La lancinante question de la complicité française dans le génocide des Tutsi du Rwanda

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Alors qu’on commémore du 7 avril au 17 juillet 2024 le trentième anniversaire du génocide des Tutsi au Rwanda, se pose toujours avec force la question de la complicité de la France dans ce crime contre l’humanité. Elle a suscité ces derniers jours de nombreuses déclarations et publications dont nous faisons ici une synthèse.

Alors que le rapport Duclert avait en 2021 établi les « responsabilités lourdes et accablantes » de la France, mais sans parler de complicitéAfrique XXI a publié le 10 avril 2024 sur les aspects juridiques de cette question un entretien de Michael Pauron avec la professeure de droit public Anne-Laure Chaumette. Elle a étudié le rapport Duclert, remis en 2021 à Macron, et le rapport rwandais Muse remis la même année à Paul Kagame et intitulé « Un génocide prévisible : le rôle de l’État français en lien avec le génocide contre les Tutsi au Rwanda ». Elle conclut qu’« en niant la réalité, la France s’est retrouvée dans l’incapacité d’agir » et que « La France a violé son obligation de prévenir le génocide ».

Ultra-sensible politiquement, la version officielle du rôle de la France a été l’objet d’un cafouillage significatif dans la communication de l’Élysée. Emmanuel Macron a déclaré le 4 avril 2024 – après une conférence de presse tenue avec la FIDH et le chercheur François Graner au siège de la Ligue des droits de l’Homme, dont divers journalistes et l’AFP ont rendu compte – que la France « aurait pu arrêter » le génocide « avec ses alliés occidentaux et africains », mais qu’elle « n’en a pas eu la volonté ». Cette déclaration a fait grand bruit, puisqu’elle induisait pour la première fois dans le discours élyséen la reconnaissance d’une forme de complicité. Selon le service de communication de l’Élysée, ce devaient être les mots du président lors de la commémoration du début du génocide, le 7 avril. 

Or, dans la vidéo publiée par l’Élysée trois jours plus tard à l’occasion des cérémonies commémoratives au Rwanda – où le président français n’était pas présent -, il n’a plus fait état de cette possibilité d’agir et de cette absence de volonté de le faire, se contentant de renvoyer à une déclaration antérieure. Selon Mediapartce rétropédalage présidentiel est imputable à un souci de « ne pas froisser les anciens mitterrandiens en cour au palais ou les ex-responsables militaires qui pouvaient craindre d’être trop exposés, y compris judiciairement ».

Dans une tribune publiée dans Le Monde, un collectif d’associations qui se sont portées partie civile dans des affaires judiciaires concernant le rôle de la France au Rwanda interpelle Macron. Il demande instamment au président de la République de donner accès à la justice aux pièces et documents demandés dans ces procédures. Il souligne que « plusieurs fonds d’archives sont toujours inaccessibles et [que] force est de constater que nos institutions judiciaires ne peuvent toujours pas suivre le fil qui mène à des responsables politiques et militaires français de l’époque ». Sont mentionnées en particulier « celles de la mission d’information parlementaire de 1998 et celles des unités et de l’état-major conservées au service historique de la défense, doivent être déclassifiées et rendues réellement accessibles en pratique ». Les associations signataires relèvent encore que l’accès à certaines archives a été donné à la commission Duclert, mais qu’elles restent « classifiées » et inaccessibles aux chercheurs ainsi qu’à la justice.

De plus, dans une importante procédure en cours devant la justice administrative à l’initiative de rescapés rwandais, Mediapart vient de révéler que le ministère des Armées oppose clairement la « raison d’Etat » à l’exigence de justice des plaignants, plaidant l’« incompétence » de la juridiction et l’« irresponsabilité de la puissance publique », en contradiction flagrante avec les déclarations présidentielles sur une nécessaire « transparence » en la matière.

