CHRONIQUES POLITIQUEMENT INCORRECTES (2) Autour de « l’abandon à la mort… de 76 000 fous par le régime de Vichy »

Ces chroniques d’Armand Ajzenberg ont été diffusées sur un réseau social – LINKEDIN – depuis janvier 2013 à 800 personnes… et à ce jour se poursuivent.

Le cahier No 1 comprenait les chroniques Nos 1 à 5 (voir : CHRONIQUES POLITIQUEMENT INCORRECTES (1) Autour de « l’abandon à la mort… de 76 000 fous par le régime de Vichy »)

Le cahier No 2 (celui-ci) comprend les chroniques Nos 6 à 12

« L’ABANDON À LA MORT… DE 76000 FOUS PAR LE RÉGIME DE VICHY » ?

Il s’agit d’un livre paru en novembre 2012 chez L’Harmattan (voir note de lecture : Abandon à la mort, non assistance à personne en danger et « génocide doux »)

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Armand AJZENBERG

L’ABANDON À LA MORT… DE 76000 FOUS PAR LE RÉGIME DE VICHY

Suivi de

André CASTELLI

UN HÔPITAL PSYCHIATRIQUE SOUS VICHY (1940-1945)

Préface de Michaël GUYADER

L’HARMATTAN

Collection : « Historiques »

ISBN : 978-2-336-00623-9 • 27 € • 270 pages

LES AUTEURS :

Armand Ajzenberg, autodidacte, a rencontré Lucien Bonnafé chez le philosophe et sociologue Henri Lefebvre en 1985. Il s’est ainsi engagé dans cette « drôle » d’histoire.

André Castelli, ancien infirmier psychiatrique, est aujourd’hui vice-président du Conseil général du Vaucluse et Conseiller municipal d’Avignon.

Michaël Guyader, psychiatre et psychanalyste engagé, ancien chef de service du 8e secteur de psychiatrie générale de l’Essonne. Ami proche de Lucien Bonnafé.

CHRONIQUES POLITIQUEMENT INCORRECTES (2)

Autour de « l’abandon à la mort… de 76 000 fouspar le régime de Vichy »

SOMMAIRE

6 – La fable « Bonnafous »

7 – À propos de calories

8 – Question « Responsabilités »

9 – Que les bouches s’ouvrent ! Elles s’ouvrent

10 – Que les bouches s’ouvrent ! Elles s’ouvrent (suite 1)

11 – Que les bouches s’ouvrent ! Elles s’ouvrent (suite 2)

12 – Taisez-vous Laurent, Max… et les autres !

CHRONIQUES POLITIQUEMENT INCORRECTES

Autour de « l’abandon à la mort… de 76 000 fous

par le régime de Vichy »

6 – LA FABLE « BONNAFOUS » ?

Indispensable pour nier « L’abandon à la mort… de 76 000 fous par le régime de Vichy »

« Incroyable, mais vrai. Le régime de Vichy est enfin innocenté d’avoir programmé un “génocide”. Celui des pensionnaires des asiles d’aliénés. […] En 1987 puis en 1988, deux ouvrages rédigés par des psychiatres prétendaient que sur les 76 000 aliénés décédés (bilan total), 40 000 relevaient d’un programme “euthanasique”, bien sûr inspiré par le nazisme, et organisé par l’État français. Voire par “le docteur maréchaliste Alexis Carrel, initiateur en 1941 d’une fondation pour l’étude des problèmes humains” — extrait d’un article dans « Le Monde » (du 23 février 2007) de Mme Elisabeth Roudinesco, qui s’inscrit d’ailleurs en faux contre la thèse du “génocide”, mais après avoir pris soin de préciser que Carrel était “de sinistre mémoire”. […] Bref une fois de plus, jamais une fois de trop, Vichy était accusé de pratiques abominables. Or, après dix ans de recherches, l’historienne Isabelle Von Bueltzingsloewen vient de publier aux éditions Aubier un livre, « L’Hécatombe des fous », qui pulvérise les élucubrations précédentes en rétablissant la vérité historique ». (Jean-Paul Angelelli, « Rivarol », journal d’extrême-droite faut-il le préciser, No 2801 du 9 mars 2007).

Dans les « histoire(s) de l’été 1940 » (6/12) publiées par « Le Monde », c’était le 25 juillet 2010, Mme Isabelle von Bueltzingsloewen, était interrogée à propos de ce que Max Lafont a appelé « L’extermination douce ». À la question posée par les journalistes du « Monde » : « le régime de Vichy a-t-il, comme on le lit parfois, voulu « exterminer » les fous en les affamant ? » elle répond : « Non… La preuve que Vichy n’a pas voulu les exterminer, c’est la publication, en décembre 1942, de la « circulaire Bonnafous » (du nom de Max Bonnafous, alors ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement). Ce texte, précisément, attribue aux malades des suppléments alimentaires qui permettent de faire reculer la mortalité dans les asiles ».

« Un surprenant revirement de Vichy ». C’est donc ainsi que l’historienne juge le « miracle » intervenu le 4 décembre 1942. Pour elle, Max Bonnafous, ministre de l’Agriculture et du Ravitaillement, a probablement constitué le facteur déterminant. « Max Bonnafous est vraisemblablement plus sensible à la souffrance des aliénés internés que son prédécesseur ou que son collègue au secrétariat d’État à la Famille et à la Santé. Son épouse, Hélène Bonnafous, est en effet médecin du cadre des hôpitaux psychiatriques ». Affirmation gratuite… et qui fonde sa démonstration d’un « Vichy innocent » de l’abandon à la mort des 76 000 malades mentaux. Si c’est faux, la démonstration tombe à l’eau !

