L’égalité entre les femmes et les hommes n’est ni optionnelle ni conditionnelle

couv_3022Comment le genre est-il actuellement pris en compte dans les enseignements et dans la recherche, en France ? Quelle information et quelle diffusion sont possibles pour les résultats des recherches ? Quelles sont les ressources disponibles pour étendre celles-ci ? Comment les études de genre nourrissent-elles les formations professionnelles, tant initiales que continues ?

Conçu par l’Association nationale des études féministes, et rédigé par de nombreuses chercheures avec la collaboration d’auteures issues d’un réseau national, cet ouvrage propose avant tout un état des lieux aussi exhaustif que possible des questions qui traversent les institutions d’enseignement supérieur concernant les rapports et normes de genre. Il comprend des préconisations et interpelle les pouvoirs publics.

L’ANEF, à travers ce Livre blanc, aborde les principales questions qui se posent sur la place des études de genre en France, leur conception et leur impact, mais aussi sur la formation des enseignantes et enseignants, les inégalités femmes/hommes et les diverses formes de violences observées dans les établissements d’enseignement supérieur français.

L’ANEF, créée en 1989, a pour objectif de développer et promouvoir les enseignements et les recherches féministes dans l’ensemble des disciplines. Elle regroupe des enseignantes, des chercheures, des étudiantes et d’autres personnes impliquées dans les recherches et les enseignements féministes, sur les femmes, le genre, et les rapports sociaux de sexe.

Contre les réactionnaires de tous horizons qui dénoncent les théorisations autour du genre, qui assignent aux êtres humains des places/rôles en fonction de leur « sexe », au nom de la nature, des religions, des coutumes, des modes, des idoles, des rites ou des traditions, et qui parlent souvent de complémentarité pour refuser l’égalité…

Contre celles et ceux qui assènent, en dépit des évidences, que l’égalité est déjà là…

Il importe de développer les études sur les luttes de femmes, les rapports sociaux de sexe, le genre… pour comprendre les différents agencements sociaux qui concourent au maintien des hiérarchies et des inégalités dans toutes les sociétés et ici dans le monde académique.

En introduction, les auteures proposent « Le concept de « genre » est désormais reconnu et largement usité dans le domaine de la recherche en tant que système d’organisation sociale qui, fondé sur des rapports de pouvoir, bi-catégorise et hiérarchise les sexes – à l’avantage des hommes et des attributs référés au masculin -, tant symboliquement que matériellement »

Sommaire :

Liminaire : Genèse et enjeux de l’institutionnalisation des recherches féministes

Chapitre 1 : Les liens entre la recherche féministe, les associations et les pouvoirs publics : le triangle de velours

Chapitre 2 : Enseignement sur le genre : des recensements à l’institutionnalisation

Chapitre 3 : La diffusion des savoirs sur le genre

Chapitre 4 : Les inégalités professionnelles dans l’enseignement supérieur et la recherche

Chapitre 5 : Harcèlement sexuel et violences sexistes à l’université et dans l’enseignement supérieur

Propositions d’orientations stratégiques

Postface

Complété de 8 annexes

Etranger au monde universitaire, je choisis de n’évoquer que quelques éléments de ce livre, en lien à des thématiques déjà abordées dans d’autres textes.

Les auteures soulignent, entre autres, le « poids de l’universalisme ou d’un anti-féminisme profond, la culture est très hostile à la prise en compte de la dimension sexuée de la réalité sociale ». En fait, un certain universalisme très réducteur (voir sur ce sujet, Christine Delphy : Un universalisme si particulier. Féminisme et exception française (1980-2010), accaparement-de-la-totalite-de-lhumanite-par-une-partie-de-lhumanite-ou-la-rhetorique-republicaine-comme-arme-terrible-contre-legalite-substantielle/) Et comme autrefois, la critique marxiste, « la critique féministe, qui mettait en doute l’universalité et la neutralité proclamées du discours académique, était fort mal reçue ». Sans oublier la stigmatisation des termes mêmes, comme « études féministes ». Les auteures discutent de la notion de « genre », de son utilisation « en dépit de son ambiguïté » et détaillent les différents liens entre la recherche féministe, les publications, les associations et les pouvoirs publics.