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Par ailleurs, Mediapart et Afrique XXI nous apprennent que des archives découvertes récemment par Vincent Duclert (1) montrent que Hubert Védrine eût, comme secrétaire général de l’Élysée en 1994, un rôle encore plus grand qu’on ne le savait dans la gestion catastrophique des événements au Rwanda. Toutes les informations et décisions passaient en effet par celui qui était désigné comme « PR2 » (pour Président de la République 2), alors que François Mitterrand était diminué par la maladie.

Et, dans un billet de blog Mediapart intitulé « Rwanda : sortir du déni, agir à l’avenir », la députée LFI de Seine-Saint-Denis Clémentine Autain a interpelé quant à elle la gauche française sur son extrême difficulté à reconnaître le rôle désastreux de François Mitterrand dans le génocide au Rwanda : « Les mises en cause du rôle joué par la France ne sont pas nouvelles, certaines ayant même précédé le déclenchement des massacres. Pourtant, nous assistons à une difficulté durable à reconnaître la responsabilité particulière de François Mitterrand, et singulièrement du côté gauche de l’échiquier qui devrait, en raison de ses principes humanistes, être au premier rang de ce combat pour la vérité (…) ». Elle ajoute, mettant implicitement en cause aussi bien Jean-Luc Mélenchon, grand défenseur de l’héritage mitterrandien, qu’Hubert Védrine, souvent accusé de négationnisme : « le silence à gauche est demeuré assourdissant… si l’on excepte ceux qui, figurant parmi les gardiens du temple de François Mitterrand, directement impliqué, sont intervenus sur une ligne négationniste ». Et la députée de conclure : « si nous, à gauche, camp de l’émancipation humaine, nous ne faisons pas ce devoir de vérité, comment être audible et crédible pour dénoncer les crimes de masse présents et à venir ? ».

Sur ce sujet, lire aussi notre article « Au Musée du Quai Branly : 30 ans après le génocide des Tutsis au Rwanda, continuer à juger, enquêter et transmettre ».

(1) Voir Vincent Duclert, La France face au génocide des Tutsi, Taillandier, 2024, pp 401-404.

15 avril 2024
https://histoirecoloniale.net/la-lancinante-question-de-la-complicite-francaise-dans-le-genocide-des-tutsis/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Une réflexion sur « La lancinante question de la complicité française dans le génocide des Tutsi du Rwanda »

  1. D’un génocide à l’autre, quelles responsabilités des États occidentaux dont la France ?

    Tribune collective (Les invités de Mediapart) 
    lundi 22 avril 2024, par  Groupe Afrique

    Les commémorations du trentième anniversaire du génocide des Tutsis s’inscrivent dans une actualité dramatique : invasion de l’Ukraine par l’armée russe depuis deux ans, destruction par l’armée israélienne de la bande de Gaza, en représailles à l’égard du coup de force meurtrier du Hamas (le 7 octobre 2023), début d’escalade au Proche-Orient…

    Du Rwanda à la Palestine
    La reconnaissance par le président Macron de la part de responsabilités de l’armée française dans le génocide des Tutsis incite à un bilan sur le rôle des Etats impérialistes dans le déroulé tragique de la vie internationale. En tant que puissances anciennement coloniales, Belgique et France sont impliquées dans l’enchaînement des rivalités inter-ethniques au Rwanda. A l’encontre de tant de dénis, tels celui du rapport d’information parlementaire Quilès-Jospin de 1998, il est dorénavant validé que, loin de protéger les civils rwandais, l’opération Turquoise a permis d’exfiltrer des forces génocidaires en République démocratique du Congo. Par ailleurs, tout en protégeant les expatriés, l’ONU a délibérément abandonné les réfugiés tutsis et hutus modérés à une mort certaine.

