Le Forum social mondial se rapproche du paradis

Deux renouvellements importants du processus du Forum social mondial sont en cours. En février 2022, le forum Asie-Pacifique s’est déroulé principalement sur le net, avec une base à Bangkok. Il s’agissait d’une réunion à part entière, mais aussi d’une tentative de renforcer la capacité d’organiser un FSM dans la région asiatique. En septembre 2022, un séminaire a eu lieu à Tunis sur la façon de rendre le processus du FSM plus efficace pour que les mouvements convergent et prennent des décisions tout en maintenant le caractère d’espace ouvert du FSM dans son ensemble. Ceci en créant une assemblée permanente de mouvements, ce qui la rendrait mieux préparée et capable de suivre les décisions prises. Les deux initiatives sont en train de créer une dynamique commune pour revitaliser le processus du Forum social mondial. 

L’un des résultats est que le prochain Forum social mondial (FSM) 2024 devrait avoir lieu au Népal, près du sommet le plus haut du monde. Soutenues par des mouvements de toute l’Asie, les organisations népalaises ont présenté un plan politique et pratique au Conseil international du FSM. Ce plan a été soutenu par toutes les personnes présentes lors de la réunion du Conseil international du FSM du 16 février.

Les personnes oratrices ont été présentées par la militante indienne Meena Menon qui a déclaré que la proposition était soutenue par les responsables du processus du Forum Social Asie-Pacifique provenant des Philippines, de la Malaisie, de la Corée, de l’Asie du Sud. La motivation politique a été présentée par Anselmo Lee, professeur et militant des droits humains en Corée du Sud. Il a commencé par souligner la crise multidimensionnelle à laquelle les mouvements sont actuellement confrontés. La guerre en Ukraine et les tensions militaires en Asie de l’Est, la crise écologique avec les inondations et autres urgences, les conflits nationaux comme au Myanmar, la crise énergétique et alimentaire et le rétrécissement de l’espace civique. Il a poursuivi en affirmant que toutes les questions asiatiques sont globales, tout en rappelant les bons résultats du Forum social asiatique d’Hyderabad en 2003 et du FSM de Mumbai en 2004. Il a également souligné la façon dont les mouvements asiatiques utilisent d’autres processus mondiaux qui se déroulent en Asie pour promouvoir le FSM, comme le G20 en Inde, la COP28 sur le climat à Dubaï et la 5e conférence des Nations Unies sur les PMA (pays les moins avancés) à Doha. Une convergence des mouvements est nécessaire et les mouvements asiatiques se sentent confiants dans le fait qu’ils ont quelque chose à apporter à la solidarité mondiale.

Trois orateurs népalais, Udhab Pyakurel, Arjan K. Karki et Netra Prasad Timsina, ont ensuite pris la parole. Ils ont présenté les raisons politiques et pratiques de la tenue du FSM au Népal. Ils ont abordé la question des lieux et des capacités d’hébergement, ainsi que la manière dont la société civile du Népal et des pays voisins soutient l’initiative. Le forum social est arrivé tardivement au Népal, le premier forum social national s’est tenu en 2018. Avec le FSA et le FSM de 2003 et 2004 qui se sont tenus en bon souvenir et le récent Forum social Asie-Pacifique, il y a un intérêt croissant pour le processus du Forum social mondial.

L’un des arguments en faveur du Népal est que le pays est l’un des rares en Asie à être ouvert à un tel événement. Le financement n’est pas encore assuré, mais des contacts ont été pris et, avec la décision du CI de soutenir le projet d’un FSM au Népal, les bailleurs de fonds peuvent être approchés. Il restera bien sûr de nombreux problèmes à résoudre. Comment parvenir à un équilibre entre les hommes et les femmes, comment développer les relations avec le gouvernement et comment faire en sorte que la participation soit fructueuse pour toutes les régions du monde. 

Mais un aspect est déjà clair. Le problème des visas, l’un des plus grands obstacles à la tenue de réunions dans de nombreuses régions du monde, en particulier dans l’Union européenne et en Amérique du Nord, n’a probablement jamais été aussi facile à résoudre. Le pays situé au pied des plus hautes montagnes du monde dispose de l’une des procédures de visa les plus généreuses de tous les pays. Selon les autorités de l’immigration népalaise, on peut obtenir un visa à l’arrivée pour toutes et tous, sauf si vous venez d’un des pays suivants pour lesquels on doit faire une demande à l’avance : Nigeria, Ghana, Zimbabwe, Swaziland, Cameroun, Somalie, Liberia, Éthiopie, Irak, Palestine, Afghanistan, Syrie.

