Iran : Réponse de Reza Shahabi, travailleur emprisonné, à la lettre ouverte de Saemeh Sultani, militante du Mouvement des femmes afghanes !

Chère Saemeh, voisine dont le destin est lié au mien.

Votre message sincère m’a profondément touché. Tout ce qui vient du cœur, va au cœur.

La honte est parfois un sentiment révolutionnaire. Votre lettre me provoque à la fois de la colère et de la honte : 
* de la colère contre les insultes quotidiennes, la violence, le rejet et l’humiliation que vous rencontrez chaque jour en tant que citoyenne afghane,
* de la honte, parce qu’en tant qu’Iranien, je me reproche toutes ces années passées à ne rien faire contre ce que vous subissez, alors que j’aurais certainement pu faire quelque chose.

Je suis profondément triste et peiné de malheureusement constater qu’au sein de nos peuples opprimés, et même dans cette prison, certain.es militant.es politiques et syndicaux qui devraient être les porte-drapeaux de la lutte contre toutes les formes de discrimination, continuent à répandre la haine et la division.

Nos gouvernants s’acharnent contre la vie des peuples d’Iran, d’Afghanistan et du reste de la région. Ils utilisent à cet effet une paire de ciseaux avec :
* sur une lame, le fondamentalisme religieux dans tous les domaines, y compris la politique, l’éducation et la culture, 
* sur l’autre lame, les relations capitalistes enragées, impitoyables et prédatrices.

Certains sociologues et journalistes iraniens expliquent dans la presse que le retour des Talibans au pouvoir en Afghanistan est issu des racines culturelles du peuple de ce pays. Être victime d’une oppression est une douleur pénible, mais lorsque la personne qui la commet est elle-même victime d’une oppression, c’est encore plus terrible.

Les travailleurs/euses d’Iran sont très opprimé.es et se mobilisent à juste titre pour leurs droits légitimes, ainsi que contre la progression de la pauvreté et de l’inégalité dans le pays.

Mais, malheureusement, certain.es sont sous l’influence de la propagande anti-afghane d’organisations inféodées au pouvoir comme les Conseils islamiques du travail et la Maison des travailleurs.

Ils/elles ont des positions complètement fausses.

Au lieu de s’en prendre au rôle destructeur des politiques et pratiques du pouvoir, telles que les détournements astronomiques de fonds publics, le pillage des biens publics, la corruption et l’expansion du mode de vie luxueux des enfants des dignitaires en place, ils/elles affirment que les Afghan.es ont volé nos emplois. Ils/elles nient ainsi que les migrant.es afghan.es constituent en Iran l’une des parties de la classe ouvrière les plus vulnérables et les plus privées de leurs droits, et cela depuis plusieurs générations.

Ces personnes se trompent de cible. Nous savons tous et toutes que la cause de l’existence en Iran de millions de chômeurs/euses, en particulier parmi les jeunes pour la plupart formé.es et éduqué.es, n’est certainement pas les travailleurs/euses acharné.es afghan.es, qui sont pour la plupart sous-payé.es et qui constituent une main-d’œuvre bon marché.

Vous et moi savons bien que les soulèvements de 2017, 2019 et 2022, ainsi que les émeutes causées par la crise de l’eau ou le mécontentement des peuples opprimés du Kurdistan, du Baloutchistan, du Khuzestan, du Lorestan, du Torkaman Sahra et du Mazandaran, n’ont jamais été dirigés contre la présence de migrant.es et de citoyen.nes afghan.es.

Se concentrer sur les travailleurs/euses afghan.es et mobiliser l’opinion publique contre eux/elles est une tactique que la classe dirigeante utilise depuis plus de 40 ans en Iran contre les travailleurs/euses et les personnes démuni.es.

Je n’ai aucun doute sur le fait que les personnes que nous aimons, dont Jina, Nika, Sarina, Setareh, Hadith, Armita … n’ont pas sacrifié leur vie pour qu’un an après leur courageux soulèvement pour l’égalité et la liberté, nous assistions à la montée de discours destructeurs, hostiles, racistes et anti-afghans. Voici des exemples de ce qui m’est venu à l’esprit après avoir lu votre lettre.

Le mouvement « Femme, Vie, Liberté » a montré qu’une autre grande force entrait dans l’arène de la lutte sociale, une force puissante s’opposant à toute forme d’exclusion, « d’insiders » et « d’outsiders », de « nous » et de « eux », sous quelque prétexte que ce soit (nationalité, langue, sexe, ethnie, etc.).

Permettez-moi d’ajouter que la résonance du slogan « Pain, Travail, Liberté », dont le mouvement afghan de défense des droits des femmes a été l’un des porte-drapeaux depuis des années, est une source d’inspiration pour moi et pour d’autres militant.es du mouvement ouvrier.

Je suis très heureux que la lutte contre les discriminations envers les femmes et pour l’égalité inconditionnelle, soit devenue si puissante et irréversible.

Je me réjouis que cette mobilisation se soit simultanément enracinée dans les luttes contre :
* le patriarcat,
* les politiques diviseuses anti-migrant.es et fascistes,
* les relations capitalistes oppressives, racines de la discrimination, de l’exploitation et de la violence dans nos vies.

Chère Saemeh, soyez assurée que mes camarades et moi-même sommes à vos côtés dans cette lutte, parce que nous partageons le même destin et que nous avons un ennemi commun. La seule voie vers l’émancipation est de s’unir et de s’organiser.

Dans l’espoir que la justice triomphe en Iran et dans le monde entier.

Reza Shahabi, prison d’Evin 
Syndicat des travailleurs de la compagnie de bus de Téhéran et de sa banlieue (Sherkat-e-Vahed)
16 novembre 2023
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article69321

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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