L’exigence d’une traduction politique non pas  »réaliste » au sens du renoncement mais crédible au sens de la complexité du réel

Si une approche plus théorique des classes sociales et de leurs rapports me paraît toujours nécessaire, l’utilisation des données « sociologiques » disponibles par Claude Gabriel lui permet de souligner le « grand arc social du salariat », la grande diversification du travail, « la capacité du système à dérober une part grandissante du savoir individuel des salariés », ou la non réduction de la « classe ouvrière » au mythique ouvrier blanc de la métallurgie.

Les arguments de l’auteur me semblent très pertinents et permettent de déboucher sur des propositions politiques, à la fois de rupture et à vocation majoritaire, dans son article « Réorganisation du capital et éclatement du salariat ».

L’auteur aborde les projets patronaux de réorganisation du travail dans leurs dimensions multiples de valorisation du capital, d’optimisation des gains de productivité et de dispersions des modèles sociaux. « Il ne s’agit pas simplement de  »diviser les salariés », mais plus sérieusement de chercher le modèle social optimum du point de vue des performances attendues de différentes divisions et tâches de l’entreprise, en fonction aussi de l’endroit où l’entreprise a décidé de  »loger » sa marge dans ses comptes d’exploitation ».

Il souligne aussi l’augmentation des disparités de revenu salarial et insiste sur l’effet richesse, sur le rôle du patrimoine (58% des ménages sont propriétaires en 2009) « l’effet richesse patrimoniale (relative) a légèrement diffracté la lecture purement salariale » ou « il existe donc bien une partie du salariat dont l’épargne patrimoniale est désormais significative et dépend du marché pour sa valorisation ».

Dans un partie « Sociologie de la désindustrialisation », Claude Gabriel souligne aussi « La prolétarisation s’est étendue mais l’éventail des situations sociales et professionnelles, en son sein, s’est significativement élargi, et par conséquent les subjectivités afférentes ».

L’auteur en traduit les conséquences sur une possible orientation politique : « L’idée qu’il peut exister, au sein du salariat, un prolétariat plus révolté mais surtout plus conscient et plus à même d’adhérer à un anticapitalisme progressiste est une impasse. Non pas qu’il ne puisse pas y avoir parmi ces secteurs des travailleurs qui ont cette conscience, mais la focalisation propagandiste et quasi sémantique selon une certaine échelle de la paupérisation est un choix minorisant ».

Le titre de cette note est aussi issu de ce texte. L’auteur indique aussi qu’il y a « deux critères que le capitalisme n’a ni l’intention réelle ni la possibilité d’intégrer à ses calculs : l’arbitrage sur la trace carbone des flux physiques au travers du continent et du monde ; et la mise en œuvre d’une politique économique permettant un développement harmonieux et égalitaire de l’ensemble des territoires européens. La rupture ce sera aussi cela ».

Il termine son article par « Proposer une rupture démocratique radicale », en indiquant que : « Il n’est pas possible de ne pas rattacher un projet socio-économique à un projet démocratique radical ».

Des analyses et des propositions à discuter.

Il me semble que les différenciations du salariat gagneraient à être enrichies par l’analyse des oppressions et des exploitations internes. Je reproduis sur ce sujet un extrait de texte écrit avec mon ami Patrick. « Des éléments, souvent, tus, oubliés, négligés ou maltraités, nous paraissent incontournables pour rendre crédible la construction d’une alternative majoritaire. (….) nous regrettons la faible prise en compte des transformations du prolétariat, regroupant la majorité (mais ne signifiant pas homogénéité, absence de contradictions ou de tensions, ni surtout absence de rapports de domination internes). Et nous voudrions insister particulièrement, (….), sur trois points :

  1. Si nous pensons, toutes et tous, que les opprimé-e-s ne peuvent que se libérer elles/eux-mêmes, les conditions pour penser, analyser et agir contre les oppressions, les dominations nécessitent qu’elles/ils s’auto-organisent, y compris dans des cadres non mixtes. La convergence nécessaire ne saurait faire l’économiede cette prise en compte. Le cadre d’un front est particulièrement adapté à cette réalité.

  2. La division sexuelle du travail (et l’asymétrie des rapports sociaux de sexe, le système de genre, le sexisme, la domination des hommes sur les femmes). Le féminisme ne saurait être un supplément d’âme. Ce qui nécessite l’intégration de cette dimension dans tous les registres de nos interventions, y compris dans la façon de nous exprimer, dans le partage du temps de parole dans nos réunions, etc.

  3. Si le temps des traites négrières est relativement ancien, celui des colonies est plus récent (contemporain en ce qui concerne la Kanaky, les Antilles, etc.). Et la racialisation d’une fraction importante des couches salariées (et populaires), avec l’ensemble de ces effets matériels (y compris sur celles et ceux qui deviennent « privilégié-e-s » de n’en être pas les objets), ne saurait être passé sous silence. Que se soit la couleur blanche invisibilisée et celles des « autres » ainsi stigmatisé-e-s, la catho-laïcité de l’État français opposée aux pratiques religieuses des « autres » ainsi « barbarisé-e-s », etc., tout cela relève des rapports sociaux.

Il ne s’agit pas d’un à-coté de la question sociale. Des réponses politiques adéquates doivent être formulées afin de lutter contre les inégalités et les non-libertés bien concrètes. Encore faut-il mettre ces questions à l’ordre du jour, en permanence. « Le salarié abstrait » n’existe pas.»

Outre ce texte, je signale une large partie internationale, dont un entretien avec Stathis Kouvélakis sur la Grèce et l’organisation Szriza, un article sur le Mexique « La guerre qui ne dit pas son nom » (Arturo Anguiano), sur la Chine « Nouveaux signes d’espoir : la résistance en Chine aujourd’hui » (Au Loong et Bai Ruixue), sur le Québec « Les origines d’une rébellion printanière » (Pierre Mouterde) et « La grève étudiante au Québec. Un printemps érable de carrés rouges » (Louis Gill), des textes sur « occupy » (Usa) ou les indignés d’Espagne. Sur ces deux derniers thèmes :

d’Athènes à Wall Street, # indignés ! Échos d’une insurrection des consciences Nous luttons pour une société dans laquelle tout le monde est important

Occupy wall street ! Textes, essais et témoignages des indignés, Introduction de Jade Lindgaard  N’ayez pas peur de vraiment vouloir ce que vous désirez

ContreTemps N°14

2ème semestre 2012

Editions Syllepse, Paris 2012, 158 pages, 12 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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