Depardieu : Contre-tribune des artistes & Adresse au vieux monde

« Ne vous trompez pas, nous aussi, nous souhaitons que la justice fasse son travail. C’est même ce que les féministes réclament depuis toujours. Mais face à l’absence d’écoute et de prise au sérieux des victimes au sein des institutions policières et judiciaires, il faut refuser la banalisation de propos et d’actes tels que ceux de Gérard Depardieu. » Après la tribune publiée en défense de l’acteur, un large collectif d’artistes appelle, contre le silence complice, à « briser l’écho de l’impunité. »

Après le Président de la République, venu au secours de Depardieu, c’est donc au tour du « monde de la culture », enfin d’une petite partie (d’un vieux monde qui s’écroule), de s’exprimer : 55 personnalités qui prétendent laisser la justice faire son travail et s’opposent au « lynchage » du monstre sacré du cinéma français. Lorsqu’on s’en prend à Depardieu, ce serait à l’art que l’on s’en prendrait ! Comme si Depardieu représentait l’art en France. Comme si le statut d’artiste ou le talent justifiait un traitement singulier.

Nous souhaitons avec cette contre-tribune manifester notre désaccord avec cette idée.

En plus des propos abjects découverts dans Complément d’Enquête, qui sexualisent en permanence les femmes, y compris une petite fille de 12 ans, rappelons que Depardieu est visé – à ce jour – par 3 plaintes pour viols et agressions sexuelles. Mediapart a également publié 13 témoignages de femmes accusant Depardieu de violences sexuelles.

Cette tribune et la défense de Macron sont autant de crachats à la figure des victimes de Gérard Depardieu mais aussi de toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles. C’est l’illustration sinistre et parfaite du monde d’avant qui refuse que les choses changent.

C’est l’inversion des rôles où le bourreau (le « monstre », l’homme, pas du tout sacré, mais juste obscène) se place en victime, avec l’aide de ses ami.e.s. Comme toujours dans les affaires de violences sexistes et sexuelles à l’égard des femmes, la « présomption d’innocence » pour l’agresseur sonne comme une « présomption de mensonge » pour les femmes qui témoignent contre lui.

Ne vous trompez pas, nous aussi, nous souhaitons que la justice fasse son travail. C’est même ce que les féministes réclament à corps et à cri depuis toujours. Mais face à l’absence d’écoute et de prise au sérieux des victimes au sein des institutions policières et judiciaires, il est du devoir de chacun.e de refuser la banalisation de propos et d’actes tels que ceux de Gérard Depardieu. Impossible de faire comme si de rien n’était, en attendant « que la justice fasse son travail ». Nous ne pouvons pas rester muet.te.s ! Brisons la loi du silence, contre le silence complice, brisons l’écho de l’impunité. Mettons la lumière sur la vérité et choisissons la fin des zones d’ombre.

L’histoire nous montre à quel point il est difficile pour une victime d’agression sexuelle de parler, d’obtenir gain de cause, de voir les violences qui lui ont été infligées être reconnues officiellement. Et cela est d’autant plus le cas lorsque celui-ci est puissant. Pour un Harvey Weinstein, combien d’agresseurs impunis malgré les accusations des victimes ?

Comme l’écrit Elvire Duvelle-Charles dans l’ouvrage « Moi aussi », l’idée que certaines femmes puissent porter préjudice à l’image d’un honnête homme suscite plus de réactions et d’effroi que l’idée que les femmes violées n’obtiennent pas justice, exception faite du 0,6% des viols qui sont condamnés.

Surtout, se réfugier derrière le « laissons faire la justice », ou le pathétique « il faut séparer l’homme de l’œuvre », c’est accepter de mettre son propre jugement de côté. C’est estimer que nous n’avons aucun rôle à jouer dans l’évolution de notre société. Que nous ne pouvons pas aider et soutenir les victimes.

Or c’est faux.

Que la justice fasse son travail. Mais nous devons également faire le nôtre. Celui de soutenir les victimes et de ne pas laisser tranquilles des agresseurs, des violeurs, des oppresseurs. Qu’ils ne puissent plus penser qu’ils peuvent agir en toute impunité, et parfois même en étant récompensés et glorifiés.

Si la remise en cause de l’impunité de Depardieu était une « chasse à l’homme », alors comment qualifier les agressions bien réelles que subissent les femmes victimes de violences masculines chaque jour ?

Nous sommes là pour rappeler que l’art n’a pas à être fait par des idoles hors de la réalité, l’art n’est pas du côté des caprices de star. L’art refuse de se soumettre à leur système. La production de l’art n’est pas une abstraction située en dehors des dynamiques sociales.

