« Je suis juste un homme… »

Quelle phrase terrible ! Mais tellement révélatrice. Employée par Gérard Depardieu dans sa lettre ouverte publiée dans le journal Le Figaro, le 1er octobre dernier, alors qu’il est mis en examen depuis le 16 décembre 2020 dans le cadre d’une enquête pour viols et agressions sexuelles, cette phrase sonne comme une excuse et un aveu à la fois. [Coup de gueule]

En lisant la lettre ouverte de Gérard Depardieu, parue dans le Figaro dimanche 1er octobre dernier, je suis tombée sur cette phrase « Je suis juste un homme… », et cette phrase est entrée en résonance avec une autre phrase, presque identique mot pour mot, prononcée par mon agresseur, il y a quelques années.

Il n’était, lui aussi, qu’un homme. Comme Depardieu.

Mais qu’est-ce que ça veut dire ?

Dans leur bouche, n’être qu’un homme justifiait de désirer une femme et d’outrepasser son consentement.

Dans leur bouche, n’être qu’un homme voulait dire être « faible » face à la tentation que représente une femme, persistance d’une croyance, d’une image, d’un symbole religieux et/ou profane depuis longtemps.

Dans leur bouche, n’être qu’un homme voulait dire avoir des pulsions incontrôlables, irrépressibles et mériter le pardon, l’excuse, voire la permission.

Dans leur bouche, n’être qu’un homme les autoriserait à violenter les femmes. Cela fait d’ailleurs partie de la construction de la masculinité.

Dans mon cas, c’était ça aussi : cette phrase était là pour excuser, autoriser, permettre ce que, lui, désirait. C’était, à son échelle, le normaliser. Oui, c’est juste un homme, c’est normal. C’est normal qu’il me désire et qu’il se serve. C’est normal que Depardieu désire et se serve. C’est normal parce que j’étais jeune, innocente, seule, donc vulnérable. C’est normal parce que ces femmes, croisant Depardieu, subissant ses paroles, ses gestes, ses violences, étaient débutantes et vulnérables dans son monde à lui. C’est normal, parce qu’il me faisait croire qu’on était à égalité, qu’on était dans la situation d’une relation amoureuse normale, parce qu’il collait sur moi un statut que je n’avais pas ou plutôt qu’il m’enlevait : celui d’avoir mon mot à dire, d’avoir ma dignité. C’est normal, parce que lui ou Depardieu, ou d’autres, se fabriquent, à chaque fois, l’excuse répandue par excellence dans une culture du viol, comme la nôtre : il n’a pas pu résister, c’est bête, mais c’est juste un homme… Un homme, en proie à ses pulsions, qui n’a pas pu résister à la tentation, face à toutes ces femmes, pas si innocentes que ça, pour avoir le corps qu’elles ont, pour lui donner envie, comme ça, n’est-ce pas ? Les pulsions, encore et toujours.

Cette phrase prononcée ou non, est sous-jacente des stratégies prédatrices : se trouver une excuse, une autorisation, une déculpabilisation pour normaliser, installer la domination, la manipulation, l’emprise, la faire accepter. Elle fait partie de la stratégie du prédateur : inverser la culpabilité.

Mais une permission par rapport à qui, quel système, quelle autorité ? A qui demanderaient-ils, Depardieu ou un autre, cette permission ?

C’est tout un système, toute une culture, qui l’ont autorisé. On le répète inlassablement tant qu’il y aura des « résistances », des gens pour nier la réalité et/ou pour protéger le statu quo, l’ordre établi. C’est bien pour cela que l’actrice Anouk Grinberg a raison, en disant que « Depardieu est aussi comme ça parce que tout le monde lui permet d’être comme ça ».

Même Frédéric Beigbeder le dit : ils sont comme ça, et seule la loi les en empêche (ah d’accord, et après ça nous répond « Pas tous les hommes » ?) et surtout pas le système, la culture dominante… Quelle mauvaise foi, quelle malhonnêteté, quel mensonge ! Quand on connaît les chiffres des violences sexuelles en France, que la loi ne semble pas du tout empêcher, et le principal intéressé qui vient justement d’être mis en garde à vue pour viol.

