Liberté, émancipation, autonomie. Avoir le courage, prendre le risque d’imaginer, de penser, d’agir… (+ Non à Frontex : les femmes contre la surveillance des frontières européennes)

Bien qu’il soit un peu long, ne plie pas au code des médias, cet essai n’est pas réservé à des spécialistes. La réflexion critique, la délibération, la prise de distance, l’imagination concernent tout le monde. Avec Frontex, la question politique d’une Europe constituante revient au devant de la scène par la petite porte. Comme les réfugiés, les industries, les déchets, etc., le capitalisme expansionniste trouve ses limites, la guerre n’est plus externalisable. Elle revient en boomerang. Elle est partout. Dans un monde fini, il n’y a plus de dehors. L’expansion et l’externalisation ne sont plus possibles sans graves conséquences : un processus de destruction des humains, de la nature, de la planète est une réalité. La révolution – laquelle, où, quand ? Comment la nommer ? – est à la porte.
Ce qui est en jeu dans la participation de la Suisse à Frontex et dans les négociations en cours entre la Suisse et l’UE échappe encore à l’imagination, à la conscience politique brouillée par des mensonges. « C’est cher payé, mais Frontex nous protège », dit-on. « Schengen sécurise les affaires », pense-t-on. « Nous agissons pour vous, faites-nous confiance », déclare-t-on.
Il est possible de rester à la surface des choses, de subir l’utilitarisme brutal et les intérêts à courte vue. Le mensonge, la haine, le pillage, la violence à nos risques et périls. L’écho que rencontre une action de minoritaires courageux suffit à montrer que s’interroger sur Frontex implique, dans la suite de la votation suisse du 15 mai 2022, de reprendre l’initiative sur l’Europe en se gardant de l’utilitarisme du marché, de l’injonction à obéir, de la sûreté guerrière qui remplace la sécurité, la protection, en luttant pour une
hospitalité politique constituante pour l’Europe et la planète.
A première vue, l’illusion de l’efficacité du tout économique, autoritaire, sécuritaire, la force policière militarisée, la suspension de la loi et des droits du aveuglent font douter de l’Etat de droit quand, la frontière entre le légal et l’illégal s’efface et devient discours de légitimité, parle à notre impuissance, nos doutes, nos colères. Ces illusions et la brutalisation des sociétés européennes, la cruauté et la banalisation de la violence, tentent d’enterrer la curiosité pour le monde (par la peur), et la liberté. De figer le pouvoir d’agir, de penser.
Nous sommes mis au défi d’ouvrir les yeux et les oreilles. De ne plus dénier le sac- cage, la violence sans limites. De nous réapproprier une autonomie d’agir et de penser. D’entendre, écouter ce que disent autour de nous les travailleurs, les chômeurs, les précaires, les pauvres, les gilets jaunes, quand ils dénoncent leurs conditions de vie, les exilés en fuite, les solidaires, condamnés pour « délit de clandestinité » et « délit de solidarité », les femmes, les jeunes du climat, etc..

Il est certes important, en votant le 15 mai prochain, de se positionner par rapport à un objectif financier qui cache bien d’autres questions, au sujet de Frontex. Dans l’immédiat, voter c’est ne pas accepter que nos impôts servent à renforcer une Europe capitaliste et sécuritaire qui bascule dans la guerre en Europe, qui nous revient en boomerang (Rosa Luxemburg), qui s’inscrit dans la transformation de la guerre.
Voir plus loin, c’est ne plus accepter que l’ambiguïté utilitariste, soit la colonne vertébrale du capital, dans nos vies quotidiennes, le travail, la migration, la formation, etc. C’est refuser de consentir à la domination du chaos, ce qui est appelé « néo-libéralisme », qui en fait, est le capitalisme oligopolistique et l’apartheid (Monnier) de classe, sexiste, raciste.
C’est savoir que des lois, les pratiques sécuritaires instituées peuvent tomber dans de nouvelles mains !
C’est savoir que l’invention de l’hospitalité politique, à la base de l’asile, du droit d’asile, des droits, sont les piliers de la création démocratique d’une société ouverte. C’est reprendre l’initiative, lutter pour une Autre Europe constituante de l’hospitalité politique, de la liberté, de la vérité, de la justice toujours à construire, en exerçant, ce que j’ai appris à nommer en observant la fuite des exilé.e.s et mes colères, la
liberté politique de se mouvoir.
En Suisse, le système de démocratie semi-directe, les droits de référendum et d’initiative sont un acquis d’une longue praxis démocratique. La plupart des populations européennes et ailleurs sur la planète connaissent mal ces outils. La culture de débat, de la parole n’est pas sans problèmes, mais la tension entre consensus et conflit, haine et amour de la liberté, fermeture et ouverture dans une praxis démocratique dans un cadre de guerre, constituent l’axe de la dynamique créatrice de la vie politique. Agir, c’est ne pas ignorer les abymes sombres de l’histoire. Agir, c’est s’appuyer sur un héritage précieux de générations antérieures pour expérimenter la puissance d’agir.
Nous ne sommes pas les moutons d’un célèbre antidémocrate : Platon.

