François Hollande fait ses adieux à la Gauche

(De nos envoyés spéciaux Jean Casanova et Andrée Bourdieu – Siège de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris – 25, rue Saint Guillaume, 24 Avril 2015)

Andrée et moi, avons à nouveau rendez-vous au CEVIPOF (Centre d’Etudes de la Vie Politique Française) avec Pascal Perrimet, politologue bien connu et spécialiste de sociologie électorale. Je pense que la plupart d’entre vous connaissent déjà Pascal Perrimet pour l’avoir aperçu sur nos plateaux télévisés, notamment au quotidien et affligeant café du commerce « C’est en l’air, mais ça ne vole pas bien haut ». La soixantaine élégante, sa belle chevelure argentée et son ton courtois contrastent avantageusement avec la trivialité racoleuse d’Yves Bonifacio. Nous pensons que vous en êtes d’accord.

Lassés des habituelles platitudes du genre « Les extrêmes se rejoignent », et des amalgames sur la thématique bien connue des populismes, nous sommes venus demander à Pascal Perrimet de nous livrer son interprétation des récents propos du Président Hollande, lors de son rendez-vous télévisé de dimanche dernier sur Canal + et de ceux, particulièrement injustes et provocateurs, nous les citons de mémoire : «Mme Le Pen parle comme un tract du PCF des années 70 ! »

Nous sommes encore en milieu d’après-midi et Pascal Perrimet, avant de nous accueillir dans son bureau, a la gentillesse de nous faire visiter les locaux du CEVIPOF occupant tout le 6° étage de l’IEP. Nous y notons l’atmosphère studieuse et l’ambiance de sérieux autour de tous, chercheurs et étudiants, à leur table de travail et devant leurs écrans. A tel point qu’un petit doute nous saisit, concernant le bien-fondé de notre démarche : faire commenter des propos qui, eux aussi, nous semble-t-il, ne volent pas bien haut. Vous verrez plus loin qu’il n’en est rien et que nous avons bien fait de solliciter cet entretien.

Accueil dans le bureau de Pascal : table de travail et nombreux dossiers bien rangés, bibliothèque à rayonnages bien chargés, au mur un très beau Fernand Léger, Les Constructeurs. Tout respire ici le sérieux et le studieux.

Merci pour cet accueil M. Perrimet, entame gentiment Andrée, et pardonnez-nous notre petite intrusion pour le commentaire d’un propos, certes présidentiel, mais peut-être un peu hâtif, involontaire ou du moins sans calcul, ni intention de blesser. En somme, pardonnez-nous de vous avoir dérangé pour peut-être pas grand-chose.

Mais pas du tout, Mlle Bourdieu ! Votre démarche est tout à fait justifiée. Ce propos, je suivais l’émission en direct, vous savez les dimanches après-midi sont souvent parfois bien creux depuis que Jacques Martin et son Petit Rapporteur nous ont quitté, ce propos, vous disais-je, a tout de suite attiré mon attention. J’y ai longuement réfléchi toute la soirée. Je vais plus loin, il est la pièce unique et centrale de ces 2 heures d’émission. Et plus loin encore ! A mon avis, l’émission a été organisée et construite pour qu’il y soit ainsi délivré, apparemment de façon anodine, mais croyez-moi, le politologue de métier se trompe rarement, le message est central et fera date : le Président a fait ses adieux à la Gauche. Nous venons d’en recevoir le faire-part.

Pascal Perrimet merci, nous ne sommes donc pas venus pour rien. Sur quoi construisez-vous cette analyse ? Car attention, elle est lourde de portée et de conséquences.

M. Casanova, de telles séquences de communication, surtout au plus haut sommet de la chose politique, ne sont jamais improvisées. Ce qui s’y dit a fait l’objet d’un énorme travail de préparation où les effets communicants sont toujours mis au service d’un message politique. Tout autant que son prédécesseur, et même si les registres sont différents, voyou fort en gueule pour l’un, père tranquille et bonasse pour l’autre, le Président est un politique constant et qui suit une ligne bien précise.

François Hollande pose depuis longtemps, et c’est très net depuis le début des années 2000, pose une à une les pierres de la mutation libérale du PS. À la tête du PS d’abord, souvenez-vous de son engagement massif en 2005 pour le Oui au référendum sur le TCE (Traité Constitutionnel Européen). Depuis 2012, en temps que Président ensuite, avec la signature quasi-immédiate, à peine arrivé aux affaires, du fameux traité Merkozy, le TSCGE (Traité de Stabilité et de Coordination de la Gouvernance Européenne) préparé les mois précédents l’élection présidentielle par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. En 2014 enfin, il nomme Manuel Valls, déjà remarqué en 2010 pour avoir demandé pour son parti la suppression du nom de Socialiste, au poste de Premier Ministre et un banquier d’affaires, Emmanuel Macron, au Ministère de l’Economie.

M. Perrimet, reprend Andrée, en quoi cette trajectoire qui est claire pour le plus grand nombre d’entre nous, encore que beaucoup parlent toujours de reniements, en quoi cette trajectoire passe-t-elle par de tels propos ?

Mlle Bourdieu, vous avez raison. Le terme de reniement est totalement inadapté. François Hollande est un social-libéral longtemps masqué et non un social-traître, pour reprendre une vieille terminologie bien connue d’avant-guerre. C’est un social-libéral qui prépare avec Manuel Valls la conversion libérale du PS.

Au passage, vous comprendrez pourquoi, à mon avis, les déroutes électorales des deux dernières années n’ont rien de subies (j’insiste subies et non pas subit). Elles sont programmées et assumées à la manière d’un gigantesque plan social de restructuration d’entreprise. Il convient de renouveler quasi-intégralement le personnel de fonctionnement et de modifier le statut de la maison.

Vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère, Pascal Perrimet. En quoi cette fameuse phrase (Mme Le Pen parle comme un tract du PCF des années 70) s’intègre-t-elle dans cette stratégie ?

Premièrement, elle indique à tous les nostalgiques de l’Union de la Gauche, il y en a encore et peut-être plus au PS que dans la Gauche radicale, que ce temps-là est révolu. Ringardiser la feue Union de la Gauche, c’est le premier objectif.

Deuxièmement, adresse déculpabilisatrice est faite ainsi aux déshérités, aux mécontents, aux frustrés, adresse subliminale : le vote protestataire aujourd’hui, c’est le vote FN.

En somme, indique François Hollande, c’est cet adversaire, Mme Le Pen, que je veux. Il est le seul à ma portée de le battre. Organisons donc le déversoir du mécontentement dans l’urne FN, plutôt que dans celle de la Droite, dangereuse concurrente, ou que dans celle de la Gauche de transformation, ce qui mettrait en échec la mutation libérale.

Pascal Perrimet, merci. Nous avons bien fait de vous solliciter. Merci pour cet éclairage incisif. Il contraste singulièrement avec tous les commentaires de commandite de ces derniers jours. Quel dommage de ne pas vous compter dans les cercles dirigeants de la Gauche de transformation car, plutôt qu’une demande d’excuses publiques, ce qui en politique n’a aucun sens, c’est de ce type d’analyse dont aurait dû se saisir le Secrétaire National du PCF.

Petit sourire de Pascal Perrimet. Non, voyez-vous, analyser et diriger ne sont pas le même métier. Encore que diriger nécessiterait bien souvent de faire capacité d’analyse. Au revoir donc, les amis.

Jean Casanova, 25 avril 2015

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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