L’abolition de la peine de mort en France : Perspective européenne

Introduction
Invitée dans le cadre de l’exposition sur La Loi d’abolition de la peine de mort en 1981 aux Archives Nationales, j’ai immédiatement exprimé que ce qui m’importait était d’ouvrir le champ.

Pour comprendre en France comment nous sommes parvenus à abolir, il est essentiel à mes yeux de saisir les enjeux dans une aire politique plus vaste. Communiquer sur le cas français, mais au sein de la structure spécifique de l’Union européenne.

Rappel de trois faits majeurs :

  • Au XXe siècle quatre pays d’Europe n’ont procédé à aucune exécution : Saint-Marin [1], le Liechtenstein, la Principauté de Monaco et le Portugal (qui a aboli en 1867) ;
  • Depuis 1989, l’abolition de la peine de mort est une condition préalable à l’adhésion au Conseil de l’Europe (créé en 1949 par le Traité de Londres : organisation inter gouvernementale qui, bien qu’en dehors de l’Union européenne, a un poids juridique qui ne peut être négligé aujourd’hui ; le Conseil de l’Europe rassemble plus de 700 millions de citoyens et 46 États membres ; structure globalement à la pointe en ce qui concerne les droits humains, le renforcement de la démocratie et la prééminence du droit en Europe, par le biais de normes juridiques, le Conseil de l’Europe est doté d’une personnalité juridique reconnue en droit international public) ;
  • En 1997, l’abolition de la peine de mort est mentionnée pour la première fois comme condition d’adhésion à l’Union européenne. Le 4 décembre, le Parlement européen adopte une résolution dans laquelle il affirme :
    « Seul un pays ayant aboli la peine de mort peut devenir membre de l’Union européenne. »

Aujourd’hui, être Européen-ne (vivre dans l’Europe politique), c’est de facto être abolitionniste. Et ce, quoi que l’on en pense. La peine de mort est interdite dans l’Union, chacun-e d’entre nous est partie prenante d’une structure politique dans laquelle l’assassinat légal a été éradiqué.

Problématique
L’abolition en France fait donc partie de l’Histoire plus vaste de l’abolition de la sanction capitale, sur le territoire européen et au sein de la construction politique de ce qui existe aujourd’hui sous le nom d’Union européenne [2].

Les deux sont indissociables : l’abolition en France et dans l’UE.
Nous ne pouvons pas étudier de façon exhaustive les conditions d’accession à loi d’abolition en France, sans comprendre les dynamiques européennes sur ce sujet précis. En outre, l’imbrication de ces deux éléments – abolition nationale et européenne -, se déploient de façon similaire pour tous les autres pays de l’Union. Il s’agit d’ailleurs de l’argument dont usa Robert Badinter au Sénat en octobre 1981. En parlant d’Europe aux sénateurs, en touchant leur fibre européiste, il les a exhortés à se mettre en conformité avec les autres pays de l’Europe politique qui, il n’en doutait pas dès 1981, allait bientôt devenir ce territoire sans peine de mort.

« Ils [les sénateurs] ont voté l’abolition ; c’est la seule grande victoire parlementaire dont je m’honore. Le Sénat, qui était composé d’une majorité de droite, très hostile à la gauche, a voté l’abolition à la stupéfaction générale. Trois jours et deux nuits de débats. Vote libre, selon la conscience de chacun. Sinon, nous n’avions aucune chance [3]. »

L’abolition de la peine de mort relève donc de débats internes dans un pays (dans ce cas précis, la France), mais aussi de dynamiques externes qui influencent ce pays mais auxquelles il est aussi partie prenante.

Quelle portée et quelle incidence a eu le conglomérat politique européen sur l’avancée du mouvement abrogatif en France, mais aussi, quelle place la France a-t-elle eue au sein de ce long processus : qui incite qui, quels sont les allers/retours ?

Contexte historique
L’abolition est un idéal, une valeur, devenue une norme juridique, philosophique et politique.

Ce sujet n’émerge au sein des débats qu’au XIXe siècle, après avoir commencé à interroger les philosophes quelques décennies auparavant (parler d’abolitionnisme avant Cesare Beccaria et sa publication Des délits et des peines en 1764 à Livourne sous anonymat, est anachronique ; il est le premier à avoir proposé un argumentaire complet contre la sanction capitale ; il est publicisé en France, notamment par Voltaire). Cette thématique récente ne prend son ampleur législative qu’au XXe siècle (en-dehors de rares exceptions, cf. le Portugal), et n’est inscrite dans les obligations européennes que depuis moins de 30 ans.

Plusieurs étapes ont été nécessaires.
Au XIXe siècle des congrès pénitentiaires internationaux s’organisent. Il s’agit de rassemblement de juristes européens, qui débattent des diverses lois pénales de leurs pays respectifs. Leurs discussions précoces portent sur les similitudes et les différences nationales concernant notamment le sujet carcéral, et de façon plus vaste, sur la balance des crimes et des peines.

En 1878, au Congrès de Stockholm, le Français Charles Lucas et le Belge Édouard Ducpétiaux, tous deux au cœur du mouvement international, estiment qu’une réflexion commune devient pressante sur le sujet spécifique de l’abolition de la peine de mort, face à la civilisation de la guerre. Un congrès particulier doit y être entièrement consacré. La question de l’abolition se construit donc dans un cadre politico-juridique (philosophique), pacifiste. Mais si y a une volonté réelle de quelques-uns, tout prend du temps.

Un siècle plus tard, lors des nombreuses discussions entre les Pères de l’Europe, il est mis en lumière que le modèle européen doit se construire sur l’idée fondatrice de l’Europe politique, le « plus jamais ça », sur le choix de vivre ensemble a contrario des défiances des siècles passés. Ainsi, en complément de l’alternative pacifiste, un second fondement s’avère nécessaire : celui de construire le projet européen en trouvant un terreau commun pour se grandir mutuellement.