« On va voir comment Frontex est un des lieux où s’efface la distinction entre le légal et l’illégal qui met en cause l’Etat de droit et ses règles (limité pour les étrangers), les droits fondamentaux, permet la surexploitation dans les marchés chaotiques du travail, la brutalité et la torture des migrants ». Dans son avant-propos, Marie-Claire Caloz-Tschopp parle, entre autre, de Frontex, du légal et de l’illégal, des droits fondamentaux, de désobéissance civile, des camps, « alors que la matérialité et le sens des camps d’extermination du XXe siècle ne sont pas entrés dans la conscience collective », des armes nucléaires, d’hospitalité politique, d’Europe constituante, d’exil, de rapports sociaux de sexe… « Face aux reculs que révèle Schengen-Frontex-Dublin, nous avons besoin d’une Autre Europe constituante ancrée dans l’hospitalité politique. L’enjeu stratégique est double : refuser de financer une agence de police militarisée sans évaluation transparente, sans contrôle par des contre-pouvoirs – Frontex – qui est un des éléments de la propagation de nouvelles guerres de destruction; reprendre l’initiative pour, en réfléchissant à ce qui est dans l’ombre de Frontex – la guerre allant aux extrêmes – relancer une autre Europe avec une autre politique d’asile, de la migration, du travail, de la santé, de la formation, de la recherche, de la paix ».

Dans ce texte, Marie-Claire Caloz-Tschop poursuit son travail – philosophique et politique – sur l’exil et le desexil. Quelques éléments choisis subjectivement.
L’autrice aborde des éléments laissés dans l’ombre de Frontex, la société capitaliste du mensonge, l’effet boomerang, l’actualité de la révolution émancipatrice, « 
Trois mots-clés, structurent l’essai : Expansion. Résister . Vertige démocratique », les praxis démocratiques basées sur l’hospitalité politique et la solidarité, les demandes d’ukrainiennes et ukrainiens, les coûts des mesures de police contre la liberté de mouvement, les dérives expansionnistes de Frontex, le referendum en Suisse…

Elle analyse dans une première partie ce « Que recouvre l’expansion de Frontex », les violences et les incertitudes de la période, les droits conquis par la lutte et leur sauvegarde, les bombardements massifs de villes, la croissance du commerce (et de l’utilisation) des armes, les puissances de résistance, le désir de liberté politique, l’importance des mots, les croyances envers les vérités du pouvoir d’Etat, l’usage du mensonge en politique, la violation des droits fondamentaux des personnes, l’autonomisation progressive de Frontex et ses liens avec le complexe militaro-industriel-technologique, la dématérialisation des frontières, le modèle Schengen-Frontex, les milices privées, l’utilisation d’armes « biologiques, chimiques, nucléaires » et son déni…

