Le rassemblement est une conséquence du sens que nous donnons à l’action

calabuig-pcfOuvrier maçon, originaire de Lézignan (Aude), Bernard Calabuig adhère en 1973 aux Jeunesses communistes puis au Parti communiste dont il sera l’un des permanents salariés pendant trente années. Son parcours illustre celui d’un de ces cadres formés dans le moule intellectuel du PCF et qui, au fur et à mesure de leur parcours dans un monde en pleine mutation formulent des critiques au sein de leur parti avant d’entrer en dissidence et de le quitter pour retrouver les voies d’un communisme émancipateur, un altercommunisme. Durant toutes ces années – il s’est établi entre-temps à Paris –, il vit au rythme des luttes et des combats menés par le PCF, mais affronte également les difficultés et le déclin que subit son parti. Responsable des relations internationales des jeunesses communistes, il découvre le monde soviétique et ses réalités.

Au PCF, il sera successivement membre du comité fédéral de la fédération du Val-d’Oise, puis secrétaire de la section de Garges-lès-Gonesse et secrétaire de la fédération du Val-d’Oise de 1996 à 2008. Il est élu membre du conseil national en 1996 et devient membre de l’exécutif national de 2003 à 2010. Il exerce trois mandats électifs : conseiller municipal à Garges-lès-Gonesse de 1989 à 1995, puis conseiller général et conseiller municipal de Bezons de 2001 à 2008. Paradoxe, cet ancien ouvrier qui a quitté l’école à 14 ans sera ensuite responsable des questions d’éducation de son parti dont il sera ensuite un spécialiste reconnu dans ce domaine. Dans son Itinéraire communiste, Bernard Calabuig témoigne de sa vie de responsable communiste, avec ses doutes et ses incertitudes grandissants sur l’avenir du PCF. Il interroge le mode de fonctionnement du PCF, qu’il a connu de l’intérieur, et dénonce son autisme face aux nouvelles réalités sociales et culturelles. Engagé dans le mouvement de rénovation et de refondation du PCF, il prend le parti au sein de l’Association des communistes unitaires de contribuer à refonder une nouvelle pensée communiste pour le 21e siècle et quitte le PCF en 2010, avec de nombreux militants refondateurs. Pour autant, sa rupture avec le « Parti » n’est ni un renoncement au communisme ni un reniement des années passées à lutter aux côtés des exploités et des opprimés, tant en France que dans le monde. Altercommuniste, il nous donne à lire un ouvrage qui vise à ouvrir le débat sur l’urgence de faire vivre un communisme renouvelé, débarrassé des scories du passé et adapté à la crise civilisationnelle du nouveau siècle.

Comme l’indique Serge Wolikow dans sa préface, les « écrits de militants et de dirigeants ont permis de sauvegarder des informations et des éléments de connaissances précieux qu’on trouve rarement dans les archives »

Je ne vais pas tourner autour du pot, mes analyses de l’histoire et des orientations du PCF sont profondément différentes de celles de Bernard Calabuig. Je ne vais donc pas discuter ici de ces divergences d’analyses. Non que cela ne soit pas important. Il faut revenir encore et encore sur la tragédie criminelle du « socialisme réel », les politiques menées par les partis « majoritaires » dans la classe ouvrière, dont particulièrement celles du PCF. Aucun courant politique ne peut se dispenser de ces regards « rétrospectifs ». Ce passé pèse d’un poids considérable sur les possibilités d’émancipation et les élaborations d’hypothèses stratégiques à vocation majoritaire, sans oublier le quotidien de division… Cependant, ni hier ni aujourd’hui, les analyses sur le passé ne devraient être un préalable à l’action et à l’élaboration commune…

Le parcours et les commentaires de Bernard Calabuig soulignent la recherche d’un monde meilleur, l’enthousiasme militant combiné à l’acceptation d’un fonctionnement anti-démocratique (« Elle était la direction, les choix de celle-ci n’étaient pas discutables, ils étaient toujours bien fondés »), le refus de prendre en compte les critiques et les élaborations d’autre courants (non reconnus en tant que tels) du mouvement révolutionnaires, la mystique du « parti de la classe », les compromissions, les réécritures du passé, les doubles langages, etc.

J’ai notamment été intéressé par le détail des descriptions soulignant le caractère formel des élections internes, la réalité du soit-disant centralisme démocratique, le fonctionnement des directions du PCF. L’auteur montre comment et pourquoi un-e militant-e ne (se) questionnait pas, « je n’avais pas suffisamment d’indépendance d’esprit, de recul critique » ou « une fidélité sans borne à « la famille » »…

Bernard Calabuig analyse la matrice « originelle » du PCF la « double filiation française et soviétique », (j’aurais écrit nationale voire nationaliste et stalinienne), les visions mécaniques de l’évolution des sociétés humaines. Il parle de pensée « asséchée, dogmatisée, érigée en principes intangibles », de confusion entre l’outil et l’idéal et souligne que « le Parti communiste français n’a jamais fait du socialisme l’objet principal de son combat »…

Des analyses qui contournent cependant les raisons bien matérielles de la bureaucratie et ses politiques d’auto-préservation. Car il n’agit pas seulement d’orientations politiques erronées.

L’auteur n’a pas renoncé à changé le monde, à prôner des politiques d’émancipation. Il montre que étatiser et nationaliser n’est pas équivalant (je préfère la notion de socialisation), parle d’appropriation sociale, de droits et de pouvoirs des travailleurs (mais n’intègre pas les élaborations des féministes), de circuits courts de distribution, de réappropriation de l’outil industriel, d’une « interaction entre conscience et changement personnel , et combat social », de gratuité, « la gratuité rassemble, la tarification sociale bien souvent est un ferment de division », de force à vocation majoritaire, d’égalité des droits, « le concept d’égalité des chances s’est substitué peu à peu à celui d’égalité des droits », d’anticapitalisme, d’égalité hommes-femmes…

« Faire société nécessite de développer et d’étendre ce que les forums sociaux ont appelé les « biens communs ». »

La lecture de ce livre me renforce dans l’idée que l’analyse du passé ne peut se faire de manière interne à un courant politique, à partir de la seule critique de sa/ses matrice(s) constitutives, de ses discours ou de ses orientations. L’auto-perception de « matrices » est elle-même profondément liée à la constitution de chaque courant politique. De ce point de vue, l’autisme ne concerne pas seulement les autres…

Bernard Calabuig : Un itinéraire communiste. Du PCF à l’altercommunisme

Editions Syllepse, http://www.syllepse.net/lng_FR_srub_89_iprod_612-un-itineraire-communiste.html, Paris 2014, 141 pages, 10 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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