Une légende, c’est le chemin des infinis du possible

Prix Boccace 2012

Le mot du jury

Christiane Baroche, Frédérique Clémençon, Maylis de Kerangal, Gérard Audax, Jean-Marie Blas de Roblès, et Hervé Le Tellier, membres du jury ont salué le lauréat :

La force de Serge Pey réside dans sa capacité à introduire de la poésie dans l’horreur. Tout est langue, tout est signe, tout est bibliothèque. La langue poétique de Pey, formidablement efficace, décode, déchiffre le monde à travers de courtes nouvelles terribles, audacieuses, insolites , graves ou tendres. Aller à la recherche du « trésor de la guerre d’Espagne » c’est prendre le risque de chavirer et  de ne pas  sortir indemne  de sa quête !

Récits d’enfance et de guerre.

Comment parler d’enfance, de guerre ?

Le poète, par la magie des mots, la force des images, les sauts de construction fait surgir des moments, des ambiances, des lumières, des couleurs ou des sons façonnant ainsi le paysage du passé, de la mémoire.

Nous sommes bien ici, à la fois dans l’invention de la langue et dans la fidélité aux souvenirs.

Aussi, Serge Pey, n’a pas besoin de se faire historien de l’Espagne, de la violence des classes dominantes contre l’espérance populaire, la révolte des sans, la révolution des anarchistes, des poumistes et d’autres, dont les brigadistes internationaux.

Avec inventivité, il convoque les moyens littéraires pour nous faire sentir, ressentir le poids, la légèreté, l’ironie ou le drame de situations.

Pour un rencontre avec des coquilles « on dit que les coquilles portent bonheur car elles possèdent la voix de ceux qui sont partis ! », le linge comme vocabulaire « la petite écriture du petit sens », la Cega « elle était reveneuse de halètements, de rêves, de feux froids, d’yeux abandonnés », la langue des chiens, le voleur de cerises « Voler une cerise est un rite de la liberté », les arbres et les noms perdus, le sang dans le lavoir des drapeaux, les bijoux scarabée, Santamaria « Santamaria avait dormi avec sa vengeance à la manière d’un amant fou et jaloux », les aigles qui « descendent dans nos rêves et nous emportent vers des sommeils que nous ne connaissons pas et qui nous réveillent pour l’éternité », le sous titrage inversé, les Grands et la torture des chiens, l’enfermement, les nombres imparfaits, le mécanicien de l’infini, les morts se battants contre l’ennemi, l’évasion d’un wagon et ses quatre propositions, les trous sur la plage, les « fantômes harassés de voyage et de soif » ou la marche « vers la frontière, les souliers sur l’épaule »…

Sans oublier le poids du soleil « ce soleil qui disparaissait parfois sous le soleil et qu’on cherchait alors dans toute la maison, dans la poussière, sous le lit, dans un livre ouvert à la page déchirée, sous un soleil perdu » et les refus « Chacun se retenait ou s’interdisait de tirer la chasse afin de laisser circuler l’intelligence de la création des maîtres enfermés » ou « Je dis non pour exister ».

J’ai particulièrement apprécié les variations autour de l’échiquier. Que ce soit le jeu d’échec littéraire « Affamés de littérature, ils avaient même élaboré un jeu d’échecs littéraires où ils faisaient correspondre un vers à chaque pièce ainsi qu’à chaque déplacement », les échecs comme beauté « Mais le vrai joueur, qui ne joue plus, poursuit d’autres buts en cherchant à faire la véritable partie », ou les alcools comme pièces noires et blanches « variante d’un jeu à l’aveugle gouverné uniquement par les parfums ». Comme ne pas succomber aussi à la bibliothèque blanche du docteur.

Un livre d’évidence.

« Les montres éteintes cousent des vêtements invisibles pour les nombres. Avec leurs aiguilles fragiles, elles assemblent des cercles qu’elles font rouler sur les poignets des morts ».

Serge Pey : Le Trésor de la guerre d’Espagne

Zulma, Paris 2012, 174 pages, 16,50 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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