Le leurre et l’espoir

10Après, longtemps après. Mais que veut dire longtemps, après la sortie d’un camp d’extermination ? « Je ne voulais pas retrouver le journal d’Alex Ehren, je ne voulais pas revenir sur le passé. L’esprit humain relègue la douleur dans les sous-sols et je ne voulais pas retrouver les clés de ces pièces que j’avais refermées et oubliées ». Comment dire lorsque l’on est passé par Birkenau.

Oublier, effacer, supprimer le souvenir ? « Pourtant lorsqu’il me rattrapa, je fus impatient de savoir et de comprendre, car je savais que je ne pourrais me débarrasser de ma culpabilité qu’en exposant mes cauchemars au grand jour. J’étais comme un arbre resté seul après l’abatage de la forêt et je me sentais coupable d’être en vie alors que tant d’autres étaient morts »

Je m’attarde sur le début de ce roman, car il s’agit d’un roman, car ces mots « je me sentais coupable d’être en vie » entrent en résonance avec l’image des chiffres tatoués sur l’avant-bras d’une personne qui me fut chère.

Le camp des familles tchèques à Birkenau. Le camp des enfants. « Je ne chanterai pas ». L’idée du soulèvement. La fumée, « la fumée des riches pue exactement comme celle des mendiants ». Le camp des tziganes, le camp des femmes. « Mais il n’y avait rien de semblable au block des enfants des familles tchèques, où les enfants passaient leurs journées avec leurs professeurs et leurs surveillantes ».

Un block, des règles, l’insensé, « Mais quel mal y a-t-il à mettre de la folie dans un monde absurde ? Peut-être que dans un monde absurde, c’est notre folie qui est raisonnable ». Les enfants, les kapos, la faim, la peur, « Sa peur l’avait engourdi, elle l’avait rendu indifférent au sentiment de perte même », Lisa et le mur, la peinture et l’invention d’un non-ici, la mémoire, apprendre à lire. Les instants de tous les jours. A coté, la mort, la fumée…

La célébration de Pessah, les feuilles de papier volées, les fils de laine recyclés, les débats et les espoirs, l’amour, se tenir la main…

Se laver, les cheveux rasés, une évasion, le soulèvement préparé, les convois, les mort-e-s, les poux, les oui-dire, le docteur Mengele, survivre, la bille en or, les pages du journal enveloppé…

Un roman et l’impossible douce présence du lendemain.

Catherine Coquio présente l’histoire du roman, les personnages « composites », les écrans construits entre les témoins narrateurs, « le roman d’Otto B. Kraus est travaillé tout au long par la hantise du soulèvement nécessaire, et avorté ». Elle parle des regards, « il n’existe pas de regards posé sur eux », eux et elles, les déporté-e-s.

L’auteure revient sur l’histoire de l’auteur, de Prague, de Theresienstadt, du camp des familles, de celui des enfants, de Terezin, de Birkenau, du camp des tziganes. J’ai repris le début de son titre « Le leurre et l’espoir »pour cette note.

Catherine Coquio indique que « Le roman de Kraus est lui aussi une réflexion sur l’espoir comme « devoir » et comme « mal », à travers le double problème de la protection des enfants et de l’action violente, rendues toutes deux impossibles à Birkenau parce qu’elle se heurtaient insolublement l’une à l’autre ». Elle évoque aussi de multiples autres auteur-e-s puis Otto et Dita Kraus, après.

Un complément historique et analytique et une belle place aux « péripéties de l’espoir ».

Nous n’en avons pas fini avec les crimes contre l’humanité, les génocides, les crimes de guerre, les massacres, les tueries…

Otto B. Kraus : Le mur de Lisa Pomnenka

Traduit de l’anglais par Stéphane et Nathalie Gailly

suivi de Catherine Coquio : Le leurre et l’espoir. De Theresienstadt au block des enfants de Birkenau

L’Arachnéen 2013, 335 pages, 24 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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