Compte-rendu de voyage en Grèce (31/08/15 au 04/09/15)

La perspective d’un réseau de solidarité centré sur les pratiques de résistance en santé mentale, a été une de nos principales motivations pour rencontrer les Dispensaires Solidaires Sociaux et d’autres structures autogérés ainsi que des équipes grecques de soins psychiatriques et le syndicat des salariés de l’hôpital psychiatrique de Dafni.

L’accueil de notre projet a été chaleureux et intéressant partout. Venir physiquement porter la solidarité concrète d’autres pays d’Europe est vécu comme essentiel par les soignants, les militants et des structures d’avant-garde de résistance à l’austérité.

Mardi 1er septembre:

Le dispensaire social de Péristéri (ville populaire de 140.000 habitants dans la banlieue d’Athènes), qui est jumelé avec le comité de soutien au peuple grec de Paris 13 et l’Assemblée citoyenne de Paris 14, ce qui a permis d’apporter une aide financière conséquente et préparer l’organisation de la venue de ses représentants à Paris.

Le dispensaire est ouvert depuis 3 ans dans une maison mise à disposition par un particulier solidaire. Il a été inspiré par la création en Crète en 2009 (avant la crise) du premier dispensaire solidaire. Il reçoit des personnes en rupture de sécurité sociale, pour cause de chômage (le maintien des droits ne dure que 2 ans après la perte de l’emploi), d’impossibilité de régler les cotisations par des indépendants précarisés (petits commerces, artisans, et professions libérales), des personnes même assurées mais dans l’impossibilité de payer le restant à charge (augmenté depuis l’application des mesures d’austérité) ainsi que l’ensemble des précaires et des sans-papiers.

Son fonctionnement est autogéré par les bénévoles, professionnels de santé ou simples citoyens issus de la population (qui peuvent en être au départ des usagers). La responsabilité de l’organisation soins et des actions militantes est donc partagée les décisions étant prises par une assemblée mensuelle. Il est un véritable lieu d’accueil, contrairement à nombre de dispensaires du Système Public de Soins également sans moyens. Des échanges de médicaments sont souvent le seul lien, avec les autres dispensaires autogérés et la pharmacie municipale.

Pour comparaison : les dispensaires municipaux, de statut public (ne fonctionnant pas comme des centres de santé) ainsi que des dispensaires « sociaux » parrainés par Eglise Orthodoxe ou par des intérêts privés se limitent à une offre strictement médico-pharmaceutique (soumise parfois à la condition d’une vérification exhaustive de documents) sans organisation d’échanges ni entre les intervenants (pas toujours bénévoles) ni entre les intervenants et les usagers.

Les actions solidaires organisées par le DPSS sont l’accès aux soins et l’action alimentaire : collectes dans les supermarchés et distributions auprès de personnes dans le besoin. Le DPSS participe aux mobilisations contre les actions répressives (police et conseil de l’ordre des médecins). Le dispensaire participe à la Coordination des Dispensaires Solidaires Sociaux, qui se réunit régulièrement pour organiser la mise en commun de moyens et décider d’actions communes, coopère avec l’association « Solidarité pour Tous », participe aux actions citoyennes de protestation et de revendication, au mouvement de soutien aux réfugiés, et à l’organisation de campagnes d’offre de soins et de distribution de produits de première nécessité aux réfugiés. Contrairement à d’autres DPSS (CSAG), il n’est pas soutenu politiquement et économiquement par la municipalité dans laquelle il est implanté.

La question de la précarité psychique est centrale ; le DSS de Péristeri reçoit des personnes qui sont censées recevoir des soins psychiatriques au long cours mais qui, en réalité, ne bénéficient pas des soins dont ils ont besoin de la part des structures compétentes (centres de santé mentale, consultations spécialisées des hôpitaux) car ces structures sont débordées par la masse de la demande, en manque de personnel suffisant, submergées par les tâches de renouvellement d’ordonnances qu’exige un système de contrôle et de vérification des prescriptions instauré par le mémorandum.

