Tremblement de terre Turquie-Syrie (quelques textes)

  • Elif Shafak : Un tremblement de terre qui révèle aussi le séisme propre à la corruption, à la course aux profits et à un régime autocrate
  • Scott Lucas : Tremblement de terre Turquie-Syrie. « Le régime d’Assad tente de tirer avantage de la catastrophe »
  • Message de solidarité de la MMF aux personnes touchées par le tremblement de terre en Turquie, Syrie, Égypte et Liban
  • Ragıp Duran : Scène de vie infernale dans la Turquie du poste séisme : scandales, catastrophes, chaos
  • Commune Internationaliste du Rojava : Bonjour, nous vous écrivons depuis la Syrie…
  • ACORT : Séisme en Turquie et en Syrie. Ce ne sont pas seulement les tremblements de terre qui tuent mais l’inaction politique !

Un tremblement de terre qui révèle aussi le séisme propre à la corruption, à la course aux profits et à un régime autocrate

C’est en pleine nuit qu’un tremblement de terre d’une magnitude de 7,8 a frappé le sud-est de la Turquie et le nord de la Syrie. Son épicentre se trouvait près de Gaziantep, « Ville gastronomique créative » nommée par l’Unesco, célèbre pour sa cuisine variée et ses pâtisseries sucrées à la pistache. Elle abrite le plus grand musée de la mosaïque au monde, avec une collection fascinante provenant de l’ancienne cité antique de Zeugma, située sur l’Euphrate. La secousse était si puissante qu’elle a été captée par les sismographes du monde entier. A la fin du tremblement de terre, des immeubles entiers avaient été rasés, des routes éventrées et des milliers de personnes piégées sous des amas de béton.

Neuf heures plus tard, un deuxième séisme puissant a frappé la même région, son épicentre étant situé près de la ville de Kahramanmaras. D’une magnitude de 7,5, il a été presque aussi traumatisant que le premier. Dans des conditions hivernales glaciales, les gens se sont retrouvés sans abri et sans défense, sans nourriture et sans eau. Même ceux qui ont été tirés, aux premières heures de la tragédie, de sous les décombres se sont affrontés au danger de mourir de froid. Il s’agissait d’une catastrophe dite naturelle de grande ampleur. Mais ce qui l’a rendue si meurtrière et la souffrance si immense n’était pas la nature elle-même. Il s’agissait de systèmes d’inégalité et de corruption construits par l’homme.

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J’étais à Istanbul le 17 août 1999 lorsque le tremblement de terre d’Izmit, d’une magnitude de 7,6, a frappé. Je n’oublierai jamais que je me suis réveillée et que j’ai découvert que le bâtiment entier se balançait comme un radeau dans une tempête ; un bruit assourdissant s’élevait du sol alors que les murs bougeaient et s’effondraient progressivement. Quelque 18 000 personnes sont mortes cette nuit-là [des estimations, encore partielles, du nombre de victimes s’élevaient le 11 février à 26 000 – réd.].

Par la suite, alors que nous ramassions les décombres physiques et émotionnels, de grandes promesses ont été faites à la population. Les autorités ont prononcé des discours enflammés sur le fait que les règles de construction seraient dorénavant plus strictes. Il est vrai que les réglementations ont été renforcées, mais tout cela n’est resté que sur le papier, sans jamais être pleinement appliqué. Ce n’était que des paroles en l’air. Les fissures ont été masquées, les fentes recouvertes de « maquillage » et les bâtiments endommagés remis en fonction. Ceux qui critiquaient étaient traités de « traîtres ».

La triste vérité est qu’un nombre alarmant de bâtiments dans mon pays natal ne sont pas conformes aux normes. Des pâtés de maisons entiers ont été détruits dans ce tremblement de terre; pour plus de profit et de gain, de privilèges personnels et de népotisme, des vies ont été sacrifiées. Le gouvernement va probablement rejeter la faute sur les entrepreneurs individuels. Beaucoup sont directement responsables de la calamité, mais les autorités ne peuvent pas se défausser aussi facilement. Des autorisations officielles ont été accordées là où elles n’auraient jamais dû l’être. Ce ne sont pas seulement les immeubles résidentiels qui se sont effondrés dans ce que les experts appellent « l’effondrement en crêpe », mais aussi les bâtiments municipaux, y compris les hôpitaux qui avaient été ouverts en grande pompe.

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La Turquie compte un nombre étonnant de scientifiques et d’ingénieurs. Nombre d’entre eux ont supplié les responsables de prêter attention au danger imminent, mais leurs voix n’ont jamais été entendues par les dirigeants. Bien au contraire, ils ont été accusés de «susciter la peur».

Le parti au pouvoir, le Parti de la justice et du développement (AKP), accordait périodiquement des « permissions de construction » aux bâtiments qui défiaient de manière flagrante les règles parasismiques. Jusqu’à 75 000 bâtiments ont bénéficié de telles permissions dans la seule zone sismique, selon Pelin Pinar Giritlioglu, responsable à Istanbul de l’Union des chambres des ingénieurs et architectes turcs. Le géologue Celâl Sengör affirme à juste titre que l’octroi de telles permissions générales dans un pays qui est déchiré par des lignes de faille n’est rien d’autre qu’un crime. Il est douloureusement ironique que le gouvernement ait été sur le point d’adopter une nouvelle dérogation générale quelques jours seulement avant la catastrophe. Ils n’ont jamais appris des souffrances et des erreurs du passé. Ils ne se sont jamais débarrassés de leur orgueil démesuré. La cupidité et le clientélisme [deux traits exacerbés par la logique imparable de la rente foncière urbaine qui assure une accumulation rapide de capital financier – réd.] ont constitué les orientations directrices de ceux qui dominent.

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Après le tremblement de terre de 1999, l’Etat a imposé une taxe dont le produit était censé être utilisé pour la prochaine catastrophe. Mais lorsqu’il a été interrogé sur cet argent en 2020, le président Recep Tayyip Erdogan s’est énervé à l’idée qu’il doive expliquer comment il avait été dépensé : « Nous avons dépensé les [fonds] pour ce qui était nécessaire », a-t-il déclaré aux journalistes. Il n’y a pas de transparence, seulement une censure et une suppression systématiques de l’information.