Valeurs et normes doivent être trouvées non pas en dégageant le dénominateur commun des actions passées (qu’avons-nous en commun ?), mais en affirmant la base de notre action d’avenir (que pouvons-nous créer en commun ?).

L’Europe doit partir, non d’une substance commune, mais d’un projet commun.

Le Parlement européen, organe moteur de l’abolitionnisme au sein de l’UE. Passage de la règle coutumière particulière à la loi : comment la peine de mort est devenue interdite dans l’Union Européenne ?

Propédeutique : les Protocoles 6 et 13 à la CEDH
Comme évoqué précédemment, l’abolition de la peine de mort est une condition préalable à l’adhésion au Conseil de l’Europe depuis 1989. En effet, en avril 1980 (près d’une année et demie avant l’abolition en France ! – cela dit notre retard d’alors sur ce sujet, au regard des autres pays d’Europe de l’Ouest), l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe appelle les États membres à abolir la peine de mort pour les crimes commis en temps de paix et recommande que le Comité des Ministres amende l’article 2 de la CEDH en ce sens. Ainsi, le Protocole 6, premier instrument juridiquement contraignant interdisant la peine de mort en temps de paix, est adopté en décembre 1982 et ratifié par quasiment tous les États membres. « L’adoption du Protocole 6 a joué un rôle moteur dans le mouvement abolitionniste [4]. » puisqu’il est le premier instrument qui, en droit international, érige l’abolition de la peine de mort en obligation juridique pour les parties contractantes [5]. Le 1er mars 1985 le protocole entre en vigueur après le recueil des cinq premières ratifications. L’abolition est engagée dans le champ du patrimoine juridique commun de l’Europe. Dorénavant la peine capitale est abolie et personne ne peut être ni condamné à une telle peine, ni être exécuté : ce principe devient un des droits fondamentaux de l’individu, consacré par un texte international devenant une norme qui prime sur les règles nationales. Le Protocole n°6 garantit une protection supplémentaire aux États et aux citoyens de chacun des États parties. Le Protocole reconnaît l’abolition de la peine de mort comme un des droits Humains : cela en fait un droit subjectif reconnu à tout individu et plus seulement une obligation pour l’État.

« La seule solution était de le faire ratifier en France le plus vite possible. J’avais écrit cela au Président Mitterrand qui était évidemment d’accord, mais il n’y avait pas d’élan au Quai d’Orsay. J’ai dit « tout cela est fort plaisant à entendre mais il conviendrait de ratifier le 6ème protocole qui n’en finit plus de traîner ! » Le Président Mitterrand est alors intervenu et a pris la décision de faire passer la ratification au Parlement [6]. »

Cette ratification donne lieu en France à un vif débat constitutionnel. L’idée soutenue est l’incompatibilité du protocole avec l’article 16 de la Constitution dans la mesure où il restreint la possibilité pour le Président de la République de rétablir la peine de mort dans les circonstances exceptionnelles prévues par ce texte. En outre, se pose une seconde interrogation sur les limitations de la souveraineté, à tel point que cela pourrait impliquer une révision constitutionnelle. Cette « compatibilité constitutionnelle » posait une vraie interrogation : en France, l’article 16 de la Constitution donne tous les pouvoirs au Président de la République dans des situations particulières. Le Conseil constitutionnel [7] est consulté par le Président de la République, conformément à l’article 54. Le Conseil rend sa décision et estime que le Protocole n°6 ne comporte pas de clause contraire à la Constitution. Le ministre des Affaires étrangères Roland Dumas soutient la loi devant l’Assemblée nationale le 21 juin 1985. Il y associe Robert Badinter, le Garde des Sceaux. La séance est peu suivie et le texte est adopté par la majorité, bien que les députés de droite – sauf exceptions – votent contre. Quant au Sénat, il repousse la ratification, le 30 octobre 1985, malgré son vote abolitionniste en 1981 [8]. Après un ultime rejet du Sénat en troisième lecture, l’Assemblée l’adopte le 20 décembre 1985 et, le 31 décembre de cette même année, la loi autorise la ratification du Protocole n°6 [9]. Le dépôt des instruments de ratification intervient au Conseil de l’Europe – à Strasbourg – le 22 février 1986.

Mais des ambiguïtés subsistent. Dans le Protocole n°6, il est notamment écrit que les États pourraient toujours utiliser la peine de mort dans leur arsenal juridique en cas de guerre ou de danger imminent de guerre. Ainsi, autant la première phase abolitionniste du Protocole n°6 permet d’atteindre un résultat remarquable au niveau interne, autant il convient de relever que le protocole ne mène pas au bannissement intégral de la peine capitale Qu’à cela ne tienne, les juristes européens décident d’en ajouter un nouveau à la CEDH : le Protocole n°13 ! Il légifère sur la question de la peine capitale et de son abolition en temps de guerre. Ce nouveau texte additionnel adopté le 3 mai 2002 à Vilnius, proposé par la Suède, est ouvert à la signature à cette date. Au niveau du contenu, il s’agit de revenir sur les réserves émises par le Protocole n°6, et viser à l’abolition en toutes circonstances. Pour le ratifier, l’État s’engage de ce fait à modifier le code pénal militaire en vigueur, ce qui ne coule pas de source, puisqu’il s’agit de toucher à ce qui est constitutif de la souveraineté de chacun des pays.

Résolution du 4 décembre 1997 – Parlement européen
Toutefois, même si l’action du Conseil de l’Europe est plus que claire dorénavant, le moment décisif de l’abolition pleine et entière au sein de l’Europe politique advient lorsque la prohibition de la sanction capitale est une condition d’adhésion à l’Union européenne par la résolution du 4 décembre 1997 : « Seul un pays ayant aboli la peine de mort peut devenir membre de l’Union européenne ».

