Introduction : Guide du Marseille Colonial

Avec l’aimable autorisation des Editions Syllepse

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Ce livre a la particularité d’être un ouvrage collectif pensé et rédigé par un groupe de travail réunissant des militant·es et citoyen·nes sensibles et sensibilisé·es à cette question de l’empreinte du colonialisme dans leur ville. Il constitue le fruit d’un travail rigoureux effectué par des Marseillais, des Marseillaises militant·es anticolonialistes, des éditeur·trices, libraires, des enseignant·es, des acteur·trices associatif·ves. L’exploration de la ville à travers ses rues a fait émerger tant de réflexions et de multiples ramifications que ce guide sera prolongé par un blog, un site pédagogique et d’autres travaux. Ce livre collectif n’est pas un essai théorique sur le colonialisme, l’histoire coloniale et l’histoire de France. Il s’agit d’un guide venant compléter les guides déjà publiés aux éditions Syllepse.

Cet ouvrage s’inscrit dans un contexte particulièrement tendu où les questions relatives au passé colonial et esclavagiste de la France rendent fébriles, crispent l’entendement, voilent les horizons et tentent d’oblitérer toute velléité de compréhension. L’histoire a déjà été écrite, c’est celle que révèlent les noms des rues, des places, des villes de France. Proposer de lire autrement cette histoire bien ancrée dans les mentalités, dans l’inconscient collectif des Français, est-ce possible, envisageable ? Revisiter l’histoire ou l’explorer pour révéler ses infamies et son ignominie n’est pas anodin. Bien au contraire, cette entreprise nous oblige d’emblée à nous situer, nous positionner, prendre parti en proposant un autre regard, en osant le pas de côté nécessaire pour une meilleure compréhension de cette histoire. Il ne s’agit pas de l’histoire de la France en général, mais l’histoire de la France en particulier, celle que l’on regarde à travers le prisme d’une ville, Marseille et de son empreinte coloniale.

La domination coloniale a en effet profondément marqué la ville, sur près de quatre siècles. Ses traces, ses effets sont encore bien présents : les monuments et les rues les plus visibles sont ceux qui lui sont intimement liés. Parmi eux, on peut distinguer ceux qui ont mis en œuvre la colonisation : bourse, chambre de commerce, instituts coloniaux, lieux d’expositions et de célébration, port et docks, etc. Il y a aussi ceux qui viennent en faire l’éloge, par exemple : les mobiles, la porte de l’Orient, les escaliers de la gare Saint-Charles, etc. C’est ce que nous révèle ce guide.

Il y a en effet, des rues qui portent le nom de criminels de guerre comme Bugeaud ou Cavaignac, des militaires moins connus, des négociants, des marchands d’esclaves, des trafiquants de produits coloniaux, armateurs, etc. Il y a les noms de celles et ceux, peu honorés dans les rues de Marseille, qui, à toutes les époques, se sont dressés contre la traite négrière, le colonialisme ou le racisme et qui ont refusé de se soumettre au mythe de la mission civilisatrice universelle de la France et de la République. Enfin, il y a toutes les victimes des crimes coloniaux et des événements tragiques qui ont marqué la ville auxquels les noms des rues ne rendent que rarement hommage.

La dénomination des rues de la ville et des lieux publics est une décision politique prise sous la responsabilité du maire. Le choix de ces noms qui visent à promouvoir les valeurs symboliques qui leur sont rattachées, nous interpelle forcément. Il s’agit ici de faire valoir son droit d’en débattre, d’émettre son avis et, dans certains cas, d’agir collectivement pour faire changer les choses, lutter pour une autre lecture des événements ou des personnalités. C’est aussi ce qu’ont compris certain·es citoyen·nes qui œuvrent, qui militent pour que soient renommées certaines rues à Marseille, ailleurs en France métropolitaine et dans les départements, territoires et collectivités d’outre-mer, survivances de l’empire colonial.

Nous avons eu à consulter de nombreux essais, des ouvrages, dont le Dictionnaire historique des rues de Marseille d’Adrien Blès, et lire de nombreux articles publiés, les réflexions et les discussions, effectuer des recoupements, compléter tout cela par nos recherches dans les archives (municipales, départementales). Nous avons décidé de compléter la lecture de ce guide en intégrant des photographies prises aujourd’hui des rues, des lieux et monuments qui sont les marques toujours visibles du passé colonial de la ville.

Cet ouvrage est composé de deux parties, la première en constitue la colonne vertébrale, le guide en lui-même : une indexation des noms des militaires, des politiques, des armateurs, des scientifiques, des artistes, et autres personnes ou événements ayant tous pris part au système de domination coloniale. Le parti a été pris de valoriser dans certains secteurs de la ville le nom de personnes ayant résisté et œuvré contre cette domination qui s’inscrit dans une continuité historique. Cette première partie serait incomplète sans l’ajout d’un dossier complémentaire, thématique, subjectif focalisant sur certaines questions particulières mettant la lumière sur des problématiques fondamentales, telles que les expositions coloniales et leur genèse, la santé coloniale, et de manière plus contemporaine les crimes racistes comme fondement d’une même politique de domination et d’oppression.

La nécessité de produire un tel guide vient nourrir un sentiment d’urgence, celui de Marseillais·es qui ne veulent plus emprunter, parcourir, habiter, étudier dans des lieux qui portent le nom de celles et ceux qui ont œuvré à notre déshumanisation. Ce guide en appelle aussi à notre responsabilité collective et citoyenne par un travail de recensement des éléments qui dans cette ville, relève de traces, de stigmates, de blessures du passé colonial mais aussi d’un présent néocolonial ou postcolonial. L’écriture d’un tel ouvrage, c’est aussi l’exigence de mettre en mots un plaidoyer pour que nous puissions habiter Marseille sans ces fantômes du passé colonial. C’est aussi l’invitation à un nouvel imaginaire qui nous élève vers le souci de l’autre, du tout-monde dans sa complexité, sa pluralité. Ce travail n’a pas seulement une dimension historique et de mémoire, il est d’une grande actualité : à Marseille il a fallu vingt-six ans de lutte pour qu’une avenue porte le nom d’Ibrahim Ali, tué par des colleurs d’affiches du Front national le 21 février 1995.

