Le récit comme un arc-en-ciel en devenir

Résumé de l’auteure :

« Ce mémoire porte sur les expériences de femmes rescapées du génocide des Tutsi au Rwanda. Par le biais d’une recherche exploratoire, il présente l’analyse qualitative d’un douloureux corpus composé de récits sur le génocide, ses fondements et ses conséquences. Il s’intéresse principalement au sens que des rescapées confèrent à leurs expériences passées et présentes, ainsi qu’aux différents enjeux de leur parole mémorielle à l’heure de la réconciliation, au Rwanda et en situation d’exil au Québec.

Au lendemain de la désintégration, les participantes à notre recherche mettent en œuvre différentes stratégies de reconstruction du sens, conditionnelles à la reconstruction de soi. Nous présentons trois de ces stratégies identifiées dans les récits, synthétisées par des verbes d’action pour en souligner l’intentionnalité. La première stratégie, qui consiste à « Témoigner », révèle le caractère régénérateur de la parole, qu’elle procède du partage entre semblables au sein d’un groupe de femmes ou d’un mandat mémoriel pouvant conduire à un témoignage juridique. En lien avec le devoir de mémoire, nous voyons comment la stratégie de « Commémorer» répond aux injonctions du pardon et de l’oubli. Enfin, nous abordons le recours à la spiritualité, tant « Prier» constitue une stratégie de première importance pour conférer du sens au passé, au présent et au futur.

Comme prélude à l’analyse des récits, nous présentons les rouages de la machine génocidaire par le biais des principales représentations qui en constituent les soubassements idéologiques, notamment celles qui ont permis la diabolisation des femmes tutsi. En déconstruisant les stéréotypes qui assimilent le génocide de 1994 et les violences sexuelles à des flambées de violence spontanées et imprévisibles, nous en soulignons au contraire le caractère planifié et rationnel. La perspective féministe permet de démontrer que les violences perpétrées contre les filles et les femmes s’associent à un gynécide refiétant des discriminations fondées sur le sexe qui n’apparaissent pas et ne disparaissent pas avec les guerres »

Il s’agit donc d’un « Mémoire présenté comme exigence partielle de la maîtrise en communication » dont la forme est probablement dictée par les contraintes universitaires.

La recherche « s’intéresse à la parole mémorielle de femmes et notamment à leur expérience de la violence sexuelle » et conduit l’auteure « dans la mémoire de rescapées du génocide des Tutsi ».

Interpréter un génocide implique de prendre en compte les constructions sociales, la racialisation des rapports sociaux, l’histoire, les moyens des violences extrêmes et « ne doit pas nous empêcher de questionner les motivations de ceux et celles qui les ont planifiées ou perpétrées, ni d’analyser le sens que lui confèrent les survivant-e-s et les différents témoins ». Cela nécessite aussi de prendre en compte le « sexe » des violences, le « sexe » des génocidaires et celui des victimes. Et sur ce sujet, dans le cas du Rwanda, ce mémoire comble un vide car il traite de « cette guerre dans la guerre » de ce gynécide.

L’auteure à très juste titre nous parle de matérialité des rapports sociaux et non de psychologie ou de biologie des individu-e-s .

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE: FONDATIONS

CHAPITRE I

PROBLÉMATIQUE

  1. Du génocide au gynécide

    1. Les différentes interprétations du génocide

    1. L’aprés-génocide

    1. Questions de recherche

    1. Limites des études actuelles

    1. Pertinence sociale et scientifique

CHAPITRE II

REPÈRES THÉORIQUES: LE REGARD FÉMINISTE ET INTERCULTUREL

    1. Introduction

  1. L’approche communicationnelle

    1. La perspective féministe matérialiste

    1. La construction sociale de la réalité

      1. Le sexe et le genre

      1. L’ethnicité

      1. L’identité

    1. La construction du sens

      1. Les stéréotypes

    1. La compétence interculturelle

    1. Intersectionnalité du racisme et du sexisme

    1. Le contrôle social: une théorie de la violence contre les femmes

    1. Conclusion

CHAPITRE III

ORIENTATIONS MÉTHODOLOGIQUES

    1. Le choix d’une méthodologie: un acte politique

    1. Une interprétation subjective et qualitative du monde

      1. Une recherche située

      1. Violence symbolique du terrain

    1. La triangulation des méthodes de cueillette des données :

      1. La recherche documentaire

    1. Les entretiens

      1. L’observation

  1. L’analyse des données

    1. Les résultats de l’observation

    1. L’analyse des entretiens

    1. Limites et contraintes de la recherche

      1. Limites méthodologiques

      1. Le traumatisme vicariant

      1. Les compétences de l’intervieweuse

    1. Difficultés de recrutement

      1. Contextes et dynamiques des entretiens

      1. Un corpus hétéroclite

      1. Considérations éthiques

CHAPITRE IV

LES STÉRÉOTYPES DE L’HORREUR

    1. Les stéréotypes liés aux responsabilités

    1. Les stéréotypes racistes

    1. La théorie du peuplement et le mythe de l’antériorité des Hutu

  1. Le stéréotype du pasteur hamite né pour commander

    1. Le stéréotype du « Hutu simple paysan naïf »

    1. Le stéréotype du Tutsi colonisateur

    1. Le stéréotype du Tutsi agent du FPR

    1. Le stéréotype du double génocide

    1. Le stéréotype du charme maléfique des femmes tutsi

    1. Le stéréotype du viol de guerre comme fait récent

    1. Le stéréotype du viol spontané et individuel

DEUXIÈME PARTIE : CHANTIERS

CHAPITRE V

LA DESTRUCTION DU SENS

    1. La vie « avant »

    1. « Mon histoire c’est le chagrin » (Liliane)

