Droits universels et « communs sociaux »

rubon213-58b6cSi les systèmes de protection sociale européens font les frais des réponses publiques à la crise ouverte en 2008, la tendance est inverse au Sud, où un grand nombre d’États ont choisi d’amortir les effets du ralentissement économique en accélérant la mise en place, ou l’élargissement, de leur couverture sociale. Inspirés des expériences phares du Brésil et de l’Afrique du Sud, les programmes les plus répandus visent le transfert d’allocations modestes aux ménages les plus pauvres, majoritairement exclus du marché du travail formel. Le recul de la grande pauvreté est indéniable dans les régions concernées, mais la couverture demeure réduite à l’échelle planétaire – 75% de la population mondiale n’a pas accès à une protection sociale de base aujourd’hui.

Aiguillée par l’échec anticipé des Objectifs du millénaire pour le développement, une coalition d’agences de coopération internationale ambitionne d’appuyer le mouvement et de généraliser la protection sociale aux régions les plus pauvres. L’initiative mérite d’être saluée. Mais les perspectives en présence divergent. Pour les uns, l’enjeu est bel et bien la mise en place de mécanismes redistributifs, dans une perspective d’élargissement des droits sociaux. Le tournant social des autres est plus suspect, en ce qu’ils y voient surtout un investissement productif dans le «capital humain», une mesure somme toute abordable dans la gestion du «risque social» lié à l’inéluctable libéralisation des économies.

Dans son éditorial, François Polet souligne en premier lieu « une carence massive de couverture sociale », une faible partie de la population mondiale est couverte, les taux de couverture existants sont de plus faibles, la protection n’existe que pour une minorité de la population occupant ou ayant occupé un emploi formel, alors que l’économie informelle domine souvent. Les systèmes de couverture sont eux-mêmes précaires. Sans oublier que les écarts au sein du « Sud » peuvent être aussi importants qu’entre « Sud » et « Nord ». L’auteur explique les différences entre régime contributif et non-contributif.

Il indique que néanmoins il y a un essor des systèmes de protection sociale. Mais les mécanismes de couverture sont le plus souvent « hautement corporatistes », éclatés, stratifiés et excluants.

Au « Sud » comme au « Nord », les effets des réformes néolibérales se font sentir, « Les systèmes de protection sociale des pays en développement sont à des degrés et des rythmes différents mis en cause autour des années 80 » Il rappelle les conséquences des plans d’ajustement structurel imposés par la Banque mondiale (BM) et le Fonds Monétaire International (FMI). Aujourd’hui ces organismes prônent de « réintroduire du social », comme filet de sécurité ou en redécouvrant « les vertus productives de la protection sociale »

Outre les systèmes contributifs (cotisations payées par les salarié-e-s et ou les employeurs), François Polet analyse les trois types de programmes non contributifs : « programme de transfert monétaires, de pensions sociales et accès aux soins de santé pour les plus pauvres ». Il poursuit en soulignant que la portée sociale des nouveaux programmes est « magnifiée ». Pour celles et ceux qui sont exclu-e-s des systèmes contributifs, ces programmes « ne sont ni synonyme d’universalisation des droits sociaux, ni nécessairement décisifs en matière de réduction des inégalités ».

François Polet indique aussi que la protection sociale, telle qu’elle est envisagée par la Banque mondiale ou OFCE est « fonctionnelle par rapport aux réformes néolibérales », et qu’un semble d’organisations y opposent « une protection sociale « transformatrice », c’est-à-dire qui permet non seulement de s’extraire de la pauvreté, mais qui transforme également la structure inégalitaire des sociétés en redistribuant le revenu et le pouvoir ».

L’éditorialiste parle aussi des questions de financement et d’ingénierie institutionnelle qui restent cependant secondaires par rapport à « l’existence d’une volonté politique forte, soutenue par une coalition d’acteurs politiques et sociaux ». Il termine en indiquant que « Si l’instauration d’un climat idéologique international (certes ambigu) favorable à l’élargissement de la protection sociale est une donnée importante, elle ne peut remplacer la construction, fatalement lente et non programmable, de consensus nationaux en faveur de la redistribution et de l’élargissement des droits sociaux ». Pour ma part, j’aurai plutôt écrit qu’elle ne peut remplacer les auto-organisations et les luttes nécessaires pour rendre crédible un élargissement substantiel des droits sociaux et l’imposer aux dominants.

 

Editorial

Étendre la protection sociale au Sud : défis et dérives d’un nouvel élan par François Polet

Asie

Protection sociale en Asie du Sud-Est : défis et alternatives par Maris de la Cruz

Les transferts monétaires, remède miracle contre la pauvreté en Inde et ailleurs ? par Jayati Ghosh

Vers un État social à la chinoise ? par Stein Ringen, Kinglun Ngok

Afrique

Défis des systèmes de protection sociale en Afrique par Kwabena Nyarko Otoo , Clara Osei-Boateng

« Parler à gauche en marchant à droite » : les politiques sociales en Afrique du Sud par Patrick Bond

Amérique latine

La protection sociale, la citoyenneté et l’égalité en Amérique latine : un projet réalisable ? par Claudia Robles

La deuxième génération de réformes des systèmes de retraite en Amérique latine par Flavia Marco Navarro

Quel bilan pour la protection sociale brésilienne post-dictature ? par Rosa Maria Marques

Transversale

La protection sociale : le nouveau cheval de Troie du néolibéralisme ? par Francine Mestrum

 

Les auteur-e-s présentent les situations et les évolutions dans différents pays ou régions du monde. Je ne souligne que le grand intérêt de l’article de Patrick Bond sur l’Afrique du Sud, celui de Flavia Marco Navarro sur les retraites en Amérique latine et la synthèse faite par Francine Mestrum, ainsi la notion de « communs sociaux » qu’elle y développe.

 

En complément possible : Cetim : Le droit à la sécurité sociale, Brochure élaborée par Melik Ozden, Un bien social et non un simple instrument de politique économique ou financière

 

Alternatives Sud : Protection sociale au Sud

Les défis d’un nouvel élan

CentreTricontinental – Editions Syllepse, Louvain-la-Neuve (Belgique) 2014, 213 pages, 13 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

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