Ainsi, depuis cette date, il n’est plus envisageable de faire une demande d’entrée dans l’Union Européenne sans avoir aboli.

Il est à noter qu’« Initialement la Communauté européenne n’avait aucune vocation en matière de droits fondamentaux et le souci de leur protection n’est apparu qu’avec la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes en 1969. La transformation de la CEE dans le cadre de l’Union européenne, et plus encore la signature du Traité d’Amsterdam (1997), modifient profondément ces données au point que le respect des droits fondamentaux semble devoir s’afficher comme l’une des vocations de l’Union. » Les droits fondamentaux, les droits humains, ont édifié des interdits envers les États. « Dans le cadre régional européen les droits de l’homme deviennent opposables aux États […] Il y aurait une spécificité de valeurs dans l’UE, et c’est cette spécificité qui justifie la construction d’une communauté économique : on travaille ensemble, on partage des biens, parce que nos valeurs sont communes, identiques. En outre, l’UE est prosélyte et a pour objectif la diffusion de ses valeurs. Aujourd’hui, la Charte des droits fondamentaux représente cette synthèse de valeurs, alors qu’il n’y avait pas de prérequis : les populations sont très variées et ce sont les politiques développées dans chaque État qui ont permis une certaine homogénéisation. C’est le débat politique qui permet à chacun de faire état de ses valeurs propres [10]. »

L’UE fait appliquer des normes qui ne sont pas forcément les valeurs individuelles de ses concitoyens. En revanche, cet ensemble fonde une identité européenne.

L’adoption le 7 décembre 2000 de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne fournit à la Cour de justice de Luxembourg une base écrite de référence propre à l’UE et autonome par rapport à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH du Conseil de l’Europe). La Charte, en vigueur en 2002, est issue du courant abolitionniste très actif qui existe dans l’Union européenne et qui est aujourd’hui le moteur de la promotion de l’abolition universelle. La peine de mort disparaît de l’horizon des États membres de l’UE par l’article 2 – droit à la vie -, alinéa 2 :
« Nul ne peut être condamné à la peine de mort ni exécuté. »

Par ailleurs, l’UE assied sa volonté abolitionniste par d’autres textes et symboles forts : l’Appel de Strasbourg du 2 juin 2001, la Résolution du Parlement européen sur la peine de mort dans le monde et l’instauration d’une « journée européenne contre la peine de mort », le 10 octobre. En outre, le rôle et la force de conviction abolitionniste du Parlement européen s’exprime en réprouvant fermement les condamnations à mort dans le monde. Individuellement, les pays de l’UE font état des mêmes positions. Le Parlement adopte une résolution prônant « l’abolition universelle de la peine de mort » qui représente « un objectif fondamental de l’Union européenne ».

Pour Robert Badinter : « L’abolition de la peine de mort est une grande conquête européenne. Le moindre des rachats après les siècles de crimes contre l’humanité commis en Europe. C’est vraiment une revanche, une grande victoire de l’humanité [11]. »

L’Europe est aujourd’hui une véritable communauté de valeurs devenues des normes communes aux États membres. Et « le non-respect de ces valeurs par un État membre peut conduire à la suspension de ses droits d’appartenance à l’Union [12]. » Il s’agit d’obligations juridiques et la politique des droits de l’homme définit actuellement l’image de l’Europe. L’UE est devenue « l’espace démocratique où les droits fondamentaux sont le mieux reconnus et le plus complètement garantis ». L’abolition de la peine de mort est devenue un des fondements de la civilisation européenne. D’autant plus qu’elle possède une valeur juridique supranationale. L’Europe est aujourd’hui garante de l’abolition pour ses États membres et pour l’ensemble de ses citoyens et citoyennes.

Le cas et la jurisprudence Orban (chef du Gouvernement hongrois) de 2015
Mais une fois posés ces éléments théoriques et juridiques, quel est le principe de réalité face à une dissidence au sein de l’Union, confrontée à une attaque de ses valeurs et principes, en interne ? Quelle pourrait être la portée de la dénonciation des Protocoles additionnels 6 et 13 de la CEDH ou celle de la Charte des droits fondamentaux ? Jusqu’à quel point cette dernière est-elle contraignante ? Aujourd’hui, pour appartenir à l’Union Européenne, une des exigences requises est l’interdiction de la peine de mort dans la législation des États. Mais une fois dans l’Union européenne, qu’elles seraient les conséquences de la réintroduction ?