Le psychiatre du DSS de Péristeri (Dr NP) en décrit les difficultés actuelles : travail isolé centré sur le médicament, mais importance reconnue par les patients de l’accueil au quotidien. Le nombre de suicides s’est considérablement accru depuis 2010 et le dispensaire reçoit beaucoup de patients qui décrochent du suivi psychiatrique. Comme psychiatre il est très intéressé par le projet de réseau de solidarité que je propose et parle de son travail libéral complété par sa venue au dispensaire autogéré ainsi aussi dans une structure de soins d’addictologie pour personnes en prison, qui est une structure « ouverte » en ville, fonctionnant depuis 2002 à 80 km d’Athènes, dans laquelle l’équipe d’intervenants se réunit une fois par semaine.

Mercredi  2 septembre

L’hôpital psychiatrique de Dafni, dans la banlieue d’Athènes.

Le syndicat des salariés et 2 équipes sont rencontrées :

Le syndicat des salariés de Ψ.Ν.Α. (Hôpital Psychiatrique d’Athènes – Dafni)

Un échange sur la casse des services publics, de la protection sociale, de l’accès aux soins et des droits fondamentaux du fait des politiques d’austérité en Europe fait consensus, en particulier quand à ces effets sur les soins psychiatriques et la santé mentale des populations. La situation est particulièrement dramatique en Grèce. C’est toutes les organisations de soins ouverts à tous qui sont remises en cause ainsi que leurs pratiques créatives et les effectifs dans les équipes soignantes. La Santé mentale dans l’UE est réduite à un prêt à porter déterminé par la concurrence entre services privés et publics. Nos interlocuteurs représentent des tendances syndicales différentes, ainsi que des métiers différents, mais s’opposent tous aux politiques néolibérales, aux privatisations et à l’austérité.

Un service de l’Hôpital (Département 2).

Présenté comme un état des lieux actuel en Grèce, il comprend 40 patients pour 25 places dans cette unité d’hospitalisation. Le ratio type soignants/patients parait peu différent que celui d’un service parisien, si ce n’est le surencombrement. La différence notable est l’absence de chambres d’isolement, mais aussi l’absence de tout recrutement depuis 5 ans. Les ASH ont disparu (départs non remplacés) et de ce fait les infirmier(e)s et aides infirmier(e)s sont chargé(e)s des tâches « d’intendance » en plus de leurs propres tâches. Il n’y a pas d’activités thérapeutiques continues de socialisation, ni de professionnels paramédicaux.

L’échange se déroule entre médecins (Médecin Chef et Praticien Hospitalier) et le responsable syndical, psychologue qui travaille dans un autre Service. La discussion se centre sur l’ouverture des portes (possible ou pas) et les liens avec les structures extérieures, ces deux thèmes montrant une continuité avec l’hôpital psychiatrique traditionnel.

Actuellement il n’y a qu’un seul patient « en isolement » à Dafni, auteur d’un meurtre sauvage dans les lieux de l’Hôpital. Nous avons cependant été informés d’autres sources que des patients agités sont cependant occasionnellement contenus mais ce sujet n’a pas été abordé ici. Nos interlocuteurs nous ont fait part de leurs doutes quant à la possibilité s’assurer des soins totalement ouverts.

Deux jours après notre visite un incendie s’est déclenché à proximité d’un lieu où se trouvaient des patients chroniques et trois patients sont décédés. Ce gravissime accident a déclenché chez certains médias grecs la polémique autour de l’Hôpital Psychiatrique, présenté de manière négative et caricaturale. Le syndicat des salariés voit dans cette campagne médiatique une tentative pour dénigrer leur outil de travail et pose l’accent sur le manque cruel de moyens et de personnel qui met en péril la sécurité des patients et des salariés.

Il n’y a plus que des actes techniques dans les Services d’hospitalisation : prescriptions d’ordonnances et distribution de médicaments. Les prescriptions médicales sont sous surveillance depuis l’application en Grèce du mémorandum et les médecins sont obligés de respecter certains quotas.

Le service du « Département 2 » a un dispensaire au centre d’Athènes qui fait continuité.

Nos interlocuteurs connaissent, bien entendu, l’existence des dispensaires autogérés mais nous précisent que le Service, intégré au Système Public, ne peut formellement avoir des liens avec ces structures. Ils font cependant le commentaire que, compte tenu de la situation sociale des patients accueillis, l’hôpital tout entier pourrait être considéré comme un établissement « social » ; pour illustrer le propos ils nous relatent des cas où les soignants se cotisent pour couvrir des besoins matériels des patients.

