Voix d’Iran : Téhéran tango

Ce témoignage est arrivé de Téhéran aujourd’hui, après une longue période de relatif silence, où mes proches se contentaient de courts messages presque creux, comme trois coups frappés sur une cloison pour dire « je suis vivant ». Il aborde notamment le sujet des empoisonnements dans les écoles. L’auteure est directement concernée mais a choisi de rester vague pour des raisons de sécurité.

Alors, voilà, il semble que l’heure est venue d’attaquer des dizaines d’écoles de filles avec des armes chimiques, et d’utiliser la technologie de l’intelligence artificielle et les caméras de circulation et de saisir des images des caméras de surveillances des supérettes, juste pour s’assurer qu’un morceau de tissu reste bien en place, sur la tête des filles et des femmes iraniennes.

L’heure est venue, et pourtant, alors que ceux qui se donnent tant de mal pour préserver la dignité des femmes iraniennes, en les mettant à l’abri d’un sort terrible (à savoir, que des hommes inconnus voient la couleur de leurs cheveux), alors que ces gens réalisent enfin à quel point les cheveux des femmes peuvent être importants et efficaces, les hommes et les femmes du monde libre, eux, ne semblent toujours pas comprendre.

Ils ne voient tout simplement pas dans quel monde ils vivent.

On pourrait arguer qu’il y a beaucoup d’autres choses qui ne vont pas dans beaucoup d’autres endroits dans ce monde. Et oui, c’est vrai. Il y a des endroits où les gens s’endorment affamés. Il y a des endroits où les gens ne dorment pas du tout. Il y a aussi des endroits où les gens n’ont pas accès à Internet, ni même aux outils pour même espérer accéder un jour à Internet.

Mais c’est aussi un fait qu’aujourd’hui, il n’y a que deux endroits dans le monde où, quand les femmes doivent avoir faim, elles doivent avoir faim les cheveux couverts, et quand les femmes n’ont pas internet, quand elles n’ont pas accès à l’information, eh bien, elles doivent s’en accommoder tout en ayant peur d’être empoisonnées, dans leurs propres salles de classe, tout en ayant peur d’être battues à mort, comme l’a été Mahsa Amini, parce qu’on apercevrait une mèche de leurs cheveux.

Maintenant, permettez-moi d’abord d’expliquer quelque chose, avant d’ajouter quoi que ce soit d’autre. Plus de 150 écoles de filles ont été attaquées avec des gaz toxiques inconnus (note de la traductrice : le nombre réel est plus élevé que celui mentionné par ce témoin. Les Iraniens n’ont pas accès à toutes les informations qui parviennent aux médias occidentaux sur leur propre pays, en raison du contrôle strict exercé par le gouvernement sur tous les moyens de communication).

Le gouvernement iranien n’a même pas réussi à attraper un auteur crédible, qui pourrait en être rendu responsable, alors même qu’il est assez puissant pour kidnapper des dissidents iraniens de pays étrangers et les ramener en Iran, afin qu’ils y soient pendus après un simulacre de procès pour espionnage .

Il est difficile d’imaginer qu’un civil en particulier, ou même un « terroriste », puisse fabriquer un gaz ayant ces propriétés. Il est difficile d’imaginer qu’une entité autre qu’un pays assez développé, ayant accès à des laboratoires et à une technologie de pointe, ou qui soit capable d’acheter des armes chimiques à des puissances étrangères, serait capable de frapper autant d’écoles, à une si grande échelle, et de s’en tirer malgré tout sans être détecté.

Depuis le début des premières attaques, de nombreuses écoles avaient désigné des personnes pour garder les locaux de l’extérieur ou les surveiller à distance, et beaucoup avaient des caméras et dans certains cas, les parents eux-mêmes ont décidé de surveiller les écoles de leurs enfants, et pourtant, ils n’ont réussi ni à empêcher les attaques ni à identifier les agresseurs.

Les attaques continuent, encore, elles ne se sont arrêtées que pendant les vacances de Nowrooz. Les attaques continuent, oui, quoi qu’il arrive, et il n’y a que des rumeurs à entendre à leur sujet.

Il n’y a que deux pays dans le monde qui ont ce type de loi sur le hijab imposé à toutes les femmes de nos jours : l’Iran et l’Afghanistan des talibans.

L’expérience de vie des femmes dans ces deux pays est fondamentalement que la vie c’est… et bien, c’est une condamnation à la perpétuité. Sans remise de peine. 

Sauf pour ces femmes là, bien sûr, celles qui aident à réprimer les autres femmes. Ces femmes, qui viennent dire à leurs élèves « taisez-vous, sinon… ». Celles qui se prétendent enseignantes et disent à leurs élèves qu’elles subiront de graves répercussions si elles appellent leurs parents pour dire : « Mon école a été attaquée ».