Il existe une corrélation entre le manque de démocratie dans un pays et le niveau de destruction laissé dans le sillage des catastrophes naturelles. Dans une démocratie qui fonctionne, les personnes au pouvoir peuvent devoir rendre des comptes, un système de freins et de contrepoids permet de contrôler les dépenses et la population est informée de chaque étape. En l’absence de démocratie, les souffrances humaines sont inévitables.

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L’Etat n’a pas non plus réussi à mener des opérations de sauvetage d’urgence rapides et systématiques. Dans de nombreuses parties de la zone sinistrée, les gens ont été livrés à eux-mêmes, essayant de sauver leurs proches à mains nues, creusant dans les décombres avec ce qu’ils pouvaient réunir. Certains ont pu entendre des voix sous les ruines et ont ressenti l’immense douleur et le traumatisme de ne pas pouvoir aider leurs familles et leurs amis. Un père est resté assis pendant des heures à tenir la main de sa fille morte, dont seul le bras était visible à travers le béton. Pendant des heures incroyablement longues, aucune aide officielle n’est arrivée dans des villes comme Hatay [limitrophe de la Syrie]. Les personnes piégées sous des bâtiments détruits ont envoyé des tweets indiquant leur emplacement, suppliant qu’on les aide. Il est stupéfiant que l’accès à Twitter ait été bloqué par le gouvernement le lendemain [suite à des critiques contre Erdogan], à un moment où chaque minute était cruciale pour sauver des vies.

Il y a tant de colère, tant de chagrin. Que nous soyons en Turquie ou à travers la diaspora, nous oscillons entre le chagrin et la rage. Une minute, nous pleurons de façon incontrôlable, une autre minute nous brûlons d’indignation, consumés par un sentiment de détresse. Le tremblement de terre a brisé quelque chose dans la psyché collective.

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Pendant ce temps, Erdogan fait ce qu’il fait toujours : il attaque ses détracteurs et fait taire leurs voix. Au nom de l’« unité nationale », on attend de nous que nous soyons calmes et dociles, que nous fermions nos gueules et que nous soyons reconnaissants. Erdogan reconnaît qu’il y a eu des « lacunes » dans la réponse du gouvernement, mais il pointe du doigt la météo, ajoutant qu’il n’était pas possible de se préparer à une catastrophe de cette ampleur, ce qui n’est tout simplement pas vrai. Un tremblement de terre de cette magnitude aurait laissé d’immenses dégâts partout dans le monde, mais pas à une échelle aussi horrible si les bâtiments avaient été construits conformément aux normes et si les secours étaient correctement coordonnés.

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Il est révélateur que de nombreuses personnes en Turquie ne fassent pas confiance au gouvernement et à ses institutions partisanes et politisées. Les organisations les plus fiables pour les opérations de sauvetage ont été les initiatives de la société civile, telles que l’association de recherche et de sauvetage AKUT et, en particulier, AHBAP, une ONG qui est devenue une lueur d’espoir pour d’innombrables personnes.

Il y a eu des rayons de lumière au milieu des ténèbres. Les Turcs n’oublieront jamais les équipes de secours qui se sont précipitées du monde entier pour sauver des vies. Du Mexique à l’Espagne, en passant par le Royaume-Uni, la Hongrie, Israël, l’Arménie et même l’Ukraine déchirée par la guerre. La Grèce a été l’un des premiers pays à envoyer de l’aide. Les chaînes de télévision grecques ont commencé leurs bulletins d’information par une chanson très appréciée des deux côtés de la mer Egée. Je ne connais personne qui ait pu la regarder sans fondre en larmes. Sur une paire de gants envoyée de Grèce avec du matériel vital, il y avait une note manuscrite en grec et en turc : « Puissiez-vous vous rétablir bientôt, komsu /voisin. »

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Il est également important de noter que la situation désastreuse en Syrie n’a pas reçu suffisamment d’attention dans les médias mondiaux. Dans de nombreuses régions, l’accès reste limité. Ce sont des régions qui accueillent de nombreux réfugié·e·s, des régions qui ont déjà souffert de la pauvreté, des conflits et de la guerre. La Turquie et la Syrie ont toutes deux besoin d’une aide urgente. Gardons également à l’esprit qu’en cas de catastrophe, les femmes et les enfants sont touchés de manière disproportionnée. Nous devons créer des espaces sûrs pour eux, et en particulier pour les enfants qui ont perdu leurs parents. A l’heure où j’écris ces lignes, le nombre de morts s’élève à plus de 19 000 et l’horrible vérité est que le chiffre réel sera bien plus élevé.

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Il y a eu des miracles, aussi. Les beaux enfants aux yeux écarquillés sortis de sous les décombres, l’homme qui, après avoir été sauvé, a serré dans ses bras chacun de ses sauveteurs, le bébé né sous les ruines dans une zone kurde, son cordon ombilical toujours attaché à sa mère décédée. Il y a eu des moments incroyables de résilience.

Dans Sa Majesté des mouches (Lord of th Flies – 1956), l’écrivain William Golding a souligné que les êtres humains sont sauvages et égoïstes par nature, et en temps de calamité, cela devient encore plus apparent. Mais la réponse à ce terrible tremblement de terre a été tout le contraire – une immense vague de solidarité et d’empathie dans la région et au-delà. Les êtres humains ont agi davantage dans le sens du livre de l’historien néerlandais Rutger Bregman, Humankind (Humanité. Une histoire optimiste, Seuil, 2020) se montrant tout à fait capables de bonté et d’altruisme.

Et pourtant, le tremblement de terre et ses douloureuses conséquences ont également donné raison à Golding. Sa description de la nature humaine égocentrique et égoïste correspond parfaitement à l’état de la politique et à ceux qui sont au pouvoir dans ma patrie: la Turquie.