C’est au cours d’une tournée de Gaby Morlay en Afrique du Nord que Max Bonnafous la rencontre. Entre le ministre et l’actrice, c’est le coup de foudre. C’est un homme marié et la morale de « l’ordre nouveau » ne rigole pas avec ce genre d’infractions. Gaby, est-il écrit quelque part, devient la femme de son ombre et Max ne voit que très rarement son épouse légitime. Le couple Morlay-Bonnafous abrite alors son bonheur dans une belle villa de la Côte d’Azur. Voilà qui relativise peut-être le rôle de la légitime Mme Bonnafous quant à la circulaire du 4 décembre 1942.

Mme von Bueltzingsloewen aussi aime bien Max Bonnafous. « Les services qu’il rend à la Résistance lui permettent, après la guerre, d’être relevé de l’indignité nationale dont il avait été frappé à la Libération » écrit-elle. Il en alla de même alors pour René Bousquet et Maurice Papon, pourvoyeurs directs de juifs aux nazis. Quel brave homme que ce ministre !

Cette circulaire du 4 décembre 1942 est donc pour Mme von Bueltzingsloewen la preuve absolue, la seule, de ce que Vichy n’avait aucune volonté génocidaire s’agissant des fous internés. Si cette preuve tombait, pourrait-on alors en conclure que Vichy avait bien une volonté génocidaire ? Nous ne l’avons jamais dit et nous nous gardons de l’affirmer. Cette preuve salvatrice de la thèse de l’historienne, qui est une ruse, induit un faux débat. La question n’est pas volonté génocidaire ou non du régime de Vichy ? Elle est non-assistance de ce régime à personnes en danger de mort, en connaissance de cause, ou pas ?

Pourtant, le Secrétaire d’État à la Santé, sous la plume de son Secrétaire général (le Dr Aublant) informe, le 4 décembre 1942 : « les démarches effectuées depuis plusieurs mois auprès du Secrétaire d’État à l’Agriculture et au Ravitaillement en vue de l’attribution supplémentaire de denrées contingentées aux malades internés dans les hôpitaux psychiatriques viennent d’aboutir. M. le Ministre, Secrétaire d’État à l’Agriculture, m’informe, en effet, qu’il se propose d’allouer aux internés les suppléments prévus pour les cantines d’usines et restaurants à prix réduit… ».

Laval n’adhère pas vraiment à l’idée de « Révolution nationale ». Bien que Laval lui ait proposé le ministère de la Santé (qu’il refuse), Alexis Carrel perd peut-être de son influence auprès du gouvernement ? Mais ses idées s’exercent toujours, sans lois ni décrets, sur l’appareil d’État, les administrations et les fonctionnaires. La collaboration avec l’Allemagne est l’objectif essentiel de la politique de Laval. En retour, il espère voir la France jouer un rôle de brillant second après la victoire de l’Allemagne. C’est sa priorité absolue. Au nom de cette collaboration, il accepte de participer à la déportation en masse des juifs. Alors que les Allemands ne le demandaient pas, il n’hésitera pas à faire inclure les enfants de moins de 16 ans dans les convois de déportation. Lâcher des miettes de pain, à la demande de psychiatres participant au « Conseil technique de l’enfance déficiente et en danger moral » auquel il tient beaucoup, et soucieux d’assurer autant que possible la cohésion du pays et de maintenir la solidarité de son gouvernement à la politique de collaboration, justifient pour lui ces petits accommodements.

Pour I. von Bueltzingsloewen, la circulaire du 4 décembre 1942 est sa preuve de l’innocence de Vichy. Un fait sans cause autre que celle de l’influence d’une femme abandonnée sur un mari qui a fui. Aucune interrogation à propos d’une autre piste de compréhension ou d’explication possible. Il y en a pourtant une que je propose, plus plausible me semble-t-il, dans cet ouvrage :

http://www.harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&isbn=9782336006239

À SUIVRE…

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Autour de « l’abandon à la mort… de 76 000 fous

par le régime de Vichy »

7 – À propos de calories

Reçu ce courrier :

« Les morts dans les asiles sous Vichy ont eu lieu par réduction et aussi surtout par détournement des budgets alimentaires et médicamenteux pour les asiles psychiatriques. Mais comment déterminer exactement la part de l’idéologie nazie là-dedans où plein de facteurs interviennent en même temps ? En effet, j’ai constaté le même phénomène de détournement de ressources dans les asiles français dans les années 1990 ».

Ma réponse :

Les morts dans les hôpitaux psychiatriques l’ont été essentiellement non par réduction des budgets alimentaire mais par refus du régime de Vichy de leurs accorder les suppléments dont les hôpitaux généraux bénéficiaient, ce que des psychiatres demandaient. Ci-après quelques éléments tirés de mon livre où j’en parle.

Les besoins caloriques d’un individu sédentaire sont en moyenne de 2500 calories. Il semble qu’il y ait consensus à ce propos. S’agissant de la période 1940-1945, les grandes lignes du rationnement avaient été définies dès le 29 février 1940 par un décret. Les critères de rationnement ont été, eux, définis par deux arrêtés : le premier du 9 mars 1940, le second du 15 juin 1941. Les rationnés étaient alors classés en catégories réparties selon les âges et les activités. S’agissant des fous, ils se retrouvaient généralement dans la catégorie A (personnes de 21 à 70 ans n’effectuant pas un travail de force) et V (personnes de plus de 70 ans).

Des suppléments étaient accordés, dès le début du rationnement aux restaurants des hôpitaux généraux, à ceux des écoles et aux coopératives qui géraient des restaurants d’entreprises, suppléments fixés par le Secrétaire d’État au ravitaillement et équivalents semble-t-il à environ 400 calories. Les fous des hôpitaux psychiatriques étaient, eux, parmi les grands « oubliés » de ces suppléments.

Quand les besoins caloriques journaliers d’un individu sédentaire sont d’environ 2500 calories selon Jean Sutter, les cartes de rationnement accordent, selon Michel Cépede, 1800 calories personne/jour en 1940 (titulaires de la carte A), puis descendent régulièrement au fil du prolongement de la guerre pour arriver à 850 calories personne/jour. Fin 1942, on peut estimer, selon des sources récentes, les rations alimentaires équivalentes à 1300 calories quotidiennes par personne (carte A).