Il y aurait aussi, nous informe-t-on, une structure de soins, sociale et solidaire, fonctionnant dans l’enceinte de l’hôpital universitaire Attiko, mais on n’en a pas de précisions.

L’unité ouverte du Département 9.

L’équipe infirmière rencontrée parle de moins de tension et de plus de liberté dans le soin, des liens avec le dispensaire et le foyer de postcure qui font continuité, mais pas de travail avec les familles, qui sont reçues à l’admission et la sortie du patient ou par le médecin uniquement pendant la durée de l’hospitalisation. Il est souligné que le travail est différent quand le patient est sorti d’hospitalisation car, dans le dispositif ambulatoire les infirmier(e)s participent aux entretiens et à d’autres actes d’accompagnement.

Le psychiatre Yannis Papadopoulos (Chef de Service) nous reçoit ensuite. La Santé Mentale ? Il y a eu 2 phases : la première avec la fermeture de Leros à la fin des années 70. Puis une loi de Santé mentale qui a promus un mouvement d’ouvertures de structures hors de l’hôpital. Les Hôpitaux psychiatriques ont été fermés sauf 3 (2 à Athènes et 1 à Thessalonique). L’hospitalisation s’est alors faite dans les hôpitaux généraux, et se sont ouvertes des structures de postcure qui dépendent de l’hôpital ou d’associations (ONG). Les financements (75%) par les fonds européens dans le cadre de plans successifs pluriannuels spécifiques, dédiés à la Santé Mentale, sont assortis d’évaluations périodiques qui marquent respectivement leur arrivée à terme. L’état grec est censé par la suite prendre le relai du financement mais les moyens du budget de la Santé sont très faibles. Donc se posent les questions de l’avenir, de la continuité et de la qualité finale de ces projets.

Sa critique est que la polémique public-associatif nuit, car elle met en concurrence le type de gestion, les statuts et les conditions de travail. Il n’y a pas de réseau national en Grèce et la sectorisation ne fonctionne pas de manière généralisée.

Le vrai moteur pour la mise en place en Grèce du secteur psychiatrique a été le financement européen, l’Etat étant défaillant, tant sur le plan de l’initiative politique que des financements. Il y a, dans le cadre du Système public de soins, 10 (dix) Centres de Santé Mentale, implantés à Athènes, au Pirée et dans leurs banlieues, offrant des soins pluridisciplinaires en psy adulte et infanto-juvénile, rattachés administrativement à la Faculté, au CHU, à des Hôpitaux Généraux, aux Hôpitaux Psychiatriques, auxquels se rajoutent les consultations externes spécialisées des Hôpitaux Généraux et des HP ainsi que les consultations au sein du système de soins primaires et les dispositifs d’addictologie. (3 centres de santé mentale à Athènes et 1 au Pirée qui dépendent de l’hôpital psychiatrique). Ce dispositif est insuffisant pour une région qui a près de 4 millions d’habitants et qui reçoit aussi des patients en provenance d’une grande partie du pays.

Les Conseils locaux de santé mentale, réclamés par les programmes des partis de gauche, bien que prévus par les textes de loi sur la sectorisation (déjà anciens), ont été réellement constitués il y a à peine un mois par le premier gouvernement SYRIZA. Nommés par décrets ministériels, les membres de ces Conseils sont essentiellement des médecins avec la participation ultra-minoritaire d’une seule association d’usagers. Le mouvement social n’y est pas représenté et ces conseils n’ont à ce jour joué aucun rôle déterminant.

La situation actuelle d’austérité a aggravé la multiplication de patients psychiatriques en errance médicale pour lesquels le système n’apporte pas de réponse aux besoins en soins. Cette situation cependant préexistait, à moindre échelle, de la crise économique et sociale actuelle.

Actuellement les hospitalisations sous contrainte se multiplient (autorisation préalable du juge requise). Il n’y a pas de réelle formation spécifique aux métiers de la psychiatrie et il n’y a plus de recrutement de personnels. Pour ce médecin, les dispensaires sociaux sont aujourd’hui nécessaires pour pallier aux carences manifestes et profondes du système.

Le Docteur Papadopoulos adhère à notre projet d’un réseau de psychiatrie solidaire France-Grèce qui pourrait s’élargir à d’autres pays comme l’Italie.

Reprise de la visite de l’hôpital avec Yannis Kourmoulakis, secrétaire du syndicat.