Alors oui, nous allons nous retrouver, nous regrouper, et nous soutenir.

Et si cela dérange Depardieu, Macron et 56 « célébrités » de la culture, tant mieux.

Tribune à retrouver ici.

https://blogs.mediapart.fr/cerveaux-non-disponibles/blog/291223/depardieu-contre-tribune-des-artistes

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Depardieu – Adresse au vieux monde

Cette adresse était encore soumise à ses signataires quand a été diffusée la contre-tribune de 600 artistes répondant à la tribune en défense de Gérard Depardieu initiée par des milieux d’extrême droite et publiée dans Le Figaro. Sans désaccord aucun avec ce texte (ouvert à la signature ici), les initiatrices et initiateurs de ce nouvel appel ont néanmoins souhaité le rendre public, car il complète et prolonge le précédent. Et ceci d’autant plus que les récentes enquêtes de presse ont confirmé les enjeux politiques de l’« affaire Depardieu », à tel point que nombre de signataires de la tribune du Figaro se rétractent, s’en désolidarisent ou confient leur embarras.

Adresse au vieux monde

Nous nous permettons d’adresser ces quelques mots aux signataires du texte « N’effacez pas Gérard Depardieu », à leurs communicants, à celles et ceux qui écoutent leurs sirènes, et accessoirement au Président de la République française.

Personne ne veut effacer l’artiste. Mais le talent de Gérard Depardieu n’autorise pas l’indignité de ses comportements. Il n’est pas question de sa filmographie, le sujet est celui des violences sexistes et sexuelles dont il est l’auteur.

Plusieurs femmes ont eu le courage de témoigner, tant d’autres continuent de se taire, trop démolies ou parce qu’elles ont peur : cela n’a aucun rapport avec l’art. Il faut bien admettre qu’on peut être traversé par la grâce devant la caméra, et se conduire dans la vie en prédateur dangereux.

Les femmes qui témoignent du mal qu’il leur a fait, la société qui ouvre enfin ses yeux et ses oreilles, le public qui a besoin de vérité, tout cela ne relève pas du lynchage d’un homme, mais d’une urgence de changement pour le bien de toutes et tous. Ce n’est pas un crime de dénoncer ses agissements, la terrible faute est de faire ce qu’il a fait. Le déni creuse le sillon du mal et contribue à une société de l’impunité.

L’artiste est respecté par beaucoup, sa présomption d’innocence lui est juridiquement acquise. Si grand acteur soit-il, les images de lui en Corée sont incontestables, et les témoignages sont nombreux pour dire qu’il se permet ça souvent : il peut humilier, rabaisser, agresser des femmes, des « petites-mains » en général. Quant aux accusations de viol, elles seront jugées. Mais l’assurance de celles et ceux qui le défendent ne devrait pas faire écarter d’un revers de main les faits avancés par des femmes qui n’ont ni pouvoir ni influence.

Ses comportements délictueux s’ajoutent à d’autres faits choquants : son évasion fiscale, sa glorification de tyrans. Contrairement à ce qu’en dit le Président de la République, rien de tout cela ne contribue à « la fierté de la France » mais à sa honte. Voilà deux hommes, en situation d’abuser de leur pouvoir, qui s’entendent, au mépris de la sécurité des femmes et de la bienveillance envers les plus fragiles.

Les signataires de la tribune parlent de « La mort de l’art. La nôtre » ? Quelle emphase. Qu’en est-il des artistes qui se tiennent bien ? L’art n’en mourra pas si Gérard Depardieu reconnaît le mal qu’il a fait, et s’excuse. Au contraire, l’art gagnerait beaucoup à être plus humain, plus nourri d’authenticité. Et nous respirerons mieux dans une société où les femmes seront respectées et où les hommes auront moins souvent peur d’être associés à des mâles prédateurs.

On assiste en ce moment aux soubresauts du vieux monde réactionnaire qui se cabre pour exister encore, s’accrochant à ses privilèges et ses injustices, face au monde nouveau qui cherche à apparaître, pour une vie plus heureuse et plus équilibrée.

Vous pouvez signer cette adresse ici sur change.org . N’hésitez pas à partager ce texte.