Dans le cas de Depardieu, il ne s’agit pas d’une brebis galeuse, particulièrement tordue ou réfractaire à une morale dominante, non, la morale dominante est contre les femmes et leur dignité, la morale dominante, justement, a laissé faire ça, l’a laissé faire, pour amuser la galerie, pour ne pas déranger la marche sûre du profit, du capitalisme, de l’argent irriguant le monde du cinéma français.

Mais pas que.

Le Complément d’enquête, diffusé sur France 2 le jeudi 7 décembre dernier, a permis de ressortir une ancienne interview de Depardieu lors d’une visite aux États-Unis, à la fin des années 1970. Enfin, j’ai envie de dire. Le monde du cinéma français, comme les médias français, semblaient avoir oublié ça, sous couvert d’accuser les États-Unis de puritanisme, face à un Depardieu qu’il présente comme transgressif (cf. Mon article « La transgression, l’arme des puissants » ». A l’époque, les médias français avaient justement dénoncé une cabale anti-Depardieu, un puritanisme américain injuste et loué l’immense talent d’acteur de l’intéressé. Mais enfin, l’émission a ressorti cette interview, qui explique pourquoi Depardieu a très peu tourné aux USA   il a parlé des nombreux viols auxquels il a participé depuis ses neuf ans et à quel point selon lui, les femmes aimaient se trouver dans la situation d’être violées.

Depuis cette interview, Depardieu est persona non grata aux États-Unis. Non par puritanisme. Arrêtons définitivement avec cette mauvaise foi. Le puritanisme prohibe les comportements sexuels consentants, la liberté sexuelle au sens large et pour tout le monde. Au contraire, ici, il s’agit de délits et de crimes, dont on prohibe légitimement toute valorisation. Imaginons d’ailleurs qu’on parle d’autres délits et crimes. Qu’est-ce que ça donnerait ? Le cinéma français lui aurait-il trouvé des excuses si Depardieu s’était vanté d’avoir tabassé quelqu’un ou tué des gens ? Le viol est le seul crime (avec le féminicide) dont on va minimiser le caractère criminel, la responsabilité de son auteur et l’innocence de sa victime. Justement parce que nous vivons dans une culture du viol bien installée. Il ne s’agit, pour ces mêmes médias et pour le cinéma français, non pas de s’élever contre une morale liberticide pour tout le monde (le puritanisme), mais de protéger un agresseur, un violeur, non seulement pour continuer à profiter de son « talent », de sa rentabilité, mais aussi pour protéger une culture qu’il défend, la culture du viol, et l’ordre établi. Si Depardieu tombe, d’autres tomberont. Et tout un système tombera. Le cinéma français qui, devant ou derrière la caméra a, lui aussi, comme tant d’autres milieux professionnels et culturels, soutenu, véhiculé, la culture du viol, la culture patriarcale, ne veut pas laisser tomber l’ordre établi qui l’a si bien nourri jusqu’ici.

Là aussi, le Patriarcat se maintient comme un statu quo.

Là aussi, les femmes, tout le monde s’en fout.

Là aussi, le cinéma français a si peu de considération pour elles.

La Plume de Simone
https://blogs.mediapart.fr/la-plume-de-simone/blog/131223/je-suis-juste-un-homme

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Une réflexion sur « « Je suis juste un homme… » »

  1. Non, Emmanuel Macron, la culture du viol n’est pas une « transgression »

    Dans son interview accordée à l’émission C à vous, le président de la République a défendu Gérard Depardieu et affirmé que la Légion d’honneur, dont il bénéficie, n’était pas là « pour faire la morale » auprès de « gens transgressifs ». Plus qu’une faute morale : un désastre politique.

    https://www.politis.fr/articles/2023/12/non-emmanuel-macron-la-culture-du-viol-nest-pas-une-transgression/

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