L’établissement a 1500 salariés, 100 à 200 participent activement aux mobilisations. Le premier risque vient d’un projet de loi sur le syndicalisme porté par la « Troïka » : limitation du droit de grève par le vote préalable de 50%+1 des salariés d’une entreprise ou lieu de travail pour la décider légalement ce qui aurait comme conséquence l’élimination du rôle des syndicats. Il s’agit donc d’un démantèlement des droits syndicaux sur lesquels Tsipras reste attentiste.

L’an dernier il y a eu une grande mobilisation contre la fermeture de l’hôpital exigée par la « Troïka », avec un concert qui a réuni 2000 citoyens solidaires. Depuis plus de deux ans maintenant la lutte est contre les évaluations des fonctionnaires qui visent à réduire le service public, car selon le système qui est proposé il existerait des quotas prédéfinis pour octroyer des bonnes et des mauvaises notes. Une fiche d’évaluation est adressée à chaque agent qui la remet au chef de service. La majorité des chefs de Service avait accepté de collaborer. 1200 salariés, dont une minorité de médecins, ont répondu en l’envoyant au syndicat. C’est donc un mouvement de désobéissance civile des salariés. Il accompagne le refus des infirmiers de faire des transferts d’établissement médicalisés sans médecins.

La conclusion est que ces luttes rejoignent celles des dispensaires sociaux autogérés car, loin d’être des luttes corporatistes, elles ont pour objectif la protection du Service public et la qualité et gratuité des soins pour tous les patients.

Yannis, qui fait partie aussi d’un comité pour le suivi du respect des droits des patients auprès du Ministère de Santé, est très positif vis-à-vis du projet d’un réseau international pour la santé mentale. Il voit même la possibilité que des réunions publiques aient lieu au sein même de l’Hôpital Dafni.

Lieux autogérés dans Athènes

Découverte d’un parc, d’un centre socioculturel, d’un restaurant, autogérés par des habitants du quartier Exarchia, sans échanges particuliers avec ses animateurs (timing de la visite ne l’ayant pas permis, mais à suivre. Il y a également un dispensaire social autogéré qui était fermé à cette heure-là).

Rencontre avec Katerina Matsa, psychiatre retraitée, bénévole dans plusieurs dispensaires sociaux.

Figure emblématique du mouvement désaliéniste en Grèce, ancienne médecin chef d’un Département de Psychiatrie à Dafni aux pratiques ouvertes et innovantes, engagée dans le soin des patients toxicomanes, Katerina Matsa est aussi rédactrice en chef de la revue grecque « Tetradia Psychiatrikis » (« Cahiers de Psychiatrie »).

Katerina décrit une situation très dégradée de la psychiatrie, les psychiatres subissant les oukases de la Troïka. Les expériences d’un travail collectif sont donc à recréer.

Selon Katerina, les droits des patients ne sont pas respectés en Grèce. La contrainte est autorisée par un juge mais qui entérine toujours l’avis du psychiatre.

Les médicaments ont remplacé la parole comme outil de soin.

Les seules avancées actuelles au niveau des pratiques alternatives sont les dispensaires sociaux autogérés, qui sont devenus de réels lieux d’accueil.

Elle cite un patient qui dit à propos des dispensaires sociaux : « ici je me suis écouté ». La fonction d’accueil et d’écoute n’est pas remplie aujourd’hui par les centres de santé mentale existants du Système public de Santé. La psychiatrie est essentiellement médicalisée et son développement institutionnel reste déterminé par les financements de Bruxelles. La « Troïka » veut fermer les 3 HP restants pour des raisons seulement économiques.

Est très intéressée par le projet de réseau et première discussion sur son organisation possible (3 jours d’échanges en ateliers, un premier argument à écrire, des textes à échanger en déterminant ceux qui seront présentés dans la préparation. Nous constatons l’intérêt de la traduction et diffusion (à travers nos revues respectives) de textes de nos collègues et camarades grecs en France et inversement.

Jeudi 3 septembre

« Solidarité pour Tous »

L’association « Solidarité pour Tous » est une plateforme d’échanges, de coordination, de formation et de soutien logistique qui s’adresse à toutes les structures autogérées de solidarité (sanitaires, alimentaires, coopératives, juridiques, culturelles, éducatives) à condition que celles-ci fonctionnent sur la base du bénévolat et n’entretiennent pas de liens avec des institutions officielles, publiques ou privées.