Elif Shafak
Elif Shafak est une romancière turque, ayant reçu notamment le Prix des écrivains turcs en 2002. Il vit à Londres. Son roman La Bâtarde d’Istanbul (Ed. Phébus, 2007) traite – au travers de l’histoire de deux familles, l’une turque, l’autre arménienne – du génocide arménien, ce qui lui vaut d’être poursuivie en justice en vertu de l’article 301 du Code pénal turc : « Humiliation de l’identité turque ». – Réd.
Article publié dans le Financial Times, le 10 février 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre)
http://alencontre.org/moyenorient/syrie/turquie-syrie-un-tremblement-de-terre-qui-revele-aussi-le-seisme-propre-a-la-corruption-a-la-course-aux-profits-et-a-un-regime-autocrate.html

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Tremblement de terre Turquie-Syrie.
« Le régime d’Assad tente de tirer avantage de la catastrophe »

Il n’a pas fallu longtemps au régime syrien de Bachar al-Assad pour tenter de tirer un avantage politique et économique de la catastrophe provoquée par un tremblement de terre. Alors que des équipes d’urgence venaient en aide aux victimes du séisme d’une magnitude de 7,8 le 6 février, des organisations liées au régime d’Assad ont demandé à l’ensemble des gouvernements de « mettre immédiatement fin au blocus et aux sanctions économiques coercitives unilatérales imposées à la Syrie et à son peuple depuis 12 ans ».

Les partisans de longue date de l’orientation de Bachar al-Assad ont été tout aussi prompts à réagir. Rania Khalek, commentatrice sur des médias pro-Assad et aussi liés à l’Etat russe, a tweeté : « La Syrie doit faire face à cette horrible catastrophe alors qu’elle est soumise à des sanctions états-uniennes qui ont ruiné son secteur médical et sa capacité à réagir, ces sanctions sont criminelles. » [Voir sur la situation antérieure au 6 janvier à Damas l’article de Hala Kodmani mis en ligne sur alencontre le 3 février.]

Pendant ce temps, le régime a menacé de bloquer toute assistance aux zones du nord-ouest de la Syrie tenues par l’opposition. Son ambassadeur auprès des Nations unies, Bassam Sabbagh, a insisté sur le fait que Damas doit contrôler toutes les fournitures et prestations en Syrie.

Le coordinateur résident de l’ONU pour la Syrie, El-Mostafa Benlamlih, a lancé un appel : « Mettez la politique de côté et laissez-nous faire notre travail humanitaire. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre et de négocier. Le temps que nous négociions, c’est foutu, c’est achevé. »

La manipulation des sanctions par Assad

Les sanctions sur la répression meurtrière du régime depuis 12 ans contre ses citoyens et citoyennes datent du 29 avril 2011 [en fait, les « forces de l’ordre » répriment massivement depuis le 15 mars à Damas – réd.], six semaines après que les autorités ont détenu et maltraité des adolescents ayant fait des graffitis à Daraa, dans le sud de la Syrie, ce qui a stimulé le soulèvement populaire. Le président des Etats-Unis de l’époque, Barack Obama, a ordonné le gel des biens des personnes impliquées dans les violations des droits de l’homme.

L’Union européenne  UE) et le Canada lui ont emboîté le pas en mai, en interdisant les déplacements et en gelant les avoirs de certains individus, ainsi qu’en interdisant l’exportation en Syrie de biens et de technologies susceptibles d’être utilisés par les forces armées du régime. En août 2011, Washington a étendu les sanctions au secteur pétrolier et a interdit toute exportation de biens des Etats-Unis vers la Syrie.

Les Etats-Unis ont inscrit sur une liste noire des personnalités du régime liées au programme d’armes chimiques d’Assad, après des attaques au sarin et au chlore qui ont tué ou blessé des milliers de civils [1]. En 2019, Washington a durci les mesures avec la loi Caesar [son appellation renvoie au nom du fonctionnaire qui a sorti les photographies des suppliciés] sur la protection des civils en Syrie. Poussée par les photographies de 6785 détenus, pour la plupart torturés à mort dans les prisons du régime, cette loi visait les industries liées aux infrastructures, à la maintenance militaire et à la production d’énergie.

Mais les sanctions états-uniennes, européennes et internationales prévoyaient des exemptions pour l’aide humanitaire. En novembre 2021, après des rapports d’ONG faisant état d’obstacles à leurs activités, le Trésor américain a modifié sa loi afin de « faciliter les activités humanitaires légitimes, tout en continuant à refuser tout soutien aux acteurs menaçants ».

Lorsque l’Union européenne a étendu ses mesures en mai 2022, elle a réaffirmé que « l’exportation de nourriture, de médicaments ou d’équipements médicaux n’est pas soumise aux sanctions de l’UE, et un certain nombre d’exceptions spécifiques sont prévues à des fins humanitaires ».

L’aide a été livrée à Damas tout au long du soulèvement malgré la répression en cours. Or, une grande partie de cette aide a fini dans les poches du régime Assad et de ses acolytes. Un examen de 779 entrées de fournitures de l’ONU pour 2019-2020 a révélé qu’avec la manipulation des taux de change, le régime a détourné 100 millions de dollars américains. D’autres fonds ont été soutirés aux ONG opérant dans les zones contrôlées par le régime.

Human Rights Watch et le Programme de développement juridique syrien [Syrian Legal Development Programme-SLDP, créé 2013 et basé au Royaume-Uni] ont démontré que le cas de la Syrie révélait combien les agences de l’ONU étaient exposées « à un risque important, en termes de réputation et de réalisations, de financer des acteurs malhonnêtes et/ou des acteurs qui opèrent dans des secteurs très risqués sans garanties suffisantes ».

Malgré cela, l’Union européenne a accepté la demande d’aide du régime dans le cadre du Mécanisme européen de protection civile [mis en place depuis 2001]. Un montant initial de 3,5 millions d’euros a été alloué pour l’accès à « des abris, de l’eau et des installations sanitaires, et divers produits sanitaires » ainsi que pour le soutien des opérations de recherche et de sauvetage. L’Allemagne a suivi en annonçant une aide humanitaire supplémentaire de 26 millions d’euros, et le Royaume-Uni de 3 millions de livres.

Jeudi 9 février, le Trésor américain a annoncé une extension de la dérogation pour l’aide humanitaire « afin d’indiquer très clairement que les sanctions américaines en Syrie ne feront pas obstacle aux efforts visant à sauver la vie du peuple syrien ».

Coupure des zones d’opposition

La barrière la plus redoutable pour l’aide internationale a longtemps été érigée autour des zones contrôlées par l’opposition dans le nord-ouest de la Syrie. En 2014, l’ONU a autorisé quatre postes transfrontaliers pour les opérations d’aide, deux depuis la Turquie vers le nord-ouest de la Syrie et deux depuis l’Irak vers le nord-est.

