Piégée dans un schéma de douleur où personne ne peut vous aider

Le décès du « héros » O.J. Simpson nous donne l’occasion de publier cet article d’Andrea Dworkin au sujet du décès de son ex-épouse

Vous ne saurez jamais ce qui est arrivé de pire à Nicole Brown Simpson dans son mariage, parce qu’elle est morte et qu’elle ne peut pas vous le dire. Et si elle était vivante, rappelez-vous, vous ne la croiriez pas.

Vous avez entendu Lorena Bobbitt, après que John Wayne Bobbitt eut été acquitté de viol conjugal. Lors de son propre procès pour blessure malicieuse, elle a décrit des raclées, des viols anaux, des humiliations. Elle avait été constamment blessée, frappée, étouffée par un mari qui aimait lui faire du mal. Depuis, on a vu John Wayne Bobbitt, après un bref passage en tant que star misogyne des médias, agresser une nouvelle partenaire.

C’est toujours la même chose. Cela arrive à des femmes aussi différentes que Nicole Simpson, Lorena Bobbitt et moi-même. Les agresseurs sont des hommes aussi différents qu’O.J. Simpson, John Wayne Bobbitt et l’ex-« flower child » avec qui j’ai été mariée et que j’ai encore trop peur de nommer.

Il y a de la terreur, oui, et de la douleur physique. Il y a le désespoir. On s’en veut, on lui pardonne. On se juge sévèrement pour ne pas l’avoir assez aimé. « C’est de ta faute », crie-t-il en enfonçant la porte ou en nous frappant la tête contre le sol. Et avant de s’évanouir, on dit oui. Vous tentez de lui échapper, mais personne ne vous cachera ni ne vous défendra – ce qui signifierait lui tenir tête. Vous vous cacherez derrière des buissons, s’il y en a, ou derrière des poubelles, ou dans des ruelles, loin des gens honnêtes qui ne vous aident pas. Après tout, c’est de votre faute.

Il vous fait encore plus mal : plus que la dernière fois et plus que vous ne l’auriez jamais cru possible ; certainement plus qu’une personne raisonnable ne le croirait – si vous étiez assez folle pour en parler. Et, finalement, vous vous rendez à lui, vous vous excusez, vous le suppliez de vous pardonner de l’avoir blessé ou provoqué ou insulté ou d’avoir été négligente avec quelque chose qui lui appartient – son linge, sa voiture, son repas. Vous lui demandez de ne pas vous blesser pendant qu’il fait de vous ce qu’il veut.

La honte de cette capitulation physique, souvent sexuelle, et la trahison de votre amour-propre ne vous quitteront jamais. Vous vous en voudrez et vous vous détesterez toujours. Vous vous souviendrez mentalement de votre condition à l’époque – suppliante, abjecte. À un moment donné, vous lui tiendrez tête verbalement ou en refusant d’obtempérer, et il vous frappera à coups de poing et coups de pied ; il peut vous violer ; il peut vous enfermer ou vous ligoter. La violence devient votre contexte, l’élément dans lequel vous tentez de survivre.

Vous essayerez de vous enfuir, de planifier une évasion. S’il le découvre, ou s’il vous retrouve, il vous fera encore plus mal. Vous serez tellement effrayée que vous penserez que mourir pourrait être une bonne chose.

Si vous n’avez pas d’argent, si vous n’arrivez pas à vous loger, si vous n’avez pas de travail, vous retournerez chez lui et lui demanderez de vous laisser entrer. Si vous avez un emploi, il vous trouvera. Il peut vous demander de revenir et vous faire des promesses pleines de repentir. Il peut vous battre et vous forcer à revenir. Mais si vous restez à distance afin de rompre, il apparaîtra de nulle part, vous battra à nouveau, vandalisera votre logis, vous harcèlera constamment.

Encore là, personne ne l’arrêtera. Vous n’êtes plus sa femme mais il peut continuer sa violence.

Nicole Simpson, comme toutes les femmes battues, savait qu’elle ne serait pas crue. Elle a peut-être été assez perspicace pour anticiper les foules qui, le long des autoroutes du comté d’Orange, allaient acclamer O.J. dans sa fuite des policiers. Toutes les femmes battues doivent être prudentes, même avec les étrangers. Ses amis ne l’arrêteront pas. Les vôtres non plus.

Nicole Simpson a demandé de l’aide à de nombreux experts en violence conjugale, mais aucun d’entre eux n’a arrêté O.J. C’est ce qu’il faut faire : il faut arrêter l’agresseur. Il ne s’arrêtera pas de lui-même. Il doit être emprisonné, ou tué, ou elle doit s’échapper et se cacher, parfois pour le reste de sa vie, parfois jusqu’à ce qu’il trouve une autre femme à « aimer ». Il n’existe aucune preuve que des conseils donnés à l’agresseur entravent sa violence.

