Les livres m’emmènent ailleurs, où il y a à partager et à recevoir

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« Un trou dans le dos, de la forme d’un savon noir. Pas de sang, c’est net. Juste une béance »
« 
Un trou dans la gorge lorsqu’elle tente de le retourner, bien net, bien rond, dont ne sort aucune goutte de sang »
« 
Il tombe en arrière, sur le dos, la bouche ouverte. Non, pas ouverte, juste un trou »
« 
L’homme est figé, droit debout contre la trappe ouverte de la tourelle »

Cela commence comme un roman noir sanglant, mais l’absence de sang laisse entrevoir une autre dimension propre à la science-fiction.

Un commissaire nommé Labordure, des pièces de puzzle à mettre en place, « Une cacophonie d’affirmations, toutes plus farfelues les unes que les autres », les soustractions et le besoin d’addition, « Se décentrer pour envisager une nouvelle façon d’aborder les pistes, avec hauteur pour comprendre ce qui échappe ».

Avec une certaine malice Nathalie Beaudouin nous propose de nouvelles pièces qui semblent étrangères au puzzle : Tirsias (un géologue), Cassandre (une autrice), à moins que la mythologie puisse fournir des éclairages.

Et après les trous dans des êtres humains, un trou dans leur environnement « Rien ne réponde aux paramètres habituels », puis un Dôme disparu, un tramway propulsé par un choc et trois bâtiments manquants, « l’apparence du boulevard change d’une seconde à l’autre, comme un cut au montage »…

Je souligne les paragraphes sur Cassandre, le langage et l’écriture, les hypothèses émise par Tirsias, les données dans la main de Labordure. Non décidément rien ne se met en place.

Je ne vais bien évidement ni dévoiler les intrigues, ni semer des éléments qui pourraient orienter les lecteurs et les lectrices vers des rumeurs (vraies ou fausses) ou des chemins escarpés ou glissants vers une sortie anticipée.

Suivons donc l’autrice, nous croiserons, entre autres, des algorithmes et Génie de l’Intelligence Artificielle, le livre La Disparition de Georges Pérec, Psyché et ses compétences de profileuse (son divan aussi du coté de l’analyse), les affres de l’écriture, la fabrication de discours et les « flux de marchandisation » d’une entreprise, une suite de trous et de disparitions, les délires autour des projections informatiques, les inversions d’adjectifs, Gaïa et la crise écologique, l’urgence, l’hyper-connexion « qui déconnecte et fait déconner », des Lieder de Gustav Mahler, un N+7 N-1 nommé Protée, le droit du travail et les droits humains contournés par « le contrat de confidentialité et les pénalités », l’implacable logique libérale des lobbies, les chimères protéiformes, les anglicismes comme obfuscation alors que le mot effacement existe en langue française, la muse de la tragédie et celle de la poésie lyrique, une chute de dominos hors-champ, les miroirs face à face se reflétant sans fin, un « trou dans le réel », le doute et la peur comme alertes de sauvetage, la préservation d’espèces, l’ébriété « d’une puissance à être », l’écriture par effacement, un programme de recherche qui doit s’autoproclamer à s’autodétruire. Je n’oublie pas les succulents dialogues entre l’enquêteur et Psyché, des échanges qui nous concernent presque toustes.

Les désirs assumés ou non-dits, « Il oscille dans des nuances grisâtres, et il mesure à quel point il est difficile de se dévoiler, face à la tentation de la disparition »…

Le titre de cette note est emprunté à l’autrice dans un paragraphe sur la lecture.

Nathalie Beaudouin : Insidieusement
C&F Editions, Caen 2023, 180 pages, 20 euros
https://cfeditions.com/insidieusement/

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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