Rapports sexuels et virus Zika : sur la contraception et l’impératif du coït

Il a été difficile de passer à côté de la couverture médiatique grandissante autour du virus Zika. Avec un lien possible entre l’infection de femmes enceintes et des déformations à la naissance, l’attention générale s’est tournée vers les droits procréatifs des femmes, et à juste titre. Pour autant, comme dans la plupart de ce qui s’écrit sur les enjeux de contraception et d’avortement, le débat sur les réalités sociales de la sexualité hétéro n’a pas lieu.

Un lien potentiel de causalité entre l’infection au virus Zika et la naissance d’enfants atteints de microcéphalie a poussé les autorités d’une partie des pays touchés à recommander aux femmes de « repousser toute grossesse » de six mois à deux ans. Comme l’ont relevé nombre de commentatrices, universitaires et militantes des droits des femmes, ce conseil constitue pratiquement un non-sens dans des régions où la contraception peut être difficile d’accès et où plus de la moitié des grossesses sont actuellement « non planifiées ».

L’attention critique portée aux recommandations de « report de grossesse » s’est principalement concentrée sur des pays comme le Salvador : un État à prédominance catholique, où des lois nationales interdisent l’avortement, et où moins de 10 % de la population utilise un moyen de contraception non permanent comme les préservatifs ou la pilule.

Un scénario de ce type place manifestement les femmes dans une position intenable. À lire ces reportages, pourtant, on pourrait facilement croire que les femmes tombent enceintes comme par magie. Le message relayé n’a pas été : « Hommes ! Laissez-la dans le caleçon ! » ou « Hommes ! Mettez toujours un préservatif ! » Le message a plutôt ressemblé à : « Femmes ! Ne devenez pas enceintes ! » On ne devrait pas avoir à le dire, mais les hommes font également partie de l’équation.

Soyons clairs, je ne m’apprête pas à jouer ici la carte des « intérêts des hommes » ! À l’inverse, mon propos est que les relations de pouvoir propres à l’hétérosexualité et, en particulier, le présumé droit des hommes à entreprendre une activité sexuelle pénétrante et procréative avec des partenaires femmes, constituent le contexte manquant à ces discussions. La contraception et l’accès à l’avortement ne sont que la pointe de l’iceberg.

En réfléchissant à ces reportages sur le virus Zika, je me suis souvenue d’une liste utile que Sheila Jeffreys aimait souvent dresser dans ses cours sur la politique du sexe, comme moyen d’exposer le caractère superficiel des arguments concernant le « choix » et l’avortement. Elle écrivait quelque chose comme ceci :

1) Choisir d’avoir une vie sexuelle, ou pas.

2) Si oui, choisir d’avoir une activité sexuelle avec une autre personne, ou pas.

3) Si oui, choisir d’avoir des rapports sexuels avec une personne du même sexe ou de sexe opposé.

4) Si c’est de sexe opposé, choisir de pratiquer le coït ou non.

5) Si oui, choisir un moyen abordable, accessible et sûr de contraception, ou pas.

6) Si non, ou si le moyen de contraception échoue, choisir l’avortement, ou pas.

Elle cherchait à démontrer que, si les options 1 à 5 ne peuvent pas elles aussi être librement choisies, alors il est peu sensé de considérer l’avortement comme relevant simplement d’un « choix ». Le problème va au-delà de l’objectif communément reconnu des droits procréatifs et remonte à la question de l’autonomie sexuelle des femmes.

Et le manque d’autonomie sexuelle des femmes n’est que trop évident. Si, à la place de la menace d’une grossesse non désirée à l’ombre du virus Zika, nous imaginions ce à quoi ressemblerait pour les femmes le risque de contracter une maladie potentiellement fatale, par la pratique du coït ?

Oh, c’est vrai, nous l’avons déjà fait, au moment le plus fort des campagnes de santé publique contre le VIH/sida dans les années 1980. Le Women Risk and AIDS Project (WRAP) au Royaume-Uni, par exemple, a été qualifié par Stevi Jackson de « recherche britannique la plus complète à ce jour sur les mécanismes du pouvoir masculin dans les relations hétérosexuelles », et cette analyse était assez accablante.

Un des écrits les plus puissants à émerger des travaux du WRAP s’intitulait « The Male in the Head : Young people, heterosexuality and power (L’homme dans la tête : jeunesse, hétérosexualité et pouvoir) » (l’introduction, en anglais, est disponible en ligne gratuitement). Le titre fait référence au lien que tracent les autrices entre « le pouvoir de surveillance de l’hétérosexualité dominée par les hommes et institutionnalisée », lien qu’elles illustrent par l’expression l’« homme-dans-la-tête » et l’ « expérience quotidienne de l’homme-dans-le-lit ».

