A mes sœurs voilées

Il y a peu, je me suis rendu dans un grand hôpital parisien, un hôpital public. J’y ai été reçu par une médecin. Elle portait un voile. Une femme jeune, jolie, coquette, et compétente je peux en attester. Mais elle portait le voile islamique dans un établissement public.

J’avoue que mon premier réflexe a été de penser au pillage de médecins, d’ingénieurs que nos pays infligent à ceux qui ne disposent pas de notre position. J’ai d’abord pensé à ces milliers d’être qui ne bénéficieront pas de ces docteurs. Mais la question de la laïcité m’a rattrapé.J’ai noté que ce voile n’a aucunement influé sur la qualité des soins que j’ai reçus.

Le hasard, qui n’en est probablement pas un, a fait que j’ai été voir un « spécialiste » de ma localité afin de poursuivre des investigations. Rien concernant ce spécialiste, mais il partage une simili maison médicale avec 2 dentistes. Sur chacune des portes d’entrées des cabinets dentaires étaient apposées des « Mezuzah » qui signifiaient bien la religion juive des praticiens. Je me suis interrogé sur la laïcité.
J’ai noté que ces  « Mezuzah » ne m’avaient aucunement provoqué d’irruptions de carries dentaires, ni n’avaient entravé la qualité du travail médical.Ce même hasard m’a amené au cabinet d’infirmières pour d’autres analyses. Le cabinet en question se nomme « Centre de soins des sœurs franciscaines ». La prise de sang n’y a été ni plus ni moins désagréable qu’ailleurs.

J’ai noté que les franciscaines ne font pas coaguler mon sang à leur seule invocation.
Mon cœur d’athée impénitent a survécu sans douleur à ces mésaventures. Il s’en sort même plutôt très bien, et toujours très attaché à la laïcité. Mais la question est toujours là, le « voile islamique ». Et elle pèse lourd sur mes nuits cette question.
Pourquoi le voile islamique me direz-vous ? La Mezuzah ou le centre franciscain devraient tout autant m’interroger. Ils le font, mais de façon plus sereine. Il est vrai que personne n’en parle, qu’aucune haine à leur égard ne m’est jamais parvenue. Par contre, ce « voile islamique », lui, provoque des poussées d’adrénaline jusque sur mon mur Facebook. La dernière en date après avoir fait figurer les propos tenus par Clémentine Autain sur le sujet. (Propos dont le caractère ouvert au dialogue me convient).
Je tiens pour une chance de compter dans mes amis facebookiens Saida qui a choisi de porter le voile islamique. Une personne de belle culture, écrivant joliment, partageant sur son mur des citations de penseurs de toutes origines. Une chance pour engager une réflexion humaine au parcours différent. Mais tout de suite les griffes sont sorties, les dents ont grincé. Dommage. Plus que dommage, dangereux. Le mur de déshumanisation se monte, celui qui permettra sous peu des passages à l’acte de grande ampleur.
Cet échange serein, amical, fraternel, n’a pas eu lieu. Je suis convaincu que c’est dommageable pour chacun. Je sais que ça l’est pour moi, amené à réfléchir sur ce fait de société lourdement chargé de violence. J’ai le sentiment, angoissé, d’assister à un climat délétère d’islamophobie. Ce climat si voisin de l’antisémite du début du 20e siècle que me décrivait ma grand-mère.
« Plus jamais ça » avaient-ils promis, mais c’est Brecht qui était dans le vrai : « le ventre de la bête est toujours fécond ». La rigueur cinglante qui accueille cette question vestimentaire et signe religieux outrepasse très largement la réaction rationnelle pour entrer dans la banale raison de la rage.
Celui qui impose le voile islamique est tout aussi criminel que celui qui l’interdit. C’est le geste d’interdire et d’obliger qui devrait soulever notre vigilance et notre engagement. Il y a l’idée de respect et de diversité dans la devise de notre République : « Liberté – Egalité – Fraternité ». FRATERNITE, c’est cette valeur qui a conduit à l’élaboration de la laïcité.
Ces idées au fondement de notre pays, de notre République, ont représenté des victoires populaires extraordinaires et difficiles. Des idées gagnées face à des forces imbues de domination et d’aspiration à imposer leur ordre, leur regard, leurs normes. Ces forces que nous retrouvons aujourd’hui s’appropriant le mot laïcité en le détournant de son sens fraternel et d’appel au respect de la diversité. Le mouvement de progrès des sociétés a été vers la reconnaissance de toujours plus de diversité en son sein. Diversité religieuse, diversité vestimentaire, diversité sexuelle, diversité de choix de vie…
Je me revois face à ce médecin hospitalier déjà déracinée de son pays d’origine (j’imagine Pakistan, ?) et j’associe son visage à celui des jeunes femmes agressées à Argenteuil le même mois. Ces femmes que je découvre, en quoi incarnent-elles une menace. Et même, en quoi incarnent-elles une menace spécifiques à l’émancipation des femmes ? Elles qui  affichent réussite sociale (au moins pour la médecin), savoir et culture (au moins Saida) et toutes fière affirmation d’elles mêmes. Ce n’est pas le voile, ni l’attitude religieuse qui posent problème mais l’image donnée à ce voile, à cette religion pour en faire un droit à la violence.
Saida, je veux pouvoir te dire que l’athée que je suis n’est pas d’accord avec toi. Je veux la liberté de te dire mon désaccord. Je veux pouvoir t’expliquer que le principe même de choisir de se soumettre heurte mon regard du monde. Mais pour te le dire j’ai besoin que ta liberté soit respectée, j’ai besoin que tu sois respectée.
Celui qui piétine la fraternité piétine mon pays. Mon pays fait de Robespierre, de Jaurès.
Citoyen Serge Grossvak
Deuil la Barre, le 17 aout 2013

