Présentation de l’ouvrage « Feminism for Women » de Julie Bindel (en français)

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« Lesbienne » n’est pas un gros mot.

Les femmes existent – et elles n’ont certainement pas de pénis. La féministe chevronnée Julie Bindel ne se laissera pas réduire au silence par les idéologues trans, affirme Melanie Reid.

Julie Bindel milite depuis les années 1970.

Son livre a l’étoffe d’un best-seller, mais pas à la manière d’une Sally Rooney (Conversations with FriendsNormal People). Il va susciter l’émoi des transactivistes et provoquer toutes sortes d’attaques sur Twitter, de brimades et d’annulations d’invitations (deplatformings). La couverture du livre comprend même une citation de JK Rowling, qui le décrit comme « opportun, nécessaire et important », ce qui, en ces temps étranges, équivaut à agiter un drapeau rouge devant un taureau. Et l’autrice s’en moque éperdument, puisqu’elle s’appelle Julie Bindel et que sa mission est de redonner droit de cité au sexe biologique féminin.

Prenez place au bord du ring alors que Bindel, l’un des noms les plus célèbres de la longue lutte pour les droits des femmes, s’en prend à la nouvelle orthodoxie omniprésente qui décrète que le terme « femme » peut désigner toute personne qui s’identifie comme telle, même si elle demeure en possession d’un pénis.

Les transactivistes (qu’elle qualifie de version queer de DAESH) sont passés, à ses yeux, de la revendication d’appeler « elles » les hommes trans-identifiés à l’exigence de les considérer réellement comme des femmes. Nous sommes maintenant enjointes de nous qualifier de « cis-femmes » et d’accepter que la féminité soit « fluide » ; quant aux lesbiennes, elles doivent maintenant coucher avec les transfemmes. 

Bindel décrit la « folie du genre » qui oblige les femmes à partager des espaces non mixtes – toilettes, vestiaires, clubs, refuges et prisons  – avec des transsexuelles ; et qui nie la réalité biologique des femmes en substituant les mots « chest feeding » à allaitement et « front hole » à vagin. Même le mot « femme » est en train d’être effacé au profit de néologismes comme « menstruatrice » et « porteuse d’utérus ».

Si des femmes résistent à ce programme, dit-elle, on les qualifie de « transphobes », on les intimide et on « annule » leur participation aux débats, ce qui explique bien sûr pourquoi la grande majorité d’entre nous, aussi mécontentes que nous soyons de l’expropriation de notre sexe, avons trop peur pour dire quoi que ce soit. Mais Bindel, déjà chassée des tribunes, dénoncée et agressée physiquement par des transactivistes, a passé sa vie à défier ce genre de tyrannie. Selon elle, le genre, auquel les féministes s’opposaient parce qu’il signifiait l’imposition de stéréotypes sexuels, est maintenant rendu aux femmes comme une identité individuelle immuable. Pourquoi avons-nous laissé les droits des transfemmes l’emporter sur ceux de tous les autres ? Pourquoi les jeunes femmes des universités et d’autres milieux devraient-elles être réduites au silence, et forcées d’accepter une forme de féminisme qui profite aux hommes et nuit gravement aux femmes ?

Le sport féminin est menacé ; l’organisme britannique Girlguiding autorise les garçons qui s’identifient comme filles à y adhérer sans que personne ne soit informé que ce sont des hommes de naissance. Cela vaut également pour les bénévoles adultes et inclut les camps de nuit. L’organisme Scottish Rape Crisis a ouvert son service à toutes les personnes s’identifiant comme transfemmes. Bindel précise de but en blanc qu’il pourrait s’agir « d’hommes aux organes génitaux tout à fait intacts qui décideraient simplement de s’intituler femmes à ce moment ». (Il est dommage que son livre ait été imprimé avant que l’on apprenne que l’association Edinburgh Rape Crisis a nommé une transfemme au poste de directrice générale, un poste pourtant annoncé comme réservé à une femme).

