On ne peut imaginer penser et construire une alternative au capitalisme sans s’attaquer au patriarcat

« Bien que l’oppression des femmes soit antérieure au capitalisme, il n’en reste pas moins que ce mode de production lui a imprimé des spécificités. En outre, les femmes sont touchées de manière différente des hommes par la mondialisation néolibérale. Les rapports sociaux de sexe font partie des fondations et de l’agencement de ce capitalisme financiarisé, lequel a exacerbé la division sexuelle du travail. Ces rapports nous permettent de comprendre des phénomènes internationaux aussi important que la marchandisation du vivant (entre autres, du corps et du sexe), les mouvements migratoires, qui se sont féminisés, les nouvelles pauvretés, les hiérarchies sociales (caste, classe, groupes racialisés et ethnicisés), les violences, etc. Les femmes sont à la fois une main-d’œuvre capitale tant pour le travail salarié que pour celui qui est non rémunéré, une source formidable de profits pour les entreprises et de travail gratuit pour la société dans son ensemble et pour les hommes en particulier. En même temps, grâce à cette position subordonnée dans la société et à la surexploitation qui en découle, les femmes constituent un groupe très actif tant dans l’analyse du monde actuel que dans les luttes et dans la mise en place d’alternatives. Sans cette perspective analytique, tout reste obscur. Pour les Nouveaux Cahiers du socialisme, les questions de l’oppression des femmes et du féminisme sont fondamentales. On ne peut imaginer penser et construire une alternative au capitalisme sans s’attaquer au patriarcat. Notre dossier est divisé en quatre parties. La première se penche sur différents enjeux politiques et théoriques, tant par rapport au socialisme marxiste qu’à l’intérieur du féminisme. La deuxième concerne quelques questions québécoises, dont la lutte du Front commun intersyndical, l’impact des politiques néolibérales sur la main-d’œuvre féminine, les effets de ces politiques dans les domaines de la santé et de l’éducation en rapport avec la dégradation de la condition des femmes et la question des différences salariales et la lutte pour l’équité salariale. La troisième examine la masculinité, ses violences, son hégémonie. La quatrième fait état des luttes tant par les organisations autonomes des femmes que par celles qui sont mixtes et discute du Nous féministe. »

« Le discours dominant occulte l’oppression et ses violences sous le couvert de valeurs dites universelles, mais qui s’avèrent masculines ». Francine Descarries et Richard Poulin reviennent sur les écrits de Marx et d’Engels. Tout en signalant la pertinence de leur compréhension de l’oppression des femmes (contrairement à leurs épigones ), elle et il montrent les limites de leurs analyses et en particulier sur la thèse d’une séparation tranchée entre sphère de la production et celle de la reproduction « alors même que toutes les formations sociales connues dans l’histoire ont bénéficié de la force de travail des femmes des classes subordonnées dans la production ». Beaucoup de marxistes ont « minoré l’oppression des femmes au nom de l’unité du prolétariat ou de modèles socialiste irréellement existants ».

Elle et il posent un certains nombre de point d’appui pour approfondir « les liens entre classes, castes, ethnies, et rapport sociaux de sexe ».

Dans la première partie sur les « Enjeux théoriques et politiques », les auteures (Catherine A. MacKinnon puis Sheila Jeffreys) reviennent sur les théorisations des « marxistes » et des « féministes radicales ». Ce travail en profondeur amène à des critiques virulentes entre autres contre la « postmodernité », « le queer » ou ce que j’appellerais les théories partant de la marge. Sur critique féministe matérialiste à la théorie queer, je rappelle l’entretien avec Léo Thiers-Vidal http://www.cairn.info/revue-mouvements-2002-2-page-44.htm

Je partage avec les auteures la nécessité de fonder matériellement les réalités et les oppressions, de balayer les scories des théories de l’émancipation, sans pour autant dénier la nécessité d’aller à la racine des choses. Cependant les théorisations à partir des marges offrent des éclairages complémentaires, des incitations à ne pas faire l’impasse sur certains domaines, pour autant qu’elles ne s’octroient pas une prétention à être de nouveaux paradigmes.

Mélissa Blais et Isabelle Courcy rouvrent le débat entre marxistes et féministes matérialistes radicales autour du travail domestique «  »Prolétaires de tous les pays, qui lave vos chaussettes ?  » Dialogue entre Delphy, Marx et les marxistes » Il s’agit de comprendre « les mécanismes complexes de l’extorsion des forces de travail des femmes dans la famille et le marché » ou « de rendre visible un système qui se perpétue grâce à son invisibilité »

Les positions des marxistes autour de la non valeur marchande du travail domestique me semblent très insuffisantes, même si je ne suis pas convaincu par les analyses de Christine Delphy. Les rapports de production capitalistes ne s’arrêtent pas à la porte du foyer. Il n’y a pas de stricte délimitation entre production de valeur d’usage et production de valeur (marché). Le travail gratuit des femmes, dans ce qui est mal nommée la sphère domestique, concoure directement à l’entretien de la force de travail des hommes. Et plus que cela même : « La cohabitation hétérosexuelle signifie un surcroît de travail pour les femmes et, au contraire, une diminution de travail pour les hommes »

Quoiqu’il en soit, il me paraît important de revenir sur ces débats. Peut-être pourrait-on partir des analyses de Danielle Kergoat qui propose de « penser les rapports sociaux comme étant consubstantiels, parce qu’ils peuvent être séquencés et coextensifs, autant qu’ils se produisent et se reproduisent mutuellement. »

J’ai beaucoup apprécié le texte de Patrizia Romito « Du silence au bruit : l’occultation des violences masculines contre les femmes », dont j’extrais juste trois citations :

  • « Jamais on ne parle de ‘violence masculine‘ préférant utiliser des termes génériques comme ‘violence envers les femmes‘ ou des euphémismes comme ‘gender based violence‘. »

  • « le racisme comme moyen d’occultation et l’attaque contre les victimes »

  • « En définissant le fait d’être victime comme un état psychologique, une faiblesse de la victime même, et non comme une condition objective qui peut durer plus ou moins longtemps, le discours antivictime contribue à nier la violence masculine et l’injustice sociale qu’elle représente et à délégitimer et à désamorcer les revendications des femmes qui ont subi des violences. Ainsi, il devient de plus en plus difficile d’affronter et de contrer la violence des hommes à l’égard des femmes et des enfants, et le système social qui la perpétue. »

Je rappelle l’ouvrage de l’auteure : Un silence de mortes (Editions Syllepse 2006) Un silence de mortes

En complément de cet indispensable numéro de cette qui nous vient de l’autre coté de l’Atlantique, je conseille une fois de plus le beau livre de Léo Thiers-Vidal : De « L’Ennemi principal » aux principaux ennemis. Position vécue, subjectivité et conscience masculines de domination (L’Harmattan, 2010), non cité dans la partie sur la masculinité, ses violences, son hégémonie. « Toutes les femmes sont discriminées sauf la mienne »

Nouveaux Cahiers du socialisme N°4 : Luttes, oppressions, rapports sociaux de sexe

Les Editions Ecosociété, Montréal 2010, 296 pages, 15 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

2 réflexions sur « On ne peut imaginer penser et construire une alternative au capitalisme sans s’attaquer au patriarcat »

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.

En savoir plus sur Entre les lignes entre les mots

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture