Donner à lire, c’est prêter, offrir et échanger

Des livres. Des lecteurs et des lectrices. Iels lisent, prêtent, donnent, annotent ou commentent. Dans leur introduction, Mariannig Le Béchec, Dominique Boullier, Maxime Crépel abordent les vies du livre, l’écologie du livre-échange, les paroles et les rapports entre lecteurs/trices, le déploiement « des manières de lire qui accompagnent la circulation même de l’objet-livre », les traces du lire sur le web, le sens du publier, « lire, c’est écrire », le livre numérique, les mutations des médiations dans l’offre…

« Le livre possède plusieurs vies. L’écologie de ce milieu vivant demande de suivre au plus près les témoignages et les occasions de ces rencontres que le livre, agent de circulation, de propagation parfois éphémère et pourtant constante, provoque ». Le livre et ses propriétés conversationnelles, sa propagation de main en main, de site en blog. Mais aussi les traces laissées par les lectures, les circuits qui accompagne l’objet ou qu’il entraine avec lui.

Les auteurs/trice entendent restituer les pratiques sociales autour et avec le livre – imprimé ou numérique -, les transformations des livres et des lecteurs/trices, « Les modalités de transformation sont multiples et désormais repérables à travers les traces », les conversations, « lire c’est parler », les temps particuliers pour lire un livre et pour lire ce livre, le partage des sensations et des goûts, les nouvelles orientations dans l’offre (dont les délégations aux algorithmes !), les circulations – matérialité de l’objet et immatérialité des pratiques…

Elle et ils abordent aussi la faiblesse de l’innovation autour du livre numérique.

Sommaire :

Vie 1. Circulation de l’objet-livre

Vie 2. Le livre a une vie après la lecture

Vie 3. Quand la parole du lecteur enrichit le livre

Vie 4. Lire, une expérience intime à partager

Des livres et un lecteur. Depuis la fin de l’adolescence, je fréquente les livres, achetés le plus souvent d’occasion. Beaucoup de romans jusque ces dernières années. Plus particulièrement des travaux en sciences sociales depuis. J’écris des notes de lecture que je publie sur un blog que j’anime et sur Babelio. Ces textes sont parfois repris sur d’autres sites. Réfléchir et donner à réfléchir ou rêver…

Des livres, achetés d’occasion ou reçus d’éditeurs/trices bienveillant·es, entassés sur de longs murs. Des livres commentés, annotés légèrement, des passages soulignés ou signalés dans les marges. Des livres prêtés et quelques fois perdus. Des livres, rarement ré-ouverts, qui mériteraient de trouver d’autres lecteurs/trices, d’autres mains et d’autres yeux…

« il est très difficile de dissocier la circulation matérielle du livre de l’immatérialité de la pratique de la lecture ».

L’autrice et les auteurs abordent de multiples sujets autour du lire, de l’objet-livre, des textes, des lectrices/lecteurs, de la circulation, des découvertes et des surprises, des dons et des abandons, des prêts ou des cadeaux, des usages d’internet, « L’immatérialité des œuvres semble paradoxalement représenter un obstacle à leur circulation au sein des réseaux de lecteurs, même si les usages de lecture numérique en sont à leurs débuts », des freins engendrés par la frilosité des éditeurs/éditrice de livres numériques et le droit privatif de propriété…

« Lire c’est focaliser l’attention ». Les pratiques des grandes maisons d’édition et la recherche de best-sellers, les critiques des médias sur les ouvrages, les « critiques détachées » des lecteurs/trices sur Internet, la place de Babelio, les prix littéraires nationaux et ceux décernés par des associations de lecteurs/trices ou par des bibliothèques, la focalisation sur certaines œuvres et/ou certain·es auteur·es…