Le 28 avril 2015, le Premier ministre hongrois Victor Orban, affirme publiquement que « la question de la peine de mort devrait être interrogée et remise à l’ordre du jour en Hongrie ». Selon lui, les sanctions existantes pour des crimes graves comme le meurtre sont « trop faibles ».Immédiatement, il est confronté à une levée de boucliers. Le président de la commission européenne Jean-Claude Juncker et le président du Parlement européen Martin Schulz, réagissent très vivement.Le 30 avril, Jean-Claude Junker, déclare : « Nous n’avons pas besoin de discuter des choses évidentes. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne l’interdit et M. Orban devrait immédiatement clarifier sa position en indiquant que la Hongrie n’a pas l’intention d’appliquer la peine de mort. Si c’est son intention, alors il y aura une bataille ». Interrogée sur la possibilité d’avoir recours à l’article 7 du traité de Lisbonne, selon lequel si un État membre viole les droits de l’Homme, ses droits de vote au Conseil peuvent être suspendus ou supprimés, Natacha Bertaud porte-parole du Président de la Commission européenne – a répondu qu’en 2014, la Commission avait adopté un cadre réglementaire pour s’attaquer aux menaces systémiques auxquelles est exposé l’État de droit dans les États membres : « Bien sûr, si aucune solution n’est trouvée dans ce cadre-là, l’article 7 sera utilisé en dernier ressort pour résoudre une crise et s’assurer du respect des valeurs européennes ». Quelques heures après cette déclaration, le chef du personnel du premier ministre hongrois, Janos Lazar, déclare que Budapest « n’a pas de plans » pour remettre en vigueur les condamnations à mort. Dans un appel téléphonique avec le président du Parlement européen Martin Schulz, Janos Lazar indique que Viktor Orban a expliqué qu’il y a un débat en Hongrie sur la peine de mort, mais il a n’a pas l’intention de l’introduire dans le pays. Pourtant quelques jours plus tard, début mai, il récidive dans ses déclarations. Outre les principes fondamentaux de l’Union européenne, la Hongrie a ratifié la CEDH (signée le 6 novembre 1990, ratifiée le 5 novembre 1992). Le secrétaire général du Conseil de l’Europe, le norvégien Thorbjørn Jagland rappelle que la réintroduction de la peine de mort serait contraire aux obligations de la Hongrie liées à la Convention.Le Conseil de l’Europe dispose de peu de moyens coercitifs. Son Assemblée parlementaire, pourrait suspendre leur droit de vote aux sept représentants hongrois. Elle l’a fait en avril 2014 avec les 18 députés russes après l’annexion de la Crimée, et l’a renouvelé en janvier 2015, jusqu’à son exclusion récente en 2022. La Grèce avait dû se retirer en 1969, au risque de se voir expulser de l’organisation à cause de la mise en place de la Dictature des colonels à la suite du Coup d’État de 1967. Elle n’a réintégré le Conseil de l’Europe qu’en 1974 avec la restauration d’un régime démocratique. L’Europe démontre à travers l’affaire Orban qu’elle applique une pression des droits Humains. On le constate pour les pays de l’Est, nouvellement adhérents qui au sortir de l’ère soviétique et pour rentrer dans l’Union européenne ont dû écrire de nouvelles constitutions et abolir (la Turquie aussi en 2004, ce qui a sauvé la tête d’Otchalan, chef du PKK – parti des travailleurs du Kurdistan – toujours emprisonné mais en vie).

L’abolition est devenue une condition sine qua non pour l’adhésion à l’Union européenne. Il s’agit, pourrait-on dire, d’un acquis communautaire, voire d’une loi sociale commune. La suppression du châtiment suprême est dorénavant un des tickets d’entrée dans l’Union. Sans abolition, pas de possibilité légale de présenter sa candidature. Ainsi, « seuls les États engagés sur la voie des réformes bénéficient de l’assistance [de la CEE puis de l’Union européenne depuis 1993] et sont ensuite considérés comme des candidats à l’adhésion crédibles [13] ». 

L’Union européenne est opposée à la peine capitale dans tous les cas et sans exception, et ne cesse de réclamer son abolition universelle.Il s’agit de prosélytisme sans nul doute, certains parleront même d’ingérence. Cette valeur est mise en avant mais aussi portée au regard de tous les autres États [14].

Finalement, pour nous Européen-nes, quelles sont nos certitudes, à part la richesse de ce désir de vivre ensemble ? La condamnation à mort, c’est la purge de la mauvaise conscience collective.

Retour en France : chronologie de l’abolition

* La France est le premier pays au monde à débattre en son Parlement de la question de l’abolition de la peine de mort lors de la rédaction du Code pénal de 1791. En effet, alors que dans les Cahiers de Doléances les futurs citoyens réclament une justice égalitaire (alors que la décapitation était privilège d’Ordre pour la Noblesse), Le Peletier de Saint-Fargeau – rapporteur du projet, soutenu par Robespierre -, se prononce pour l’abolition complète de la sanction capitale. Lors des débats des 23, 30, 31 mai et 1er juin 1791, les députés utilisent d’ores et déjà toute la gamme argumentative – abolitionniste ou rétentionniste – qui a agité ensuite les assemblées pendant près de deux siècles. En conclusion de la longue polémique au sein du cénacle, le procès-verbal de la Constituante mentionne : « La question principale mise aux voix, l’Assemblée décide presque à l’unanimité que la peine de mort ne sera pas abrogée. » Ce n’est pas le moment d’abolir : la Révolution a besoin de moyens pour éradiquer l’Ancien régime. Et elle considère le châtiment suprême comme un de ces moyens. L’échafaud lui est nécessaire. À partir de cette date, « Tout condamné à mort aura la tête tranchée » (article 3 du code pénal du 25 septembre 1791) et les cas possibles de condamnations à mort passent de 115 à 32. C’est une nouvelle ère qui s’ouvre dans l’Histoire de notre pays : celle de 190 années de guillotine.

La première exécution par l’emploi de cette nouvelle machine a lieu le 25 avril 1792. Mise au point par les Docteurs Louis et Guillotin, le geste est effectué par le bourreau Charles-Henri Sanson. Le premier décapité par ce moyen se nomme Nicolas Jacques Pelletier.

La Révolution française va faire voler plus de 40 000 têtes dont celle de Louis XVI, le 21 janvier 1793. La guillotine s’inscrit comme symbole politique, elle est la machine qui a éradiqué la royauté : elle devient un des outils et une des incarnations de la République. C’est par la décapitation du Roi le 2 pluviôse an 1 – figure de la Monarchie absolue -, que la République française devient légitime, quatre mois après son avènement. Est-ce dû à cette image très forte que l’on tarde à abolir ? C’est une des réponses, si elle n’est unique. La République française s’est construite sur la Révolution, à laquelle se sont associés inextricablement un événement   la décapitation du Roi – et un objet, la guillotine. Dans l’imaginaire et l’inconscient collectifs des citoyens français, on ne peut abolir, car ce serait reconnaître l’erreur de l’assassinat légal de la monarchie – personnifiée sous les traits de Louis XVI – et le risque d’un retour en arrière : le risque de perdre en partie la puissance républicaine et la pérennité de son enracinement.

