Contre l’appropriation capitalistique des moyens d’information

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Édito :
« 
La voracité de Vincent Bolloré pour étendre son empire a occulté les autres mouvements de concentration qui ont touché le paysage médiatique (et le monde de l’édition) ces derniers mois, à commencer par le projet (avorté) de fusion TF1-M6. Face à la gourmandise des milliardaires, le Sénat a mis en place une commission d’enquête entendant « mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France, et […] évaluer l’impact de cette concentration sur la démocratie ». Las, cinq mois plus tard, malgré de nombreuses auditions – dont celles d’Acrimed et des propriétaires de médias –, le rapport de la commission sénatoriale est resté bien trop timide.

Pourtant, la situation est préoccupante. D’un côté, des propriétaires qui ne se privent pas de peser sur la ligne éditoriale de leur média, notamment en période d’élections, et qui peuvent pour cela s’appuyer sur des chefferies à leur écoute. De l’autre, une financiarisation qui fait primer des logiques de rentabilité et de profitabilité, au lieu d’investir dans le reportage et l’enquête. S’il est donc nécessaire de « refonder la propriété des médias » et de donner plus de pouvoir aux rédactions, encore faut-il en discuter les modalités et les principes.

L’un des chantiers majeurs est sans conteste celui du financement. Le dépôt de bilan du Ravi, début septembre, rappelle qu’il est impératif de soutenir les médias indépendants, par exemple en réorientant les aides à la presse, qui bénéficient actuellement aux plus riches. Il est aussi nécessaire d’octroyer des moyens suffisants au service public de l’information. La suppression de la redevance, finalement promulguée cet été malgré une mobilisation en juin, n’est de ce point de vue pas une bonne nouvelle. Pire, elle fragilisera un peu plus un audiovisuel public déjà exsangue. C’est pourquoi la refondation de l’audiovisuel public reste un combat à poursuivre, et des États généraux pourraient constituer une première étape vers une réappropriation des médias.

En cahier central de ce numéro, nous glissons la désormais fameuse carte du paysage médiatique « Médias français : qui possède quoi ? », fruit d’un partenariat entre Acrimed et Le Monde diplomatique depuis 2016. Il s’agit de la dix-septième version, éditée en décembre 2021… en attendant la prochaine : dans le monde des grands médias, les transactions, rachats et autres OPA ne connaissent pas de trêve. »

La revue revient sur trente années d’accointances politiques, médiatiques et économiques : Quand les propriétaires de média pèsent sur les élections. Les auteurs et autrices discutent, entre autres, du danger structurel représenté par « l’emprise des capitalistes sur l’information », des « histoires d’amour économico-politico-médiatiques », de la pression routinière du pouvoir de l’argent, du « papivore » Robert Hersant, du couple « Balladur/Bouygues » et des programmes se muant « en bulletin de campagne en service commandé pour un candidat », de Nicolas Sarkosy et de ses amis « aux commandes des deux plus gros empires médiatiques », d’Emmanuel Macron comme « chouchou » des médias, des unes tapageuses et de l’occupation de l’espace, de la coproduction d’événements, des dangers de l’appropriation des médias par des groupes industriels qui vivent des commandes publiques…

Un article traite des aides à la presse et leur accaparement par un petit clan de milliardaires. Un assistanat aux plus fortunés. « Une refonte du système d’aides à la presse, comme du système de distribution de la presse est plus que jamais nécessaire »…

Rédactions et dépossession du choix de leur une. « Entre avril et juillet, des Unes de MarianneChallenges et Paris Match ont été imposées par les directions, davantage préoccupées par les desiratas du propriétaire que par l’avis des journalistes ». Une ingérence des directions des empires industriels dans des choix éditoriaux. Les droits exorbitants des actionnaires et des propriétaires…

Un article est consacré au groupe de presse professionnelle Infopro Digital, l’utilisation des bénéfices générés pour financer le rachat de l’entreprise, la financiarisation et la précarité des journalistes, l’assistanat aux entreprises par les exonérations et déductions de cotisations sociales…

Le mécénat, le ballet « de philanthropes médiatiques » au sénat, Vincent Bolloré, Bernard Arnault, Xavier Niel et les autres, la différence entre pluralité et pluralisme…

Au centre du numéro, un graphique « Médias Français, qui possède quoi ? » élaboré par Le Monde Diplomatique et Acrimed. Une géographie du contrôle…