Le soutien aux dispensaires sociaux représente une part importante de l’activité de l’association. Dans cet esprit, « Solidarité pour Tous » a soutenu la constitution d’une coordination des dispensaires et pharmacies sociaux solidaires de la région Attique (dans laquelle se trouvent Athènes et le Pirée). La mise en place de cette coordination a permis la mise en commun de moyens et la planification d’actions militantes communes sur le terrain, mais aussi l’organisation d’actions « extraverties » comme, par exemple, une campagne d’ampleur pour l’offre de soins aux réfugiés qui arrivent sur les côtes des îles grecques, situation nouvelle et très critique.

Dans le cadre concret de cette action, il existe le projet d’un bus mobile qui irait vers les lieux où sont rassemblés des réfugiés en situation de carence sanitaire et alimentaire ; secondairement, l’acquisition d’une plateforme matérielle adéquate mobile permettrait son utilisation dans des territoires sans dispensaires sociaux pour offrir des soins à des populations autochtones en situation de carence sanitaire. Nous convenons sur le constat que ces deux types de populations ont des caractéristiques sociales et des besoins différents, cependant la responsable de l’association nous affirme que, dans le contexte actuel de la crise grecque, la souplesse et l’adaptabilité sont nécessaires. Les difficultés de mise en place de ce projet tiennent, comme en France, à la multiplicité d’intervenants aux finalités institutionnelles parfois concurrentes. Il s’agit notamment de collecter des dons de matériels et d’espèces dans un cadre, entre autres, humanitaire. Un budget de 100 000 euros est prévu ainsi que l’aide de MSF pour une première mise en place du projet sur l’île de Mytilène.

En réponse à notre question sur la contribution du Système national de Santé, et notamment des hôpitaux locaux, au devoir de soigner les réfugiés, notre interlocutrice nous présente très brièvement la situation actuelle :

Le financement des hôpitaux publics est brutalement décroissant d’année en année (1,6 milliards en 2014, 1,3 en 2015, 1,0 prévus pour 2016)

Quelles perspectives politiques pour sortir de la stricte action humanitaire face à la violence des mesures d’austérité imposées par les mémorandums de l’UE ? Quelques points.

-Débat sur la possible transformation des dispensaires sociaux autogérés en réels dispensaires publics de base indépendants de l’Etat et des institutions officielles, publiques ou privées. Les dispensaires, nous explique-t-on, n’ont pas comme perspective de se substituer à l’Etat mais d’être un outil d’intervention qui s’articulerait avec des assemblées populaires de quartiers, de villes et de villages. Ils sont aujourd’hui une avant-garde de résistance contre l’austérité et la précarité qui en résulte, en Grèce, mais aussi dans d’autres pays d’Europe.

-le refus des programmes de « partenariat » public-privé, portés par la « Troïka », pour le financement de la Santé, car cette option politique aggrave l’absence de permanence des soins offerts à la population ; refus aussi de la rétrogradation des structures de soins primaires (dont les dispensaires sociaux) qui, le cas échéant, se transformeraient en centres de tri discriminatoire. On peut aussi se poser la question de la récupération du mouvement des dispensaires par le gouvernement actuel. La question de l’avenir des dispensaires implique des décisions au plus haut niveau : pression sur le gouvernement Grec (par la « Troïka ») et indirectement sur les structures autogérées, mais aussi publiques (notamment municipales), par la rétention des financements et les interventions au niveau de leur répartition.

-Débat sur la caractérisation du gouvernement intérimaire et du programme d’application du 3ème mémorandum, signé par le Premier Ministre Tsipras, dans la perspective des élections du 20 septembre. Un alignement de SYRIZA sur les partis traditionnels désavoués aux élections de janvier, et jusqu’où ? Il y a un débat politique au sein de « Solidarité pour Tous » comme dans le peuple grec, depuis la création d’Unité Populaire qui défend le programme de Thessalonique contre la perspective gouvernementale de SYRIZA ; cet état des choses politiques pourrait induire une crise au sein du mouvement.

Centre d’accueil de réfugiés afghans, Eléonas.