Ainsi, l’abolition de la peine de mort est reportée au moment de la proclamation de la paix générale. Le décret définitif dispose à l’article 1er que, « à dater du jour de la publication de la paix générale, la peine de mort sera abolie dans la République française ». Il s’agit de la dernière séance de la Convention, pour laquelle la sauvegarde de la sanction capitale paraît tout aussi rétrograde que celle de la royauté. Mais l’argument reste que les supplices ne peuvent être abrogés qu’en temps de paix : autres temps, mêmes effets. Le contexte de la Terreur en parallèle de ces discussions n’est pas propice à la clémence abrogative [15]. L’ordonnance n’est pas appliquée, le Consulat et l’Empire faisant fi des idées abolitionnistes. Le 12 février 1810 le Code pénal napoléonien abandonne cette abolition conditionnelle. Bien au contraire, au titre des peines afflictives et infamantes, figure en première place : « la mort ».

* En 1832, les circonstances atténuantes sont introduites. Dorénavant un criminel peut être déclaré coupable sans être exécuté (pour les crimes qui relèveraient d’une telle peine dans le Code pénal). Conséquence directe : multiplication des peines d’emprisonnement et naissance du système carcéral tel que nous nous le représentons aujourd’hui.

* Alors qu’en 1838 Lamartine déclare que la peine de mort est devenue inutile et nuisible dans une société évoluée, dix plus tard en 1848, le gouvernement provisoire de la IIe République abolit, par décret, la peine de mort en matière politique. Cette loi est confirmée en septembre lors de débats au cours desquels Victor Hugo s’illustre par une défense acharnée de l’abolition.

* Le ministre de la Justice Adolphe Crémieux supprime l’échafaud par un décret, le 25 novembre 1870. C’est le début de la prise de conscience par le pouvoir que le spectacle des supplices est un sujet d’interrogation politique, et l’amorce du long déclin de l’argument utilitaire de la sanction capitale.
* L’Abolition manquée du début du XXe siècle.

Armand Fallières, abolitionniste convaincu, est élu à la Présidence de la République. Accompagné de Clemenceau et les ministres de la Justice successifs, Guyot-Dessaigne et Aristide Briand, ils mettent immédiatement à l’ordre du jour le débat sur l’abolition de la peine capitale. Le texte déposé en 1906 n’arrive en discussion devant la Chambre des députés qu’à partir du 3 juillet 1908. Il est soutenu par des hommes politiques tels que Jean Jaurès ou Paul Deschanel, et combattu notamment par le chantre du nationalisme français, Maurice Barrès. Malheureusement, un fait divers crapuleux, « l’affaire Soleilland », provoque une prise de position de la presse, qui joue le rôle de juge et partie : le texte ne passe pas, et l’abolition est rejetée pour des décennies.

* La dernière exécution publique en France date de 1939. Le condamné se nomme Eugène Weidman et son supplice se déroule sur le parvis du tribunal de Versailles. La décapitation a été particulièrement atroce : une erreur cause un retard de quarante-cinq minutes dans l’exécution. Des journalistes profitent de ce délai pour prendre la plus importante série de photographies jamais réalisée d’un tel spectacle. Un film de l’exécution est tourné en direct. Les photos sont publiées le jour même dans Paris-Soir. La foule hystérique passe les barrages de police pour tremper des mouchoirs dans le sang du supplicié (« ça porte bonheur… »). C’est un véritable scandale public et politique. Le Gouvernement d’Édouard Daladier, ému par ces désordres, promulgue le décret-loi du 24 juin 1939. Dorénavant, les guillotinés le sont dans l’enceinte des prisons à l’abri des regards. La mesure est effective dès l’exécution suivante, celle de Jean Dehaene, le 19 juillet 1939 à Saint-Brieuc. Il est évident qu’à partir de cette date, parler de la soi-disant exemplarité de la peine de mort qui effraierait les criminels, n’a plus aucun sens. Les exécutions ont toujours cours, mais la nuit, cachées dans l’enceinte dans prisons, sous le dais noir de la honte.

* Au milieu des atrocités de la Seconde Guerre mondiale, une anomalie se donne lieu : le 30 juillet 1943, Marie-Louise Lempérière, épouse Giraud, est exécutée dans la cour de la prison de la Roquette à Paris. Claude Chabrol a médiatisé son histoire 45 ans plus tard dans le film Une affaire de femmes (1988). Elle est un cas unique puisque la seule « Faiseuse d’anges » à être condamnée à mort (par le tribunal d’État, section de Paris) pour avoir pratiqué vingt-sept avortements dans la région de Cherbourg [16]. La loi du 15 février 1942 dispose que l’avortement est un crime d’État. Par voie de conséquence, la peine capitale peut être requise. Il y eut 5 femmes suppliciées sous Pétain, mais aussi 4 sous Vincent Auriol : la dernière est Germaine Leloy-Godefroy (elle a tué son mari) en 1949. Dans l’Algérie française : Madeleine Mouton est suppliciée en 1948.

Avant elles, la dernière exécution de femme remontait au 24 juillet 1887 avec Georgette Buffet. La répugnance à tuer des femmes est un fait universel, et c’est un des premiers signes de déclin de la peine de mort dans un pays.

La dernière condamnée en France le fut par un jury populaire, à la Réunion, le 26 juin 1973. Marie-Claire Emma a été graciée par le Président Pompidou.