Le guide du Marseille colonial
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2022/09/01/le-guide-du-marseille-colonial/
Un Guide du Marseille colonial
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2021/03/11/un-guide-du-marseille-colonial/
Rues, monuments et crimes coloniaux à Marseille
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2020/06/19/rues-monuments-et-crimes-coloniaux-a-marseille-2/
Rues, monuments et crimes coloniaux à Marseille
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2019/06/08/rues-monuments-et-crimes-coloniaux-a-marseille/

https://www.syllepse.net/guide-du-marseille-colonial-_r_25_i_909.html

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

5 réflexions sur « Introduction : Guide du Marseille Colonial »

  1. Marseille, impériale et coloniale : quelle histoire, quel héritage ?

    jeudi 28 mars Marseille Espace Musical Hyperion
    2bis Av. du Maréchal Foch, 13004 Marseille

    Rencontre-Débat avec Samia Chabani, directrice de l’association Ancrages, Xavier Daumalin, historien, AMU TELEMMe, Marsimperium, Daniel Garnier, co-auteur du « Guide du Marseille colonial », Céline Regnard, historienne, AMU TELEMMe, Marsimperium, Delphine Cavallo, laboratoire TELEMMe.

    Les noms choquent, les statues dérangent, les tableaux ne passent plus. En ce début de XXle siècle, dans l’espace public marseillais, les traces de l’histoire impériale et coloniale font figures d’anachronisme, voire d’agressions symboliques.
    Cette rencontre-débat réunit des historien.nes et des représentant.es d’associations afin de contribuer à la réflexion sur cette histoire et cet héritage. Dans des registres variables et avec des modes d’action différents, l’abord critique de ce passé sera au cœur des échanges.

    Coudes à Coudes

    https://www.guidedumarseillecolonial.fr/Marseille-imperiale-et-coloniale-quelle-histoire-quel-heritage

  2. À Marseille, le maire rebaptise une école portant le nom du général Bugeaud
    Marseille : une école du 3e arrondissement rebaptisée du nom d’Ahmed Litim, tirailleur algérien
    Avec AFP.
    Anciennement nommée d’après le maréchal Bugeaud, l’école porte désormais le nom d’un jeune tirailleur algérien tué par les occupants nazis en 1944.
    L’école Bugeaud, dans le 3e arrondissement de Marseille, a été officiellement renommée ce jeudi. Elle se prénomme désormais l’école « Ahmed Litim », du nom du tirailleur algérien tué par les occupants nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.
    « Je pense qu’il faut regarder l’histoire en face, et je préfère que cette école porte le nom d’un héros plutôt que le nom d’un bourreau », a déclaré le maire de Marseille Benoît Payan, présent pour l’inauguration, au micro de BFM Marseille Provence.
    L’école Ahmed Litim, située dans le quartier de la Belle de Mai, portait jusqu’à présent le nom d’un colonisateur de l’Algérie, le maréchal Bugeaud.
    « Bugeaud, c’est quelqu’un qui a fait des massacres, poursuit Benoît Payan, qui a assassiné des femmes et des enfants en Algérie. Ahmed Litim, c’est un jeune soldat engagé qui est mort pour nous, mort pour la France, mort pour Marseille. »
    « Cette histoire, nous continuerons de l’enseigner »
    L’histoire d’Ahmed Litim, a raconté le maire lors de la cérémonie de dénomination, c’est celle « d’un enfant d’Algérie (…) engagé, très jeune, dans l’Armée d’Afrique », mort le 25 août 1944, fauché par un obus allemand, en participant à libérer la ville, rapporte l’AFP.
    Si le nom de Bugeaud est désormais effacé de cette école, il ne sera pas de l’histoire. Ses crimes « ne doivent pas être effacés de notre mémoire », a mis en garde Benoît Payan. « L’Histoire de la France, c’est aussi celle de Bugeaud, de la colonisation ou de la collaboration. Cette histoire, nous continuerons de l’enseigner et de l’apprendre à nos enfants ».
    « Nous saluons la position de la ville de Marseille qui a consisté à débaptiser l’école Bugeaud », a réagi auprès de l’AFP Samia Chabani, du centre de ressources sur l’histoire et les mémoires des migrations à Marseille, Ancrages.
    Ancrages milite pour « que les civils ou militaires auteurs de violences et de guerre coloniale ne soient plus honorés dans l’espace public », et demande notamment que les associations valorisant l’histoire et « les mémoires des descendants des migrations postcoloniales » soient représentées à la commission des noms de rues.
    Histoire coloniale et postcoloniale
    https://blogs.mediapart.fr/histoire-coloniale-et-postcoloniale/blog/131122/marseille-le-maire-rebaptise-une-ecole-portant-le-nom-du-general-bugeaud?userid=80220d84-e609-4a1b-a6f9-f351709bf90b

  3. « Les statues, le nom des rues, ne sont pas innocents » : un guide pour décoloniser l’espace public
    ue faire des innombrables noms de rue, statues et monuments qui glorifient toujours le colonialisme à travers la France ? À Marseille, un livre-inventaire entre en résonance avec des revendications mémorielles. Reportage.
    https://basta.media/les-statues-le-nom-des-rues-ne-sont-pas-innocents-un-guide-pour-decoloniser-l-espace-public

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