      1. « Je vous ai dit qu’on a commencé le génocide en 1959 » (Henriette)

      1. « Et comme c’était le temps de la ségrégation » (Denise)

      1. « Avant, on était bien avec les voisins, on partageait » (Liliane)

      1. « Après 90, c’est là que les problèmes ont vraiment commencé » (Consolatrice)

    1. Le récit de la violence

      1. « Il n’y avait pas moyen d’y échapper tout était fait, préparé à l’avance» (Providence)

    1. « Partez, partez avec ta fille! (sic) » (Henriette)

      1. « Le viol, c’est quelque chose dont j’avais toujours peur » (Providence)

      1. « Il a fait tout ce qu’il veut sur moi » (Alice)

      1. « Tu vois comment nous sommes des hommes? » (Libérata)

      1. « Tu veux voir la matrice d’une femme tutsi? » (Libérata)

    1. Les conséquences du génocide

      1. « Vers la fin du génocide, j’étais à moitié morte » (Providence)

      1. « Ils s’arrangeaient pour envoyer des hommes qui portaient le virus » (Providence)

    1. « L’enfant ne sait pas qu’il est Hutu » (Espérance)

      1. « J’étais traumatisée. J’ai perdu la tête » (Alice)

      1. « Tout le monde est mort, je suis seule » (Alice)

      1. « Aprés, on acommencé la vie difficile, avec les maisons détruites » (Assumpta)

    1. Quelle réconciliation ?

      1. « Nous sommes obligés de vivre ensemble » (Consolatrice)

      1. « Si la personne qui a tué mon père a gardé toujours sa maison » (Consolatrice)

      1. « On voyait les enfants des Interahamwe qui étaient là et qui t’ont maltraitée » (Alice)

    1. « On a libéré tous les prisonniers que j’avais accusés » (Henriette)

      1. « Nous avons commencé à témoigner, les gens ont commencé à mourir » (Assumpta)

      1. « Alors qu’est-ce qui va se passer au Rwanda ? » (Sandrine)

  1. L’exil

    1. « Je suis venue ici parce qu’il me cherche » (Liliane)

    1. « Ici, je suis bien, j’ai la paix » (Providence)

    1. « Ceux qui ont les moyens quittent le Rwanda ! » (Alice)

CHAPITRE VI

DONNER DU SENS À L’HORREUR

    1. Témoigner

    1. « Si je garde ça je peux être folle » (Libérata)

      1. « Prends avec toi la violence que nous avons connue » (Libérata)

      1. « C’est bien de faire des associations parce que là on se dégage » (Providence)

      1. « Il faut aussi aborder le côté juridique. pour moi c’est très important » (Immaculée)

    1. Commémorer

      1. « C’était au mois d’avril, en mémoire des défunts » (Providence)

    1. « C’est toujours difficile d’entrer au Mémorial » (Providence)

    1. Prier

      1. « Dieu a dit qu’il ne veut pas la race tutsi » (Libérata)

      1. « Il n’y avait rien d’autre à faire de que prier tout le temps » (Libérata)

    1. « À l’église, on oublie tout ce qui s’est passé » (Henriette)

      1. « Ce sont des miracles que Dieu nous a faits! » (Jacqueline)

      1. « Je leur ai pardonné » (Liliane)

CHAPITRE VII

TENTATIVE DE CONSTRUCTION DU SENS

    1. Le temps du traumatisme

    1. Une parole testimoniale

    1. Le monde des rescapées

    1. Une culture de la pondération

    2. La parole régénératrice

    1. Le mandat mémoriel

  1. La division sexuelle du génocide

    1. Une fuite dans le mysticisme ?

    1. Le pardon: une condition de la réconciliation

CONCLUSION

ANNEXE A « APPEL ÀLA CONSCIENCE DES BAHUTU »

Par l’aller et retour entre théories et témoignages, par son ancrage dans les théories des féministes matérialistes, par son travail d’analyse en profondeur et en détail, le mémoire de Sandrine Ricci non seulement contribue à la diffusion de la mémoire, mais aussi à penser ce que certain-e-s voudraient rejeter dans l’innommable, le non explicable. Il est à la fois nécessaire de « donner du sens à l’horreur », cette horreur construite et développée par des êtres humains dans certains rapports sociaux et de « mettre un terme à l’appropriation du corps des femmes comme champ de bataille, en temps de guerre comme en temps de paix ».

Sandrine Ricci : La parole mémorielle de rescapée du génocide des Tutsi au Rwanda : vers une (re)construction du sens

http://www.archipel.uqam.ca/2315/1/M10335.pdf

Université du Québec à Montréal, mars 2008, 255 pages

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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