C’est Nicole qui a demandé à des policiers d’arrêter Simpson en 1989, la neuvième fois qu’elle les a appelés. L’arrestation doit devenir obligatoire. L’agression de Nicole Simpson en 1989 aurait dû entraîner la neuvième arrestation d’O.J. Simpson. Nous ne savons pas par quel facteur multiplier le chiffre neuf : combien d’épisodes de coups les femmes endurent-elles en moyenne par appel téléphonique à la police ? Pour la seule année 1993, la police de New York a reçu 300 000 appels pour violence conjugale.

La violence conjugale n’est pas le sale petit secret de l’Amérique, comme l’affirment les médias et la secrétaire d’État à la santé et aux services sociaux, Donna Shalala. Les féministes ont passé deux décennies à dénoncer la violence conjugale avec insistance et précision, à mettre sur pied des refuges et à organiser des itinéraires de fuite et à modifier les pratiques des forces de l’ordre de sorte que, de plus en plus, la violence conjugale est reconnue comme un crime violent.

La violence à l’égard des femmes est banale et ordinaire parce que les hommes pensent qu’ils ont des droits sur les femmes, droits que ces dernières contestent. Le contrôle que les hommes veulent exercer sur les femmes, la domination que les hommes exigent sur les femmes, s’expriment dans cette terrible brutalité. Pour moi, cela a duré quatre ans, il y a 25 ans, dans un autre pays. Pour 4 millions de femmes aux États-Unis, une toutes les 15 secondes, c’était hier et aujourd’hui.

Ce que personne n’accepte de voir, c’est ceci : Le problème ne vient pas de la femme, mais de l’agresseur. Elle peut travailler à chacune de ses faiblesses, transformer chacune de ses dépendances. Elle peut s’échapper avec la bravade d’un Jesse James ou le talent subtil d’un Houdini. Mais si le mari est décidé à exercer cette violence et qu’elle ne l’est pas, elle ne peut gagner ni sa sécurité ni sa liberté. Ni le système juridique actuel, ni les défenseurs des victimes, ni les services de conseil ne peuvent assurer sa sécurité face à son agresseur.

Les récits de femmes battues ont généralement été accueillis avec incrédulité et dédain, la meilleure expression de cette attitude étant la question persistante : « Pourquoi ne part-elle pas ? ». Mais après deux décennies d’études sur la violence conjugale, nous savons aujourd’hui que les femmes violentées sont plus souvent tuées après leur départ qu’avant.

Nicole Simpson vivait dans sa propre maison lorsqu’elle a été assassinée. Son divorce avait été prononcé en 1992. Que son ex-mari ait ou non commis le meurtre, il a continué à l’agresser, à la menacer, à la traquer, à l’intimider. Son soi-disant désir de réconciliation masquait l’horreur de sa situation, semblable à celle de toutes les femmes qui s’échappent mais ne disparaissent pas. Après avoir mis fin à son mariage, Nicole Simpson devait encore négocier sa sécurité avec l’homme qui lui faisait du mal.

Elle devait éviter de le mettre en colère. Toute allusion au fait que son amabilité était essentiellement contrainte, toute menace de révélation publique, toute insulte à sa dignité de son point de vue à lui, pouvait déclencher une agression. Ce scénario de causalité est plus imaginé que réel, puisque l’agresseur choisit seul le moment où il va blesser, menacer ou traquer sa victime. Pourtant, la femme essaie. Toutes les photos souriantes d’O.J. et Nicole ensemble après leur divorce devraient susciter l’inquiétude, et non des descriptions romantiques du désir d’O.J. de se réconcilier. Nicole Simpson s’est conformée à une stratégie d’apaisement, car personne ne s’est interposé entre elle et lui pour le contrer.

La fuite, en fait, c’est l’enfer, une période d’une durée indéterminée qui se compte en années, et non en mois, pendant laquelle l’ex-mari commet des agressions par intermittence et des actes de terrorisme avec une certaine constance. Le tourment vient en partie du fait que la liberté est proche, mais qu’il ne veut pas la laisser la femme l’obtenir. De nombreuses femmes qui se sont échappées vivent dans une semi-clandestinité. J’ai toujours peur de mon ex-mari, chaque jour de ma vie – et je n’ai pas peur de grand-chose.

Peut-être ignorez-vous à quel point les femmes sont courageuses – celles qui sont restées jusqu’à présent et celles qui se sont échappées, celles qui sont encore vivantes et celles qui sont mortes. C’est Nicole Simpson qui est la véritable héroïne. Et vous devez comprendre que c’est son agresseur qui constituait le problème.

Andrea Dworkin
Lettre ouverte publiée dans le Los Angeles Times du 26 juin 1994
https://tradfem.wordpress.com/2024/04/12/le-deces-du-heros-o-j-simpson-nous-donne-loccasion-de-publier-cet-article-dandrea-dworkin-au-sujet-du-deces-de-son-ex-epouse/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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