Renaissance du mouvement abolitioniste dans les années 60 et explosion dans les années 70 : l’abolition est transpartisane.

François Mitterrand en s’inscrivant à la tête de la gauche française, prend dans ses bagages l’héritage des valeurs de tous ceux qui l’ont précédé. L’abolition en fait partie. Ce qui n’était pas si évident car elle cristallise des pulsions et sursauts intimes. Mitterrand n’était pas viscéralement abolitionniste (il a signé 45 ordres d’exécutions en 56/57 lors de la guerre d’Algérie en tant que Garde des Sceaux), il fut pourtant celui qui a porté la loi d’abolition dans son programme politique pour les élections présidentielles.

« On comprend mal Mitterrand là-dessus. Mitterrand n’était pas Camus, ni Victor Hugo. Mitterrand appartenait à une génération qui avait fait la guerre. Il avait été fait prisonnier, il s’était évadé, il avait été résistant, il y avait eu la libération, il y avait eu l’épuration. Pendant la guerre d’Algérie, la Chancellerie n’avait plus compétence sur la Justice en Algérie, c’était le ministre-résident Lacoste. Mais au moment d’opiner au C.S.M. [17] à propos des demandes de grâce, chacun sait qu’il a opiné un certain nombre de fois en faveur de l’exécution. Cela suffit à montrer qu’il n’avait pas une ferme conviction abolitionniste. Mitterrand est devenu abolitionniste le jour où il est devenu le Premier secrétaire du parti socialiste : l’héritier de Jean Jaurès et de Léon Blum ne pouvait être autre chose qu’un abolitionniste. On ne pouvait pas succéder à Jaurès et dire que l’héritier spirituel de Jaurès et de Blum était pour la peine de mort. Cela faisait partie de l’héritage des grands hommes du parti socialiste. Il a mesuré et a compris que l’abolition était la seule voie pour la France, dans la construction européenne, c’est certain [18]. »

Après la Seconde Guerre mondiale, le débat public renaît.
Arthur Koestler et Albert Camus s’inscrivent dans le fort mouvement abolitionniste de cette deuxième moitié du XXe siècle. De nombreux essais, ouvrages, biographies, de juristes, philosophes, historiens, ayant pour thème central la sanction capitale et son abrogation, sont édités et surtout, lus. Ainsi, Maître Albert Naud publie le très émouvant Tu ne tueras pas en 1959. Il réitère en 1967 avec son collègue le Bâtonnier Jacques Charpentier dans Pour ou contre la peine de mort. Jean Imbert écrit en 1972 La Peine de mort, livre dans lequel il retrace l’historique de la sanction pour la collection de diffusion populaire, « Que sais-je ? ». Imbert encore, la même année, rédige avec Georges Levasseur Le Pouvoir, les Juges et les Bourreaux. En 1975, c’est le très marquant Surveiller et Punir de Michel Foucault, qui suit de près la sortie de L’Exécution de Robert Badinter (1973). Parallèlement, le débat devient de plus en plus médiatique : Julien Clerc [19] chante L’assassin assassiné pour répondre au Je suis pour de Michel Sardou, en 1976. Le Pull-over rouge (1978) de Gilles Perrault et son adaptation cinématographique en 1979 par Michel Drach touchent les consciences sur l’affaire Ranucci exécuté à 22 ans alors que l’ombre de son innocence plane toujours. Deux ans plus tôt, le Syndicat de la magistrature s’est prononcé en faveur de l’abolition, soutenu par la Fédération autonome des syndicats de police. Il n’est en rien exagéré de dire que le combat pour l’abolition bat alors son plein. En outre, à la droite de l’échiquier politique, des abolitionnistes rejoignent le combat en s’appuyant, pour certains, sur les déclarations des différentes églises envers l’abolition, à la fin des années 70.

Le mouvement abolitionniste parlementaire reprend des forces en 1962 à l’Assemblée nationale, avec le dépôt d’une proposition de loi émanant d’Eugène Claudius-Petit (parlementaire centriste adhérant au Sillon de Marc Sangnier, mouvement pour le rapprochement entre catholicisme et valeurs républicaines et profondément, voire prosélytement abolitionniste), accompagné de 82 députés de tous bords. Les tentatives se multiplient (venues notamment des rangs des Communistes et de la SFIO jusqu’en 1969 puis du Parti socialiste après le congrès d’Issy-Les-Moulineaux, ou encore des radicaux de gauche du MRG), jusqu’au tournant de 1977 : à droite, Pierre Bas et Philippe Seguin (à partir de 1978), montent au créneau contre leur parti politique et appuient la gauche française dans sa démarche pro-abolition. Pierre Bas revient à la charge de nombreuses fois, n’hésitant jamais à s’associer au camp adverse.

1978 voit une tentative des députés de gauche de faire passer l’abolition par la suppression de la somme allouée au bourreau et à l’entretien de la guillotine (le bourreau n’a jamais été fonctionnaire). En 1979, Pierre Bas et Bernard Stasi (appuyés par Michel Aurillac et Raymond Forni), obligent le Garde des Sceaux Alain Peyrefitte à ouvrir un débat. La commission des lois vote l’abolition. Le Garde des Sceaux répond. Il considère qu’il ne serait pas digne pour le Parlement et pour le Gouvernement de régler à la sauvette, par le biais d’un amendement à la loi de finances, une question aussi grave et controversée. Il n’y a eu « que » sept exécutions entre 1968 et 1978 ; la peine de mort, pour Alain Peyrefitte, est quasiment tombée en désuétude. Pierre Bas va reprendre cet argument une semaine plus tard, mais pour la sphère abolitionniste : « Ces têtes d’ailleurs on n’en coupe à peu près plus, 7 en 10 ans, alors que dans le même temps ont été commis 12 514 crimes […] Un meurtrier a une chance sur mille d’être condamné à mort et un criminel odieux n’a qu’une chance sur cent de payer de sa tête son forfait. Nous sommes donc devant un système de roulette russe […] les procureurs en effet ne requièrent presque jamais la mort, les jurés populaires la refusent presque toujours, la Cour de Cassation casse une fois sur deux les condamnations, et le Président de la République gracie la plupart de ceux qui sont parvenus, si je puis dire, à la peine capitale. »

