Évolution et segmentation du salariat – Évolution des entreprises et de la société

Avec l’aimable autorisation de la revue ContreTemps


couv contre-tempsEn trente ans, le capitalisme français a profondément évolué, en lien avec la « globalisation » financière : formation de grands groupes internationalisés, dispersion des centres de production, internationalisation poussée de l’actionnariat, soumission du tissu de PME, désindustrialisation partielle, mais aussi nouvelles organisations du travail, nouvelles contraintes opérationnelles, évolution des qualifications et des technologies, nouvelles divisions au sein du travail. Et, bien sûr, la constante d’une précarité croissante et d’un chômage de masse.

Aux évolutions séculaires du capitalisme, à ses paradigmes permanents (dont l’expansion de la marchandise, la concentration et l’internationalisation des flux financiers) se sont ajoutées des accélérations soudaines, des formes inédites d’organisation productive, des configurations nouvelles dans la longue histoire de l’accumulation et de la formation du profit. Celle-ci se réalise au niveau mondial, les grandes firmes répartissant leurs actifs et pondérant leurs activités au niveau mondial pour doper leurs résultats.

La « nouvelle frontière » n’est pas été simplement celle de la Chine et de l’Europe de l’Est. Elle a aussi pris la forme de l’Union européenne, de l’euro, de la réorganisation planétaire de la chaîne productive. Tout cela s’ouvrant sur une modification de la division internationale du travail et sur une évolution du salariat d’un pays comme la France.

Si les grands traits du capitalisme n’ont sûrement pas changé, leur mise en musique a été profondément modifiée jusqu’à déstabiliser les vieilles puissances économiques, à remettre en question le pouvoir financier absolu des puissances impérialistes historiques, et à faire naître un capital financier planétaire ainsi que de nouvelles puissances économiques. En France, les fameux « champions nationaux » se sont hissés au rang de prédateurs mondialisés pour ne plus être souvent que des groupes apatrides, suffisamment forts pour faire des pieds de nez au pouvoir politique, au grand dam des nostalgiques qui ressassent, chacun à sa manière, un vieux « produisons français ».

Même dans le travail militant quotidien, le décor a changé, puisque la concentration financière s’accompagne d’une décentralisation productive toujours plus impressionnante, isolant et fractionnant les salariés selon une multitude de segmentations géographiques et opérationnelles, impactant les consciences et les formes d’organisation collective et le terrain syndical.

Se mettre en phase avec le réel

Appréhender les nouveaux impératifs du capital et le remodelage induit du salariat constitue un travail difficile, qui conduit à remettre en question des approches anciennes devenues obsolètes. Les retards à l’allumage trop prononcés conduisent à l’impuissance. La crise du mouvement syndical et particulièrement de la CGT n’est-elle pas le fruit de tous ces trains manqués ? Le fait que l’extrême gauche a stagné depuis la fin des années 1970 et n’a jamais surmonté sa marginalité sociale n’est-il pas en partie lié à ces retards ? Il ne s’agit pas d’une question de définition, de classification ou de sémantique. C’est l’intervention politique au sein du salariat qui est en jeu ici.

La segmentation du salariat, son éclatement objectif selon les branches d’activité, les qualifications, les techniques employées ont constitué un problème constant. Les questions que nous nous posons ne sont donc pas propres à la période actuelle. Mais de toute évidence nous atteignons aujourd’hui un point où les différentes conditions salariées se sont complexifiées. Le problème ne se posait pas de la même manière quand ce salariat était composé d’une écrasante majorité d’ouvriers d’usine et d’ouvriers agricoles, et d’une grande majorité d’hommes. La centralité de « l’ouvrier » était le fruit de sa prépondérance démographique et le produit d’une longue histoire politique. À l’échelle de nos générations, les choses se sont rapidement modifiées. N’y eut-il pas, juste après 68, des discussions pour savoir si les « cols blancs » et les « blouses blanches » des nouveaux secteurs industriels, qui avaient eux aussi occupé leurs entreprises, faisaient partie de la classe ouvrière « productive » ou d’autre chose ?

Bien que la segmentation du salariat ait toujours été une donnée objective ayant des conséquences pratiques, le découpage du salariat en sous-classes a été un produit assez constant des courants ouvriéristes (qu’ils aient été staliniens ou autres). Leurs raisonnements avaient la propriété d’être réversible : « la petite bourgeoisie ou l’aristocratie ouvrière commencent là où je n’arrive pas à m’implanter ». L’idée qu’une petite bourgeoisie latente existe au sein du salariat, toujours susceptible de s’allier aux classes dominantes ou de défendre l’ordre existant est dangereuse et crée de la confusion. Car n’en est-il pas de même quand une partie des ouvriers votent massivement pour la droite ou l’extrême droite ? Classifier objectivement le salariat est une impasse. La multitude des situations, des formes de travail et des expériences n’est pas antinomique avec le dénominateur commun de l’exploitation.

Il n’est pas question ici de dresser une typologie exhaustive de l’organisation du travail, mais de comprendre la nouvelle diversité des relations au travail et du statut salarial que peut engendrer le capitalisme contemporain. Dit autrement, quels sont les facteurs qui nous ont éloignés de la configuration des années 1960/1970, facteurs objectifs qui ont peut-être contribué à l’impasse politique de la gauche anticapitaliste et à la crise du mouvement syndical ?

Si le salariat est ultra majoritaire dans nos sociétés, s’adresse-t-on à toutes et à tous et surtout comment ?

Sommaire :

1- Écarts grandissants entre emplois précaires et qualifications

2- Massification des cadres, leur rôle croissant dans la production de valeur

3- Le patrimoine comme facteur de clivage

4- Segmentation productive et fractionnement du salariat

5- La division par le genre

6- Un droit social diviseur

7- Fractionnement socioprofessionnel et division syndicale

Et donc ?

Lire la totalité du texte : Claude Gabriel Salariat

Claude Gabriel

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Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

2 réflexions sur « Évolution et segmentation du salariat – Évolution des entreprises et de la société »

  1. Vous n’allez pas nous faire gober la légende que le fait que la classe ouvrière ne soit pas composée majoritairement d’hommes aient eu un effet négatif sur la classe ouvrière ! C’est dit d’une façon alambiquée mais le sens de cela est que la féminisation a eu des effets négatifs sur la classe ouvrière. Je m’inscris en faux !

    1. je ne pense pas que cela soit la lecture de Claude Jacquin
      une partie du mouvement syndical s’est longtemps battu contre le travail salarié des femmes
      d’où la légende d’une classe ouvrière uniquement « mâle »
      la féminisation des salarié-e-s n’a pas donné lieu, sauf exception et hors des luttes des femmes elles-même, à des campagnes de syndicalisation, à la prise en compte des revendications spécifiques et à la modifications des revendications « universelles » ou unifiantes
      cela explique aussi la baisse d’influence des organisations syndicales

      contrairement aux légendes les femmes ont toujours travaillé
      la classe ouvrière n’a jamais été uniquement composé d’hommes, de « nationaux », etc…

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