Le déficit entre les besoins caloriques normaux d’un individu (2500 calories par jour) et la réalité résultant en 1942 du rationnement était donc pour cet individu de 1200 calories par jour. Je ne sais comment Olivier Bonnet et Claude Quétel, dans le numéro de Nervure déjà cité, ont calculé une ration calorique distribuée aux fous inférieure à la ration vitale de 500 calories ? Pour tous les Français titulaires d’une carte A, on l’a vu, la différence était de : 2500 – 1300 = 1200 calories. Les 500 calories calculées par Bonnet et Quétel correspondaient, écrivais-je dans l’introduction au Train des fous, au prélèvement pour chaque français à 1,25 calorie par jour.

Isabelle von Bueltzingsloewen dans son ouvrage de 2007 écrit à ce propos : « Les malades soignés dans les hôpitaux généraux ont-ils eux aussi touché des suppléments en denrées rationnées qui auraient été refusés aux aliénés internés dans les hôpitaux psychiatriques ? C’est ce qu’avancent Max Lafont, Patrick Lemoine et André Castelli. C’est ce qu’affirme également Armand Ajzenberg dans son avant-propos à la seconde édition du Train des fous : « Les hôpitaux généraux avaient droit à des suppléments (nourriture, charbon, textile) pour leurs malades. Mais non ceux des hôpitaux psychiatriques. Il n’y eut pas de surmortalité notable dans les hôpitaux généraux. Il y en eut une, terrible, dans les hôpitaux psychiatriques. […] Les suppléments vitaux, dont bénéficiaient les premiers et non les seconds, sont évalués, s’agissant de la nourriture, à 500 calories par jour par Bonnet et Quétel. Ce qui aurait alors représenté 1,25 calorie par jour et par Français. Bref 40 000 morts par refus d’ôter à chaque Français la miette de pain journalière qui était tombée sous sa table. Il est regrettable qu’Armand Ajzenberg ne précise pas sur quelles sources il fonde cette allégation qui, contrairement à ce qu’il laisse entendre, n’est pas corroborée par Olivier Bonnet et Claude Quétel ».

Ce calcul n’avait pas à être corroboré par Bonnet et Quétel, ni par quelqu’un d’autre. Une règle de trois y suffit. Si on estime la population enfermée alors dans les hôpitaux psychiatriques à 100 000 individus (auxquels on accorde 500 calories par jour) et la population française à 40 millions d’individus, cela donne très précisément 1,25 calorie par jour et par français. Par ailleurs, sachant qu’un gramme de pain vaut environ 2,5 calories, moins d’un gramme de pain par français et par jour, cela aurait largement permis d’attribuer les 500 calories en question par jour aux 100 000 malades. Élémentaire, non ?

Dans l’article de Jean Sutter cité, un tableau intitulé « Normes du niveau de « subsistance critique » (en dessous tu meurs !), donne 1900 calories journalières pour un homme sédentaire. Pour un malade enfermé dans un hôpital psychiatrique, on est donc loin de compte, fin 1942, du minimum même de survie. Par rapport à celui-ci, il y a un déficit de 600 calories par jour pour un homme sédentaire.

Les données indiquées par Jean Sutter pour 1947 ne devaient pas être très différentes de celles en vigueur en 1942. Ce dernier, pendant la guerre, travaillait à la « Fondation française pour l’étude des problèmes humains » dont le régent était Alexis Carrel. Un ministre de la Santé, celui chargé du Ravitaillement pouvaient-ils ignorer ces données ? Pouvaient-ils ignorer que les rations attribuées aux malades des hôpitaux psychiatriques étaient bien inférieures aux minimums de survie ? Dans les hôpitaux psychiatriques, les rations allouées, identiques pour tous les détenteurs des cartes A et V, étaient d’environ 1300 calories par jour, soit au moins 1200 de moins à ce quelles étaient avant-guerre. On est également encore loin, on l’a vu, du minimum de survie, de 600 calories. On comprend alors pourquoi la norme dans les hôpitaux psychiatriques n’était pas de survivre, mais de mourir.

Ceci dit le « coulage » a certainement existé mais dans la littérature concernant les hôpitaux psychiatriques de cette période il en est très peu question. À Montdevergues-les-Roses, ce qui fait la deuxième partie du livre, un seul cas est signalé, que le préfet recommande de ne pas sanctionner.

À SUIVRE…

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Autour de « l’abandon à la mort… de 76 000 fous

par le régime de Vichy »

8 – QUESTION « RESPONSABILITÉS »

À la fin de la guerre, quelques psychiatres, Lucien Bonnafé notamment, tentèrent d’attirer l’attention sur cette « chose » : la mort de dizaines de milliers de malades mentaux dans les hôpitaux psychiatriques en France pendant la Seconde Guerre mondiale. En vain. Il faudra attendre 1987 pour que ce « trou noir » de l’histoire de France refasse surface. À cette date en effet, un psychiatre – Max Lafont – décida de publier les résultats d’une thèse réalisée en 1981. Scandale ! Il s’agissait alors d’un « lourd secret de famille » qu’il fallait taire ou n’évoquer qu’à voix basse.

À propos des responsabilités ? Vichy ou l’institution psychiatrique, ou ni l’un ni l’autre (seulement la faute « à pas de chance »), est le point central du débat. Personne en effet ne remet en cause les morts ni la raison essentielle de l’hécatombe : la famine.

Pour Henry Rousso, en 1989 (Vingtième siècle. Revue d’histoire) dans une analyse de 5 000 signes (espaces compris) il s’agit d’un problème « mal connu et qui ressort visiblement plus de l’histoire de l’institution psychiatrique elle-même que de celle d’un régime politique ». Pour Olivier Bonnet et Claude Quétel, autres historiens, dans une étude de 1991 (Nervure), leur réponse implicite est : « triste résultat des circonstances », ou, en d’autres termes, « pas de responsables ». Seules, des circonstances fâcheuses… auxquelles on ne pouvait rien. Points de vue, non démontrés, opposés à celui de Max Lafont.