Pour Pierre Bas aussi, cette peine est en désuétude, mais, a contrario du Garde des Sceaux, c’est une des raisons majeures et urgentes d’abolir. Le parlementaire estime qu’il s’agirait de la plus grande des injustices   vu les rouages judiciaires des condamnations à mort évoquées –, qu’un homme soit de nouveau guillotiné. Alain Peyrefitte exprime sa « crainte qu’un débat prématuré ne porte en réalité préjudice à la cause de l’abolition de la peine de mort ». Il se réfère aux « grandes démocraties » sans en citer une seule, qui aboliraient à l’occasion de période de sécurité. Pierre Bas ne se gênera pas pour lui répliquer : « Ne demandez pas de temps, Monsieur le Ministre, la chancellerie réfléchit depuis 72 ans ! » (Référence à l’abolition manquée de 1908).

Et comme dans le cas d’autres luttes très épidermiques (nous pouvons penser à Simone Veil qui combattit contre son camp, en 1974 pour le droit des femmes à l’IVG, mais elle aussi soutenue par certains parlementaires de droite), des députés ferraillent vivement contre des personnalités de leur bord. Badinter ne l’oubliera pas lorsqu’il demande à Philippe Seguin de répondre au président de la commission des lois le 17 septembre 1981 (à la place de Raymond Forni). C’est une façon de remercier ces gaullistes qui se sont battus contre leurs collègues mais aussi au risque de perdre une bonne partie de leur électorat.

Grandes affaires judiciaires des années 70
L’argument employé par les deux camps est néanmoins vrai : la peine de mort en France, tombe en désuétude. Ce qui paradoxalement offre une plus grande publicité aux dernières exécutions, et un plus grand rejet pour ce qui ressemble de plus en plus à des supplices d’un autre temps.

L’affaire Buffet-Bontems en 1972 a un grand retentissement. Robert Badinter, abolitionniste de toujours (nous pouvons trouver des textes libres – tribunes – du grand avocat dès le début des années 1960 sur ce sujet, entre autres sur la question de l’exécution d’Eichmann en 1961), en fait à partir de cette date son combat à temps plein. Alors que Christian Ranucci est guillotiné en 1976 – le doute subsistant toujours sur sa culpabilité -, Badinter sauve la tête de Patrick Henri en 1977. Il fait le procès de la peine de mort au tribunal, l’année où Amnesty international reçoit le prix Nobel de la Paix.

L’abolition est au programme du candidat François Mitterrand lors de la campagne présidentielle de 1981. Une fois élu, il nomme Robert Badinter Garde des Sceaux (après un bref passage de Maurice Faure à la Justice). Si l’Assemblée majoritairement à gauche leur est tout acquise, les débats au Sénat sont plus vifs. Mais nous y sommes : abolie en France le 9 octobre 1981, la peine de mort n’est plus.

Loi constitutionnelle de 2007
Jacques Chirac, abolitionniste convaincu, décide d’ajouter un amendement à la Constitution française le 23 février 2007. La Constitution n’est plus valide au regard des textes européens ratifiés par notre pays, alors que cette même année la France ratifie le Protocole n°13 à la CEDH. Protocole, rappelons-le, qui abolit en toutes circonstances. Pour l’entériner, la France doit changer sa Constitution suite à un problème d’interprétation lié à l’article 16 de la Constitution française qui dispose : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate, et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances après consultation officielle du Premier Ministre, des Présidents des assemblées ainsi que du Conseil Constitutionnel. » Il n’est plus possible de conserver une telle réserve après ratification, l’article est donc modifié. Présenté en conseil des ministres le 17 janvier 2007, il est adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 30 janvier 2007 et par le Sénat le 7 février 2007. Le 19 février 2007, le Parlement, réuni en Congrès à Versailles, se prononce pour le projet de loi constitutionnelle. Il vote la révision « interdiction de la peine de mort » par 828 voix contre 26. La loi est promulguée le 23 février 2007 et publiée au Journal officiel du 24 février 2007.

L’interdiction totale est, depuis cette date, inscrite dans la Constitution, à l’article 66-1, qui dispose que « nul ne peut être condamné à la peine de mort ».

Par cette loi constitutionnelle insérant dans l’article 66 de la Constitution ce premier alinéa, la France est le 16ème pays en Europe à avoir inscrit l’abolition de la peine de mort dans sa Constitution. La France est le 40e État, sur les 47 États membres du Conseil de l’Europe, à ratifier ce Protocole entré en vigueur le 1er juillet 2003. Elle est, par ce procédé, entrée dans le groupe des pays qui constitutionnellement sont abolitionnistes en toutes circonstances. Le châtiment suprême est caduc, et ne peut être rétabli.

Conclusion
La France est aujourd’hui un pays pleinement abolitionniste, pays inclus dans une instance – l’Union européenne -, où la peine de mort n’existe plus : elle y est légalement interdite. Indépendamment, et pour conclure sa transfiguration abrogative, la France refuse l’extradition de détenus dans des pays où ils risqueraient une condamnation à mort.

Aujourd’hui 17 Français sont condamnés à mort dans le monde.
Nous devons exiger leur retour, et ce quels que soient leurs crimes.
L’abolition n’admet aucune exception.