Ouvert il y a 3 semaines sur un terrain vague à 2 km du centre d’Athènes, avec des logements préfabriqués et tous les raccordements nécessaires qui sont aujourd’hui en voie de finalisation. Présence de La Croix Rouge qui distribue l’alimentation apportée par l’armée et qui a ouvert un centre de veille sanitaire. Son financement est porté par l’Etat (service immigration et Ministère de l’Intérieur) avec la présence du HCR. La police municipale (non armée) surveille « discrètement » les abords du centre (à quelques cent mètres de l’entrée du Centre nous avons pu observer la présence d’une voiture de police avec à l’intérieur des agents armés !).

La durée moyenne de séjour est celle d’une cité de transit, pour l’instant de 3-4 jours. La population actuellement accueillie est (suite à un tri préalable) homogénéisée : très majoritairement des ressortissants afghans (hommes seuls et familles avec enfants). Il y a 685 places : le jour de notre visite 400 présents, après un pic de 785 la semaine dernière. Le premier accueil, pas encore bien aménagé, fait du dépistage sanitaire, distribue alimentation, produits de ménage et vêtements.

Nous sommes donc dans une toute autre perspective de centres autogérés, qui est celle de camps de transit et de tri promus par l’UE avec l’aide du HCR.

Nous nous y sommes rendus en accompagnant une équipe de « Solidarité pour Tous » qui effectuait de la distribution de produits alimentaires et autres biens de première nécessité.

Dispensaire solidaire du Pirée – Korydallos, en banlieue.

Retour vers un dispensaire autogéré, ouvert il y a 2 ans et demi avec l’aide de celui d’Ellinikon. Il s’agit de plusieurs appartements aménagés en centre médical dans un immeuble qui est celui de services sociaux de la municipalité. Il est indépendant de la municipalité dans son fonctionnement.

Il est autogéré par des bénévoles solidaires avec la présence de nombreux professionnels médicaux (médecins généralistes, 14 dentistes, 1 cardiologue, 1 psychiatre…) des psychologues et des orthophonistes. Depuis sa création 3479 personnes y ont consulté. Problème avec le dentaire car manque de tous les consommables (accessibles seulement par achats) et de moyens pour les appareillages et les prothèses. Il réalise la distribution de médicaments (manque permanent car grosse demande pour les pathologies chroniques) avec la présence d’un pharmacien. Les personnes qui consultent appartiennent à des couches précarisées de la population (comme à Péristéri), et en rupture de sécurité sociale.

Des réunions à fréquence moyenne mensuelle des intervenants, en fonction des sujets à traiter, avec la participation de quelques patients. Les bénévoles de la structure participent occasionnellement aux assemblées populaires, aident à la création d’autres dispensaires autogérés (chaine de formation réciproque Ellinikon, Pirée-Korydallos, Philadelphia, Pirée-Centre), participent aussi à des actions sanitaires communes et des suivis conjoints de patients avec des structures publiques de soins (échanges d’informations, de médicaments, de matériaux d’examens et de soins). Notre interlocutrice nous explique qu’elle a participé également au mouvement de solidarité avec les salariés sous licenciement de Coca-Cola, dont elle boycotte les produits.

Premier bilan.

Les dispensaires sociaux autogérés sont une expérience émancipatoire, qui pourrait inspirer toute l’Europe comme projet alternatif de santé démocratique. Leur nombre actuel est de 55 en Grèce.

Ils sont un début d’un projet d’ouverture et de réappropriation par la population de ses besoins fondamentaux, conçu initialement pour faire face aux mémorandums illégaux, illégitimes, odieux qui constituent une atteinte aux droits fondamentaux humains : droit à la vie, aux soins, à la dignité.

Le projet d’un réseau de solidarité santé mentale Grèce-France-Italie (pour l’instant) est sur les rails, avec la perspective d’un évènement commun au printemps prochain : venus à Athènes d’intervenants en santé mentale de chaque pays, participation à la journée d’un dispensaire social autogéré, 3 jours d’ateliers d’échanges de pratiques et de luttes, avec un rassemblement final de mise en place du Réseau de solidarité.

Cette action se fera quelle que soit la situation politique issue des élections du 20 septembre, mais son contenu sera évidemment alimenté par elle. Le débat sur la lutte contre les politiques d’austérité en Europe, contre l’utilisation de la santé mentale dite positive comme instrument de restructuration économique, de formatage de pratiques de soins normalisées et de tri de populations, y sera central car c’est la finalité même de ce Réseau.

Jean Pierre Martin

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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