Dans certains cas, il n’y a rien d’autre à faire que d’en rire. La féministe américaine Mary Kate Fain a été réprimandée par un membre non binaire d’un groupe de défense des animaux pour avoir mentionné les mauvais traitements infligés aux vaches laitières femelles. Son accusateur a trouvé cela personnellement « blessant » : « vous n’avez pas le droit de dire que les produits laitiers proviennent de vaches femelles ou que les œufs proviennent de poules femelles, parce que nous ne connaissons pas leur identité sexuelle ».

Ensuite, il y a ce que l’on appelle le plafond de coton – une variante du syndrome du plafond de verre. Cette référence à la barrière des sous-vêtements féminins a été créée par un transactiviste américain (et acteur porno) pour décrire les difficultés rencontrées par les hommes biologiques qui s’identifient comme lesbiennes trans et découvrent que les lesbiennes n’aiment pas particulièrement les personnes porteuses d’un pénis.

Bindel suggère que la forte augmentation du nombre de jeunes femmes s’identifiant comme trans est l’affaire d’une contagion sociale, un peu comme les écoles voient déferler des vagues de déguisements gothiques, de piercings ou de tatouages. L’identité trans est donc une couverture pour d’autres enjeux psychologiques ; elle donne aux jeunes un sentiment d’appartenance.

Bindel est un peu une rock star du féminisme de la deuxième vague, cofondatrice de l’organisation Justice for Women, qui a aidé tant de femmes à se défendre contre des partenaires violents. En 1979, alors qu’elle était une lesbienne de 17 ans issue d’un milieu ouvrier du nord-est de l’Angleterre, elle s’est engagée dans la lutte pour libérer les femmes de la violence conjugale, de la prostitution, de la pornographie et des préjugés institutionnels inscrits dans la loi.

Son livre vise avant tout à nous rappeler cette bataille inachevée. Endurcie par cette époque, elle affirme que le patriarcat reste le problème, que les hommes oppriment toujours les femmes et que le travail du féminisme est loin d’être terminé. Le confinement a mis en lumière la quantité de femmes tuées par leur partenaire ou ex-partenaire (plus de 100 par an au Royaume-Uni) et a vu une augmentation de 50% des appels au Refuge, le service d’assistance téléphonique en matière de violences conjugales. Les meurtres commis par des « incels » – célibataires involontaires – sont une nouvelle forme de misogynie en ligne, comme en témoigne la fusillade survenue à Plymouth le mois dernier. La proportion de viols signalés à la police qui aboutissent à une inculpation n’a jamais été aussi faible (1,4%). La pornographie violente a envahi tous les aspects de notre vie, accessible aux plus jeunes enfants sur leurs téléphones portables.

Bindel est également consternée par l’effet « Cinquante nuances de Grey », une collection de livres qui a vendu aux femmes des violences sexuelles érotisées et qui a coïncidé avec une multiplication par dix de la défense de « sexe brutal », où des femmes meurent sous les coups et où les accusés, à ce jour uniquement masculins, prétendent que la victime a participé avec enthousiasme à son assassinat. Au cours des cinq dernières années, plus de la moitié des hommes qui ont utilisé cette défense ont été acquittés, bien que deux tiers des décès aient été causés par strangulation. Bindel fait remarquer de manière sinistre que la dernière addition à la constellation des LGBTQQIA+ est K pour « kink », et qu’une grande partie du kink – je suppose qu’il est préférable que nous sachions ces choses – est le BDSM (bondage, discipline, sadomasochisme).

Bindel ne fait pas de concessions. Elle persifle le féminisme contemporain, comme s’il devait simplement s’agir de « déterminer combien de femmes siègent au conseil d’administration des cent entreprises britanniques les mieux capitalisées cotées à la bourse de Londres, ou si une fille de sept ans qui veut être un garçon doit être envoyée à la clinique de réassignation sexuelle Tavistock ». Son livre révèle la ligne de faille qui scinde le féminisme entre les « critiques du genre » comme elle (appelées « TERFS » par leurs détracteurs, soit « féministes radicales excluantes des trans ») ; et les féministes plus jeunes du courant « égalité des genres », qui voient les transfemmes comme des femmes biologiques et considèrent la pornographie et la prostitution comme des moyens d’émancipation.