    Les regrets présidentiels interviennent alors même que des armes continuent à être vendues à Israël, qui poursuit depuis six mois une guerre d’extermination du peuple palestinien dans la bande de Gaza. Alors que, conformément à la demande du Conseil des droits de l’homme de l’ONU d’arrêter toute vente d’armes à Israël, de nombreux pays, comme le Canada, les Pays-Bas, l’Espagne et l’Italie, ont déjà cessé de le faire. Doit être instruite au plus tôt la plainte de l’Afrique du sud pour génocide, déposée auprès du Tribunal pénal international (TPI). Plainte soutenue dans son principe par d’autres pays du Sud global, qui affirment une indépendance de vues face au camp occidental, comme le Brésil, le Nicaragua, la Colombie et la Bolivie. Ce positionnement est fort peu rapporté dans notre presse, pas plus que le refus islandais de participer au concours de l’Eurovision si Israël y était admis. L’Espagne, l’Irlande, Malte et la Slovénie sont les seuls pays européens prêts à reconnaître l’État de Palestine.
    En notre nom, au motif de la realpolitik et des intérêts nationaux, nos États sont complices des crimes de guerre perpétrés par le gouvernement d’extrême droite dirigé par Benjamin Netanyahou. Ces crimes font suite à des décennies d’occupation brutale des territoires palestiniens en Cisjordanie. 

    Involutions géo-stratégiques : quel programme pour le mouvement social ?

    Le positionnement du mouvement social français est-il à la mesure de ces événements et des attentes des peuples opprimés ? Force est de constater qu’il manque un fil conducteur entre les différentes manifestations de solidarité, que ce soit à l’égard des peuples ukrainien, palestinien, rwandais et sahéliens. Seule une mobilisation anti-impérialiste et anti-militariste globale permettra de rompre avec la passivité ambiante qui peut apparaître comme coupable, et d’édifier un programme de relations internationales alternatif, fondé sur le respect des peuples et des souverainetés nationales.

    Dans cette perspective, sans aucunement minimiser la tragédie que vit le peuple ukrainien, nous dénonçons la stratégie du « deux poids et deux mesures ». Un bilan s’impose de la politique de l’OTAN en Europe centrale depuis la chute de l’URSS, comme de celle du régime dictatorial de Poutine. Confrontés que les peuples sont à des impérialismes prédateurs et souvent irresponsables, il incombe à l’ONU de faire valoir et de renforcer ses prérogatives en faveur de la paix et d’un monde multipolaire, en particulier de faire appliquer sa Charte qui stipule la mise en place de forces d’interposition (Casques bleus).
    Dans le cas des relations Afrique-France, un bilan s’impose de trois décennies d’opérations militaires démultipliées, opérations Epervier (au Tchad), Turquoise (au Rwanda), Licorne (en Côte d’Ivoire), Sangaris (en Centrafrique), Harmattan (en Libye), Serval (au Mali), Barkane (au Sahel), de leurs conséquences quant au maintien ou à la réintégration de dictatures affidées, ou bien quant à la déstabilisation régionale comme au Sahel. Force est de constater que l’objectif stratégique de lutte contre le terrorisme n’est pas atteint, alors que l’armée française est la cinquième du monde. Etait-ce un prétexte ? Pour mémoire, la destruction de l’Irak par les USA et par la coalition occidentale a été cautionnée au prétexte de l’existence d’ « armes de destruction massive », dont l’inanité et les effets n’ont pas donné lieu à sanction. Celle de la Libye, pays le plus riche du Maghreb, reste une voie de fait inacceptable non condamnée par la communauté internationale.

    A défaut de politique diplomatique suffisante, la course actuelle à la guerre s’avère une fuite dangereuse en avant, elle coïncide avec la prise de pouvoir par des équipes d’extrême droite nationalistes et xénophobes, en Europe comme à travers le monde. En France, la loi de programmation militaire doit être particulièrement dénoncée : votée en juillet 2023, elle prévoit le doublement du budget des armées et l’instauration d’une économie de guerre, hostile par définition à un développement sur des bases durables et écologiques.