Pour Mme von Bueltzingsloewen également, en 2007 dans L’hécatombe des fous, les 76 000 morts de faim recensés par Bonnet et Quétel : « triste résultat des circonstances ». Pour elle, Vichy « en faisant le choix de la collaboration, il a fait celui de céder aux exigences grandissantes de l’occupant nazi qui a pu organiser le pillage systématique du pays pour soutenir son effort de guerre. Et donc pris le risque de compromettre la survie d’une partie de la population française ». Pour autant, rien ne « permet de conclure à une implication directe des autorités vichystes dans la mort des malades mentaux ». Ce qui est le degré zéro d’une analyse en Histoire. “Si ma grand mère en avait, je l’appellerais grand père” nous dit-elle ou, en d’autres termes, “si Pétain, Darnand, Laval et les autres en avaient, je les appellerais résistants”. Mais ces derniers, ils avaient fait le choix de la collaboration et de la soumission aux volontés du régime nazi, et non l’inverse.

On a vu, et on le reverra, que dans ce choix, Vichy avait mobilisé des intellectuels, devenus idéologues officiels du régime, justifiant et légitimant les lois et les actes d’ « effacement » et des juifs de France et des malades mentaux internés dans les hôpitaux psychiatriques. On a vu qu’une circulaire ministérielle de mars 1942, sous Darlan, refusait d’accorder des suppléments à la ration alimentaire des malades mentaux : « supplément qui ne pourrait être prélevé que sur les denrées déjà trop parcimonieusement attribués aux éléments actifs de la population ». On a vu qu’un Directeur régional de la Santé (représentant direct du ministre) préconisait en mai 1942, sous Laval, de ne nourrir que « les malades récupérables, c’est-à-dire ceux qui […] pourront […] reprendre leur place dans la société et leur activité antérieure : ce sont ceux là qu’il convient de réalimenter ».

Lucien Bonnafé, voulant pointer la responsabilité essentielle de Vichy dans la catastrophe, lança cette formule, en forme de boutade : « responsabilités partagées, 51 % pour Vichy, 49 % pour l’institution psychiatrique ». Mais cela est peut-être une manière réductrice d’engager le débat. “Responsabilités partagées” disait Bonnafé. Certes. Mais le fonctionnement de l’institution psychiatrique sous l’occupation, s’il laissait beaucoup à désirer pour des raisons évidentes, on ne peut pour autant lui imputer la responsabilité de la mort des malades mentaux, morts de la faim, de froid et des maladies qui s’ensuivent. Le ravitaillement et les autres approvisionnements relevaient uniquement du pouvoir politique. Ce qui est certain, c’est qu’avant-guerre on n’y mourait pas de faim.

Les hôpitaux psychiatriques et le personnel y travaillant n’étaient pas responsables si, dès 1940, les malades mentaux internés étaient les grands oubliés des attributions en tickets de rationnement supplémentaires (évalués, insuffisamment, à 400 calories par jour). Les hôpitaux psychiatriques et le personnel y travaillant n’étaient pas responsables si, malgré les protestations véhémentes de certains médecins (dès le printemps 1941), les malades mentaux (les 2/3 étant déjà morts) ne bénéficièrent qu’en décembre 1942 de suppléments, nettement insuffisants, évalués à environ 200 calories par jour, ce qui ralenti mais n’arrêta pas l’hécatombe et conduisit à la mort du dernier tiers des malades. La responsabilité de la famine régnant dans les hôpitaux psychiatriques incombait, sous le régime de Vichy, au pouvoir politique de l’époque et seulement à lui. À 100 %. Pas à la plupart des médecins, des infirmiers et du personnel, même administratif, des hôpitaux psychiatriques. Ce qui aurait été pour ceux-ci scier la branche sur laquelle ils étaient assis.

Quand Henry Rousso attribue la responsabilité totale des 76 000 morts à l’institution psychiatrique, on oublie un peu que derrière l’institution il y a des femmes et des hommes. C’est-à-dire des équipes soignantes (médecins et infirmier(e)s) et des équipes administratives. Tous fonctionnant dans le cadre de règlements et de lois fixés par d’autres hommes : les pouvoirs (État, ministres, administrations, les représentants de ceux-ci dans les Régions, etc.). Pour moi, j’indique dans « L’abandon à la mort… de 76 000 fous par le régime de Vichy » que sous l’Occupation il y a eu des psychiatres et du personnel soignant qui ont fait quelque chose pour remédier à la famine (par exemple Balvet, Bonnafé, Tosquelles à Saint-Alban-sur-Limagnole), d’autres qui ont essayé de faire quelque chose (par exemple à Montdevergues-les-Roses comme on peut le voir dans le livre qui vient d’être cité) et d’autres qui ont été lâches. Comme ailleurs.

Je n’ai pas de statistiques concernant les proportions des uns et des autres, mais s’agissant d’autres institutions ou corporations, celle des sociologues par exemple (autre « lourd secret de famille »), une étude récente montre qu’il y avait approximativement 1/3 de Collaborateurs et 1/3 de Résistants. Le 1/3 restant n’étant ni l’un ni l’autre.

À SUIVRE…

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No 9 – Que les bouches s’ouvrent ! Elles s’ouvrent

On a vu que des psychiatres travaillant dans un « Conseil technique de l’enfance déficiente et en danger moral », sous la houlette du ministre de la Santé Raymond Grasset (fidèle parmi les fidèles de Pierre Laval), avaient en 1943 et 1944 classé des enfants dans une catégorie « irrécupérables » et proposaient ensuite de les placer dans des hôpitaux psychiatriques, sachant pertinemment ce qui s’y passait alors. On a vu que parmi ces psychiatres et intellectuels certains avaient été à la fois résistants et collaborateurs avec Vichy. Ce qui illustre l’ambivalence régnant alors. Ce qui n’était pas la généralité : il y avait aussi des résistants et rien que cela, d’autres collaborateurs et rien que cela, et d’autres enfin… Rien.