Ainsi, à bien des égards, le FSM est en route vers le paradis, ouvrant ses portes à plus de pays que jamais, étant politiquement bien motivé par des mouvements venant de tout un continent et de l’Himalaya avec les Newar, Pahāṛī, Tamang, Sherpa, Magar, et d’autres peuples qui ont l’habitude de vivre près du ciel. 

Entre-temps, une assemblée permanente a été mise en place qui s’appelle Assemblée mondiale des luttes et des résistances du FSM. Un ensemble de principes a été formulé dans cette assemblée auto-organisée sur la base de la décision prise par le Conseil international du FSM à l’occasion d’un séminaire qui s’est tenu au début du mois de décembre 2022 en Tunisie :

« Le CI accueille l’initiative d’une Assemblée sociale mondiale (dont le nom reste à confirmer). Il reconnaît que celle-ci est un processus autonome et notamment porté par celles et ceux qui la proposent(…). Le CI affirme un consensus sur le processus global du FSM, qui inclut le processus des événements FSM, ainsi que les processus autonomes de l’Assemblée sociale mondiale (nom à confirmer), et des forums thématiques, régionaux, continentaux et locaux ».

L’initiative de l’assemblée s’inspire de la Charte des principes du FSM adoptée à Porto Alegre en 2001. Elle respecte les principes et valeurs mentionnés dans la Charte de principes du FSM, notamment les valeurs de sa démocratie, de sa transparence, de son pluralisme, de sa diversité, de son égalité et de sa solidarité. Il veut contribuer positivement à la lutte mondiale contre un système politique, économique et social basé sur le capitalisme et le néolibéralisme, l’inégalité, la discrimination sexuelle, raciale et religieuse et l’accumulation de richesses, la destruction de l’environnement, le militarisme et le patriarcat. Elle promeut la paix et la justice, les droits de l’homme et le respect de la nature et de toutes les formes de vie.

L’assemblée peut organiser des événements, en totale indépendance du CI, et sans se limiter à l’agenda du FSM, qui est la prérogative du CI, pour promouvoir ses principes et valeurs et articuler les actions des organisations qui les partagent. Il est composé de membres qui se déclarent en conformité avec la présente charte de principes et de valeurs.. Il s’exprime en son nom propre, et non pas au nom du CI ou du FSM, sur les grandes questions politiques, économiques et sociales. Il le fera de manière démocratique et transparente, de préférence avec le consensus de tous ses membres, sinon avec une majorité qualifiée. Elle peut soutenir des événements régionaux, nationaux ou thématiques qui sont cohérents avec la présente Charte. L’assemblée adopte une politique de communication pour assurer la diffusion la plus large possible de ses actions et dispose d’un secrétariat pour son travail quotidien. L’Assemblée se réunit régulièrement, y compris en cas d’urgence pour prendre des décisions exceptionnelles, et maintient un contact régulier et coopératif avec le Conseil international du FSM.

D’ores et déjà, une première réunion de l’assemblée permanente a lancé deux initiatives. La première consiste à soutenir le Sommet international pour la paix en Ukraine, à Vienne/Autriche, les 10 et 11 juin 2023. Sous le slogan La paix par des moyens pacifiques, l’objectif est de publier un appel mondial urgent, appelé Déclaration de Vienne pour la paix, appelant les directions politiques à agir en faveur d’un cessez-le-feu et de négociations en Ukraine.

Les organisations invitées sont le Bureau international de la paix, CODEPINK, l’Assemblée mondiale des luttes et des résistances du FSM, Transform Europe, Europe4Peace et le Mouvement international de la réconciliation. Parmi les groupes organisateurs locaux figurent les suivants : AbFaNG (Action Alliance for Peace, active Neutrality and Non-violence), ÖGB – Österreichischer Gewerkschaftsbund, et Internationaler Versöhnungsbund – österreichischer Zweig,
L’autre initiative consiste à promouvoir les discussions sur les stratégies des mouvements concernant la situation mondiale. Il peut s’agir de réunir régulièrement les mouvements au niveau national, régional ou mondial. Elles peuvent également commencer par demander aux mouvements mondiaux ce que nous pouvons apprendre d’eux et ce que l’assemblée peut leur offrir. Une troisième possibilité consiste à demander à un petit nombre d’intellectuels-les, de mettre à jour notre compréhension commune de l’état du monde dans lequel les mouvements peuvent agir. Les mouvements qui relient le local au global dans les deux sens sont particulièrement importants. 