En 2020, le veto de la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU avait réduit ces quatre postes à un seul, le passage de Bab al-Hawa, depuis la Turquie vers la province d’Idlib. Si ce n’est le contexte politique marqué par l’invasion de l’Ukraine par le régime de Vladimir Poutine, les Russes auraient pu fermer ce dernier corridor en janvier 2023, privant 4 millions de personnes de tout accès à l’aide.

Au lendemain du tremblement de terre, la route menant de la Turquie à Bab al-Hawa a été gravement endommagée. Les autorités turques ont dû accorder une autorisation, mais elles étaient « complètement débordées par la gestion et l’aide à leur propre population ». L’ONU a hésité à utiliser d’autres points de passage, compte tenu des objections passées du régime Assad et de la Russie.

En conséquence, le premier convoi d’aide – six camions transportant des tentes et des produits d’hygiène – n’a atteint le nord-ouest de la Syrie que jeudi matin, plus de 72 heures après le séisme.

Dans cette région, les secouristes ne disposent que de vieux engins de levage, des pioches et des pelles. Le chef de l’organisation de défense civile des Casques blancs, Raed al-Saleh, a déclaré : « Les Nations unies ne fournissent pas l’aide dont nous avons le plus besoin pour sauver des vies, alors que le temps presse. » [2]

L’économiste Karam Shaar, du Middle East Institute, le 9 février sur Twitter, a ramassé la tragédie en une formule : « Les gémissements des milliers de personnes piégées sous les décombres ont cessé au cours des dernières heures. Pourquoi l’ONU n’a-t-elle pas largué d’aide ? Parce qu’ils ont besoin de la permission de Damas : le même Damas qui les a bombardés jour et nuit. »

Pendant ce temps, alors que le nombre de morts augmente dans les zones de Syrie contrôlées par Assad et par l’opposition, le tambour politique de Damas continue de battre. Le ministre des Affaires étrangères du régime, Feisal Mikdad, rencontrant jeudi un haut fonctionnaire de l’ONU, a proclamé sans ironie apparente : « La politisation occidentale de l’aide humanitaire est inacceptable. »

[1] La «ligne rouge» fixée par Obama et impliquant la destruction d’infrastructures militaires spécifiques en cas d’utilisation d’armes chimiques a été «oubliée» bien que l’utilisation de ces armes par Bachar al-Assad était avérée. Or, dès 2015, l’aviation de Poutine va multiplier les bombardements de la population civile syrienne. (Réd. A l’Encontre)

[2] Une aide financière peut être apportée à la structure syrienne sanitaire de l’UOSSM, Mehad, https://don.mehad.fr/soutenir/~mon-don?_cv=1 (Réd. A l’Encontre)

Scott Lucas
Scott Lucas, professeur auprès de l’Institut Clinton, University College Dublin
Article publié sur le site The Conversation, le 10 février 2023 ; traduction rédaction A l’Encontre
http://alencontre.org/moyenorient/syrie/tremblement-de-terre-turquie-syrie-le-regime-dassad-tente-de-tirer-avantage-de-la-catastrophe.html

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Message de solidarité de la MMF aux personnes touchées par le tremblement de terre en Turquie, Syrie, Égypte et Liban

La Marche Mondiale des Femmes a suivi la situation chaotique dans laquelle se trouve la population turque, mais aussi dans les pays voisins qui ont été touchés par le plus grand tremblement de terre enregistré depuis 1999.

Nous sommes solidaires de toutes les personnes endeuillées et des sans-abri qui subissent les conséquences de cette tragédie. Des pays comme le Liban, l’Égypte, la Grèce et la Syrie ont également été touchés par le séisme de magnitude 7,5. Les images et les témoignages sont choquants.

Plus de 30 000 personnes sont mortes en Turquie et en Syrie depuis le 6 février, date de la première secousse. Nous avons le regret de recevoir la nouvelle qu’une membre du MMM Turquie a disparu avec son mari dans la ville de Hatay.

Les inquiétudes soulevées quant à l’insécurité des bâtiments qui se sont effondrés en quelques minutes et des bâtiments qui risquent encore de s’effondrer. Les allégations selon lesquelles le gouvernement turc a négligé sa responsabilité de superviser les normes de sécurité dans les nouvelles constructions soulèvent le débat sur la spéculation immobilière et la dynamique des profondes inégalités dans les grands centres urbains comme Istanbul.

Nous exprimons également notre inquiétude quant au manque de solidarité internationale de certains pays face à cette tragédie, car les dynamiques géopolitiques de cette région sont tendues, comme les blocages économiques de la Syrie par les États-Unis.

Nous revendiquons la levée des sanctions pour permettre à l’aide humanitaire et logistique d’atteindre la Syrie, car peu de pays ont eu le courage de défier le blocus et de venir en aide aux victimes. Et nous devons demander à l’ONU d’assumer sa responsabilité dans le cadre de la Charte, qui stipule le devoir de solidarité entre les peuples, que les gouvernements doivent appliquer, loin de la politique du double standard.

Toute notre solidarité avec tous les peuples de la région qui ont souffert de cette catastrophe, et notre soutien à nos sœurs en Turquie et une pensée particulière pour notre sœur MMF Turquie et son mari qui sont toujours parmi les disparus.

En ce moment, nous nous unissons à la douleur de ceux qui souffrent pour leurs morts, disparus et sans perspectives de reprise de la vie. Nous envoyons tout notre amour et notre solidarité à nos camarades du Secrétariat international de la Marche mondiale des femmes qui a aujourd’hui son siège à Ankara, en Turquie.