On a vu qu’on ne pouvait tenir pour responsables de la mort des 76 000 fous la grande majorité des praticiens exerçant alors dans les hôpitaux psychiatriques. On a vu que ce drame était un lourd secret de famille pour cette corporation. Ce secret fut levé en 1987 et le débat se fixa alors sur les responsabilités quant à ces morts : l’institution psychiatrique, Vichy ou des circonstances malheureuses ?

On a vu qu’une historienne absout Vichy de toute responsabilité dans cette affaire. On sait qu’à la sortie de son livre, en 2007, celui-ci fut accueilli avec grande fanfare par « Rivarol », journal d’extrême droite. Et pas seulement par lui. Par « L’Humanité », « Le Monde », « Libération », L’Express, etc… aussi.

Je pense avoir montré, et démontré, dans « L’abandon à la mort… de 76 000 fous par le régime de Vichy »

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=38711

que le livre d’Isabelle von Bueltzingsloewen avait pour seule mission de dire l’innocence de Vichy et non la vérité historique à propos des responsabilités. En tout cas, depuis que « L’abandon à la mort… » est paru (8 mois) aucun des critiques des journaux cités n’est venu infirmer ce qui y est écrit. Seul, le silence en guise de réponse. Qui ne dit mot, consent s’être trompé ?

Les choses ne sont jamais aussi simples qu’on ne le croit. On a pu le voir avec l’ambivalence de ceux qui étaient à la fois résistants et collaborateurs. Tous résistants ? Tous collaborateurs ? « Seule la classe ouvrière dans sa masse aura été fidèle à la France profanée » constatait François Mauriac dans son « Cahier noir » en août 1943. On ne peut en dire autant, semble-t-il, de la majorité des intellectuels d’alors.

En effet, aujourd’hui des bouches s’ouvrent.

« S’est-il passé quelque chose en sociologie durant le régime de Vichy […] Ses membres ont-ils choisi la résistance, la collaboration ou plus prosaïquement, comme bien d’autres, d’attendre des temps meilleurs ? » interroge d’entrée de jeu Jean Ferrette dans le numéro 7 de la revue « Anamnese » intitulée « Les sociologues sous Vichy » (2012).

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=numero&no_revue=142&no=39146

Et il répond : « oui, on continuait à faire de la sociologie durant la guerre ; oui, Vichy s’était doté de ses propres institutions, à visée idéologiques ; oui de grands noms y ont travaillé (et ne s’y sont pas seulement « formés » ajoute-t-il dans une note) qui ont ensuite fait une belle carrière après guerre (Stoetzel, Chombart de Lauwe (?), Alain Girard…) ». Il précise un peu plus loin : « Durant la guerre, c’est une sous-section de la Fondation Carrel, parfois appelée “psychologie sociale” et dirigé par jean Stoetzel qui fut l’employeur de chercheurs d’origine aussi diverses qu’Alain Girard, Françoise Dolto (32 ans en 1940), Charles Morazé (27 ans), Charles Bettelheim (27 ans), Pierre Naville et Georges Lutfalla… Le problème, c’est que dans les biographies autorisées de ces personnes, on ne retrouve pas mention de ce passage ». Nés sous x ?

Sur 55 sociologues ou anthropologue recensés dans un tableau, en âge d’exercer en 1940, il y en a environ un tiers qui sont résistants (notamment Paul Rivet, Albert Bayet, Henri Lefebvre, Georges Friedmann, Germaine Tillon – ils sauvent l’honneur de la corporation), un tiers qui sont collaborateurs (notamment Georges Montandon, Marcel Déat et son fidèle ami Max Bonnafous, François Perroux, Pierre Naville, Jean Stoetzel, Charles Bettelheim, Alain Girard), et un dernier tiers qui attend des jours meilleurs.

Les sociologues interdits sous l’Occupation (listes “Otto”) sont les suivants : Henri Lefebvre, Julien Benda, Georges Friedmann, Karl Marx, Raymond Aron, Marcel Grioule. Auxquels s’ajoute une liste d’“auteurs juifs” : Durkheim, Daniel Halévy, Marcel Mauss. Ces interdictions ont été suivi d’effet : par les éditeurs bien sûr, mais aussi par la majorité des bibliothèques (municipales, populaires, universitaires).

Et Jean Ferrette conclut ainsi son article :

« Les oublis ou omission sèment le trouble et ne peuvent qu’alimenter le soupçon d’une compromission grave, à moins de céder aux sirènes fallacieuses de la France entièrement résistante. La thèse selon laquelle il ne s’est rien passé sous Vichy n’est ni juste historiquement, ni défendable. C’est au contraire en faisant toute la lumière sur cette période que l’on pourra, enfin, faire la part des choses. Sans doute aura-t-il fallu, ici comme ailleurs, attendre le décès de ses protagonistes pour qu’une telle anamnèse soit rendue possible, ce qui démontre (si besoin était) que les sciences sociales ne constituent pas un objet à part, indifférent à son contexte, mais est au contraire « embarqué » dans son époque. Ni anges ni démons, les chercheurs se sont répartis entre résistance, compromission et collaboration, passant parfois de l’un à l’autre au gré des événements et des opportunités, conditionnés par leur âge, leur génération, leur position sociale et leur situation. Le périmètre de la discipline s’en est trouvé affecté, les thèmes de recherche durablement imprégnés ».

Cela vaut aussi pour cette autre profession : la psychiatrie. Là aussi ce sont des spécialistes de la discipline qui avaient ouvert la voie. Les historiens, eux, étant aux abonnés absents. Et quand, sur le tard, s’ils s’en mêlent, c’est pour dire « qu’il ne s’est rien passé sous Vichy », sauf les morts par « pas de chance ». Là, comme pour la sociologie, l’institution psychiatrique s’est répartie « entre résistance, compromission et collaboration ». C’est ce que j’essaye de dire. Dans un silence assourdissant jusque-là.