Il y a aussi ces femmes, oui. Et vous pouvez en trouver beaucoup dans les écoles iraniennes de nos jours. Et donc il n’y a qu’un seul espoir pour les filles, dans la vie : leur seul espoir est d’obtenir un diplôme d’études, de la part du même système qui les empoisonne littéralement avec de la mauvaise nourriture, ou des gaz toxiques, ou qui les brûle dans des incendies accidentels, ou les noie, également dans des accidents, ou fait basculer leurs bus dans des ravins, lorsqu’elles sont emmenées en excursion obligatoire.

Si elles survivent à ça – si elles survivent à l’école, alors elles doivent passer par le système d’enseignement supérieur, et si elles s’en sortent aussi, sans avoir été tuées, violées, battues, foutues en l’air de façon irréparable, alors peut-être, juste peut-être, elles pourront travailler et gagner de l’argent, et ensuite elles pourront peut-être dire à leurs pères ou à leurs frères d’aller se faire voir, et peut-être qu’elles n’auront pas à être l’esclave d’un mari, pour le reste de leur vie.

C’est donc dans ces conditions que les femmes iraniennes, ont décidé d’accepter de nombreux risques, et d’arpenter les rues des villes et villages d’Iran, sans leur hijab. 

Et c’est logique, quand on y pense : qu’ont-elles à perdre ?
Qu’avons nous a perdre ? 

Ne vaut-il pas mieux mourir que d’être opprimées ainsi ?

Et pourtant, le « monde libre » ne parvient toujours pas à le reconnaître.

Même en Corée du Nord, si vous êtes censé aller en camp de travail, vous pouvez le faire sans ce bout de tissu sur la tête !

Même au Tibet, les femmes ne sont pas censées vivre dans des sacs. Je sais. Plus personne n’ose dire « Tibet ». Mais là ! Je l’ai dit. Et juste à côté, je dis « femme iranienne » – je dis «  femme afghane ».

Cela ne durera pas, cela ne peut pas durer. Si tout doit se résumer à mes cheveux, aux cheveux de ma sœur, aux cheveux de ma mère, aux cheveux de ma fille – si mes cheveux sont le centre du monde maintenant, et que c’est ce qui décidera du sort de l’industrie pétrolière ou de la guerre en Ukraine ou de l’accord sur le nucléaire ou des affaires chinoises, oui, si ce sont mes cheveux qui doivent décider de l’économie mondiale, alors qu’il en soit ainsi !

L’économie mondiale va bientôt s’effondrer, car mes cheveux ne resteront pas sous ce voile. Cela ne peut tout simplement pas continuer !

Aujourd’hui, nous voyons que les caméras de surveillance nous regardent. Nous voyons qu’on nous menace de perdre l’accès à nos comptes bancaires et que nous risquons d’être condamnées à une amende, pour non respect du hijab, ce qui est ironique, car comment pourra-t-on payer nos amendes, si on n’a plus nos comptes bancaires ? Et nous savons bien qu’ils ne prendront pas que notre argent, de toutes manières. 

Nous voyons aussi ces autres femmes, celles qui viennent nous voir, se sentant si en sécurité et bien-pensantes, pour nous dire de nous taire et de nous couvrir les cheveux. Nous les voyons. Et nous voyons ceux qui regardent et ne disent rien. Et nous voyons ceux qui font semblant de ne pas nous voir. Nous vous voyons. 

Nous n’allons pas rester bien longtemps des « femmes iraniennes ». Bientôt nous ne serons plus que « les femmes », malgré l’économie mondiale et l’industrie pétrolière et la volonté des nations qui gardent le silence. 

Nous sommes « femme », nous sommes « vie », nous sommes « liberté ». 

Entrez ça dans vos crânes, si vous ne l’avez pas encore fait. 

Nous allons continuer à marcher, et il serait temps de se poser cette question peut-être : « combien de kilomètres une femme doit-elle parcourir avant que vous ne l’appeliez femme ? » (note de la traductrice : référence à la chanson de Bob Dylan « blowing in the wind »). 

Et nous ne nous contenterons pas de marcher. Nous allons faire de la moto, voler, sauter et skier, grimper, donner des coups de pied, chanter et danser aussi. Qui est-ce qui a dit : « Danser, c’est marcher sans but » ?