14 février 2023
Marche Mondiale des Femmes – Afrique Marche Mondiale des Femmes – Amériques Marche Mondiale des Femmes – Asie-Océanie Marche Mondiale des Femmes – Europe Marche Mondiale des Femmes – Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA)
WMW’s solidarity message to the people affected by the earthquake in Turkey, Syria, Egypt and Lebanon
Mensaje de solidaridad de la MMM a las personas afectadas por el terremoto de Turquía, Siria, Egipto y Líbano
Mensagem de solidariedade da MMM às pessoas afetadas pelo terremoto na Turquia, Síria, Egito e Líbano
Dünya Kadın Yürüyüşü’nden Türkiye, Suriye, Mısır ve Lübnan’daki depremzedelere dayanışma mesajı
https://www.marchamundialdasmulheres.org.br/solidariedade-mmm-terremoto-turquia/

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Scène de vie infernale dans la Turquie du poste séisme :
scandales, catastrophes, chaos

Le régime sous les décombres

Déjà affaibli et isolé par la crise économique, en chute libre dans les sondages d’opinion, la compagnie Erdogan a démontré son incompétence à gérer la crise du tremblement de terre, qui a causé la mort de près de 200 000 personnes, selon les estimations faites à partir du nombre de personnes qui sont encore sous les décombres. (déjà 37 000 morts recensés officiellement)

Il veut tout faire tout seul. C’est pourquoi il a interdit à l’armée d’intervenir lors des premiers moments des secours : L’armée ne doit à aucun prix redorer son blason car dans ce cas, « elle pourrait même faire un coup d’état ». Pourtant, l’intervention des troupes sur le terrain surtout dans les premières heures cruciales du séisme aurait pu sauver des milliers de sinistrés.

Il a également empêché et bloqué l’ensemble des ONG (à l’exception notable de celles qui sont proches du Palais) d’organiser la solidarité, notamment les collectes d’aides matérielles et financières, ainsi que les travaux de sauvetage des victimes ensevelies sous les bâtiments détruits. Car selon lui, seul l’AFAD (organisme officiel de secours) devrait être habilité à organiser les secours. Pourtant, cet organisme est dirigé par des gens proches du pouvoir et qui n’ont aucune compétence en la matière : son président est notamment un théologien qui a passé toute sa carrière à la Diyanet, l’organisme officiel chargé des affaires religieuses. La seule intervention publique de ce triste individu durant tout le processus, a été une déclaration qui prétextait l’étendu du séisme et les conditions atmosphériques pour expliquer les raisons de la paralysie quasi-totale de l’AFAD durant les premiers jours.

Beaucoup d’observateurs ont noté que les responsables officiels dépêchés sur place – et même des ministres – hésitaient à prendre les initiatives nécessaires, de peur de se faire réprimander ultérieurement par le président de la République.

Les ministres concernés ont par ailleurs pris ombrage de l’aide massive apportée sur place par les équipes des municipalités dirigées par l’opposition, en particulier les puissantes mairies d’Istanbul et d’Ankara, qui ont dépêchées sur place leurs personnels et leurs équipements de voirie et de travaux publics. Ces maires populaires de l’opposition se sont vues insultées par les partisans du pouvoir, alors même que leurs équipes s’efforçaient de combler sur le terrain les lacunes des organismes gouvernementaux, notamment pour réparer la piste de l’aéroport de Hatay ou pour éteindre l’incendie du port d’Iskenderun.

Plus de 10 000 secouristes de plus de 70 pays sont intervenus sur le terrain. La présence en particulier des équipes venant de Grèce, d’Arménie et d’Israël (pays hier encore érigés en « ennemis de la Turquie » par le gouvernement) a été fortement remarquée et accueillie avec gratitude par la population. Même le ministre des Affaires étrangères turc, qui tenait également de pareils discours, a accueilli ses homologues de ces trois pays et a dû les remercier publiquement. En revanche, la proposition d’aide venant de la République de Chypre a été refusée par les autorités, sous prétexte que la Turquie refuse de reconnaître officiellement les représentants internationalement reconnus de la République de Chypre.

Plusieurs de ces équipes étrangères ont néanmoins dû rentrer chez elles prématurément, soit parce que les conditions de sécurité nécessaires à leur travail n’avaient pas été réunies par les autorités, soit parce que les responsables de l’AFAD avaient décidé bien trop tôt d’arrêter la recherche de victimes vivantes sous les décombres, pour intervenir à coup des bulldozers là où des vies auraient encore pu être sauvées.

Chaque fois que des équipes de la société civile décelaient une personne vivante sous les décombres et qu’elles avaient fait tout le travail préliminaire pour assurer leur extraction, les équipes officielles accouraient pour les mettre de côté et faire sortir eux-mêmes les rescapés sous les yeux des caméras des chaines de télévision proches du pouvoir. Et ceci, avec des drapeaux turcs et des incantations religieuses.

A un moment crucial des sauvetages, le gouvernement a même bloqué pendant 24 heures twitter, pour éviter la diffusion de nouvelles sur l’étendue des dégâts et sur l’incurie du gouvernement. Pourtant, c’est via les réseaux sociaux que la communication s’établissait soit directement avec les victimes ensevelies soit pour coordonner les secours. Cette censure a été qualifiée de « criminelle » par l’opposition.

Le pillage est devenu pratique courante, surtout à l’entrée des villes sinistrées. Des bandes armées ont dévalisé des camions qui transportaient du matériel d’aide aux victimes, notamment sur les routes nationales vers la région touchée par le séisme, et même en plein cœur d’Istanbul ; ceci, sans intervention efficaces des forces de l’ordre. En revanche, des policiers ont lynché et torturé un certain nombre d’individus accusés de pillage, ces scènes étant même filmées.

Certains milieux nationalistes ont transformés les réfugiés Syriens en bouc-émissaire, les accusant d’être à l’origine des pillages. Pourtant, ces derniers étaient également victimes du tremblement de terre.

Impact politique

Erdogan avait annoncé que les élections présidentielle et législatives prévues pour le 18 juin 2023 seraient avancées au 14 mai. Le séisme lui a complètement fait changer de discours. En effet, non seulement l’organisation des secours a été un grand fiasco pour son gouvernement, mais il s’est avéré qu’en 20 ans de pouvoir, celui-ci n’a pris aucune précaution pour limiter les dégâts dans un pays pourtant à haut risque sismique. La colère gronde dans la région sinistrée, dont la plupart des villes étaient hier encore des fiefs électoraux de son parti islamiste AKP et de son acolyte d’extrême droite nationaliste, le MHP. Du coup, Erdogan demande aujourd’hui à la population de lui « accorder une année supplémentaire pour reconstruire le pays ». Ses partisans évoquent déjà la « nécessité » de retarder d’un an la tenue des élections. Pourtant, la constitution turque ne prévoit cette possibilité qu’en cas de « guerre », par une décision majoritaire du Parlement et de lui seul. L’opposition par conséquent insiste pour que les élections se tiennent à temps, en déclarant que tout acte du pouvoir pour les retarder, en violation totale de la constitution, équivaudrait à organiser un « coup d’état ».