À SUIVRE…

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10 – Que les bouches s’ouvrent ! Elles s’ouvrent (SUITE 1)

« Disons-le tout net, ce livre provoque la sidération.

Ce livre est gênant. Il déterre un cadavre. Il s’en prend aux monstres […] Ce livre s’aventure dans la nuit brune comme vers la pièce condamnée du château de Barbe-Bleue, nous jetant sous les yeux un méchant secret. Maintenant nous avons vu ce que nous n’aurions pas dû savoir. C’est que même la science des choses passées a été empoisonnée, contaminée, irradiée » écrit d’entrée de jeu Jérôme Prieur dans sa préface au livre de Laurent Olivier « Nos ancêtres les germains, les archéologues au service du nazisme ».

http://www.tallandier.com/ouvrages.php?idO=657

« Un vieux secret de famille », c’est ainsi qu’il intitule son premier chapitre. En effet, « Pendant près de cinquante ans, un silence embarrassant a pesé sur l’archéologie européenne de la période de l’après-guerre, en Allemagne et en France. On le savait sans le savoir vraiment, en tout cas sans que cela surtout puisse être dit ». Cela aurait pu être écrit aussi à propos de l’abandon à la mort par Vichy des 76 000 fous.

Laurent Olivier traite d’abord de l’archéologie allemande complice du nazisme où près de 90 % des archéologues avaient servi leur spécialité sous l’uniforme SS ou en étant membres du parti nazi. Mais cela n’avait rien d’exceptionnel. Les psychiatres allemands, ceux qui envoyaient les malades mentaux vers les chambres à gaz, l’étaient dans une proportion encore plus grande.

Il s’intéresse ensuite aux archéologues dans la France occupée. Il s’agit d’un milieu minuscule d’environ 150 personnes. Il y a ceux qui collaborent directement avec les archéologues allemands, pour qui l’objectif est de légitimer les annexions immédiates par de prétendues ascendances germaniques (Alsace, Lorraine, Moselle, Nord de la France), mais encore la Bretagne et la Bourgogne et ceci avec l’aide d’archéologues locaux militants séparatistes. « Qu’allaient faire ces chercheurs français en prêtant leur concours à des fouilles allemandes dont l’arrière-plan idéologique était aussi évident ? » interroge Laurent Olivier. Se désintéressant des enjeux idéologiques que cela impliquait, ils préféraient bénéficier sur le moment de la considération et du prestige que cela leur apportait, répond l’auteur.

Il y a aussi ceux se mettant au service de Vichy. « Comme en Allemagne, l’archéologie française se voit dotée par le régime d’institutions, de moyens financiers et d’un programme scientifique nouveau. […] Comme en Allemagne enfin, la discipline archéologique est instrumentalisée par le régime pour servir, avec les Arts et Traditions populaire (ATP), d’appui à sa politique idéologique dans le domaine de la culture ». Pour Vichy, les origines nationales de la France constituent un enjeu essentiel : le régime cherche à fonder sa légitimité dans un retour aux valeurs ancestrales, « en même temps qu’il s’attaque à une réécriture complète de l’histoire nationale » écrit encore Laurent Olivier.

Vichy, d’un côté il magnifie le passé gaulois pour en faire un symbole national et, de l’autre, il fait un parallèle entre la défaite de 1940 devant l’Allemagne et celle de 52 av. J.-C. devant les Romains. « La victoire nazie est vue comme l’occasion d’une renaissance du peuple français, enfin débarrassé de l’héritage néfaste de la Révolution et du socialisme, et intégré à une nouvelle Europe » constate l’auteur. Vichy justifie ainsi la collaboration : « La Gaule accepta sa défaite : Jules César apporta la paix romaine ; vainqueurs et vaincus s’entendirent et de ce grand choc naquit la civilisation gallo-romaine qui nous a fait ce que nous sommes. Nous nous retrouvons après deux millénaires dans la même position que les Gaulois nos pères, et nous souhaitons de tout cœur que, de l’accord des vainqueurs et des vaincus, naisse enfin la paix européenne qui seule peut sauver le monde » déclara le 19 janvier 1941 Pierre Gaziot, Ministre de l’agriculture. « Ces deux axes de recherche ne se rencontraient pas. On ignorait alors du côté français – ou peut-être préférait-on ne pas le savoir – que cette particularité archéologique « française » n’avait aucun avenir dans le projet de la « Grande Allemagne ».

Où l’on voit que des archéologues français d’alors se sont mis directement au service de l’Allemagne et que d’autres, eux, se sont mis au service de Vichy. Avec des buts concrets affichés pour les uns et les autres : justifier l’amputation de la France et légitimer la collaboration. Ils apportaient ainsi leur caution théorique à ce régime qui rêvait d’une France, même amputée, brillante seconde d’une Allemagne nazie.

Ce qui dans le panorama de la collaboration n’a rien de nouveau et n’est pas différent de ce qui s’est passé ailleurs, par exemple chez des anthropologues et des médecins pour qui « il fallait éliminer les déficients, les déviants et empêcher tout métissage avec des étrangers, le juif étant l’étranger absolu ». Servant ainsi, eux, de caution scientifique à l’abandon à la mort de 76 000 fous et à l’envoi vers les camps de la mort de 76 000 juifs de France. Mme von Bueltzingsloewen signale dans « L’hécatombe des fous » que des psychiatres (elle cite André Requet et Léon Reverdy) se sont réjouis de ce que la sélection naturelle ait repris ses droits dans le contexte de pénurie régnant sous Vichy. Ils servaient eux aussi, ainsi, de caution scientifique à ce régime.