Dans une seconde partie, « Résister à l’exterminisme », Marie-Claire Caloz-Tschop nous invite à relire Rosa Luxemburg, Hannah Arendt, Cornelius Castoriadis, revisiter l’histoire de longue durée et ses discontinuités, poser l’hospitalité comme une condition centrale pour une politique de paix. Elle discute, entre autres, de vérités et de mensonges en politique, des effets de la fermeture des frontières (production de maffias, de crimes et de trafics de tous genre), de la distinction national-étranger, de racisme d’Etat, d’apartheid, des liens entre mensonges en politiques et violences, « En clair, l’usage du mensonge en politique se base sur le connu, le vraisemblable, tandis que la recherche de la vérité, de la justice, cherche toujours à explorer la part d’inconnu, de nouveauté qui est liée à une caractéristique de l’action humaine qui est à chaque fois un nouveau commencement », de la possibilité de transformer le réel, « de prendre acte de la puissance de l’invention du nouveau », de l’ambiguïté du pouvoir, de l’effacement des frontières entre police et guerre, des transformations de la violence dans les politiques de la migration, de l’effet boomerang de l’impérialisme, « un rapport de pouvoir expansif, en boomerang explosif, destructif des hommes, de la civilisation, de la nature », de la certitude de la guerre et de la possibilité de la révolution, de la fin comme fiction, de la catastrophe, de la création incertaine « dans les conditions matérielles, politiques de l’histoire », d’imagination et de de conflit démocratique, d’autonomie et de responsabilité, de résistance…

La troisième partie est consacrée au « Vertige démocratique ». L’autrice parle de puissance d’action partagée, de création politique, de vertige démocratique, « Le vertige démocratique est un mouvement de la résistance de rupture, de la puissance affective, émotionnelle de la politique », d’autonomie, de risque démocratique anti-déterministe, d’auto-institution, de haine de la démocratie, de l’irréductible question de l'(in)égalité, de mortalité de masse, du mortel et du non savoir sur la mort, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, de crime de génocide er de pratique banalisée de disparition, d’anéantissement de groupes humains, d’extermination industrielle de masse, dépropriations, de rester vivant·e, de chaos et de cosmos, de démocratie et de son caractère minoritaire dans l’histoire du monde, des régressions dangereuses et palpables, d’accueil de réfugié·es, « Le vertige démocratique se joue aussi devant la possibilité d’une Europe constituante de l’hospitalité politique »…

Marie-Claire Caloz-Tschopp termine sur la difficile et passionnante démocratie. Et au désastre du monde, l’autrice oppose, le courage, « Avoir le courage, prendre le risque d’imaginer, de penser, d’agir… »

Marie-Claire Caloz-Tschopp : Frontex
Une société capitaliste du mensonge, l’effet boomerang et la révolution aujourd’hui. Relire Hannah Arendt, Rosa Luxemburg, Cornelius Castoriadis, Nicolas Busch, Laurent Monnier, Rada Ivekovic, Anne Amiel…
Genève 2022, 90 pages
https://desexil.com/wp-content/uploads/2022/05/A_ESSAI_28.4.22_V3.pdf
https://desexil.com/frontex/
Frontex


De l’autrice :

Réveiller une Suisse en sommeil et Une police politique ?
Une police politique ?
+ Jean Ziegler : Frontex, la honte de l’Europe
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2021/12/27/reveiller-une-suisse-en-sommeil-et-une-police-politique-plus-texte-et-petition-referendum/

Communiqué : Projet PRAXIS, MEMOIRE, ARCHIVES, Genève
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2021/07/19/communique-projet-praxis-memoire-archives-geneve/

Desexil. Praxis – Mémoire – Archives
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2020/12/29/desexil-praxis-memoire-archives/

La liberté politique de se mouvoir
Desexil et création : philosophie du droit de fuite
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2020/04/20/sortir-de-lembarras-et-degager-une-position-demancipation-insurrectionnelle/

Postface à Teresa Veloso Bermedo : Franchir le seuil de la douleur extrême
Une expérience de résistance à la torture, à la disparition exterminatrice dans la dictature chilienne (1973-1990)
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2018/07/24/elle-aura-un-livre-entre-ses-mains-qui-laidera-a-comprendre/

L’évidence de l’asile. Essai de philosophie dys-topique du mouvement
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2017/10/04/les-politiques-d-humains-superflus/


En complément possible :
CNCD 11.11.11 : Frontex : Droits humains en danger
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2021/10/29/la-politique-europeenne-et-frontex-violent-les-droits-des-etres-humains/