La déclaration de l’état d’urgence dans les 10 départements sinistrés renforce également les doutes sur le bon déroulement du scrutin.

Il est aujourd’hui certain que le grand perdants politique du séisme est bien le président Erdogan : Les sondages le donnaient déjà perdant et aujourd’hui, il n’a plus ni le temps ni les moyens de regagner la confiance des électeurs.

Acculé, Erdogan multiplie les menaces et se cramponne à son discours religieux, expliquant notamment que le séisme fait partie « des plans du destin ». Il cherche à camoufler l’incompétence de son gouvernement en expliquant qu’il s’agit de la plus grosse « catastrophe du siècle » et que personne n’aurait pu la prévoir ni prendre des mesures efficaces. En réalité, la Turquie est bel et bien victime de « la catastrophe du siècle », mais cette catastrophe n’est rien d’autre qu’Erdogan lui-même.

Ragıp Duran, journaliste
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article65688

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« Bonjour, nous vous écrivons depuis la Syrie… »

Bonjour,
Nous vous écrivons depuis la Syrie pour vous faire part de la réalité que nous vivons sur le terrain et de nos inquiétudes face au tremblement de terre qui a frappé la région. Cette terrible catastrophe a ajouté du chaos à une situation géopolitique déjà catastrophique.

Il est important de souligner certains aspects de la situation afin de comprendre ce qui se passe ici.

Les régimes syrien et turc utilisent la tragédie qui a frappé des milliers de personnes pour placer leurs pions sur l’échiquier géopolitique. En Turquie, le gouvernement AKP MHP utilise la crise actuelle pour faire campagne pour les élections et pour supprimer une fois de plus les voix dissidentes. La mise en place d’une hotline pour dénoncer ceux qui critiquent l’incapacité de l’État à aider sa population en est l’exemple le plus écœurant. Le blocage de twitter en Turquie illustre cette volonté constante de museler la population.

Il nous semble également nécessaire de rappeler que les populations touchées, que ce soit sur le territoire syrien ou turc, sont majoritairement kurdes. Dès lors, la négligence des États en matière de normes de construction doit être dénoncée (surtout après les nombreux scandales de corruption dans le secteur immobilier qui ont éclaboussé le gouvernement AKP MHP).

C’est pourquoi nous vous envoyons des vidéos de la région, traduites par nos soins, afin que vous puissiez approfondir le sujet et en rendre compte.

Une catastrophe naturelle, indissociable de ses tenants politiques 

Depuis la Commune Internationaliste du Rojava, nous sommes extrêmement touchés par la tragédie que représente ce tremblement de terre. Nos pensées vont à toutes les familles durement frappées, quelle que soit leur origine. À l’endroit où nous nous trouvons, nous avons senti la terre trembler, mais sans les dramatiques conséquences que connaissent d’autres régions. Si les frontières marquent des lignes parfois infranchissables, la connexion entre les peuples, elle, n’en a cure. Ici, au nord-est de la Syrie (Kurdistan de l’Ouest/Rojava) vivent des milliers de personnes qui ont une relation forte avec d’autres, ailleurs dans le pays, mais aussi avec les populations du sud de la Turquie (Nord-Kurdistan/Bakûr). 

Nous pensons que les émotions ne doivent pas pour autant nous faire oublier de porter un regard politique sur la situation. Ce qui arrive aujourd’hui n’est pas un événement naturel déconnecté de la façon dont est organisée la société, dont les lignes de fracture nationalistes et racistes divisent les peuples, dont l’économie capitaliste privilégie le profit au bien-être, dont les politiques des états-nations sont guidées par le court-termisme et l’électoralisme. Bien des voix s’élèvent, en ce moment, pour faire appel à des sentiments solidaires, à des valeurs universalistes. Nous soutenons ces appels, mais sans pour autant accepter de mettre de côté le contexte sociopolitique dans lequel ces évènements se produisent. Les responsabilités passées, présentes et futures ne peuvent être effacées sous couvert d’une vision humaniste qui n’a jamais existé, aux yeux des régimes politiques dans les états-nations de la région et du reste du monde. Les grands médias s’émeuvent à raison de la situation, mais ces mêmes médias étaient silencieux, il y a peu, quant aux souffrances de ces mêmes populations et le seront probablement, à nouveau, dans quelques semaines. 

• Contexte géographique et politique 
Le séisme d’une magnitude de 7.8 qui a eu lieu dans la nuit du 5 au 6 février a déjà fait plus de 12 000 victimes et, malheureusement, il est plus que probable que ce nombre augmente encore. Les régions les plus touchées sont principalement de peuplement kurde, de part et d’autre de la frontière turco-syrienne. Historiquement délaissées et opprimées par Ankara (comme à Maraş), sous occupation turque et islamiste extrémiste dans le nord de la Syrie (telle qu’à Afrin), ayant connu la brutale répression d’Assad (comme à Alep) ou vivant dernièrement des bombardements turcs (comme à Tel Rifaat). À cela, s’ajoute la présence de milliers des réfugié·es, ayant fui les nombreux combats qui déstabilisent la région depuis une décennie. Cette catastrophe est donc d’autant plus aigüe que les populations vivent des difficultés économiques, et politiques de longue date. 

Le traitement médiatique actuel majoritaire est un exemple criant de plus de l’invisibilisation dont souffre le peuple kurde. Rares sont les organes de presse ayant pris la peine de souligner quels peuples vivent dans les régions touchées. L’idée n’est nullement de rendre identitaire cette catastrophe naturelle, la nature ne faisant guère de distinctions culturelles, mais bien de ne pas la délier d’une réalité humaine et historique qui, seule, permet de comprendre réellement les épreuves que vivent les personnes. Une authentique solidarité ne peut exister qu’en prenant en considération les tenants et aboutissants de cette réalité. 

• Tout sauf une surprise et bien plus qu’une catastrophe naturelle 
Ce tremblement de terre est loin d’être le premier qui frappe la région. La région est au croisement de trois plaques tectoniques, ce qui en fait un lieu propice aux séismes (à titre d’exemple, la Turquie a connu pas moins de 230 séismes dépassant une magnitude de 6, au cours du XXème siècle, 12 d’entre eux dépassant le millier de victimes). Historiquement, ces catastrophes sont donc nombreuses, la plus récente de vaste ampleur eut lieu en 1999, se soldant par près de 20 000 morts. Prendre conscience de cette réalité permet de se rendre compte que le régime actuel a tout fait sauf mener une politique préventive en la matière, et ce, malgré les importantes aides européennes reçues pour des plans urbanistiques adaptés. 