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

6 réflexions sur « A mes sœurs voilées »

  1. Bravo! Bravo pour ce texte si juste, empreint d’intelligence du coeur! Qu’est-ce que ça fait du bien à côté du délire où se mélangent la peur, le racisme, la manipulation avec un faux-féminisme, une caricature de la laïcité qui n’est qu’une « religiophobie », c’est-à-dire une intolérance voire une haine en vers la religion.
    Oui, on peut ne pas être d’accord avec quelqu’un et ne pas se sentir agressé par cette différence, par ce différend et respecter -et non tolérer!- l’autre opinion ou croyance et l’autre personne!
    Cela devrait aller de soi mais l’intolérance, la bêtise et la haine sont puissantes!

  2. Robespierre était un adepte de la terreur, terreur qui a pris un grand T. Jaurès pragmatique et humaniste. Certes nous sommes de ce bois là et les autres culturants défendent d’autres  »dogmes », se battent pour d’autres causes, comme vous le dites si bien Serge et Sala, le respect seul servira à tous. merci pour ce bon article

  3. A partir de l’instant où une foi, une croyance, donne naissance à une religion, elle se transforme et s’éloigne du message qui en est l’origine. Dès que l’homme intervient pour organiser, codifier, expliciter, ritualiser, on peut parler d’appropriation, de captation à l’usage exclusif d’un groupe de pouvoir. Pour celui qui dit avoir la foi, il est essentiel de se coltiner au maximum au message premier, en oubliant ce qu’en ont fait les églises et leurs représentants, quels que soient ces églises et ces représentants.

  4. Les religions ne sont pas réductibles à leurs sources, à leurs textes fondateurs, aux décisions de leurs hiérarchies (lorsqu’elles existent).
    Les interprétations et les pratiques peuvent être très variées, voire contradictoires, évolutives dans le temps.
    Tout cela relève des rapports sociaux et de l’histoire.
    L’islam, c’est ce qu’en font les musulman-ne-s ; le judaïsme ce qu’en font les juives/juifs, le catholicisme…
    C’est aux croyant-e-s et à elles/ils seul-e-s de décider de leurs pratiques, de donner ou non leurs définitions.
    Cordialement
    Didier

  5. Je suis moi même très embetée par cette question du voile. A titre perso, qu’une femme porte le voile ne me pose pas de problème. Ce qui me dérange, c’est quand il est porté comme un porte drapeau religieux, car j’aime à imaginer qu’on se vêt pour édulcorer son image esthetique ou pratique. Ce qui me plait c’est qu au nom de la liberté je puisse le porter ou non

  6. « Celui qui impose le voile islamique est tout aussi criminel que celui qui l’interdit ». Dans cet énoncé, « celui qui interdit » donne le ton et c’est par rapport à la gravité du sien qu’est pondéré le crime de « celui qui impose ». Étrange logique. Qui m’inspire deux remarques, pour faire court.
    L’une. « Criminel » me paraît excessif. « Crétin » me semblerait mieux convenir. Éventuellement … et ça se discute.
    L’autre. La laïcité new style (« sens fraternel … respect de la diversité religieuse, vestimentaire, sexuelle, choix de vie ») m’exaspère. Elle convient tant et si bien à toutes les confréries de toutes les fumeries que les chamans de toutes les religions en sont devenus les plus ardents défenseurs. Chacun au bénéfice de la « diversité » de sa propre « paroisse », bien entendu. Ce qui permet à Marine le Pen de s’y aligner en toute logique, soit dit en passant.
    Je m’en tiens au bon vieux schéma de la laïcité-tout-court : tolérance citoyenne des délires dogmatiques de chacun, avec l’espoir chevillé au corps que, l’éducation aidant, la Raison finira par l’emporter sur les foutoirs dogmatiques de tous les ensoutanés de ce bas monde.
    Et, en ristourne, merci de ne pas évoquer la laïcité ailleurs que dans le domaine très précis de la cohabitation citoyenne de la raison avec les dogmes.

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