[1] La dernière exécution connue remonte à 1468. La peine de mort abolie pour tous les crimes en 1848, fut rétablie pour les crimes exceptionnels entre 1853 et 1858. Toutefois, la sanction capitale ne figure pas dans le code pénal de Saint-Marin, et ce dès sa première version datant de 1865.
[2] Depuis 1993 et le traité de Maastricht – avant : CEE depuis les traités de Rome de 1957 ; aujourd’hui la CE est devenue 1 des 3 piliers de l’UE avec la PESC et la CPJP.
[3] Entretien avec Monsieur Robert Badinter, le 5 décembre 2011.
[4] Gérard Cohen-Jonathan et William Schabas (dir.), 
La Peine capitale et le droit international des droits de l’homme, Paris, Éditions Panthéon-Assas, 2003. [Troisième partie « les initiatives politiques », chap. B – l’action du Conseil de l’Europe – par Jeroen Schokkenbroek, pp. 181-189.]
[5] Cela est d’autant plus vrai qu’aucune dérogation au Protocole n’est admise en vertu de l’article 15 de la CEDH, et que les États ne peuvent en aucun cas émettre de réserve par exception à l’article 64 de la Convention.
[6] Entretien avec Robert Badinter, le 5 décembre 2011.
[7] Son Président était alors Daniel Mayer.
[8] « Politiquement la majorité du Sénat était en bloc hostile à tout ce qui venait du Gouvernement de gauche. Les sénateurs n’ont donc pas voulu voter la ratification, parce qu’elle rendait pratiquement l’abolition irréversible. Ils ne voulaient pas faire ce cadeau à la gauche, au moment où elle allait partir [
les élections législatives attendues allaient remettre la droite sur le devant de la scène politique ; c’est la période de la première cohabitation]. Ce sont des votes éminemment politiques, « on a voté l’abolition ça suffit on ne va pas la rendre irréversible ». Il y avait très peu de monde dans l’hémicycle. Ce n’est pas par rapport à l’abolition, mais par rapport à une attitude générale très politique d’hostilité à tout ce que faisait le gouvernement de gauche. « On [La droite sénatoriale] n’acceptait plus rien, y compris la ratification du Protocole n°6 », Robert Badinter, entretien du 5 décembre 2011.
[9] Loi n° 85-1485 du 31 décembre 1985 autorisant la ratification du Protocole n°6 à la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales concernant l’abolition de la peine de mort.
[10] Mireille Delmas-Marty, 
Vers une communauté de valeurs ? (Les forces imaginantes du droit, t. IV), Paris, Seuil, coll. « La Couleur des idées », 2006.
[11] Entretien du 5 décembre 2011.
[12] Gülsün Bilgehan, « L’Ancrage européen de la Turquie »,dans Pascal Boniface (dir.), 
Quelles valeurs pour l’Union européenne ? Paris, Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), Presses Universitaires de France (PUF), 2004, p. 49. Gülsün Bilgehan est une femme politique turque, députée d’Ankara en 2004.
[13] Laure Neumayer, 
L’Enjeu européen dans les transactions postcommunistes : Hongrie, Pologne, République tchèque, 1989-2004, Paris, Belin, 2006, p. 6.
[14] Une autre question peut interroger autant sur le plan moral que légal : les demandes d’euthanasie des prisonniers de très longues peines d’enfermement qui savent qu’ils ne pourront pas sortir de prison. Est-ce que l’enfermement sans possibilité de libération est une forme de peine de mort au vu des souffrances morales dénoncées par ces prisonniers, souffrances qui les amènent parfois à demander à ce que l’État mette fin à leur vie. En septembre 2014, Frank Van Den Bleeken, 50 ans, depuis 30 ans derrière les barreaux suite à une peine d’internement pour meurtre et faits de mœurs, a demandé à être euthanasié. Il dit subir d’insupportables souffrances psychologiques et ne bénéficie en prison d’aucun traitement. Finalement la cour d’appel a rejeté cette demande. Toutefois, dans son sillon, d’autres prisonniers de très longues peines ont fait des demandes similaires. La question éthique et juridique est donc ouverte.
[15] Jean-Clément Martin, 
Violence et Révolution. Essai sur la naissance d’un mythe national, Paris, Seuil, coll. « L’univers historique », 2006.
[16] Un homme, Désiré Pioge, a été exécuté pour les mêmes faits. Né en 1897, Désiré est hongreur à Saint-Ouen-en-Belin (Sarthe). Il doit répondre de trois avortements le 12 août 1943 devant le Tribunal d’État. Condamné à mort, sa demande de grâce est rejetée par le cabinet civil du Maréchal le 11 octobre. Il est exécuté le 22 du même mois (AN : 4W15 dossier 5). (Cyril Olivier, Jean-Yves Le Naour, Catherine Valenti,« Histoire de l’avortement (XIXe-XXe siècles) », 
Histoire‚ femmes et sociétés, Clio [En ligne], 18 | 2003, mis en ligne le 9 décembre 2003, URL : http://clio.revues.org/635. Référence papier : Cyril Olivier, Jean-Yves Le Naour, Catherine Valenti,« Histoire de l’avortement (XIXe-XXe siècles) », Histoire‚ femmes et sociétés, Clio, n°18, 2003, pp. 297-301.)
[17] Conseil Supérieur de la Magistrature.
[18] Entretien avec Robert Badinter, 5 décembre 2011.
[19] Concomitamment, Julien Clerc déclare sur Antenne 2, à Paul Lefebvre qui l’interviewe le 11 mars 1980 : « On ne peut répondre à la mort par la mort ».

Marie Bardiaux-Vaïente
Conférence aux Archives Nationales, 15 avril 2023
https://abolition.hypotheses.org/1560

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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