Depuis des années, des spécialistes en sismologie ont alerté sur le risque imminent de dangereux mouvements de plaques, sans que cela ne fasse réagir le gouvernement. Cela est d’autant plus scandaleux lorsque l’on sait les liens étroits qui unissent le parti de l’AKP et Erdogan lui-même aux secteurs de la construction ainsi que les projets, plus pharaoniques les uns que les autres, menés depuis son accession au pouvoir. Les cas de corruptions sont innombrables (tant en termes de contrats publics/privés que d’utilisation de matériaux de mauvaises qualités et non-respect des normes), les opposants à ces projets et journalistes, ayant tenté de mettre la lumière que ces cas, croupissent en prison par dizaines. Les manifestations du Gezi Park sont un exemple ayant mobilisé de larges secteurs de la population istanbouliote, opposée à la gentrification urbaine, les méga-projets et la destruction de l’environnement. Elles illustrent les dégâts d’une politique économique axée sur l’augmentation de la consommation et une urbanisation centralisatrice qui ne tient nullement compte des aspirations populaires et crée une fracture sociale de plus en plus criante. 

Pour ce qui est des régions syriennes la déstabilisation et les séquelles d’années de guerre sont encore vivaces. Le régime de Damas, avec des alliés internationaux différents à ceux d’Ankara, n’en a pas moins prouvé, de façon tragique au cours de la dernière décennie, être prêt à tout pour rester au pouvoir. Si l’expérience d’autonomie du Rojava est tolérée, ce n’est que grâce à la force, la détermination et les sacrifices dont elle a fait preuve. 

• Inefficacité de l’aide et répression des voix critiques 
Comme l’illustrent d’innombrables témoignages et contrairement à la propagande gouvernementale turque, bien des régions sont littéralement abandonnées à leur sort. Dans de nombreux lieux (tel qu’à Gaziantep) nul aide n’était arrivée dans les 12 heures, pourtant cruciales, ayant suivi le séisme. L’inefficacité dans l’aide apportée est en partie structurelle, volontaire et due au contexte géopolitique. Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux turcs le nombre de commentaires appelant à se désintéresser de la mort de personnes kurdes, y compris en bas-âge, est glaçant. Le gouvernement turc a déjà lancé des menaces claires indiquant que toute critique de mesures prises seraient considérée comme une forme de trahison durement réprimée (un numéro d’appel a été créé pour dénoncer ces ’actes subversifs’). La criminalisation de l’opposition, en cours depuis des années, n’en sera qu’accrue, par un régime aux abois qui renforce un discours de soi-disant unité qui est en réalité un autoritarisme exacerbé : ’Si vous émettez des critiques. vous êtes contre nous et donc contre la nation !’. Il y a quelques heures twitter a été purement et simplement été fermé en Turquie. 

En Syrie, parmi les zones les plus affectées, on retrouve notamment celles sous occupation turque et entre les mains de mercenaires islamistes à la solde d’Ankara. Cela implique une désorganisation locale et une difficulté accrue de faire parvenir des aides. L’AANES a annoncé vouloir fournir de l’aide aux zones voisines à celles qu’elle administre, alors que le régime d’Assad souhaiterait, lui, monopoliser les aides internationales. La situation d’embargo que connaît le Rojava est un élément qui se fait d’autant plus sentir dans ces moments. L’armée turque pour sa part ne semble pas décidée à observer la moindre trêve malgré la catastrophe. La région de Tel Rifaat, frappée par le séisme, a, par exemple, à nouveau été bombardée dans la nuit dernière (mardi 7 février). 

• Instrumentalisation/invisibilisation contre auto-organisation/internationalisme 
La priorité est bien sûr à l’urgence des secours. Cependant, il faut d’ores et déjà être attentif à la façon dont cette catastrophe sera, d’une part, instrumentalisée en vue des élections à venir (en mai prochain) mais aussi, de l’autre, pour voir quels enseignements en seront tirés ou pas. Quand une telle catastrophe se produit les blessures et les besoins ne disparaissent pas en même temps que l’attention des médias. Des vies et des foyers sont détruits, la reconstruction est un processus de longue haleine qui va au-delà du seul béton, mais devrait impliquer la prévention et le renforcement des capacités locales de réponses à de tels séismes. 

Il y a fort à parier qu’Erdogan et Assad élaborent déjà des plans pour tenter d’en tirer profit, d’une façon ou d’une autre (telles que l’accentuation de la criminalisation des partis d’opposition, comme le HDP). Il y a fort à parier que cela soit fait dans la ligne d’une unité nationale qui n’est qu’une façade visant à préserver leur pouvoir au détriment des intérêts des populations. Les premiers signes laissent penser que cela n’aura malheureusement pas d’effet d’accalmie sur les visées guerrières et répressives de régimes qui ne tiennent, au fond, que grâce à cela. Si aujourd’hui la situation exige une réaction rapide et unilatérale, il ne faudra pas que cette solidarité spontanée se dilue aussi vite qu’elle se manifeste, laissant libre cours à des politiques qui ont prouvé, plus que de raison, leurs effets catastrophiques sur la vie de la majorité des populations, aujourd’hui durement frappées. 

Nous pensons que ce séisme est symptomatique à bien des égards des effets délétères du paradigme de l’état-nation qui est ennemi de l’autonomie locale et l’auto-organisation décentralisée, d’un capitalisme qui ne cherche jamais le bien-être à long terme des peuples, mais qui se nourrit de crises et de conflits. La région, si tragiquement touchée ces jours-ci, est aussi le berceau d’une construction tenace qui, depuis des décennies, bâtit un modèle politique authentiquement démocratique. Celui est vu, à raison, comme une menace pour le pouvoir des régimes en place. C’est pourquoi il est attaqué de toute part. 