    Dans cette riposte nécessaire, le mouvement social français gagnerait à s’appuyer sur les résistances populaires au système néocolonial (françafricain) et sur leurs avancées malgré les difficultés ou les contradictions, comme dans trois pays dissidents du Sahel, au Mali, au Burkina-Faso et au Niger, ou bien au Sénégal, dont la récente élection présidentielle a validé la candidature d’une équipe de rupture, représentée par Bassirou Diomaye Faye. 
    A l’initiative de l’association Survie, le meeting unitaire du 28 février 2024 « Pour un retrait rapide de l’armée française d’Afrique » est un premier pas significatif. Comme pour la défense, en particulier dans les quartiers populaires, des libertés publiques, libertés qui sont bafouées toujours davantage par une police et une justice trop souvent aux ordres, nous ne pouvons faire l’économie d’une suite organisée et pérenne. Dans les deux cas, en France comme à l’échelle internationale, il s’agit d’une conception machiste du maintien de l’ordre ou de l’imposition d’un ordre. Dans la bataille des idées, face à une extrême-droite qui est désormais aux portes du pouvoir, le néolibéralisme autoritaire et à fondement patriarcal doit être plus que jamais dénoncé.

    Dans cet objectif, nous soutenons les objectifs de l’Espace commun européen pour les alternatives/ECSA, qui organise une rencontre à Marseille du 26 au 28 avril.

    Les signataires :
    Nils ANDERSSON ancien éditeur, auteur spécialiste de géo-politique
    Jennifer -Léonie BELLAY militante ATTAC, féministe internationaliste
    Claudine BLASCO activiste féministe altermondialiste (Guadeloupe)
    Martine BOUDET auteure altermondialiste, membre du Conseil scientifique d’Attac France (Toulouse)
    Maya BRANTZEG militante internationaliste
    Claude CALAME, anthropologue, membre du Conseil scientifique d’Attac France
    Anne CAUWEL militante altermondialiste spécialiste de l’Amérique latine
    Gérard COLLET militant Attac, enseignant, didacticien des sciences (Grenoble)
    Patrice COULON membre du MAN (Mouvement pour une Alternative Non-violente), d’Abolition des Armes Nucléaires, d’Attac et d’Eelv
    Georges Yoram FEDERMANN psychiatre (Strasbourg)
    Sylviane FRANZETTI citoyenne occitaniste
    Michèle LECLERC-OLIVE, chercheure CNRS (HDR) honoraire, membre de ARTeSS–IRIS–CNRS–EHESS, présidente des associations CORENS (Collectif Régional pour la Coopération Nord-Sud – Hauts de France) et CIBELE (Collectif Régional pour la Coopération Nord-Sud – Ile de France) 
    Philippe LE CLERRE Co-secrétaire Commission Paix et Désarmement – EELV
    Gustave MASSIAH économiste, membre du cedetim
    Alain MOUETAUX membre d’Attac Réunion
    Marie-Yvonne OIZAN-CHAPON militante ATTAC 15 
    Evelyne PERRIN présidente de Stop Précarité, LDH 94 et Marche des Solidarités Commission migrations d’ATTAC 
    Jean-Luc PICARD- BACHELERIE commission Démocratie Attac France
    Alain REFALO porte-parole du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN)
    Gérard TAUTIL auteur occitaniste (Var)
    Pedro VIANNA poète, homme de théâtre, enseignant universitaire
    Christiane VOLLAIRE philosophe (laboratoire CRTD du CNAM et Institut Convergences Migrations au Collège de France)

    22 avril 2024
    Source : https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/200424/du-rwanda-la-palestine-d-un-genocide-l-autre-quelles-responsabilites-des-etats-occiden
    https://blogs.attac.org/groupe-afrique/article/d-un-genocide-a-l-autre-quelles-responsabilites-des-etats-occidentaux-dont-la?var_mode=calcul

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