Premiers signataires
Gilles Balbastre, réalisateur
Sylvie Ballul, conseillère littéraire
Claude Barras, réalisateur
Marilou Berry, comédienne
Manuel Blanc, acteur
David Bobée, metteur en scène et directeur du TDN
Carine Boyé, productrice
Isabelle Broué, cinéaste
Marcia Burnier, écrivaine
Marie-Armelle Deguy, actrice
Laure Calamy, comédienne
Camille Chandellier, productrice
Louise Chevillotte, comédienne
Christine Citti, comédienne
Laurence Cordier, actrice
Fanny Cottençon, actrice
Noémie Delattre, actrice et metteuse en scène
Jean-Xavier de Lestrade, producteur et réalisateur
Caroline Deruas, réalisatrice et scénariste
David Faure, comédien, scénariste, réalisateur
Léa Fazer, réalisatrice
Christian François, réalisateur et scénariste
Lena Garrel, comédienne
Michèle et Julie Gavras, productrice et réalisatrice
Tracy Gotoas, actrice
Anouk Grinberg, actrice
Pauline Gygax, productrice
Zita Hanrot, actrice
Annelise Hesme, comédienne
Clotilde Hesme, comédienne
Eva Ionesco, actrice et réalisatrice
Alma Jodorowsky, actrice
Max Karli, producteur
Sam Karmann, comédien
Yannick Kergoat, réalisateur
Marie Krémer, actrice
Balthazar Lab, directeur de la photographie
La Bajon, comédienne
Ariane Labed, actrice et réalisatrice
Marie Lemarchand, comédienne
Alice de Lencquesaing, comédienne
Alex Lutz, acteur et réalisateur
Aïssa Maiga, actrice et réalisatrice
Guslagie Malanda, actrice
Jean-Louis Martinelli, metteur en scène
Corinne Masiero, comédienne
Sylvie Meyer, réalisatrice
Julien Mignot, photographe 
Anna Mouglalis, comédienne
Emmanuel Noblet, acteur et metteur en scène
Judith Nora, productrice
Valentina Novati, productrice et distributrice
Marie-Lou Pahud, productrice
Caroline Pascal, autrice et réalisatrice
Célie Pauthe, metteuse en scène
Mireille Perrier, comédienne
Frédéric Pierrot, acteur
Stéphanie Pillonca, réalisatrice
Clémentine Poidatz, comédienne
Alix Poisson, comédienne
Clara Ponsot, comédienne et réalisatrice
Isabelle Razavet, cheffe opératrice
Céline Salette, comédienne
Colombe Schneck, réalisatrice
Claire Simon, réalisatrice
Jérôme Soubeyrand, acteur et réalisateur
Mara Taquin, actrice
Karina Testa, comédienne
Jenna Thiam, actrice
Florence Thomassin, actrice
Sara Verhagen, comédienne, scénariste et réalisatrice
Maud Wyler, actrice

https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/311223/depardieu-adresse-au-vieux-monde

Rappel
La tribune de soutien à Gérard Depardieu « rappelle furieusement l’Ancien Régime »
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/12/30/la-tribune-de-soutien-a-gerard-depardieu-rappelle-furieusement-lancien-regime/
Stephane Lavignotte : 
Depardieu : notre responsabilité de société
CGT : Affaire Depardieu : Macron inconséquent
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/12/31/depardieu-notre-responsabilite-de-societe/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

3 réflexions sur « Depardieu : Contre-tribune des artistes & Adresse au vieux monde »

  1. Affaire Depardieu : l’art n’est pas un totem d’impunité

    Alexandra Lamy, Thomas Jolly, Muriel Robin, Swann Arlaud… un collectif de plus 150 personnalités du monde de la culture réagissent à la tribune de soutien à l’acteur Gérard Depardieu. Défendre l’art, c’est aussi dire qu’être artiste ne doit pas nous exonérer de toute responsabilité.

    https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/affaire-depardieu-lart-nest-pas-un-totem-dimpunite-20240101_QZ4M2RIAAFDKDOUYPCI2PACC24/

  2. Affaire Gérard Depardieu : l’actrice Isabelle Carré dénonce les violences faites aux femmes, « Il est grand temps que ça se termine ! »
    Face aux divergences qui ébranlent le monde du cinéma, Isabelle Carré réagit à son tour aux accusations de viol visant Gérard Depardieu. Dans une tribune parue mercredi dans Elle, l’écrivaine et actrice revient sur son parcours parsemé de « désagréments » et appelle à ce que « Ça se termine ».
    https://www.ladepeche.fr/2023/12/28/affaire-gerard-depardieu-lactrice-isabelle-carre-denonce-les-violences-faites-aux-femmes-il-est-grand-temps-que-ca-se-termine-11666987.php

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