Aujourd’hui, comme le fait l’Administration Autonome nous souhaitons que la solidarité s’exprime partout et de façon concrète. Demain, lorsque l’émotion se sera atténué et les caméras se seront éloignées, nous espérons que les femmes et les hommes qui peuplent cette région du monde ne retomberont pas dans l’oubli. Cela dépend de chacun d’entre nous, cela est l’essence même de l’internationalisme qui nous habite qui ne connaît pas de frontières. Aider maintenant pour pallier à l’urgence est indispensable, tisser d’authentiques liens de solidarité pour le futur est vital. 

Commune Internationaliste du Rojava, 8 février 2023

https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/090223/bonjour-nous-vous-ecrivons-depuis-la-syrie

Hola, os escribimos desde Siria…” 
https://vientosur.info/hola-os-escribimos-desde-siria/

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Acort

Séisme en Turquie et en Syrie,
Ce ne sont pas seulement les tremblements de terre qui tuent
mais l’inaction politique !

 Le 6 février 2023, la Turquie et la Syrie ont été touchées par des tremblements de terre d’une violence inouïe. 41 000 morts, un bilan macabre qui risque d’être doublé car des milliers de personnes n’ont pas pu être sauvées des décombres. À cela s’ajoutent des milliers de blessée.e.s et de sans-abri. L’ONU exhorte la communauté internationale à apporter son aide financière aux pays afin de récolter un milliard de dollars.

Face à l’ampleur de cette situation, L’ACORT a décidé d’apporter son soutien pour répondre aux besoins urgents et immédiats mais aussi en envisageant d’ores et déjà des actions à moyen et long terme.

L’ACORT renouvelle sa confiance aux dons qui peuvent être apportés à l’ONG turque AHBAP qui agit dans la proximité, au plus près des besoins des populations sinistrées, avec une éthique d’intervention et une transparence de l’usage des dons. En France, Médecins sans Frontières, le Secours populaire, Oxfam France, Soleil Rouge, la Fondation Danielle Mitterrand ou encore la Fondation de France agissent aussi sur place. 

Il nous faut rappeler que cette catastrophe intervient dans un contexte de tensions politiques extrêmes et d’une centralisation de tous les pouvoirs dans les mains du président Erdogan, à quelques mois d’élections présidentielles envisagées pour juin et où devrait se jouer l’avenir de la démocratie en Turquie. 

Nous ne pouvons donc pas ignorer ce contexte politique, car il a déjà et va avoir des répercussions et des conséquences directes sur la gestion de la crise et la reconstruction du pays. Les provinces touchées sont extrêmement hétérogènes en termes de sociologie. Certaines ont des populations kurdes, alévies, arabes avec une forte proportion de réfugiée.s syriens. Ainsi, nous assistons depuis plusieurs jours à l’intimidation et menaces des journalistes et de personnes critiquant l’absence des secours mais aussi la mainmise du gouvernement sur les actions de solidarité mises en place par les ONG indépendantes dans différentes villes.

Nous resterons vigilant.e.s à ce que les droits de toutes les victimes soient respectés, et à ce qu’il n’y ait aucune discrimination dans l’acheminement de l’aide. 

À moyen et long termes, nous souhaitons être un pont entre les initiatives depuis la France avec des associations locales de Turquie. À cet égard, un groupe de travail spécifiquement dédié à cette reconstruction sur le long terme sera initié par L’ACORT.

Nous appelons l’ensemble des partis politiques à demander au gouvernement français de faciliter l’obtention de visas de 3 mois pour les victimes des séismes désirant rejoindre leurs familles, tout comme l’ont déjà annoncé l’Allemagne et la Suisse. 

Nous appelons les organisations démocratiques françaises, aujourd’hui plus que jamais, à être vigilantes pour éviter la répression des opposant.e.s en restant solidaires des forces démocratiques de Turquie.

Enfin, nous demandons aux collectivités territoriales de soutenir financièrement cet effort de reconstruction.

Paris, le 17 février 2023

Communiqué sur le site de L’ACORT

Auteur : entreleslignesentrelesmots

notes de lecture

Une réflexion sur « Tremblement de terre Turquie-Syrie (quelques textes) »

  1. Collectif pour une Syrie libre et démocratique
    Paris le 18 février 2023

    L’aide humanitaire internationale destinée aux victimes du séisme ne doit pas être confisquée par le boucher de Damas

    Bachar Al Assad a annoncé qu’il acceptait l’acheminement de l’aide internationale vers les zones tenues par les rebelles dans le Nord-Ouest du pays, tout en précisant que la distribution de l’aide humanitaire devrait être « supervisée par le Comité international de la Croix-Rouge et le Croissant Rouge syrien », ce dernier étant à la botte du régime.
    Dans la foulée, une campagne orchestrée par le régime prend appui sur la catastrophe pour réclamer la fin des sanctions, en particulier à l’instar de Christian Solidarity International qui demande aux États-Unis, à la Grande-Bretagne, à la France, à l’Allemagne et à la Suisse de lever rapidement les sanctions économiques contre la Syrie.
    En fait, c’est le Caesar Act adopté par l’administration américaine en 2019 à la suite des crimes commis par Bachar Al Assad, qui est tout particulièrement visé alors qu’il exclut de manière explicite l’aide humanitaire de son champ d’interdiction.
    Alors que le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, s’est félicité de la décision prise par Bachar Al-Assad d’ouvrir pour trois mois deux points de passage entre la Turquie et le Nord-Ouest de la Syrie, nous exigeons la plus grande vigilance de la communauté internationale sur l’instrumentalisation du séisme du 6 février dernier par le régime syrien.
    En effet, on ne peut avoir aucune confiance dans un État syrien qui a constamment canalisé selon son bon vouloir et détourné les moyens des secours humanitaires … Et qui est par ailleurs reconnu comme narcotrafiquant, impliqué selon les experts dans 80 % du trafic mondial de Captagon.
    Mais avant tout, le séisme du 6 février 2023 qui a frappé la Syrie ne doit pas être l’occasion d’une quelconque légitimation d’un régime qui, avec ses alliés russe et iranien, est responsable depuis mars 2011 de la destruction programmée du pays, notamment de ses infrastructures civiles, et du massacre de masse de sa population.
    Les instances internationales doivent faire en sorte que la solidarité internationale bénéficie à tous et toutes, sans aucune discrimination.

    Contact : collectif.psld@gmail.com
    Facebook : https://www.facebook.com/SyriePSLD2011/

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