Asymétrie des processus de féminisation et de masculinisation

couverture_inversion_du_genreFemmes pompiers ou médecins, cadres d’entreprise, magistrates, conductrices de bus ou de camions, peintres en bâtiment ou carreleuses… mais aussi hommes sages-femmes ou caissiers de supermarché, infirmiers, assistants sociaux ou instituteurs en école maternelle : autant d’exemples de l’avancée en mixité dans des bastions longtemps monosexués. La mixité n’est donc pas seulement une question de co-présence de femmes et d’hommes dans différents espaces sociaux. Elle se traduit aussi par la fin de l’exclusivisme de genre attaché à certains métiers.

Il est certes important d’en prendre la mesure précise, statistiques à l’appui, mais une évaluation chiffrée ne saurait suffire pour comprendre ce qui se joue dans ces situations atypiques. Le même métier est rarement exercé dans les mêmes conditions, de travail, de rémunération, de promotion selon qu’il l’est par un homme ou par une femme. Des travaux qualitatifs fins et diversifiés, tels ceux qui sont présentés dans cet ouvrage, permettent d’observer par le menu ce qui se transforme, ce qui résiste, ce qui se recompose, dans le but de saisir le sens des logiques sociales complexes qui sont à l’œuvre.

Parler d’inversion du genre à propos de ces situations et positions non traditionnelles, c’est donc moins décrire une situation que poser la question de savoir dans quelle mesure l’inversion des positions sexuées est de nature à remettre en cause les processus de catégorisation et de hiérarchisation que désigne le concept de genre.

Dans leur introduction générale, Yvonne Guichard-Claudic, Danièle Kergoat et Alain Vilbrod interrogent « Que se joue-t-il dans ces parcours et positions atypiques qui posent la question d’une éventuelle « mobilité de genre » au regard des normes actuellement en vigueur dans nos sociétés en matière de division sexuelle du travail ? ». Elles et ils expliquent, entre autres, le titre et le sous-titre de l’ouvrage, indiquent que « Par genre, nous entendons le processus de construction sociale de la différence des sexes, en tant qu’il est producteur à la fois de catégorisation et de hiérarchisation sociales ».

Les auteur-e-s ajoutent : « Pour nous, parler d’inversion du genre, c’est moins décrire une situation que poser la question de savoir dans quelle mesure l’inversion des positions sexuées, dans l’univers professionnel mais aussi dans la sphère privée, est de nature à remettre en cause les processus de catégorisation et de hiérarchisation que désigne le concept de genre. C’est moins établir un constat que faire l’hypothèse qu’en transgressant les orientations genrées en termes de métiers et/ou de positions professionnelles et personnelles, femmes et hommes bousculent les définitions traditionnelles des catégories sexuées et créent un contexte favorable à un déplacement des frontières, à des redéfinitions, voire à une certaine mobilité de genre ».

Elles et ils parlent, entre autres, de division sexuelle de travail, de rapports sociaux de sexe, d’impensés des visées égalitaires contemporaines, d’expériences professionnelles et privées, de connotations féminines et masculines, d’avancée en mixité, de logiques sociales complexes, de naturalisation de « savoir-faire sexué », de différenciation et de hiérarchie des catégories, d’asymétrie dans les constructions sociales de féminisation et de masculinisation, de menace vécue par les hommes, de recomposition des différences sexuées, de peur ou de tabou de l’indifférenciation entre les sexes, de l’idéologie de la complémentarité, de clivage sexué des catégories socioprofessionnelles, de mixisation et de recomposition de la division sexuelle du travail, de mécanismes subtils de reproduction sociale, de trajectoires professionnelles et/ou atypiques…

Les auteur-e-s portent aussi les regards « du coté de la vie privée », et soulignent la non-indifférenciation des « attributions », parlent, entre autres, de l’importance des temporalités, des articulations vie privée – activité domestique – activité professionnelle, d’effets de seuil…

« La mixité est un processus et non un donné qui contribuerait mécaniquement à l’égalité des sexes. La convergence entre mixité et égalité est encore largement à construire »

Deux citations reprises par des auteur-e-s :

* Nicole-Claude Mathieu : « La transgression d’une norme n’est pas obligatoirement la subversion d’un système de pensée »

* Christine Delphy : « Si les femmes étaient les égales des hommes, les hommes ne seraient plus les égaux d’eux-mêmes ; pourquoi les femmes ressembleraient-elles à ce que les hommes auraient cessé d’être »

Un ouvrage important pour au moins plusieurs raisons :

  • Les différentes analyses présentent des facettes et des conséquences des nouvelles mixités au travail, à travers des exemples concrets,

  • Le tableau d’ensemble fait ressortir des agencements et réaménagements hiérarchiques de la division sexuelle du travail, des modalités de la domination du groupe social des hommes sur le groupe social des femmes, des privilèges et des résistances des hommes aux changements, etc…

  • Le temps, les organisations, les espaces sont genrés, il n’y a pas de rapports sociaux « asexués »… Les articles participent à souligner l’illusion de la « neutralité »

  • Il ressort, me semble-t-il, une confirmation, si besoin en était, de la connaissance des hommes de la domination qu’ils exercent et des voiles utilisés (naturalisation, essentialisation, violences…). Les « hommes » se construisent dans des processus de socialisation plus ou moins violemment contre les « femmes ».

