Tu me rendais muette

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De courts chapitres, une histoire dessinée aussi par des descriptions de photographies, les années cinquante en France, le racisme « ordinaire », la misogynie, une femme et un homme, la dégradation d’un couple, les asymétries recomposées, le poids des contraintes sociales intériorisées et les espérances…

Cholon. Un mariage comme affront et déshonneur pour les familles. Myriam Dao fixe rapidement le « volet exotique de la première partie de leur existence ». L’histoire d’un couple, le défi des préjugés, la difficulté de s’insérer en métropole.

La grossesse, une naissance, deux jeunes gens « non encore abimés par une vie de famille non désirée », les regards et la hiérarchie sociale, l’attachement à l’enfant (l’espoir d’être une « bonne mère »), la confiance mutuelle absente, le regard des homme sur le corps de la femme, « elle se sentait comme le poisson échappé du bocal », lui en « marge de la société française ».

L’autrice mêle étroitement les ressentis de l’un et de l’autre. Le tourbillon du rêve de la réussite sociale, l’assimilation et la perte d’identité, « dissolution de sa personnalité », le racisme et les « indigènes », la perte d’attrait pour celui devenu l’époux, « le père de sa fille. Un homme invisible », la guerre entre les deux pays.

Les emplois sous-qualifiés, « Se retrouver larbin dans des usines qui avaient exploité sa terre natale », la cohabitation forcée, la fillette, les mots, « Le masque que Zao se forçait à porter s’était envolé. Il était trop fragile, comme une feuille dans la brise », la construction de la haine de soi, la mécanique de la mise à distance du monde blanc.

Le foyer, l’idée de travailler, des lettres entre époux-épouse, les grands rêves et les réalités, l’espérance du respect par la plume, les éclats de voix et les gestes violents, une nouvelle grossesse, le rejet de l’autre corps, « tu ne me fais plus d’effet au lit. Rien. Je ne ressens plus rien, ta peau me dégoute », les apparences, « ils s’étaient retranchés, chacun dans son camp », les commandements masculins.

Myriam Dao, par les formes choisies, par l’architecture des paragraphes et des pages, par le choix des mots, souligne les ressentis de la femme et de l’homme, la domination masculine, le corps sur lequel « il tentait d’écrire sa vie », et pour elle « fuir la fatalité, réinventer sa vie », l’homme de lettres, un autre jour, la trêve fut de courte durée, « Il se sentait comme un pion sur un échiquier, ne maîtrisait plus le cours de sa vie ».

Emancipation, pilule, Ton corps t’appartient. Le Planning familial, mais une certaine acceptation de « la servitude imposée », la société et la femme au foyer, « Ses espoirs d’une autre vie, ce souhait viscéral de tout quitter, elle devait y renoncer, s’en détacher ».
Les lieux historiques d’exhibition d’êtres humains, l’autre personne lui prodiguant des regards aimants, les rêves en français, le verbe 
phagocyter, le temps écoulé, les mots sur le réfrigérateur, le travail domestique et la femme qui l’assure invisibles et à l’homme et aux filles, la vie pour les autres ou la vie à travers les autres.

La banalité du tragique.

« … me sentir piétinée par un homme qui se plaignait lui-même d’être considéré comme « citoyen de seconde zone », et luttait pour avoir les mêmes droits que les autres »

Myriam Dao : Zao, un mari
des femmes Antoinette Fouque, Paris 2023, 144 pages, 13 euros
https://www.desfemmes.fr/litterature/zao-un-mari/

Didier Epsztajn

Auteur : entreleslignesentrelesmots

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