L’argumentation queer en faveur d’une décriminalisation de la prostitution et du proxénétisme ne résiste pas à un examen minutieux

La prostitution profite aux hommes qui souhaitent coloniser le corps des femmes, alors que la capacité d’échapper à la contrainte à l’hétérosexualité concerne la liberté personnelle de définir sa propre sexualité.

Au cours des dernières décennies, des campagnes dites de « droits des travailleurs du sexe » visant à décriminaliser le proxénétisme et l’achat de sexe se sont greffées aux luttes de libération des lesbiennes et des gais (ou, si vous souhaitez être à la mode, de la constellation LGGBDTTTIQQAAPP). Il est logique à bien des égards que le mouvement pro-prostitution se présente comme faisant partie d’une fière campagne de justice sociale, puisqu’il contribue à perpétuer le mythe selon lequel la prostitution est libératrice.

J’ai entendu plusieurs fois des lobbyistes pro-prostitution comparer la campagne visant à légaliser le proxénétisme, la tenue de bordels et l’achat de sexe, avec la campagne qui a remporté, en 1967, une décriminalisation partielle des actes homosexuels au Royaume-Uni. En tant que lesbienne qui ne m’est jamais cachée et qui en est fière, je trouve cette analogie aussi offensante que traîtresse. La prostitution profite aux hommes qui souhaitent coloniser le corps des femmes, alors que la capacité d’échapper à la contrainte à l’hétérosexualité concerne la liberté personnelle de définir sa propre sexualité.

Le féminisme libéral (celui des « fun feminists ») appuie depuis longtemps le lobby de la prostitution. Il le fait en accordant foi aux mensonges selon lesquels la prostitution peut être « sexuellement libératrice » pour les femmes et en tentant de s’associer, d’une façon ou d’une autre, à d’autres campagnes critiques du contrôle patriarcal de notre corps. Par exemple, la Sex Workers Alliance of Ireland (Alliance des travailleurs sexuels de l’Irlande) a prétendu tout de go l’an dernier qu’il existait un alignement étroit entre le mouvement pro-choix et la campagne visant à décriminaliser le proxénétisme et l’achat de sexe. L’argument utilisé par la SWAI était que les deux concernent l’autonomie du corps, alors qu’en réalité, le mouvement pro-prostitution plaide pour le « droit » des femmes appauvries à être sexuellement livrées aux hommes en échange d’argent.

Cet argument est obscène. La prostitution concerne le droit des hommes d’accéder au corps des femmes et de nous considérer et nous traiter comme des marchandises. La campagne féministe pour l’avortement légal est le contraire exact de cette dynamique, en défendant le droit pour chaque femme d’être exempte de l’oppression patriarcale.

En ignorant le fait que les jeunes hommes et les jeunes femmes qui sont rejeté·e·s par leur famille et leur communauté, ou isolé·e·s et intimidé·e·s par leurs pairs, risquent de se retrouver sans abri et forcé·e·s à l’exploitation sexuelle, nous trahissons cette jeunesse. J’ai rencontré plusieurs jeunes lesbiennes et gais en fugue qui ont été poussé·e·s à la prostitution par des proxénètes en quête de proies faciles.

Les lobbyistes pro-prostitution savent très bien l’avantage de s’aligner sur un groupe plus large d’activistes dits « subversif  ». Le mouvement se réclamant de « droits des travailleurs du sexe » trouve l’occasion d’un plus vaste soutien dans cette nouvelle alliance qui se développe sous la bannière arc-en-ciel.

L’une des activistes qui ont bénéficié de la convergence du mouvement LGBT et du lobby pro-prostitution est Irina Maslova, fondatrice en Russie du projet Silver Rose. « Nous avons des femmes, des hommes et des transgenres, et des gens faisant différents types de travail du sexe comme le striptease, le sadomasochisme et ainsi de suite », m’a déclaré Maslova. « Ils ont donc réussi à unir ce mouvement en en trouvant le dénominateur commun. »

J’ai aussi rencontré une autre activiste, Sia, une féministe, lors d’un voyage de recherche en Australie l’année dernière. Elle m’a dit avoir commencé à fréquenter le milieu queer et s’être rapidement sentie pressée d’expérimenter le « travail du sexe ».

« À bien des égards, la prostitution y était très acceptée, en particulier au sein de la scène queer », dit Sia. « J’ai travaillé avec d’autres lesbiennes et nous nous trouvions géniales. »

Je lui ai demandé pourquoi elle pensait que les individus identifiés au queer désiraient tant accréditer le mythe entourant le travail du sexe ? « C’était cool et tendance », explique Sia. « C’était une image. Ça faisait partie du climat de la fête, de la prise de drogues. En fin de compte, il y a eu beaucoup de dégâts pour plusieurs des femmes qui ont participé à cela. »

J’ai également interviewé Thierry Schaffauser, un gai qui est militant des « droits des travailleurs du sexe », au sujet du lien entre ces deux mondes. « C’est comme être un homme gai dans les années 1950 », m’a-t-il dit. « La police est là pour vous arrêter, et non pour vous protéger. Lorsque des gens essaient de vous empêcher pour votre bien de faire le travail du sexe, c’est ce que faisait la police et ce n’est pas ce que je veux. »

La prostitution est omniprésente dans la sphère commerciale du monde homosexuel, comme les bars, les clubs, les saunas, etc. Plusieurs gais m’ont dit que dans leur jeunesse, on s’attendait presque à ce qu’ils complètent leurs revenus en vendant du sexe à des hommes plus âgés. Un certain nombre d’hommes m’ont dit ne plus fréquenter de bars gais commerciaux par écœurement de voir les publicités de « garçons à louer » affichées dans les magazines gais.

Je fouille cette question plus avant dans mon nouveau livre The Pimping of Prostitution – Abolishing the Sex Work Myth, et j’en conclus que la prostitution n’est pas une forme de sexualité. Il existe une nette différence entre une préférence ou une identité sexuelle et la prostitution (une forme de violence masculine). Les jeunes qui s’affirment en tant que lesbienne ou gai méritent notre soutien et une protection contre l’intolérance. Ils ne méritent pas de se faire conter le mensonge insultant que vendre leur autonomie sexuelle est la même chose que célébrer leur sexualité.

Julie Bindel (sur Twitter @bindelj), publié dans The Independent, le 19 août 2017

Le livre de Julie Bindel The Pimping of Prostitution — Abolishing the Sex Work Myth (Le proxénétisme de la prostitution : Abolir le mythe du travail du sexe) sera publié par Palgrave Macmillan le 27 septembre 2017. Détails sur le lancement du livre à Londres et un débat entourant le sujet.

Version originale de cet article : 

http://www.independent.co.uk/voices/prostitution-decriminalisation-queer-argument-lgbtq-exploitation-patriarchy-a7901716.html

Traduction : TRADFEM, avec l’accord de Mme Bindel.

https://tradfem.wordpress.com/2017/08/20/largumentation-queer-en-faveur-dune-decriminalisation-de-la-prostitution-et-du-proxenetisme-ne-resiste-pas-a-un-examen-minutieux/

De l’auteure :

Au sein du féminisme, la « putophobie » n’est pas un problème, contrairement au déni de la violence faite aux femmes, au-sein-du-feminisme-la-%E2%80%89putophobie%E2%80%89-nest-pas-un-probleme-contrairement-au-deni-de-la-violence-faite-aux-femmes/

Les hommes doivent être exclus du féminisme pour empêcher celui-ci de ne plus être qu’à propos d’euxles-hommes-doivent-etre-exclus-du-feminisme-pour-empecher-celui-ci-de-ne-plus-etre-qua-propos-deux/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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