Il n’y a pas de retour en arrière possible. Aucune danse ne peut jamais être « dé-dansée », et ce tango n’est pas le dernier.

sirine.alkonost
https://blogs.mediapart.fr/sirinealkonost/blog/030523/voix-diran-teheran-tango

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Une réflexion sur « Voix d’Iran : Téhéran tango »

  1. IRAN : EXIGER L’ARRÊT IMMÉDIAT DES EXÉCUTIONS ET L’ABOLITION UNIVERSELLE DE LA PEINE DE MORT
    Appel à un rassemblement, signé par la LDH, le mardi 23 mai 2023, à 17h00, devant l’Ambassade d’Iran (Paris 16ème), pour exiger l’arrêt immédiat des exécutions en Iran et l’abolition universelle de la peine de mort

    Près de huit mois après la mort, entre les mains de la police des moeurs, de la jeune Mahsa (Jîna) Amini, iranienne d’origine kurde, pour un voile mal porté, les autorités iraniennes continuent de réprimer le mouvement social et politique inédit porté par la devise « femme, vie, liberté ». Engagé.e.s dans une lutte pour l’instauration d’une société démocratique, laïque et sociale, les iraniens et les iraniennes payent, de leurs vies, leurs aspirations en faveur de l’égalité et des libertés.
    Le bilan macabre ne cesse de s’allonger : plus de cinq cents manifestants ont été tués dont 70 enfants, tandis que des milliers d’Iraniens, dont des centaines de journalistes, avocats, militants syndicaux, écologistes, féministes et des droits humains, sont traqués et arbitrairement arrêtés. En violation directe du Pacte des droits civiques et politiques dont l’Iran est portant signataire, le régime islamique les condamne aux termes de procès iniques et inéquitables, les prisonniers politiques font l’objet d’aveux forcés, d’actes de torture par leurs geôliers lorsqu’ils ne sont pas purement et simplement privés de tout contact avec leurs familles.
    Rejeté par l’écrasante majorité de la population et dépourvu de légitimité, le pouvoir théocratique ne se maintient aujourd’hui que par la violence et la terreur. L’usage massif de la peine de mort, clé de voute de son arsenal répressif supprime les opposants et tyrannise la population.
    Depuis le début de l’année 2023, selon l’ONU, au moins 203 Iraniens condamnés à mort ont été pendus par le régime iranien. Ces deux dernières semaines, le régime a exécuté au moins 54 Iraniens, soit plus de trois pendaisons par jour, parfois sans aviser leurs familles et sans qu’elles n’aient pu assister à l’enterrement de leurs proches.
    Le 8 mai, deux militants athéistes ont été pendus après avoir été condamnés à mort du chef de « blasphème » pour avoir critiqué les superstitions religieuses sur leur chaîne Télégram. Le 6 mai, un irano-suédois militant de la minorité arabe d’Iran, inculpé de séparatisme, a également été pendu. Le 19 mai, après avoir démenti l’avant-veille leur exécution, les autorités ont exécuté, à l’aube, trois jeunes iraniens accusés d’avoir tué des forces de l’ordre dans une manifestation anti-régime, ce qu’ils ont toujours catégoriquement nié : Majid Kazemi, Saleh Mirhashemi et Saeed Yaghoubi.
    Arrêtés le 21 novembre 2022 à la suite de manifestations anti-régime à Ispahan, leur condamnation à mort pour « inimitié à l’égard de Dieu » a été confirmée à la mi-mai aux termes d’un second simulacre de procès inéquitable où ils n’ont pas pu choisir d’avocat, ni avoir accès à leur dossier. Peu avant son exécution, Majid Kazemi rapportait à sa famille avoir été battu, fouetté et menacé de viol par ses geôliers.
    L’émoi suscité par l’annonce de l’exécution de leur peine a généré une importante mobilisation citoyenne : à la faveur de rassemblements spontanés et interdits devant la prison où ils étaient détenus, la pression instituée par les Ispahanais a permis, brièvement, de surseoir à leur exécution.
    Cela n’a toutefois pas suffi à les épargner tandis que, la même semaine, les prisonnières politiques d’Evin demandaient « à la communauté internationale et aux médias du monde de soutenir massivement la volonté des iraniens » et « d’exercer un maximum de pression sur la république islamique afin qu’il soit mis un terme à ces crimes d’Etat ».

    Répondant à cet appel, tandis que des centaines d’iraniens sont encore dans le couloir de la mort, nous, collectifs de la société civile et militants des droits humains, appelons à un rassemblement Mardi 23 mai 2023 devant l’ambassade d’Iran à Paris (4 av. d’Iéna, 16e) afin de :
    – dénoncer le recours massif à la peine de mort, châtiment cruel et inhumain, par les autorités iraniennes ;
    – exiger l’arrêt immédiat de toutes les exécutions en Iran, quel qu’en soit le motif ;
    – condamner la répression du mouvement anti-régime par les autorités iraniennes ;
    – exiger la libération de tous les prisonniers politiques et otages français arbitrairement détenus.

    Des prises de parole de militants des droits humains, de parlementaires et d’élus sont prévues.
    Signataires : Iran Justice, Neda d’Iran, Queers and Feminists for Iran Liberation, We Are Iranian Students, Azadi 4 Iran, Collectif des soignants franco-iraniens, Ordre du Barreau de Paris, Conseil National des Barreaux, LDH (Ligue des droits de l’Homme).
    https://www.ldh-france.org/iran-arret-immediat-des-executions-et-pour-labolition-universelle-de-la-peine-de-mort/

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