Elles indiquent que « Le caractère structurel des inégalités fait l’objet d’un « consensus mou », tandis que la conception universaliste de la citoyenneté s’oppose à la notion de « besoins spécifiques » et laisse peu de place pour les « actions positives » et les « mesures de compensation » des discriminations avérées ». J’aurais écrit : conception abstraite de l’universalisme citoyen considérant que cet universalisme est déjà là, alors qu’il reste à construire concrètement (ce qui par ailleurs ne dit rien sur les tensions entre universalisme abstrait et concret). Quoiqu’il en soit, je ne vois pas comment la construction de l’égalité peut contourner des mesures d’« actions positives » (voir par exemple Patrick Le Tréhondat & Patrick Silberstein : Vive la discrimination positive !, Syllepse 2014 ou le texte Notre horizon : l’égalité réelle pour toutes et tous, notre-horizon-legalite-reelle-pour-toutes-et-tous/). Ce chapitre, comme les suivant, se termine sur des recommandations.

J’ai notamment été intéressé par le chapitre sur la diffusion des savoirs, les publications et les éditions, l’enjeu des traductions, le caractère sexiste de la plupart des manuels scolaires dès le primaire, l’absence de figures féminines dans l’histoire construite et enseignée, la place des colloques, ou globalement l’important retard pris en France « dans la prise en compte du genre à tous les niveaux ». Je souligne aussi, en annexe 2, une lettre au ministère de l’éducation nationale de septembre 2012 dont j’extraits une phrase : « Aucun scientifique sérieux ne songerait aujourd’hui à faire reposer le caractère féminin ou masculin sur les seules données biologiques ».

Les auteures analysent en détail les inégalités professionnelles dans l’enseignement supérieur et la recherche, dans « l’accès aux professions qui fabriquent du savoir ». Elles parlent d’égalité « L’égalité entre les femmes et les hommes n’est en effet ni optionnelle – je l’applique ou non – ni conditionnelle – je ne l’applique que si elle présente un intérêt -, elle appartient au répertoire des principes fondamentaux du droit », de l’aveuglement aux inégalités professionnelles, de l’importance de prendre en compte « la variable genre », des parcours scolaires et universitaires très différenciés selon le sexe, de déplacement des inégalités dans le temps et les niveaux éducatifs, de filières « les filières les plus prestigieuses, qui conduisent aux carrières les mieux rémunérées, restent très masculines », des discriminations indirectes dans les recrutements, du pilotage scientifique par les hommes et des administrations par les femmes, des résistances à l’accès des femmes aux plus hauts échelons, de l’invisibilisation de leurs travaux, des systèmes d’évaluation institués…

Le dernier chapitre est consacré au harcèlement sexuel et aux violences sexistes. Les auteures reviennent sur le continuum des violences exercées par les hommes, son caractère protéiforme, social et politique, la place des relations hiérarchiques, les dénis et l’impunité… Elles parlent des stratégies des agresseurs, des réactions des victimes, des multiples et multidimensionnelles conséquences, de la camaraderie et du soutien entre hommes, des législations, du dispositif mis en place à Lille-3…

« Le passage de l’affirmation du principe d’égalité à l’égalité nécessite la reconnaissance réelle de l’existence des inégalités, la volonté de les faire disparaître, la mobilisation coordonnée de tous, notamment financière, et la mise en place de mesures contraignantes, visant l’efficacité, faisant rupture avec les mesures d’affichage ».

Association nationale des études féministes : Le genre dans l’enseignement supérieur et la recherche

Livre Blanc

La Dispute, Paris 2014, 228 pages, 20 euros

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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