Nouveau mandat de l’agence Frontex : l’UE s’obstine dans sa guerre contre les migrants et les réfugiés
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2016/08/04/nouveau-mandat-de-lagence-frontex-lue-sobstine-dans-sa-guerre-contre-les-migrants-et-les-refugies/

Abolissez Frontex, mettez fin au régime frontalier de l’Union Européenne
Claire Rodier : Frontex, Plateforme européenne du business migratoire
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/06/12/abolissez-frontex-mettez-fin-au-regime-frontalier-de-lunion-europeenne-texte-de-claire-rodier/

Mettre fin aux politiques migratoires inhumaines de l’Europe forteresse 
https://entreleslignesentrelesmots.blog/2021/08/02/mettre-fin-aux-politiques-migratoires-inhumaines-de-leurope-forteresse/

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Non à Frontex : les femmes contre la surveillance des frontières européennes

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Le 15 mai, la population suisse votera pour décider d’augmenter ou non le financement de Frontex

Les problèmes auxquels sont confrontées les femmes migrantes commencent bien avant leur arrivée dans le pays où elles demandent l’asile. De nombreuses femmes perdent la vie en cours de route, et celles qui parviennent à atteindre les frontières sont empêchées d’entrer et souvent criminalisées. L’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, connue sous le nom de Frontex, est l’organisme chargé de surveiller les frontières de tous les pays membres de l’Union européenne (UE) et de l’accord de Schengen. Frontex est un organisme armé, qui a servi à empêcher l’entrée des migrants, et non à garantir la « sécurité » et à gérer les demandes d’asile, comme indiqué parmi ses objectifs.

Le 15 mai, la Suisse sera soumise à un vote populaire pour décider de sa participation et de son action en tant que pays membre de Frontex. L’agence a l’intention d’augmenter ses effectifs en demandant plus de budget aux nations membres. Pour comprendre la position des mouvements populaires et féministes dans ce vote, Capire s’est entretenu avec Sophie Malka, coordinatrice de l’association Vivre Ensemble, et Aude Martenot, militante de l’association Solidarité Tatte. Au cours de l’entretien, elles ont contesté les politiques migratoires de l’Union européenne, dénoncé les actions violentes de Frontex et les différences entre les politiques d’asile pour les personnes originaires des pays de l’UE et celles des pays du Sud global.

En Europe, les mouvements populaires et féministes dénoncent les politiques migratoires violentes, qui ne respectent pas les droits des personnes à demander et à recevoir l’asile. Avec un modèle raciste et patriarcal fondé sur la division entre le Nord et le Sud global, les frontières entretiennent la précarisation du travail et la violence à l’égard des personnes migrantes, en particulier les femmes, qui sont exploitées dans des emplois de soins et de services mal rémunérés et qui sont victimes de violences sexuelles.

Sur son site web, Frontex déclare que sa vision est de « protéger l’espace européen de liberté, de sécurité et de justice ». Quels sont les outils de cette prétendue « protection » ? Comment les féministes européennes ont-elles construit une vision critique ?

Aude : Frontex est actuellement une armée, une centaine de personnes sur le terrain qui gardent les frontières extérieures européennes et qui utilisent différents outils de contrôle des frontières. On constate sur le terrain que rien n’est fait pour protéger les personnes ou dénoncer quand il y a des abus, mais qu’au contraire ces abus sont passés sous silence. Tout ça fait partie de cette politique européenne d’asile qui vise à bloquer l’immigration illégale des personnes qui viennent. Sauf que   en tout cas, en ce qui concerne la Suisse – l’immigration légale n’est pas possible. Donc forcément le travail ne peut-être que d’empêcher les personnes d’arriver.

La Frontex est extrêmement dénoncée, surtout ces derniers temps, au point qu’au sein du Parlement européen il y a des réactions et, il y a eu quelques jours, la démission du directeur exécutif de Frontex a eu lieu. Cela montre bien que cette agence ne fonctionne pas. En plus, à titre personnel, j’estime que c’est une agence qui ne peut pas fonctionner, puisque dans le cadre d’une forteresse qui ne vise qu’à se protéger de l’arrivée des personnes, prétendre organiser ou protéger les personnes dans leur arrivée est impossible. Quel que soit le format utilisé par une armée sur le terrain pour bloquer, cela ne fera que conduire à des violences et à la mort.