J’ai notamment été intéressé par le compte-rendu de l’audition d’Acrimed au Sénat sur la concentration des médias. Trois points : état des lieux de la concentration des médias, les problèmes que cela cache, quelles propositions peut-on faire compte tenu de ces constats. Je souligne, entre autres, le doute sur l’efficacité de la loi sur les concentrations, la diversité de ces concentrations (horizontales, transversales, verticales) ou dit autrement « la matière première et les tuyaux, les contenus et les contenants », le terme oligopole, la proposition « interdire à des groupes qui vivent de commandes de l’Etat ou des collectivités de posséder des médias », l’interchangeabilité des chaines télévisuelles, les moyens nécessaires pour un service public de l’information, le contrôle par un organisme indépendant…

Les auteurs et autrices poursuivent par une lecture critique du livre de Julia Cagé et Benoît Huet : L’information est un bien public (Seuil 2021). Iels discutent des formes juridiques, de financement, de pouvoir, des associations et des organismes à but non lucratif, de la différence entre renoncer aux dividendes et renoncer au pouvoir, de réglementation, d’indépendance des médias et de protection « du pouvoir de celui qui apporte les fonds », d’aides à la presse et de leur réorientation vers « les médias à but non lucratif et indépendants », de loi de démocratisation de l’information, de statut juridique des rédactions, de communication de l’identité des actionnaires, des limites du traitement « de la propriété privée commerciale des médias », des angles morts du livre…

La revue revient sur la suppression de la redevance, des grèves, d’indépendance des logiques commerciales, du service public, du manque de pluralité, de démagogie fiscale…

Le numéro se termine par un appel à des Etats généraux de l’audiovisuel public, « Pour la refondation de l’audiovisuel public ! ». Les auteurs et autrices soulignent que « le service public doit reposer sur un secteur public libéré des contraintes commerciales et de sa mise sous tutelle politique ; et sur un secteur associatif indépendant ». Une question politique et une question de financement. « La critique radicale des médias est indissociable de la lutte actuelle en ce qu’elle nous renvoie aux transformations matérielles indispensables à la production d’une information indépendante et de qualité »

Une nouvelle fois, l’œil et l’oreille de la critique sur des médias dominants. Nécessaire.
Sur les précédents numéros : mediacritiques/

Médiacritique(s) N°44 – Oct. -Déc. 2022
Dossier : législatives : Concentration et financiarisation des médias
Le magazine trimestriel de l’association Acrimed
42 pages, 4 euros
Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

2 réflexions sur « Contre l’appropriation capitalistique des moyens d’information »

  1. Soutien aux journalistes du JDD !
    En grève depuis quatre semaines, les journalistes du JDD ont plus que jamais besoin de votre soutien, contre la nomination à la tête du titre de Geoffroy Lejeune, ancien directeur de la rédaction de l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles. Soutenez-les en contribuant à la cagnotte montée par le SNJ-CGT pour les aider à défendre l’intégrité de leur titre.
    La section CGT de Mediapart soutient les confrères et consoeurs du JDD, engagées dans une grève historique pour préserver l’intégrité de leur titre et pour protester contre l’arrivée de Geoffroy Lejeune, ancien directeur de la rédaction de l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles, aux manettes de leur journal.
    Nous relayons ici le lien vers la cagnotte du SNJ-CGT qui leur sera reversée.
    https://www.helloasso.com/associations/syndicat-national-des-journalistes-cgt/formulaires/3
    Plus de 30 sociétés de journalistes, dont celle de Mediapart, ont également apporté leur soutien aux salariés du « JDD » au nom de l’indépendance de la presse, en demandant aux propriétaires du JDD de renoncer à toute volonté de passage en force pour imposer cette nomination.
    Nombre d’observateurs voient dans l’arrivée de M. Lejeune à la tête du journal la main du milliardaire Vincent Bolloré, aux opinions réputées ultra-conservatrices. Ce dernier pilote le groupe Vivendi, mastodonte des médias en France, qui compte dans son giron le groupe Canal+ et ses chaînes C8. La nomination de Geoffroy Lejeune est survenue juste après le feu vert donné sous conditions par la Commission européenne à Vivendi pour absorber Lagardère (groupe auquel appartient également Paris Match, Europe 1 et le leader de l’édition, Hachette).
    Salarié·es de Mediapart syndiqué·es à la CGT, nous soutenons avec force la grève au JDD !
    https://blogs.mediapart.fr/section-syndicale-cgt-de-mediapart/blog/170723/soutien-aux-journalistes-du-jdd
    ********
    « Le JDD ne peut devenir un journal au service des idées d’extrême droite, dénoncent 400 personnalités »

