ville. « Parapluie et machine à coudre sur la même table de dissection. Alliance improbable pour ne pas se laisser faire. Conjonction non pas astrale mais économique, politique, sociale ».

10 février. La grève commence. Le surgissement de l’inédit. « Dorénavant et en conséquence, par décret extraordinaire voué à servir d’exemple, le féminin l’emportera, dans ce livre ». Des grévistes. Des femmes grévistes. Des femmes « chinoises ».

L’autre monde du travail. « Ici c’est simple : pas de Code du travail. Horaires flexibles au maximum, salaires au compte-gouttes, de temps en temps, pas d’hygiène, pas de sécurité. Un rapport patron-salarié sans filet, sans règle formelle, sans syndicat ».

50 boulevard de Strasbourg. Des bras croisés, premiers gestes du refus, les corps de la grève. Le patron disparaît.

Les bras se décroisent, la grève prend une autre forme, une forme active. Affirmation, savoir faire, savoir être, « bras actif pour faire tourner la boutique, à la place du patron absent, pour alimenter la caisse de combat ». Travailler sans patron et faire grève pour demander, exiger des papiers. Des papiers…

Sylvain Pattieu fait récit, entre « beauté et émancipation ». Un récit de ces femmes, de leurs paroles et de leurs gestes, du quartier, de la solidarité, de l’accompagnement syndical…

« Château-d’Eau zone de non-droit, comme on dit des cités terribles. En plein cœur de Paris. Non-droit du travail. Non-droits humains. Sous le regard de tous »

Un récit chaleureux, qui n’en reste pas à la surface des ongles ou des cheveux. L’auteur nous entraine sur ces chemins qui tissent les existences. Des contrées, proches ou distantes. Les mots, les phrases sur la beauté, la dignité, « se faire une armure pour se garder du reste, de tout ce qui cloche et qui fait mal », les mots, les existences de ces femmes, les pays, les familles, les vies, la grève.

Et l’industrie du cheveu en Inde, la précarité des secteurs économiques non délocalisables, l’histoire des ongles artificiels, celle des luttes des sans-papier-e-s, l’histoire de celles qui ne voient pas grandir, ne voient pas vieillir, celles et ceux resté-e-s « au pays »…

Travailleuses immigrées, immigrées, clandestines, sans papières. Déclinaison dévalorisante, stigmatisation et naturalisation de situations voulues par les pouvoirs dit publics… STOP. Maintenant et ici, GREVE de travailleuses sans papiers, travailleuses, travailleuses immigrées sans-papiers.

« Il y aura peut-être une autre boutique. Sûrement, on peut dire.

Il y aura d’autres grèves encore.

Il y aura des anciens sans-papiers devenus travailleurs. Des anciens sans-papiers devenus citoyens…

.

Il y a ces sept qui se sont battues.

Il y a ces sept qui ont gagné »

Du même auteur :

Le bonheur pauvre rengaine, La brune au Rouergue 2013, le-bel-instant-etait-passe/

Des impatientes, La brune, Editions du Rouergue 2012, un-moment-ou-tout-reste-possible-et-ou-tout-est-improbable/

Sylvain Pattieu : Beauté parade

avec la participation de Ya-Han Chuang

Editions Plein Jour, Paris 2014, 214 pages, 18 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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