Sophie : Dans les principes du droit international, toute personne a le droit de déposer une demande d’asile hors de son pays. Ce principe, qui est largement reconnu, est violé par Frontex, qui empêche les personnes de franchir les frontières.

« La mission de Frontex de « protéger les frontières » est problématique parce qu’elle agit contre la sécurité des personnes qui sont en danger. »

Il y a vraiment un problème au niveau de la mission de cette agence. Il n’y a aucun besoin de sécurité si la mission de Frontex était effectivement de lutter contre le trafic de stupéfiants et la traite des êtres humains. Mais on a le sentiment que l’action principale de Frontex c’est de faire la guerre aux personnes migrantes.

Comment on peut penser les liens et la responsabilité de Frontex par rapport à cette politique migratoire et la précarité du travail en Europe ? Par exemple, les sans-papiers qui sont actuellement en Europe dans le secteur du nettoyage, quel est le rôle de Frontex dans cette politique de précarité du travail ?

Aude : Quand on parle des personnes sans-papiers, on est plutôt dans les personnes qui viennent et qui ne demande pas d’asile. Qui s’insèrent toutes seules et sans papier sur le marché du travail, grâce à leurs réseaux et avec leurs moyens. Ce ne sont peut-être pas les mêmes personnes. Ce qui est sûr c’est que tout ça fait partie du mode de gestion général de l’Europe vis-à-vis de la migration.

La Suisse a une pratique qui est très claire de maintenir au maximum la précarité des personnes qui arrivent. Ça se voit avec Frontex pour l’asile et aussi avec la politique d’asile en Suisse, qui a une réforme récemment qui fonctionne avec des centres fédéraux, donc des concentrations de personnes pendant les premières semaines d’arrivée, pour les garder un maximum sous la main et déterminer qui peut être renvoyé au plus vite et qui peut ensuite rester dans le système et progressivement obtenir un statut.

« Le monde du travail, le monde patronal et le fonctionnement de la société se garantit un réserve de travailleuses qui peuvent être exploitées avec des salaires proches de l’esclavage. »

Cela est possible parce que les personnes n’ont pas les moyens d’accéder à une justice ou de demander un soutien, ou juste de connaître leurs droits et de les faire respecter. Ça s’inscrit dans une réflexion plus large sur cette précarisation des personnes migrantes qui permet de conserver ce système et de les exploiter largement de manière variable suivant les situations.

On a vu, avec tous les flux migratoires depuis l’Ukraine, quune politique migratoire plus solidaire, plus humaine est peut-être possible. Quel serait le changement dans la politique migratoire actuelle à la lumière de laccueil et de la solidarité envers les réfugiés ukrainiens ?

Sophie : Aude a parlé tout à l’heure des centres fédéraux. Les personnes sont, entre guillemets, pratiquement en semi-détention dans ces centres. Avec des horaires d’entrée et de sortie extrêmement stricts, avec des sanctions si elles ne rentrent pas à l’heure, avec des fouilles corporelles à chaque entrée et sortie de ces centres.

Les interdictions de travail dès l’entrée en Suisse et toutes ces mesures ont été vécues par les Ukrainiens. Cette nouvelle réalité jette un regard qui montre la brutalité et l’inhumanité de la pratique à l’égard des personnes réfugiées aujourd’hui, et les autorités suisses ont dû s’excuser. En s’appuyant finalement sur cette nouvelle application de dénonciation de la société civile, on devrait essayer d’imaginer une nouvelle politique d’accueil des personnes qui fuient les guerres, et sans discrimination.

Aude : Cette ouverture à la solidarité a aussi été imposée parce que la population suisse s’est beaucoup mobilisée pour cet accueil. Le Conseil fédéral n’a pas eu d’autre choix que d’adapter. Donc, effectivement, si un jour, en retour d’une politique plus dure, survient ce qu’on craint, il va falloir au maximum maintenir cette solidarité ou sein de la population. Il n’y a pas de différence entre les personnes qui fuient la guerre, la misère. C’est choquant et cela révèle d’un racisme profond, puisque les personnes qui viennent d’Ukraine sont quand-même blanches, souvent chrétiennes, donc bien plus proches de la population Suisse en termes d’origine. 