Elle se méfie du mouvement #MeToo, s’en prend à Elton John et à Tom Daley pour avoir été assez narcissiques pour recourir à une mère porteuse pour avoir des enfants. Elle assimile « l’industrie des mères porteuses » à un « bordel reproductif » pour femmes démunies – et s’en prend au comédien Eddie Izzard pour son adhésion à « la tradition pantomimique vénérée des stéréotypes de genre ».

Pour elle, c’est aussi une affaire profondément personnelle. Bindel se retrouve une fois de plus à se battre pour son droit d’être lesbienne. Dans les années 1970, on la traitait de perverse et on lui disait qu’elle devait être « débarrassée » de sa nature (par le viol). Aujourd’hui, la menace vient des « inspecteurs généraux qui se targuent de repérer les TERF, hommes et femmes, et qui m’adressent des injures et des menaces au nom des droits des transgenres ». Elle ajoute que « la pansexualité, la polyamorie, le genre fluide, le genre queer, le non-binaire… sont toutes présumées aujourd’hui être des identités valables, mais essayez de dire que vous avez choisi d’être lesbienne et regardez l’hostilité qui s’abattra sur vous ».

Feminism for Women n’est pas toujours de lecture facile. Son style est répétitif et polémique, en grande partie parce que Bindel est une puriste, aussi radicale et intransigeante qu’elle l’a toujours été. Mais c’est un livre important et courageux, qui défend les millions de femmes ordinaires qui sont réduites au silence par une infime minorité d’activistes. 

Et surtout, sa question clé est toujours aussi brûlante depuis cent ans : pourquoi les femmes, le sexe opprimé depuis toujours, devraient-elles faire passer toutes les causes avant la leur ?

Melanie Reid dans le Times de Londres

Feminism for Women : The Real Route to Liberation, de Julie Bindel, est publié par la maison Constable, 248pp ; £16.99

Version originale :

https://www.thetimes.co.uk/article/feminism-for-women-by-julie-bindel-review-dzzcpfc02

Traduction : TRADFEM, avec l’accord de l’autrice.

https://tradfem.wordpress.com/2021/09/08/presentation-de-louvrage-feminism-for-women-de-julie-bindel/


De l’autrice :

Branle Bas de combat autour d’OnlyFans, branle-bas-de-combat-autour-donlyfans/

Message aux hommes : le sexe n’est absolument pas un droit de l’homme, message-aux-hommes-le-sexe-nest-absolument-pas-un-droit-de-lhomme/

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Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

2 réflexions sur « Présentation de l’ouvrage « Feminism for Women » de Julie Bindel (en français) »

  1. Le transactivisme est un moyen de maintenir l’idéologie de genre ; si tu es un homme et que tu aimes te maquiller ou porter des jupes, alors tu dois être “une femme” et te conformer aux stéréotypes de genre “femme”; si tu es une femme et que tu aimes avoir les cheveux en brosse, la boxe et les blousons de motard, alors tu dois être “un homme” et te conformer aux stéréotypes afférents. C’est vraiment consternant que tant de gens se laissent prendre à cette arnaque transparente.

    1. C’est pire que ça puisque le transactivisme s’attaque surtout aux femmes, à leurs droits et vise à réduire au silence les féministes critiques de l’idéologie de genre. Le mot femme disparaît quand il s’agit des « femelles biologiques » et de leurs besoins spécifiques, par contre, des hommes se l’approprient et considèrent que le leur contester est leur faire offense. C’est une forme renouvelée du patriarcat et de la misogynie. Un véritable Backlash qui ressemble à un mouvement religieux rétablissant le délit de blasphème.

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