Dans un passage de ce texte, les chercheuses expliquent qu’elles croyaient d’abord découvrir un affrontement entre masculinité et féminité dans les négociations entre jeunes d’une « sexualité protégée » hétérosexuelle. Au contraire, elles concluent :

« L’hétérosexualité n’est pas, semble-t-il, le champ d’une opposition entre masculinité et féminité : c’est la masculinité. Au sein de cette hétérosexualité masculine, les désirs des femmes et l’éventualité d’une résistance féminine sont potentiellement des forces turbulentes qu’il faut discipliner et contrôler, si nécessaire par la violence. »

Ajoutez à cela que le « véritable rapport sexuel » en contexte d’hétérosexualité est perçu comme l’acte de pénétration de type procréatif : le coït. À l’évidence, le rapport sexuel équivaut à tel point au coït que le terme « sexe » est simplement assimilé au coït dans le langage de tous les jours. S’il vous faut plus de preuves que c’est là une construction du pouvoir masculin, il peut valoir la peine de considérer le fait suivant : alors que le concept de coït requiert l’orgasme masculin, plus des deux tiers des femmes n’ont pas régulièrement d’orgasme dans les rapports sexuels de pénétration de type procréatif, et beaucoup ne s’attendent jamais à ce que cela arrive.

Mais ce n’est pas seulement une question d’égalité à mesurer en nombre d’orgasmes. Les notions de ce que sont les désirs et plaisirs hétérosexuels acceptables sont intimement liées aux réalités matérielles du risque en cause, que ce soit un risque de grossesse, un risque de transmission d’IST (infection sexuellement transmissible), ou un risque de préjudice physique ou émotionnel. Comme le dévoile le concept de « l’homme dans la tête », l’institution de l’hétérosexualité repose sur le pouvoir masculin, le plaisir sexuel masculin et le risque féminin. Ce sont ces conditions qui permettent d’expliquer pourquoi la connaissance et l’accessibilité des préservatifs (et d’autres formes de contraception) ne sont pas toujours des facteurs décisifs pour déterminer leur utilisation :

« La diffusion des connaissances sur une sexualité plus sécuritaire n’a pas garanti que les jeunes mettent en pratique leur savoir ou qu’ils pensent que cela les concerne. Les comptes rendus de leurs rapports sexuels étaient formatés par la définition d’une « sexualité appropriée », c’est-à-dire une pénétration vaginale qui commence quand l’homme est excité et se termine après son orgasme, faisant de son orgasme à elle le produit de son activité à lui. Cette notion du rapport sexuel privilégie les besoins et désirs masculins par une division sexuelle du travail dans laquelle il est l’acteur sexuel alors qu’elle subit l’action. Le discours dominant de la féminité… à travers lequel ces jeunes femmes faisaient sens de leur identité sexuelle, entrait en contradiction directe avec leur sécurité sexuelle. »

Et cette situation perdure, avec le virus Zika. La contraception ne sera jamais, au mieux, qu’une solution de fortune, tant que les droits sexuels des hommes ne sont pas remis en question. La sécurité sexuelle et procréative des femmes requiert l’autonomie sexuelle des femmes.

Meagan Tyler, publié initialement le 2 février 2016 sur Feminist Current

Meagan Tyler est une enseignante-chercheuse relevant de la vice-chancelière à l’Université RMIT de Melbourne, Australie. C’est aussi une érudite de réputation internationale dans le champ des études du genre et de la sexualité. Elle est l’autrice de « Selling Sex Short: The pornographic and sexological construction of women’s sexuality in the West » (non traduit) et a codirigé l’ouvrage « Freedom Fallacy: The Limits of Liberal Feminism » (non traduit). Suivez-la sur Twitter : https://twitter.com/DrMeaganTyler

Original : http://www.feministcurrent.com/2016/02/02/sex-and-zika-on-contraception-and-the-coital-imperative/

Traduction : Tradfem

https://tradfem.wordpress.com/2016/03/21/rapports-sexuels-et-virus-zika-sur-la-contraception-et-limperatif-du-coit/

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En complément possible :

L’avortement, un combat féministe toujours d’actualité ! : lavortement-un-combat-feministe-toujours-dactualite/

Jean Batou : Des moustiques et des hommes – L’histoire sociale d’un virus nommé Zika : des-moustiques-et-des-hommes-lhistoire-sociale-dun-virus-nomme-zika/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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