« Les autres, qui sont généralement noirs ou, en tout cas, racisés, et qui ont d’autres confessions, d’autres ethnies ou d’autres cultures, subissent un racisme qu’on voyait, qu’on dénonçait et dans certains milieux cette discrimination est devenue perceptible et évidente. Il n’y a pas d’autres explications possibles à ces deux niveaux de traitement. »

En régulant les frontières extérieures des pays membres, Frontex est également chargée de contrôler les flux migratoires de personnes vers ces pays. Après la crise migratoire de 2015, l’agence a retravaillé ses plans afin de pouvoir augmenter son corps opérationnel de garde-frontières et de garde-côtes d’ici 2027. Que signifie ce renforcement des contrôles aux frontières dans la vie des femmes migrantes ?

Sophie : Le renforcement des frontières s’agit d’empêcher les personnes de passer, même pour déposer une demande d’asile. On donne force à tous les réseaux de passeurs et on met ces femmes à la merci de trafiquants de personnes et dans des situations extrêmement violentes. Il y a un rapport entre le contrôle aux frontières et les violences que subissent les femmes dans ces parcours. Si elles pouvaient venir légalement, si elles pouvaient déposer une demande d’asile dans les ambassades comme cela pouvait exister, et que ces demandes étaient examinées avec bienveillance.

Aude : Dans le cadre de la pétition FeministAsylum on a l’a bien mis en avant car les gouvernements des différents pays doivent prendre en compte le motif d’asile et toutes les violences, tout ce qui a été construit autour du parcours migratoire, mais aussi les raisons des départs des femmes notamment.

Derrière le slogan « pour un monde sans frontières », quelles sont les propositions politiques de transformation ? Comment arriver au monde que nous voulons ?

Aude : Ça s’inscrit plus largement dans le monde dans lequel on vit, qui est capitaliste, qui vise avant tout le profit et qui n’a pas du tout intérêt à ce qu’on ouvre les frontières. D’ailleurs c’est le cas pour les capitaux, les marchandises et d’autres objets et des formes de déplacements transfrontaliers qui ne sont jamais entravés, au contraire, sont favorisés. On voit bien que ce n’est pas une question de problème, mais de qui et de quel avantage, qui dirige et qui choisit comment cela se passe. Si l’on prend la situation actuelle, sans rêver à une révolution pour les prochains jours, qu’est-ce qu’on pourrait faire avant ?

Au niveau Suisse, il y a un constat assez évident : c’est que toutes ces politiques autour de l’asile tellement complexe, avec tellement de formes et avec tellement de gens impliqués dedans, qu’il faut rémunérer, employer à différents niveaux. Il y a beaucoup de gens aussi du côté de la défense de l’asile, beaucoup d’associations qui doivent retrouver des fonds pour financer des projets, des avocats. Il y a vraiment beaucoup de ressources qui sont mises autour de cette politique d’asile et, à l’inverse, je pense que délivrer avant la crise autour de la guerre en Ukraine est particulière, mais avant on était peut-être à 20, 25 milles demandes d’asile par année, avec des fluctuations.

Délivrer systématiquement un permis qui permet de travailler et d’avoir des droits est vraiment beaucoup moins couteux pour la Suisse et ce serait un moyen simple d’arriver garantir les droits à tout le monde, tout simplement. Ce serait plus vite et demanderait moins d’efforts de que ce qui est fait aujourd’hui. Ce serait une manière qui ne permettrait pas de maintenir cette forme de précarisation que j’ai évoquée avant et qui ne permet pas de pouvoir limiter les droits et contrôler les personnes aussi bien. C’est un jeu politique qui, à mon avis, il faut changer plus vite.

Entrevue réalisée par Bianca Pessoa et Marianna Fernandes
Edité par Helena Zelic

https://capiremov.org/fr/entrevue/non-a-frontex-les-femmes-contre-la-surveillance-des-frontieres-europeennes/

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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