À SUIVRE…

CHRONIQUES POLITIQUEMENT INCORRECTES

Autour de « l’abandon à la mort… de 76 000 fous

par le régime de Vichy »

11 – Que les bouches s’ouvrent ! Elles s’ouvrent (suite 2)

LA MUSIQUE ? Là encore un tabou tombe. La Cité de la Musique a consacré en mai 2013 un cycle de concerts (et un colloque) à « La musique pendant l’occupation ». Il s’agit d’un secret de famille méconnu ou caché de « La vie musicale sous Vichy ». Là, comme dans d’autres disciplines, « beaucoup de musiciens sont restés dans l’entre-deux, ont eu quelquefois une sorte de résistance passive, parfois sont passés à une forme de coopération plus conciliante… » souligne Emmanuel Hondré, le directeur de la Production à la Cité de la Musique.

« Même si aucune « esthétique officielle » n’est imposée, la période est caractérisée par un néoclassicisme dont les formes sont variées : affirmation de l’harmonie tonale, recours aux mélodies populaires et d’une manière générale, nostalgie de la période antérieure à la Révolution française » écrit Yannic Simon dans la présentation du cycle des concerts. Ce qui correspond précisément à l’idéologie de l’État d’alors : celui de Vichy. Si certains musiciens choisissent la voie de la collaboration (Arthur Honnegger, Marcel Delannoy, Florent Schmitt…), d’autres choisissent une voie alternative (Roger Désormière, Elsa Barraine, Louis Durey…) et fondent un mouvement de résistance musicale. « Pour autant, les engagements opposés n’empêchent pas les collaborations » ajoute Yannic Simon. Où l’on retrouve l’ambivalence déjà rencontrée : un pied dans la collaboration, un pied dans la résistance.

« Certains d’entre eux, encouragés par un État français plus que jamais interventionniste, veulent profiter de l’occasion pour redéfinir le paysage institutionnel de la musique française . C’est l’ère des comités d’organisation dont les dirigeants sont nommés par l’État. Le pianiste Alfred Cortot est l’un des plus attaché à la réforme de la vie musicale. Pour y parvenir, il s’appuie sur le modèle de la Chambre de la musique du Reich instituée par les nazis dès leur arrivée au pouvoir en Allemagne » précise Yannic Simon. Il signale que « Dès les premiers jours de leur installation dans la capitale française, les autorités allemandes encouragent la reprise des activités artistiques alors que dans le même temps, les français n’ayant pas fui Paris veulent empêcher l’accaparement des institutions artistiques. C’est ainsi que quelques professeurs réussissent à rouvrir le Conservatoire le 24 juin 1940 et à y organiser le premier concert dans Paris occupé le 18 juillet ».

Le conservatoire ? Tiens parlons-en :

« Le Conservatoire se présente comme le seul établissement – le seul établissement de l’enseignement public, en France, qui a, entre 1940 et 1944, exclut tous les Juifs.

Encore faut-il, ici, préciser de quelle manière. Le 14 octobre 1940, soit 4 jours avant la publication officielle du statut des Juifs de Vichy le 18 octobre 1940 – statut qui exclut tous les professeurs juifs de l’enseignement public – le 14 octobre 1940, donc, 4 jours avant, Henri Rabaud, le directeur du Conservatoire, prend contact avec les autorités nazies. On rappellera, ici, au passage, que le Conservatoire ne dépend pas des autorités nazies mais des autorités de Vichy. Henri Rabaud, donc, prend tout de même contact avec les autorités nazies en vue de remettre, à celles-ci, la liste des professeurs juifs du Conservatoire. Comme on voit, au Conservatoire, ça ne traîne pas… Il y a trois professeurs juifs. Ils seront, tous les trois, renvoyés, ils seront, tous les trois, démissionnés en décembre 1940.

Mais il y a mieux. En parallèle à la liste des professeurs juifs, Henri Rabaud, assisté de Jacques Chailley, dresse, aussi, de sa propre initiative, la liste très précise de tous les étudiants juifs et étudiants demi-juifs. A cette époque, on le rappellera, là encore, en octobre 1940, aucune loi, ni des autorités de Vichy, ni des autorités nazies, ne réclame l’établissement d’une liste de ce genre. Le Conservatoire, ici, précède – ou plutôt : le Conservatoire excède, ici, la loi raciale. La liste des étudiants juifs sera, par la suite, d’une grande utilité à Claude Delvincourt, le directeur du Conservatoire à partir de 1941, lorsque, sur recommandation de Vichy, il exclura, en 1941, les étudiants juifs des concours, avant de les exclure, par la suite, en 1942, sur recommandation de Vichy, là encore, du Conservatoire lui-même… » écrit François Coadou.

http://www.musicologie.org/publirem/coadou_musique_france_occupation.html

Claude Delvincourt est un exemple, encore, de l’ambivalence régnant alors chez certains. En effet, celui-ci était aussi membre du « Front National de la Musique ». « Très vite, après la guerre, c’est devenu une légende : le Conservatoire a résisté – très vite, après la guerre, c’est devenu une légende : c’est même toute la musique française qui a résisté, qui a lutté.

Sans doute. Mais qu’a-t-elle fait ? Qu’a fait le Front National de la Musique ?

Si on essaie de faire la somme de ses actions de résistance, le fait est que l’on ne trouve rien » constate François Coadou.

L’exemple de la musique sous Vichy illustre ce que l’on a déjà pu voir dans d’autres disciplines. Et on pourrait en rajouter. Vichy avait une idéologie et a trouvé (ou retrouvé) des idéologues chargés d’alimenter celle-ci dans chacune de ces institutions. Les travaux de ces chercheurs visaient moins à convaincre l’ensemble des français et plus ceux que nous nommons aujourd’hui « les élites ».

François Coadou, traitant des raisons d’ordre sociologique intéressant l’Occupant nazi – ces mêmes raisons valent aussi pour l’État vichyste -, explique : « Au plan sociologique, le public de la musique dite classique est un public qui appartient à l’élite socio-économique ; c’est un public qui appartient à la bourgeoisie. Or, c’est bien l’élite socio-économique – or, c’est bien la bourgeoisie que l’Occupant cherche, en priorité, à séduire. C’est elle dont l’Occupant cherche, en priorité, à s’attirer les bonnes grâces, dont il cherche à s’attirer la sympathie. C’est de cette France-là que l’Allemagne a le plus besoin au niveau de la soumission politique ; c’est de cette France-là que l’Allemagne a le plus besoin au niveau de la collaboration économique ». Cela s’applique selon-lui en priorité à la musique, mais on peut étendre cette réflexion bien au-delà de cette institution. « Seule la classe ouvrière dans sa masse aura été fidèle à la France profanée » disait Mauriac en août 1943.