« Lire c’est s’orienter ». Choisir comme jeu de piste, se perdre dans le dédale de livres, faire confiance à d’autres lecteurs/trices, construire une « évaluation coopérative », les listes et les coups de cœur, « livre des villes, livre des champs », partager une appréciation sensible ou réfléchie, les librairies comme lieux de conseil et de déambulation, les conseils et les conversations, la chasse au trésor des occasions, les blogs et une nouvelle forme d’orientation, les choix et les jugements, la vie de livres, « La vie d’un livre vient de cette relation auteur-éditeur-lecteur »…

Le livre après la lecture, toujours en possibles autres lectures, la matérialité de l’objet et l’envahissement de l’espace domestique, les formats et les classements, les abandons et les cartons, les dons et les successions, les transpositions en numérique, d’autres classements et d’autres lectures, « Le livre numérique reste certes homothétique au livre imprimé dans la plupart des offres, mais il perd en réalité la plupart des propriétés sémiotiques de l’objet-livre et change profondément la nature de l’expérience vécue par le lecteur-utilisateur ».

La bibliothèque portative mais aussi « l’insoutenable légèreté du livre numérique ». Et comme le soulignent les auteurs/trice, l’achat d’un livre électronique « autorise seulement une licence d’accès », donc une location plutôt qu’un achat…

J’ai apprécié notamment les présentations sur la personnalisation du texte, les analyses sur les difficultés engendrées par l’état des plateformes et des multiples standards…

Quoiqu’il en soit, le livre est un « appropriable », aux valeurs différenciées suivant les utilisateurs et les utilisatrices. Certain·es les annotent, les griffonnent, inscrivent leurs expériences intimes, transforment ainsi – en en changent la valeur pour d’autres. Les livres circulent aussi en réseaux alternatifs, systèmes de troc.

Reste le poids dominant d’Amazon et des effets des algorithmes (et derrière une facilité, la domination impersonnelle). Je ne partage pas l’optimisme de Mariannig Le Béchec, Dominique Boullier, Maxime Crépel sur les réseaux sociaux…

« La parole du lecteur enrichit le livre », j’ajoute : ou le dégrade. « Lire c’est parler », les raisons parfois irraisonnées des coups de cœur, le texte étendu ou réduit, les conversations autour de livres, les à-propos et les jugements, donner envie de livre, d’ouvrir les fenêtres des mots, les blogs mais aussi les projections narcissiques, « l’expression littéraire égocentrée »…

Lire cela peut-être aussi regarder et/ou écouter, les enfants et « l’expérience visuelle, auditive et tactile », les livres enrichis, les livres plus que des livres, le multimédia possible, les promesses et les rendez-vous manqués, le gratuit et le DRM, la domination des GAFA, le prix unique…

« Lire, une expérience intime à partager ». Annoter, écrire sur ou à proximité du texte, les enrichissements et les traces d’émotion, les fantômes d’autres lecteurs et lectrices, « Lire c’est écrire », la production d’autres contenus et sa démultiplication par blogs et réseaux, la « lecture collaborative », la multiplication des mondes…

« Cet ouvrage, restitution de sept années d’observation du livre, des pratiques des lecteurs et acteurs de la chaîne du livre, dans sa dimension traditionnelle et numérique, présente des expériences multiples ». En conclusion, Mariannig Le Béchec, Dominique Boullier, Maxime Crépel soulignent, entre autres, le caractère « bien singulier » du livre, ses vies démultipliées par les circulations, les annotations comme « registre de l’extimité », le potentiel d’animation du « proto-numérique », les potentiels malgré les profilages et les registres prédictifs…

Les multiples vies de livres, une « écologie » de la lecture, les diversités des pratiques et des relations, l’« entre » les livres et les lecteurs/trices… un ouvrage plus que séduisant.

Reste une question, que je pose maintenant à toustes les auteurs et autrices, pourquoi ne pas utiliser une écriture plus inclusive ? – le point médian, l’accord de proximité, pour rendre visibles, les lecteurs et les lectrices, les unes et les autres, les iels et toustes.

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Mariannig Le Béchec, Dominique Boullier, Maxime Crépel : Le livre-échange

Vies du livre & pratiques des lecteurs

C&F Editions, Caen 2018, 288 pages, 22 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

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