  • « Les femmes résistent à la résistance des hommes ». La construction/invention des espaces du possible, des pistes pour l’égalité réelle se forment dans cette résistance…

Table des matières

  • Yvonne Guichard-Claudic, Danièle Kergoat et Alain Vilbrod : Introduction générale

Première partie : Des trajectoires sexuées dans l’accès et le maintien en position atypique

  • Erika Flahault et Simone Pennec : Introduction

  • Thomas Couppié et Dominique Epiphane : Hommes et femmes minoritaires dans leur profession : le bonheur à quel prix ?

  • Clotilde Lemarchant : Unique en son genre… orientations atypiques de lycéens et lycéennes au sein de filières techniques et professionnelle

  • Nicolas Divert : Les formations aux métiers de la couture : des stéréotypes de sexe aux stéréotypes de sexualité

  • Sonia Lefeuvre, : Poursuite d’études et engagement conjugal en situation d’hypogamie

  • Annie Rieu, : Agriculture : un métier masculin investi par les femmes

Deuxième partie : Quand l’avancée en mixité est le fait des femmes

  • Roland Pfefferkorn : Introduction

  • Anne-Catherine Rodrigues : Conducteur et conductrice de poids lourds

  • Guillaume Malochet : Surveillantes surveillées : la mixité au travail dans les prisons pour hommes

  • Djaouida Séhili : « Egal ne veut pas dire semblable… » Comment les entreprises interprètent l’inversion du genre

  • Line Chamberland et Johanne Paquin : Sexisme et hétérosexisme : l’expérience de travailleuses lesbiennes exerçant des métiers traditionnellement masculins au Québec

  • Caroline Chimot : Le genre dans les fédérations sportives : les carrières des femmes cadres techniques

  • Béatrice de Gasquet : « Madame le rabbin » ou « Pauline » ?Une pionnière entre stratégies de neutralisation et marges d’autonomie

  • Nathalie Lapeyre, : Les temporalités sociales des femmes et des hommes architectes en France

Troisième partie : Quand l’avancée en mixité est le fait des hommes

  • Nicky Le Feuvre et Jacqueline Laufer : Introduction

  • Nicolas Murcier : Petite enfance et rapports sociaux de sexe : la formation des professionnel(le)s de la petite enfance, idéologies et représentations sociales

  • Philippe Charrier : Des hommes dans une profession « traditionnellement » féminine : choix professionnel et dénomination chez les hommes sages-femmes

  • Yveline Jaboin : La construction de l’identité professionnelle masculine dans un secteur en voie de mixité : le cas des hommes enseignant à l’école maternelle

  • Claudine Philippe : Le conseil conjugal et familial au masculin

  • Florence Douguet et Alain Vilbrod : Les infirmiers libéraux : singularité des trajectoires professionnelles et des pratiques de soin

  • Hélène Trellu : Quand la femme fait carrière et l’homme est au foyer…

Quatrième partie : Les définitions du genre et leurs enjeux en situation d’inversion

  • Catherine Marry : Introduction

  • Nicky Le Feuvre : La féminisation des anciens « bastions masculins » : enjeux sociaux et approches sociologiques

  • Stéphanie Gallioz : Etre femme et entrer dans le secteur du bâtiment : recherche de l’exception ou acte de folie ?

  • Fabienne Malbois : Quand l’agricultrice est un éleveur ou la mixité en question

  • Marc Bessin : Les hommes dans le travail social : le déni du genre

  • Emmanuelle Lada : Le genre en pratique et pratiques du genre : des hommes dans des emplois de service dits « de femmes »

  • Armelle Testenoire : Carrières féminines, résistances masculines : couples à hypogamie féminine

Sous la direction de Yvonne Guichard-Claudic, Danièle Kergoat et Alain Vilbrod : L’inversion du genre
Quand les métiers masculins se conjuguent au féminin… et réciproquement
Presses Universitaires de Rennes 2008, 402 pages, 22 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

3 réflexions sur « Asymétrie des processus de féminisation et de masculinisation »

  1. La notion de genre qui prétend aller au delà de la différence sexuelle, finit par renvoyer au masculin et à une nouvelle fois engloutir le féminin

  2. Pourquoi s’obstiner à faire subsister la notion subjectiviste de genre, qui a amplement démontré qu’elle ne servait à rien pour changer l’ordre masculinotrope des choses, et surtout qui renaturalise et réobjectivise celle de sexe, alors que nous étions, il y a trente ans, sur le point d’une échappée qu’aurait constitué l’approche du sexe, sous toutes ses formes, comme rapport social, à critiquer en tant que tel (Mathieu) ?

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