À SUIVRE…

CHRONIQUES POLITIQUEMENT INCORRECTES 12

Autour de « l’abandon à la mort… de 76 000 fous

par le régime de Vichy »

TAISEZ-VOUS LAURENT, MAX… ET LES AUTRES !

« En me lançant dans cette enquête, je n’imaginais pas les réactions d’hostilité qu’elle allait déclencher dans la communauté des chercheurs. Je trahissais un secret, dont tout le monde connaissait l’existence, mais qui, pensait-on, avait été gardé pour de bonnes raisons. Il n’était pas nécessaire disait-on, de faire ressurgir les souvenirs d’une période si douloureuse et encore si proche de notre histoire ». Ceci aurait pu être signé de Max Lafont racontant les difficultés à faire accepter sa thèse sur « l’extermination douce » des fous sous Vichy en 1981. Thèse qui finalement sera publiée en 1987. Non, cet extrait n’est pas de Max mais de Laurent Olivier, l’auteur de « Nos ancêtres les Germains, les archéologues au service du nazisme ».

http://www.tallandier.com/ouvrages.php?idO=657

Cela aurait pu pourtant être de Max Lafont. En effet, il raconte : « à la fin de l’enquête, en 1981 – juste avant la soutenance – le président de l’Université a voulu refuser de signer les conclusions. Il se souvenait sans doute qu’il était directeur de l’U.E.R. Alexis-Carrel et mes propos devaient donc apparaître comme subversifs. […] La soutenance eut lieu et le jury m’accorda la mention très honorable et ses félicitations » (« L’extermination douce », deuxième édition, Le bord de l’eau, 2000).

www.editionsbdl.com/extermination.html

On peut rappeler ici que la faculté de Médecine de Lyon « Alexis-Carrel » fut débaptisée le 25 janvier 1996. Patrick Lemoine, autre psychiatre lyonnais, eut lui, à subir les foudres de son institution : l’hôpital du Vinatier d’où il fut démis de ses fonctions pour avoir publié un autre livre sur le même sujet : « Droit d’asile », éd. Odile Jacob.

http://www.odilejacob.fr/catalogue/documents/temoignages-actualite-enquetes/droit-dasiles_9782738105325.php

Déjà, et bien avant, Lucien Bonnafé racontait : « Dans le vent de la Libération, nous avons pu faire quelque bruit sur cette affaire – il s’agissait de l’abandon à la mort des fous sous Vichy. Mais il n’est pas trop schématique de situer sur 1947 le moment où ces incongruités deviendront trop indécentes dans les opinions dominantes. C’est l’ère des grandes intolérances. Il faut des hommes comme Paul Balvet, Henri Ey, Hubert Mignot, pour résister fermement à la tendance conformiste envahissante, celle qui pousse à la chasse aux sorcières, à faire mal voir ceux qui remuent la boue. C’est là que s’enfle le règne du faux-témoignage par omission.

Ainsi le système Psy., conformément aux traditions qui le faisaient gérant loyal de la ségrégation, gère loyalement l’effacement de la honte de « l’extermination douce » par l’ensemble du système d’information/désinformation dominant. Ainsi, on pourra communément devenir psychiatre, reconnu comme tel par soi-même, par l’école et par l’usage, sans jamais avoir entendu parler de ce « détail », et sans avoir appris à en tirer les leçons. […]

Vient : « L’EXTERMINATION DOUCE ».

Notre « coup d’éclat », réussissant, à travers des péripéties tragico-burlesques, à démanteler le mur du silence entassé devant le « détail » du crime impuni, engendre des effets mal intelligibles si on ne les place dans la filière où je suis mon parcours. A un travail fondé sur le constat du mur du silence, ça répond, massivement, à côté. […] Il y a une poussière de considérations tendant à minimiser le drame, à épiloguer sur l’imprudence qu’il y a à l’évoquer. Il y a un fouillis de manifestations de gêne devant ce remue-ménage qui risque de violer le silence de rigueur dans les bonnes familles sur les tâches altérant la pureté de leur image. Et ce dont il faut bien parler ici et aujourd’hui, c’est que, à l’abri des tumultes, la conspiration du silence demeure : Ce silence était le sujet traité, c’est celui auquel il n’est pas convenable de s’intéresser » (« NERVURE, journal de psychiatrie », mars 1991).

Jean Ferrette, dans son article (« Anamnese » No 7, 2012)

http://www.decitre.fr/livres/anamnese-n-7-2012-les-sociologues-sous-vichy-9782336006420.html

ne nous dit pas autre chose : « S’est-il passé quelque chose en sociologie durant le régime de Vichy ? […] L’examen de huit ouvrages d’histoire de la sociologie parus entre 1991 et 2005 montre que l’esquive est la règle s’agissant de cette période noire de notre histoire. […] Si le XXIe siècle semble plus propice à faire toute la lumière sur cette période, les termes employés, la prudence et l’anticipation d’éventuelles critiques par des justifications avancées où l’euphémisation tient une bonne place, nous conduisent à croire que tout n’est pas résolu. [… ] Reste aux sociologues à expliquer pourquoi ce processus de mise à jour fut plus long, et peut-être plus compliqué, que dans d’autres corps de métiers, y compris la police ».

Où l’on a déjà pu voir quelques « murs des silences » se fissurer, chacun croyant être le seul à avoir le sien, mais tous résistant encore à l’écroulement. Ceci est particulièrement vrai s’agissant de « L’abandon à la mort… de 76 000 fous par le régime de Vichy ».

http://www.harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&isbn=9782336006239

À SUIVRE…

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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