    Les salariés et des figures du monde politique, économique, social, culturel, associatif ou sportif, parmi lesquelles Elisabeth Badinter, JoeyStarr et Lionel Jospin, se mobilisent contre la nomination de Geoffroy Lejeune à la tête de l’hebdomadaire.
    Sidérés et inquiets qu’un appui revendiqué d’Eric Zemmour prenne la direction du Journal du dimanche (JDD), nous soutenons la rédaction de ce dernier dans son combat. Depuis le jeudi 22 juin et l’information du journal Le Monde confirmée le lendemain par la direction du groupe Lagardère, les équipes du JDD sont en grève pour protester contre la nomination de Geoffroy Lejeune, qui dirigeait jusqu’à très récemment l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles, condamné sous sa direction pour Injures publiques à caractère raciste.
    Acteurs du monde politique, économique, social, culturel, associatif ou sportif, nous ne pouvons nous résoudre à voir ce rendez-vous dominical de référence véhiculer des opinions contraires aux valeurs républicaines qu’il porte depuis soixante-quinze ans. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, qu’on le lise ou qu’on ne le lise pas, le JDD, avec ses qualités et ses défauts, est toujours resté attaché à la diversité des opinions. Il ne peut devenir un journal au service des idées d’extrême droite.
    Brutalité
    Deux semaines après le feu vert sous conditions de la Commission européenne pour l’offre publique d’achat de Vivendi sur Lagardère, qui s’inscrit dans un mouvement plus vaste de concentration des médias, cette décision radicale laisse augurer une transformation à marche forcée dont l’homme d’affaires Vincent Bolloré est coutumier. Une brutalité dont ont déjà été victimes les rédactions de Canal+, d’i-Télé (devenue CNews), d’Europe 1 et de Prisma Presse.
    Remettre en question l’indépendance éditoriale d’un journal quel qu’il soit est une atteinte à l’équilibre démocratique, dont l’un des socles est la liberté de la presse. Inquiets pour les salariés, nous le sommes également pour la pérennité du titre, cette arrivée contestée d’un nouveau directeur de la rédaction étant de nature à repousser lecteurs et annonceurs.
    Pour la première fois en France depuis la Libération, un grand média national sera dirigé par une personnalité d’extrême droite. Un dangereux précédent qui nous concerne tous.
    Premiers signataires : Mathieu Amalric, réalisateur et comédien ; Juliette Armanet, musicienne ; Martine Aubry, maire de Lille ; Elisabeth Badinter, philosophe ; Pénélope Bagieu, autrice de BD ; Thomas Bangalter, musicien ; Patrick Baudouin, président de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Laurent Berger, ancien secrétaire général de la CFDT ; Frank Berton, avocat ; Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT ; Laure Calamy, actrice ; Yves Camdeborde, chef cuisinier ; Bernard Cazeneuve, ancien premier ministre ; Benoît Delépine,réalisateur ; Jean-François Delfraissy, professeur de médecine ; Alain Dinin, PDG de Nexity ; Grégory Doucet (EELV), maire de Lyon ; Jean-Marc Dumontet, directeur de théâtres ; Marc Ferracci, député Renaissance ; Olivier Faure, premier secrétaire du PS ; Antoine Gallimard, éditeur ; Louis Gallois, ancien PDG d’Airbus, de la SNCF ; Nicole Garcia, réalisatrice et actrice ; Guillaume Hannezo, banquier d’investissement ; Serge Haroche, prix Nobel de physique ; Michel Hazanavicius, réalisateur ; Anne Hidalgo (PS), maire de Paris ; Martin Hirsch, président de l’Institut de l’engagement ; JoeyStarr, rappeur, producteur et comédien ; Lionel Jospin, ancien premier ministre ; Kamel Kabtane, recteur de la mosquée de Lyon ; Sandrine Kiberlain, actrice ; Cédric Klapisch, réalisateur ; Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT ; Pierre Lescure, journaliste ; Maïwenn, réalisatrice et comédienne ; Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue ; Nicolas Mathieu, écrivain ; Denis Ménochet, comédien ; YannickNoah, ancien tennisman, chanteur ; Jean Nouvel, architecte ; Benoît Payan, maire de Marseille ; Bernard Pivot, écrivain ; Thomas Piketty, économiste ; Muriel Robin, comédienne ; Fabien Roussel, député et secrétaire national du Parti communiste français ; François Ruffin, député Picardie Debout ; Anne Sinclair, journaliste ; Leïla Slimani,écrivaine ; Benjamin Stora, historien ; Christiane Taubira, ancienne garde des sceaux ; FredVargas, écrivaine.
    Lire la liste complète de signataires sur Le Monde
    27 juin 2023 – Tribune collective publiée dans Le Monde
    https://www.ldh-france.org/27-juin-2023-tribune-collective-le-jdd-ne-peut-devenir-un-journal-au-service-des-idees-dextreme-droite-denoncent-400-personnalites-publiee-dans-le-monde/

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