Ainsi, alors que le FSM est en passe de s’approcher de la plus haute montagne du monde et qu’une assemblée défie les mouvements mondiaux de prendre part à un processus permanent, il y a aussi la volonté de ramener le recul au niveau local et à la vie quotidienne. Un espoir de respirer et de marcher ensemble dans un espace ouvert tout en rassemblant nos forces dans le travail ici et maintenant pour un autre monde.

Tord Björk, membre du Conseil international du Forum social mondial et du conseil du Bureau international de la paix, en provenance de la Suède.

https://alter.quebec/le-forum-social-mondial-se-rapproche-du-paradis/

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Le prochain FSM se tiendra au Népal en 2024

Réuni le 16 mars 2023, le Conseil international (CI) du Forum social mondial (FSM) a décidé de soutenir la tenue de la prochaine édition d’un FSM central à Katmandou au Népal en 2024. Les dates indicatives sont du 15 au 20 mars. La proposition a été présentée au Conseil par une série d’organisations népalaises et asiatiques, notamment d’Inde, de Philippines, de la Malaisie, de la Corée, de l’Asie du Sud.

Parmi les personnes participantes à la réunion qui présentaient le projet, on comptait Meena Menon, journaliste indienne, Anselmo Lee, professeur et militant des droits humains en Corée du Sud, et trois personnalités népalaises : Udhab Pyakurel, professeur d’anthropologie, Arjan K. Karki, ancien ambassadeur du Népal aux États-Unis d’Amérique et Netra Prasad Timsina, coordonnateur régional de l’Alliance pour l’éradication de la pauvreté en Asie du Sud. La proposition a reçu l’appui unanime de la cinquantaine de personnes réunies en ligne provenant de tous les continents de la planète.

La longue marche des mouvements altermondialistes
Même si l’âge d’or des FSM a eu lieu dans la première décennie du millénaire, les dernières éditions antérieures à la pandémie ont réussi à mobiliser des dizaines de milliers de personnes, que ce soit à Bahia au Brésil en 2018 ou à Montréal en 2016. La période annonce un changement majeur de ce point de vue. Depuis la crise sanitaire mondiale, la participation a été mince, comme en témoigne celle de Mexico en 2022, alors qu’on évalue environ à 2000 en personne, mais aussi au FSM virtuel de 2021. On parle de 20 000 au total, qui fut strictement en ligne.

Toutefois, tout ne s’explique pas par la pandémie, même si ce fut un facteur majeur qui a servi de motif même à certains mouvements sociaux mexicains pour ne pas participer au FSM de 2022. Les coûts importants des déplacements et des séjours, les complications accrues pour les visas, au Nord, mais aussi au Sud maintenant, la prise de conscience écologique qui amène à limiter les déplacements aériens non essentiels sont des raisons qui expliquent certainement le recul de la mobilisation à ces rendez-vous.

Mais, il y a plus, on constate que nombre de mouvements sociaux se centrent plus sur leurs enjeux propres et certains ont tendance à privilégier l’intégration institutionnelle qu’à la concertation autonome et indépendante, comme en témoigne notamment le rendez-vous de la COP15 sur la biodiversité. Malgré et à cause de l’accentuation des luttes au sein des classes politiques dominantes, les mouvements sont poussés souvent à emprunter un chemin plus défensif.

Il n’en faut pas plus pour qu’on annonce la mort des mouvements altermondialistes, voire la faillite de leurs propositions. L’altermondialisme ne s’est jamais résumé aux FSM. Il vit évidemment un recul concomitant au reflux des mouvements sociaux, considérant les nouvelles réalités des luttes et des rapports de force avec les hésitations que connait la mondialisation néolibérale. Or, la perspective altermondialiste se retrouve toutefois dans d’autres mobilisations, notamment dans les mouvements écologistes, qui empruntent notamment les formes d’organisation comme à l’occasion de la COP26 à Glasgow.

La perspective du Népal donne espoir
Néanmoins, comme le soutient Tord Bjork dans son compte rendu sur les dernières réunions du Conseil international du Forum social mondial, le bilan et la relance, certes fragile, mais bien réelle, semblent donner espoir pour définir une feuille de route pour, non pas un retour à l’âge d’or, mais à se constituer en acteur transnational diversifié, fédérateur.

Ronald Cameron
https://alter.quebec/le-prochain-fsm-se-tiendra-au-nepal-en-2024/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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